Abidjan, Paris, Nairobi, le 25 juin 2015
Monsieur le Président,
Nous vous écrivons pour exprimer notre vive préoccupation quant aux informations concordantes reçues par nos organisations faisant état de la clôture imminente des enquêtes judiciaires en cours sur les crimes les plus graves perpétrés pendant la crise post électorale, instruites par les juges de la Cellule spéciale d'enquête et d'instruction. La clôture prématurée de ces instructions aurait pour conséquence certaine des procès mal préparés et des accusations insuffisamment étayées ne permettant pas de rendre justice aux victimes.
Lors de votre investiture, nombre de nos organisations ont salué votre engagement en faveur d'une justice impartiale pour tous les auteurs des graves violations des droits humains commises entre 2010 et 2011. Nous nous sommes également félicités de l'initiative de votre gouvernement de créer, dès 2011, une Cellule spéciale d'enquête, en ce qu'elle représentait un premier pas important sur la voie de la lutte contre l'impunité.
En effet, la poursuite des crimes internationaux, par leur complexité et leur ampleur, exige des moyens humains et matériels spécifiques et un soutien sans faille des autorités nationales. La concentration de juges d'instruction, de représentants du parquet et d'officiers de police judiciaire au sein d'une cellule spécialisée devait donc permettre d'établir les responsabilités et de mettre en cause les auteurs de ces crimes.
Si la Cellule a longtemps manqué des moyens nécessaires à son bon fonctionnement et les magistrats ont rencontré des blocages qui ont ralenti leur travail d'enquête, vous avez pris, en décembre 2013, un décret la renouvelant et renforçant même son mandat, dans le sens d'une justice plus impartiale et équitable.
Depuis, et malgré l'important retard dans la prise des arrêtés ministériels encadrant le fonctionnement de la Cellule, les magistrats ont pu travailler dans des conditions satisfaisantes et accomplir ainsi de très importants progrès, que saluent nos organisations. Pourtant, les instructions judiciaires concernant les crimes les plus graves restent largement incomplètes et leur clôture, en l'état, ne permettrait pas la tenue des procès crédibles et équitables attendus par tous.
Au cours des derniers mois, vous avez rappelé à plusieurs reprises votre volonté de voir la justice ivoirienne juger dans les meilleures conditions les responsables des crimes les plus graves, et assuré qu'aucune des personnes mises en cause par la justice ne pourrait s'y soustraire. Nous nous félicitons de ces déclarations qui vont dans le sens de la Résolution 2162 du Conseil de sécurité des Nations Unies, invitant le gouvernement à « créer des conditions permettant au système judiciaire ivoirien de s’acquitter de sa mission en toute impartialité, crédibilité et transparence, dans le respect des normes internationales »
Toutefois, le récent procès de Simone Gbagbo et de près de 80 co-accusés pour des atteintes à la sûreté de l’État a rappelé avec force la nécessité de mener à bien des procédures judiciaires solides, seules à même de permettre des procès satisfaisants, où les responsabilités sont établies individuellement sur la base d'éléments de preuves convaincants. C’est seulement dans ces conditions que les droits des victimes à obtenir vérité, justice et réparation pourront être pleinement respectés, et que le processus judiciaire pourra jouer son rôle primordial de créer les garanties de non répétition des crimes qui ont marqué les heures les plus sombres du passé récent de la Côte d’Ivoire.
Nous tenons à cet égard à attirer en particulier votre attention sur la situation des victimes de crimes sexuels, qui devaient encore être entendues par des juges d'instruction ces prochains mois. Leur participation aux procédures judiciaires en cours est indispensable pour appréhender de manière complète l’ampleur des crimes sexuels perpétrés.
Monsieur le Président, nous faisons donc appel à vous, aux côtés des victimes que plusieurs de nos organisations accompagnent dans ces procédures, afin que les enquêtes demeurent ouvertes et permettent aux magistrats en charge de ces dossiers difficiles et délicats d'aller au bout de leur travail. Ceux qui doivent rendre des comptes devront le faire au terme de procédures judiciaires équitables et impartiales dans lesquelles les victimes pourront témoigner des souffrances qu'elles ont subies. Ce temps supplémentaire permettra sans aucun doute de garantir le bon exercice de la justice et une paix durable pour la Côte d'Ivoire et sa population.
Respectueusement,
Human Rights Watch - HRW
Fédération internationales des ligues des droits de l'Homme - FIDH
Mouvement ivoirien des droits humains - MIDH
Ligue ivoirienne des droits de l'Homme - LIDHO
Association des femmes juristes de Côte d'Ivoire - AFJCI
Organisation des femmes actives de Côte d'Ivoire – OFACI
Centre féminin pour la démocratie et les droits humains - CEFCI
Actions pour la protection des droits de l'Homme - APDH
Observatoire ivoirien des droits de l'Homme - OIDH
Agir pour la démocratie, la justice et la liberté en Côte d'Ivoire – ADJL-CI
Transparency Justice
Club Union Africaine
Action des chrétiens pour l'abolition de la torture – Acat Côte d'Ivoire
SOS-Exclusion
Regroupement des acteurs ivoiriens des droits humains - RAIDH
Coalition ivoirienne pour la Cour pénale internationale - CI-CPI
Convention de la société civile ivoirienne - CSCI
Coalition de la société civile ivoirienne pour de développement démocratique et la paix en Côte d'Ivoire – COSOPCI
Réseau Equitas Côte d'Ivoire - REQCI