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Pakistan : Des filles privées d’éducation

Parmi les obstacles figurent le sous-investissement dans ce secteur, le coût de la scolarité et la discrimination

(Londres) –Le gouvernement du Pakistan manque à son devoir d’assurer une éducation à de très nombreuses filles de ce pays, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

Le rapport de 111 pages, intitulé « ‘Shall I Feed My Daughter, or Educate Her?’: Barriers to Girls’ Education in Pakistan » (« ‘Dois-je nourrir ma fille, ou bien la mettre à l’école ?’ : Obstacles à la scolarisation des filles au Pakistan ») conclut que de nombreuses filles n’ont tout simplement pas accès à l’enseignement, entre autres à cause d’un déficit d’établissements publics – et notamment d’écoles de filles. Près de 22,5 millions d’enfants pakistanais – dans un pays d’un peu plus de 200 millions d’habitants – ne vont pas à l’école, et ce sont en majorité des filles. Au Pakistan, 33 % des filles en âge d’aller à l’école primaire sont déscolarisées, contre 21 % des garçons. En neuvième année (première année de lycée), seules 13 % des filles sont toujours scolarisées.

« L’échec du gouvernement du Pakistan vis-à-vis de l’éducation des enfants a un impact dévastateur sur des millions de filles », a déclaré Liesl Gerntholtz, directrice exécutive de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. « Beaucoup des filles que nous avons interrogées désirent désespérément étudier, pourtant elles grandissent sans l’instruction qui leur permettrait de faire des choix pour leur avenir. »

Des élèves du lycée public de filles de Behar Colony, situé dans le quartier de Lyari à Karachi (Pakistan). En neuvième année (première année de lycée), seules 13 % des filles pakistanaises sont toujours scolarisées. La pénurie d’établissements de filles est générale, mais elle s’aggrave encore pour celles qui poursuivent au-delà de l’école primaire. © Insiya Syed pour Human Rights Watch, septembre 2018.

Human Rights Watch a effectué 209 entretiens pour rédiger ce rapport – la plupart avec des filles qui ne sont jamais allées à l’école, ou n’ont pas pu terminer leur scolarité, et avec leur famille –, et ce dans les quatre provinces du Pakistan : le Baloutchistan, le Khyber Pakhtunkhwa, le Pendjab et le Sind. Par ailleurs, Human Rights Watch a interrogé des parents, des éducateurs, des experts et des activistes, et visité des établissements scolaires.

Parmi les facteurs de déscolarisation des filles, a constaté Human Rights Watch, on trouve l’investissement insuffisant du gouvernement dans les établissements, son incapacité à rendre la scolarité obligatoire, le manque d’établissements, les frais d’écolage et annexes inabordables, et les punitions corporelles. Human Rights Watch a également constaté une faible qualité de l’enseignement, que ce soit au sein des établissements publics que des instituts privés bon marché, un défaut de réglementation des établissements privés par l’État, ainsi que les effets de la corruption.

Outre ces facteurs agissant au sein du système éducatif, la scolarisation des filles est également entravée par des facteurs externes comme le travail et le mariage des enfants, la discrimination de genre, le harcèlement sexuel, l’insécurité et les attaques contre le système éducatif.

Le gouvernement pakistanais a régulièrement investi dans l’enseignement à des niveaux très inférieurs à ceux que recommandent les normes internationales. Pour 2017, le Pakistan dépensait pour l’éducation moins de 2,8 % de son produit intérieur brut – loin des 4 à 6 % recommandés –, ce qui fait que le système éducatif public dispose de fonds largement insuffisants.  Les établissements publics sont si peu nombreux que même dans les principales villes du Pakistan, beaucoup d’enfants ne peuvent pas se rendre à pied à l’école en sécurité et dans un laps de temps raisonnable. Dans les zones rurales, la situation est bien pire. Par ailleurs, il y a beaucoup plus d’écoles de garçons que d’écoles de filles.

Aisha, la trentaine, vit avec son mari et leurs six enfants dans une zone du district de Peshawar où l’établissement public de garçons le plus proche, allant de la maternelle à la dixième année (lycée), est situé à moins de 5 minutes à pied. Par contre, l’établissement public de filles le plus proche est à 30 minutes de marche et ne va que jusqu’à la cinquième année (dernière année du primaire). Du coup, la fille d’Aisha a cessé d’aller en classe à 9 ans parce que ses parents s’inquiétaient de sa sécurité sur son trajet pour l’école.

« Même les parents qui ne sont pas instruits eux-mêmes comprennent que l’avenir de leurs filles dépend de leur scolarisation, mais l’État tourne le dos à ces familles », a déclaré Liesl Gerntholtz. « L’avenir du Pakistan dépend de sa capacité à apporter une éducation à ses enfants, y compris ses filles. »

On remarque un « goulet d’étranglement » au fur et à mesure que les enfants grandissent, particulièrement pour les filles. Les établissements secondaires sont plus rares que les écoles primaires, et les universités ont encore moins de capacité, surtout pour les filles. De nombreuses filles qui ont réussi leur scolarité jusqu’à la dernière année d’un niveau d’enseignement n’ont pas accès à un établissement où elles pourraient continuer dans le niveau suivant. En l’absence d’un système scolaire public correct, le nombre d’établissements privés a explosé et beaucoup d’entre eux pratiquent des tarifs abordables. Mais très souvent les familles pauvres ne peuvent pas débourser les frais d’écolage. Par ailleurs, vu l’incapacité quasi-totale de l’État à les réglementer et les inspecter, ces établissements offrent un enseignement de piètre qualité.

Le programme du parti politique du Premier ministre nouvellement élu, Imran Khan, promet des réformes majeures du système éducatif, notamment pour les filles. « Nous placerons dans nos priorités la création et la mise à niveau d’établissements de filles et nous fournirons aux filles et aux femmes des bourses pour continuer leur scolarité », affirme le programme, qui promet de « mettre en place le plan d’éducation le plus ambitieux de l’histoire du Pakistan, couvrant l’enseignement primaire, secondaire, supérieur, professionnel et spécialisé ».

« Le gouvernement reconnaît que la réforme de l’enseignement est désespérément nécessaire et promet d’en faire sa priorité, surtout pour les filles – c’est un pas en avant », a conclu Liesl Gerntholtz. « Nous espérons que nos conclusions l’aideront à diagnostiquer les problèmes et à trouver des solutions afin d’offrir à chaque fille pakistanaise un avenir radieux.  »

Sélection de témoignages

Investissement insuffisant et manque d’établissements publics

« Je pourrais les mettre à l’école, si seulement il y avait une école publique. »
Akifah, 28 ans, mère de trois enfants de 10, 8 et 7 ans. À la recherche de travail, la famille a déménagé trois ans auparavant, quittant un village près de Multan pour aller vivre à Karachi. Elle n’a pas eu d’autre choix que de s’installer dans une zone où il n’y a que des écoles privées, que la famille ne peut pas se permettre, et où aucune école publique n’est suffisamment proche.

« Mes parents m'ont dit : ‘si tu es suffisamment motivée, tu peux y aller à pied’. Ceux qui voulaient y sont allés. Moi, j’ai trouvé que c’était trop loin. Le chemin est peu fréquenté et isolé, et il y a eu deux ou trois cas d’enlèvements dans cette zone... Mais ensuite j’ai pris conscience qu’il fallait absolument que j’étudie, alors j’ai convaincu mes parents, j’ai trouvé des amies pour y aller avec moi, et nous avons marché ensemble jusqu’à l’école. »
Asifa, 20 ans, Pendjab, qui a attendu d’avoir 9 ou 10 ans pour aller à l’école parce que c’était à 45 minutes de marche de son village. L’établissement n’allant que jusqu’à la huitième année (dernière année de collège), elle est ensuite partie vivre chez sa sœur, dans une petite ville où elle a pu s’inscrire au lycée, en neuvième et dixième année.

« L’État n’a jamais pris l’éducation au sérieux – des ressources suffisantes n’ont jamais été alloués, dans aucune province. Le problème, ce sont les priorités du gouvernement – l’éducation n’est pas une priorité, il ne lui donne pas le budget qu’il faut. »
Le directeur d’une organisation non gouvernementale travaillant sur les droits des femmes, Pendjab.

« Toute mère veut que ses enfants soient instruits, mais il n’y a pas de système public pour leur apporter cette instruction. »
La directrice d’une organisation communautaire, Karachi.

Discrimination de genre dans le système scolaire offert par l’État

« Pour 10 écoles de garçons, on trouve 5 écoles de filles. »
—Un expert en éducation de la province du Khyber Pakhtunkhwa.

Pauvreté et coût de l’éducation

« L’État n’aide pas les pauvres. Nous ne pouvons pas scolariser nos enfants, nous ne pouvons même pas acheter de quoi manger. »
Rukhsana, 30 ans, mère de trois enfants non scolarisés, dont le mari est rarement capable de travailler en raison d’une maladie, et qui n’a pas pu régler les frais d’écolage et annexes, Karachi.

« Les écoles sont gratuites, c’est vrai, mais ils demandent toujours de l’argent pour une chose ou une autre. Des copies, des fournitures, chaque jour une nouvelle dépense. Rien qu’un cartable, ça coûte 500 roupies [4,76 USD]... Chaque jour, chaque jour il y a quelque chose. »
Zarifah, mère de cinq enfants non scolarisés, Baloutchistan.

« Je voulais que mes filles soient instruites, mais je n’ai pas réussi, à cause de la pauvreté. Mon mari gagne 12 000 roupies [114 USD] par mois. À la fin du mois, nous manquons toujours [d’argent], et nous ne savons plus quoi faire – il ne reste rien. Je voudrais une école pour les filles qui viennent de familles pauvres. »

Halima, 38 ans, Karachi, mère de cinq filles âgées de 13 à 19 ans, dont aucune n’est restée à l’école plus d’une année ou deux. Son mari travaille dans une fabrique de chewing-gum.

Problèmes de qualité de l’enseignement et de corruption

« Très souvent l’enseignant arrivait en retard, ou bien ne venait pas du tout. Nous allions à l’école, restions assis un moment puis rentrions simplement chez nous. »
Hakimah, 17 ans, Karachi, décrivant son ancienne école primaire.

« Ces cinq dernières années, tout le monde doit payer [pour décrocher un poste dans l’enseignement public]. Ça vaut le coup, juste pour le salaire – c’est un investissement. Cela a un impact sur la qualité de l’enseignement – il n’y a pas d’enseignement. »
Le directeur d’une organisation communautaire, Karachi.

« Une fois ou deux dans l’année, [des inspecteurs] viennent à l’improviste. Ils restent une demi-heure. Ils veulent qu'on leur serve le thé et qu’on s’occupe d’eux. Vous devez tout faire pour leur plaire, sinon ils diront que votre établissement n’est pas bon. Une fois, j’ai fait attendre l’inspecteur, alors il s’est énervé et il est parti en disant : ‘Je vais vous coller un mauvais rapport.’ Mon collègue est allé le voir chez lui, il lui a donné 25 000 roupies [238 USD], et nous avons eu un bon rapport. »
La directrice d’une école privée, décrivant les inspections de son établissement par l’État, Pendjab.

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