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États-Unis : Des demandeurs d'asile camerounais expulsés ont subi de graves préjudices

Refus d'asile peu fondés ; abus en détention et après l'expulsion

(Washington) – Les autorités du Cameroun ont soumis des dizaines de demandeurs d'asile expulsés par les États-Unis à de graves violations des droits humains entre 2019 et 2021, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui.

Le rapport de 174 pages, intitulé « ‘Comment pouvez-vous nous renvoyer ?’ : Des demandeurs d'asile maltraités aux États-Unis et expulsés vers des situations d’abus au Cameroun », retrace ce qui est arrivé aux quelque 80 à 90 Camerounais expulsés des États-Unis sur deux vols en octobre et novembre 2020, et d'autres expulsés en 2021 et 2019. Les personnes renvoyées au Cameroun ont fait l'objet d'arrestations et de détentions arbitraires ; de disparitions forcées ; de torture, viol et autres violences ; d’extorsion ; de poursuites injustes ; de confiscation de leurs cartes d'identité nationales ; de harcèlement ; et d’abus contre leurs proches. Beaucoup ont également déclaré avoir subi une force excessive, une négligence médicale et d'autres mauvais traitements lors de leur détention par les Services d’immigration et de douane (Immigration and Customs Enforcement, ICE) aux États-Unis.

« Le gouvernement des États-Unis a complètement laissé tomber des Camerounais ayant des demandes d'asile crédibles en les renvoyant dans le pays qu'ils ont fui, ainsi qu'en maltraitant des personnes déjà traumatisées avant et pendant leur expulsion », a déclaré Lauren Seibert, chercheuse sur les droits des réfugiés et des migrants à Human Rights Watch. « Les gouvernements du Cameroun et des États-Unis devraient remédier à ces abus, et les autorités américaines devraient offrir aux Camerounais expulsés à tort la possibilité de revenir et de présenter une nouvelle demande d'asile. »

En renvoyant des Camerounais confrontés à la persécution, à la torture et à d'autres préjudices graves, les États-Unis ont violé le principe de non-refoulement, une pierre angulaire du droit international des réfugiés et des droits humains.

Entre décembre 2020 et janvier 2022, Human Rights Watch a mené des entretiens auprès de 41 demandeurs d'asile camerounais expulsés, 4 demandeurs d'asile aux États-Unis et 54 autres personnes aux États-Unis et au Cameroun, notamment des membres de familles et amis des personnes expulsées, des témoins d'abus, des avocats, des défenseurs des droits des migrants, et des experts. Human Rights Watch a recueilli et analysé les documents d'asile et d'immigration américains des personnes expulsées, ainsi que des photographies, des vidéos, des enregistrements et des documents médicaux et juridiques corroborant les récits de mauvais traitements au Cameroun.

Le Cameroun a fait face à des crises humanitaires dans plusieurs régions ces dernières années. Le respect pour les droits humains s’est détérioré et le gouvernement a de plus en plus réprimé l’opposition et la contestation. Les violences commises depuis 2016 par les forces gouvernementales et les groupes séparatistes armés dans les deux régions anglophones du Cameroun ont entraîné des déplacements massifs, tout comme les violences intercommunautaires et le conflit en cours avec Boko Haram dans la région de l’Extrême-Nord.

« Nous avons mis tout notre espoir dans les USA quand nous sommes allés chercher refuge », a déclaré un homme de 37 ans expulsé vers le Cameroun en octobre 2020. « Nous n'imaginions pas que les États-Unis nous renverraient comme ça. » Il a été détenu pendant près de trois ans par les services d'immigration aux États-Unis et a été arbitrairement détenu au Cameroun après son retour. Il reste dans la clandestinité.

Les personnes interrogées ont été expulsées sous l'administration Trump, qui s'est caractérisée par des politiques d'immigration dures, un accès restreint à l'asile, et des discours racistes et hostiles aux migrants. Bien que les conditions au Cameroun ne se soient pas améliorées, le taux d'octroi de l'asile ou d'une autre protection aux Camerounais par les tribunaux de l'immigration des États-Unis a chuté de 24 % entre les exercices 2019 et 2020. Les États-Unis ont expulsé plus de 100 Camerounais en 2020.

L'administration Biden a pris la décision positive d’annuler un vol d’expulsion de février 2021 vers le Cameroun. Cependant, elle a expulsé plusieurs Camerounais en octobre 2021 et a n’a pas attribué au Cameroun le statut de protection temporaire (« Temporary Protections Status »), en dépit de conditions rendant le retour dangereux.

La quasi-totalité des personnes expulsées interrogées avaient fui le Cameroun entre 2017 et 2020 pour des raisons liées à la crise dans les régions anglophones. Les recherches de Human Rights Watch indiquent que nombre de ces personnes avaient des demandes d'asile crédibles, mais des problèmes de procédure régulière, des inexactitudes dans l'établissement des faits et d'autres obstacles ont contribué à des décisions d'asile injustes. Un manque d'impartialité de la part des juges de l'immigration américains – qui font partie de l'exécutif, et non du pouvoir judiciaire indépendant – semble avoir joué un rôle. Presque tous les Camerounais expulsés avec qui Human Rights a mené des entretiens – 35 sur 41 – ont été assignés à des juges dont les taux de refus d'asile étaient supérieurs de 10 à 30 points de pourcentage à la moyenne nationale.

L'ICE n'a pas non plus protégé les documents d'asile confidentiels lors des expulsions, ce qui a conduit à la confiscation des documents et à des représailles apparentes de la part des autorités camerounaises.

Entre 2019 et 2021, des policiers, gendarmes, militaires et autres autorités camerounaises ont détenu ou emprisonné au moins 39 personnes expulsées des États-Unis. Les autorités ont détenu de nombreuses personnes sans procédure régulière ou dans des conditions inhumaines, pendant des périodes allant de quelques jours à plusieurs mois. Certaines personnes ont été détenues au secret.

Human Rights Watch a documenté 14 cas d'abus physiques ou d'agressions contre 13 personnes expulsées, soit 13 cas d’abus commis par les autorités camerounaises – dont 9 en détention – et 1 cas d’abus commis par des séparatistes armés. Des agents de l'État ont violé trois femmes en détention, soumis un homme à des travaux forcés et sévèrement battu des personnes expulsées, souvent lors d'interrogatoires. Plusieurs de ces cas s'apparentent à de la torture.

Une femme expulsée en octobre 2020 a déclaré avoir été torturée et violée par des gendarmes ou des militaires pendant six semaines de détention à Bamenda, région du Nord-Ouest : « Tous les deux jours... ils utilisaient des cordes, des tubes [en caoutchouc], leurs bottes, des ceintures militaires... Ils me frappaient sur tout le corps... Ils disaient que j'avais détruit l'image du Cameroun... alors je devais payer pour cela ».

Des agents de l'État ont blessé ou pris pour cible des membres des familles d'au moins sept personnes expulsées. Alors qu’ils recherchaient des personnes expulsées, des agents gouvernementaux auraient tué par balle la sœur d’une femme, enlevé le fils de 11 ans d’un homme, et sévèrement battu la mère d’un autre homme. D'autres membres des familles des personnes expulsées ont été arbitrairement détenus, extorqués et harcelés.

Les autorités camerounaises ont menacé et maltraité des personnes expulsées non seulement pour des raisons liées aux motifs de leur fuite initiale, mais aussi pour avoir demandé l'asile aux États-Unis, ainsi que pour leur opposition réelle ou supposée au gouvernement. « [Les officiers] ont dit : ‘Vous êtes partis d'ici, vous avez fui... aux États-Unis, en racontant des mensonges sur le gouvernement et en salissant le nom du pays’ », a déclaré une femme expulsée en octobre 2020.

Presque toutes les personnes interrogées ont également cité des mauvais traitements lors de la détention, des transferts ou des vols de l’ICE aux États-Unis. L'ICE a détenu tous les 41 demandeurs d'asile interrogés sauf un, pendant des périodes prolongées et injustifiées, en moyenne une année et demie. Human Rights Watch a documenté 24 cas présumés de recours excessif à la force, de traitements cruels ou inhumains, ou d'autres abus physiques commis par des agents de l'ICE, d'autres agents gouvernementaux, ou des sous-traitants de l'ICE, contre 18 Camerounais expulsés par la suite.

Les Camerounais expulsés n'ont pas encore reçu de réparations pour les préjudices subis. En janvier, nombre d’entre eux étaient toujours en grave danger au Cameroun, ou luttaient pour survivre après avoir fui à nouveau. Human Rights Watch et des membres du Cameroon Advocacy Network (CAN), une coalition des migrants camerounais aux États-Unis et d’organisations de défense des droits des migrants, a exhorté le gouvernement américain à accorder aux Camerounais expulsés entre 2020 et 2021 une mesure d’exception humanitaire afin de pouvoir revenir aux États-Unis pour « raisons humanitaires urgentes ».

« Les souffrances endurées par les Camerounais expulsés par les États-Unis sont déchirantes et montrent clairement que le Cameroun n'est pas un pays sûr pour le retour », a déclaré Daniel Tse, coordinateur du CAN. « Si l'administration Biden espère rendre plus humain le système d'immigration américain, elle devrait réparer les torts faits aux demandeurs d'asile camerounais et stopper les expulsions vers le Cameroun. »

Citations tirées du rapport

Toutes les personnes citées sont identifiées par des pseudonymes pour leur sécurité.

Sur des exactions post-expulsion commises au Cameroun

« Paul », expulsé en octobre 2020 : En janvier 2021, des militaires ont agressé Paul, expulsé en octobre 2020, au domicile de sa mère dans la région du Sud-Ouest. « Quatre militaires ont cassé la porte et sont entrés... Ils ont commencé à me battre... Ils ont dit : ‘Vous avez été expulsé d’Amérique ?... C'est vous qui parrainez les combattants d'Amba [séparatistes].’ »

« Marie », expulsée en octobre 2020 : En janvier 2021, des hommes en uniformes noirs ont agressé Marie à un poste de contrôle sur la route vers Bamenda. « Ils ont commencé à me frapper... Ils ont dit : ‘Voilà l'Ambazonie... qui détruit le nom du pays.’ ... Ils ont utilisé un fouet... sur mon cou et mon dos... Ils m'ont giflée... Je suis tombée par terre. Ils... m'ont donné des coups de pied... la douleur était trop forte. »

« Richard », expulsé en octobre 2020, a déclaré que à la prison de New Bell, au Douala, d’octobre au novembre 2020 : « On m'a gardé dans une pièce sombre, on ne m'a donné que deux tranches de pain pour toute la journée... [Des agents gouvernementaux] m'ont battu... [avec] des matraques... et une ceinture militaire... et leurs coutelas [machettes]... J'ai été torturé pendant 14 jours, tous les jours, trois fois par jour... Ils m’ont fait sentir que c’était la fin de ma vie. »

« George », expulsé en octobre 2020 : Des militaires ont sévèrement battu sa mère de 60 ans dans la région du Sud-Ouest en décembre 2020. « Puisqu'ils ne pouvaient pas me trouver... cinq d'entre eux la battaient... avec une ceinture militaire... Elle est tombée en pleurant, alors ils lui ont donné des coups de pied... Ils l’ont frappée avec des bâtons... Ils l'ont laissée par terre... Les gens du village sont venus et l'ont emmenée à l'hôpital. »

Sur l’échec de l'ICE à protéger des documents d'asile confidentiels

« Maxwell », expulsé en octobre 2020 : « Quand nous partions... je criais et hurlais que je devais sortir des documents de mes sacs, mais [l’ICE] ne m'a jamais écouté. Au Cameroun, quand nous sommes arrivés... [la police] a demandé : ‘Avez-vous demandé l'asile en Amérique ?’ J'ai dit non... Ils ont dit que je devrais me taire, que je mentais, parce qu'ils ont trouvé chaque document dans mon sac... prouvant que j'ai demandé l'asile. »

Sur des abus commis lors de la détention et des expulsions par les services de l’immigration aux États-Unis

« Thierry », expulsé en octobre 2020 : « Je suis allé aux États-Unis pour demander l'asile pour la persécution que j'ai subie dans mon pays. J'étais tellement triste, parce que j'ai passé deux ans et dix mois [en détention], et je ne suis pas un criminel. »

« Christian », expulsé en octobre 2020, a déclaré dans un centre de détention pour migrants aux États-Unis : « Ils m'ont mis à plat ventre. Un agent de l'ICE a mis le genou sur mon cou, en poussant avec tant de pression... Je pleurais. J'ai crié : ‘Please, please [s'il vous plaît, s'il vous plaît], je ne respire plus.’ ... Ils m'ont forcé à entrer dans le game room [la salle de jeux]..., m'ont placé la tête de force sur la table où on joue au tennis... Certains me frappaient. L'un d'eux m'a tordu le bras... comme s'il allait le casser. ...Ils ont pris mon empreinte digitale de force. »

« Robert », expulsé en octobre 2020 : « [ICE] m'a mis dans un ‘Wrap’ [ou une contention similaire] parce que je refusais de monter dans l'avion... [Ils] attachent vos jambes et vos mains, reliées entre elles et vous ne pouvez pas vous asseoir droit. C'est une forme de punition... Je leur ai dit que Dieu les jugerait. Les agents de l'ICE m'ont dit que je pouvais aller en enfer, que quelle que soit ma plainte, elle n’aboutirait à rien. »

Sur des décisions inéquitables en matière de demandes d’asile aux États-Unis

« Richard », expulsé en octobre 2020 : « Lorsque vous essayiez de donner une explication de ce qui s’est passé, [l’agent chargé de la procédure d’asile] ne vous en laissait pas la possibilité. Il disait juste : ‘OK, OK...’ Parfois, il parlait tellement vite que je ne comprenais pas, et il menaçait en disant : ‘C’est la dernière fois que je répète’, et que si je ne lui donne pas de réponses... il arrêtera de m’interroger. J’étais très tendu. »

« Michael », expulsé en novembre 2020 : « Parfois, je ne comprenais pas le juge [de l’immigration] ou l’avocat du gouvernement, et parfois ils ne me comprenaient pas... Ils disaient ‘Parlez plus fort’, et si je disais que je ne comprenais pas..., ils pensaient que je voulais peut-être esquiver la question. »

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Le Monde/AFP      RFI

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