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Canada : Les 10 provinces mettent fin à la détention de migrants dans des prisons

La province de Terre-Neuve-et-Labrador se joint aux neuf autres, le gouvernement fédéral devrait s’en inspirer

© 2024 Human Rights Watch

(Montréal) – Les 10 provinces canadiennes se sont désormais engagées à mettre fin à leur contrat de détention migratoire avec l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), ce qu’Amnistie internationale Canada et Human Rights Watch ont aujourd’hui qualifié de victoire majeure pour les droits des personnes migrantes et réfugiées. Terre-Neuve-et-Labrador, la dernière province, vient de confirmer qu'elle n'autorisera plus le gouvernement fédéral à détenir dans les prisons locales des personnes migrantes ou demandeuses d'asile.

Les deux organisations ont créé la campagne #Bienvenue au Canada en octobre 2021 pour exhorter les provinces à mettre fin à cette pratique. Le recours aux prisons provinciales pour la détention de personnes migrantes est incompatible avec les normes internationales en matière de droits humains, et dévastateur pour la santé mentale de ces personnes. Le gouvernement fédéral devrait emboiter le pas aux provinces et prendre d’importantes mesures pour mettre fin à la détention migratoire à travers le pays.  

« La décision de Terre-Neuve-et-Labrador est une immense victoire en matière de droits humains, elle préserve la dignité et les droits des personnes qui viennent au Canada en quête de sécurité ou d'une vie meilleure », a déclaré Samer Muscati, directeur adjoint intérimaire de la division Droits des personnes handicapées à Human Rights Watch. « Comme les dix provinces ont résilié leur contrat de détention des personnes migrantes, le gouvernement fédéral devrait enfin garantir, par le biais d'une directive ou d'un amendement législatif, que l'ASFC cessera une fois pour toutes de recourir aux prisons pour les incarcérer. »

Au cours des cinq dernières années, l’ASFC a incarcéré des milliers de personnes pour des raisons d'immigration dans des dizaines de prisons provinciales à travers le pays, sur la base d’accords conclus avec les provinces. Les conditions de détention en prisons provinciales sont inhumaines, ces établissements ont une vocation intrinsèquement punitive. Le 12 mars 2024, le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a transmis un avis officiel à l'agence frontalière indiquant qu'à compter du 31 mars 2025, ses prisons provinciales ne détiendraient plus des personnes uniquement en vertu de la législation sur l'immigration. À ce jour, les accords conclus dans cinq provinces ont expiré à la suite de périodes de préavis de résiliation, et les accords conclus dans les cinq autres provinces doivent expirer d'ici mars 2025. L’ASFC a cherché à prolonger ces accords dans certaines provinces.

Dans un rapport datant de 2021, Human Rights Watch et Amnistie internationale ont démontré que dans les centres de détention migratoires au Canada les personnes racisées, en particulier les hommes noirs, sont gardées dans des conditions plus restrictives et pour des périodes plus longues que les autres détenu·e·s. Les personnes handicapées sont également victimes de discrimination tout au long de la procédure de détention.

Illustration pour le rapport de Human Rights Watch

Campagne visant l'annulation des contrats qui autorisent la détention de personnes migrantes dans des prisons provinciales au Canada.

Site de la campagne

Ces personnes sont régulièrement menottées, enchainées et enfermées avec peu ou pas de contact avec le monde extérieur. Le Canada est l'un des rares pays de l'hémisphère nord à ne fixer aucune limite légale à la durée de leur détention. Des personnes peuvent ainsi être détenues pendant des mois, voire des années, sans aucune fin en vue.

Sara Maria Gomez Lopez a fait l'expérience directe de la détention migratoire en arrivant au Canada en tant que demandeuse d'asile en 2012. L’ASFC l'a incarcérée pendant trois mois en Colombie-Britannique. « Je me souviens de la profonde douleur que je ressentais en prison », a-t-elle déclaré. « Le Canada peut et doit cesser de causer de telles douleurs et laisser place à l'accueil bienveillant qui a contribué à guérir tant de personnes ayant trouvé refuge dans ce pays. Cette ouverture me donne l’espoir que d'autres n’auront pas à vivre la même douleur que moi. »

Depuis le début de la campagne #Bienvenue au Canada, des centaines de personnes militantes, avocates, professionnelles de la santé et des leaders religieux, aux côtés de personnes ayant personnellement vécu la détention migratoire, ainsi que des dizaines de grandes organisations de justice sociale, ont appelé les autorités provinciales et fédérales à mettre fin à l'utilisation des prisons provinciales pour la détention liée à l’immigration. Plus de 30  000  personnes à travers le Canada ont également participépris part à la campagne en écrivant directement aux autorités provinciales et fédérales.

En vertu de ces accords, l’ASFC a versé aux provinces des centaines de dollars par jour pour chaque migrant·e incarcéré·e dans une prison provinciale. Ainsi, selon l’agence frontalière, au cours de l'exercice qui s'est terminé en mars 2023, l’elle a défrayé 615,80 $ par jour pour chaque femme détenue dans une prison du Nouveau-Brunswick. Au cours de ce même exercice, elle a dépensé 82,7 millions de dollars pour la détention, soit plus qu'au cours des quatre années précédentes.

En vertu de la législation sur l'immigration, l’ASFC a toute la latitude pour décider du lieu de détention des personnes migrantes : aucune norme juridique ne guide ses décisions de détenir une personne dans une prison provinciale plutôt que dans un centre de surveillance de l'immigration. À l'expiration de ses contrats avec les provinces, elle n'aura plus accès à leurs prisons pour détenir des personnes migrantes. L’ASFC gère également trois centres de détention migratoire, semblables à des prisons de sécurité moyenne et fonctionnant comme telles, qui imposent d'importantes restrictions à la vie privée et à la liberté, des règles rigides et des routines quotidiennes, en plus de mesures punitives en cas de non-respect des règles et des ordres.

Il existe d’autres solutions viables à la détention à travers tout le pays. Au lieu de financer des centres de détention ou des pratiques punitives non privatives de liberté comme le suivi électronique, le gouvernement fédéral devrait investir dans des programmes communautaires respectueux des droits et gérés par des organisations locales à but non lucratif, indépendantes de l’agence frontalière.

 « Nous félicitons les provinces pour leur décision de cesser d'emprisonner les demandeurs d'asile et les migrants uniquement pour des raisons d'immigration », a déclaré France-Isabelle Langlois, directrice générale d'Amnistie internationale Canada francophone. « La pression sur le gouvernement fédéral est maintenant claire pour qu'il mette fin à ce système de violation des droits partout au pays. »

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