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Cameroun : Les attaques de Boko Haram s’intensifient dans la région de l’Extrême-Nord

La protection des civils doit être renforcée et le comportement des troupes surveillé

Des soldats camerounais patrouillent sur la Route nationale 1 à Mora, dans la région de l’Extrême-Nord au Cameroun, le 5 février 2021. © 2021 Privé

(Nairobi) – Depuis décembre 2020, le groupe armé islamiste Boko Haram a intensifié ses attaques contre les civils dans les villes et villages de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, tuant au moins 80 personnes et pillant des centaines de domiciles, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Le gouvernement devrait prendre des mesures concrètes pour à la fois accroître la protection des communautés vulnérables, et s’assurer que la réponse des forces de sécurité face à l'aggravation de la violence soit respectueuse des droits humains.

« Boko Haram mène contre le peuple camerounais une guerre dont le coût humain est choquant », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Alors que la région de l'Extrême-Nord du Cameroun devient de plus en plus l'épicentre de la violence de Boko Haram, le Cameroun devrait adopter et mettre en œuvre de toute urgence une nouvelle stratégie respectueuse des droits pour protéger les civils en danger dans cette région. »

Human Rights Watch a documenté comment une femme kamikaze membre de Boko Haram a fait détoner son gilet explosif et tué des civils en fuite. Des dizaines de pêcheurs locaux ont été tués à coups de machette et de couteau, et un chef de village âgé a été assassiné devant sa famille, comme l’a aussi documenté Human Rights Watch. Les recherches menées par Human Rights Watch suggèrent toutefois que le nombre réel de victimes est encore beaucoup plus élevé, compte tenu de la difficulté à confirmer à distance les détails de telles attaques, qui ne sont souvent pas signalées.

Entre le 25 janvier et le 25 février 2021, Human Rights Watch s’est entretenu par téléphone avec 20 victimes et témoins de cinq attaques perpétrées par Boko Haram depuis la mi-décembre dans les villes et villages de Blabline, Darak, Gouzoudou et Mozogo, situés dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, ainsi qu’avec quatre membres des familles de victimes, deux travailleurs humanitaires et cinq activistes locaux. Human Rights Watch a également interrogé deux victimes et un témoin de violations des droits humains commises dans la région par des soldats camerounais. Human Rights Watch a passé en revue les informations d’organisations humanitaires et autres organisations non gouvernementales, ainsi que des informations de médias locaux sur les attaques perpétrées dans la région. Human Rights Watch a également consulté des universitaires, des analystes politiques et des représentants de l’Union africaine, de l’ONU et de l’Union européenne.

Human Rights Watch a transmis par courriel ses conclusions à Cyrille Serge Atonfack Guemo, le porte-parole de l’armée camerounaise, le 1er février et de nouveau le 19 mars, en demandant des informations sur les attaques de Boko Haram, les opérations militaires en cours et les allégations spécifiques documentées par Human Rights Watch. Au moment de la publication de ce communiqué, Guemo n’avait pas répondu à nos sollicitations.

Le ministre camerounais de l’Administration territoriale a déclaré le 12 février que la situation sécuritaire dans la région de l’Extrême-Nord était « sous contrôle » et que Boko Haram « vit ses derniers jours ».

L’une des attaques récentes les plus meurtrières a été perpétrée à Mozogo le 8 janvier, lorsque Boko Haram a tué au moins 14 civils, dont huit enfants, et en ont blessé trois autres, dont deux enfants. Alors que des combattants tiraient sur des habitants et pillaient des maisons, une femme kamikaze s’est infiltrée parmi un groupe de civils en fuite, déclenchant sa veste explosive, selon des témoins.

« Au début de la fusillade, je me suis enfui vers la forêt », a déclaré un habitant âgé de 41 ans. « J’ai entendu une puissante explosion et me suis allongé sur le sol. J’ai vu un enfant de sept ans couvert de sang courir vers moi. Il m’a emmené à l’endroit où la kamikaze a fait exploser son gilet explosif. C’était un bain de sang. »

Le lieu, dans la brousse autour de Mozogo, dans la région de l'Extrême-Nord du Cameroun, où une femme kamikaze membre de Boko Haram a fait détoner son gilet explosif, tuant 11 civils. Février 2021. © 2021 Privé

L’insurrection de Boko Haram a débuté au Nigéria en 2009 avant de gagner les pays du bassin du lac Tchad, dont le Cameroun. Les attaques du groupe sont souvent commises de manière indiscriminée, y compris des attentats-suicides dans des zones densément peuplées, manifestement conçus pour maximiser le nombre de morts et de blessés parmi la population civile. Le Cameroun a subi un pic d’attaques au cours de l’année écoulée. Selon un rapport de novembre 2020 du Centre d’études stratégiques de l’Afrique, un groupe de réflexion du ministère américain de la Défense, le nombre d’attaques commises par Boko Haram contre des civils au Cameroun en 2020 était plus élevé qu’au Nigeria, au Niger et au Tchad réunis.

En 2015, l’Union africaine a créé la Force multinationale mixte (FMM), composée de troupes du Bénin, du Cameroun, du Niger, du Nigéria et du Tchad, pour répondre aux attaques de Boko Haram dans le bassin du lac Tchad. Composée de plus de 8 000 soldats, la FMM reçoit les soutiens technique, financier et stratégique de partenaires internationaux, dont l’Union européenne, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni. La FMM a mené des opérations militaires conjointes dans le bassin du lac Tchad.

Il est indispensable que le Cameroun et la Force multinationale améliorent la conduite des troupes déployées pour contrer Boko Haram et veiller à ce que les allégations de violations des droits humains qui pèsent contre elles fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites judiciaires, a souligné Human Rights Watch.

Depuis 2014, des organisations de défense des droits humains, y compris Human Rights Watch, ont documenté des violations généralisées et des crimes au regard du droit international humanitaire commis par les forces de sécurité camerounaises déployées dans le cadre d’opérations dans l’Extrême-Nord, notamment des exécutions extrajudiciaires, des arrestations arbitraires, des disparitions forcées, la détention au secret, la torture systématique et le retour forcé de réfugiés.

Le 9 décembre, des soldats du Bataillon d’intervention rapide (BIR), une unité d’élite de l’armée camerounaise, ont arrêté quatre pêcheurs à Dabanga, dans la région de l’Extrême-Nord, les ont roués de coups et emmenés à leur base militaire de Dabanga, où l’un d’eux est décédé, selon deux des pêcheurs et un membre de sa famille. Ceux-ci ont déclaré que les soldats les avaient accusés d’être des membres de Boko Haram. Ils ont aussi affirmé avoir vu les soldats contraindre l’un des pêcheurs arrêtés à sortir de la cellule peu après leur arrivée, et l’emmener avec eux.

Un membre de la famille du pêcheur décédé a déclaré que des soldats du BIR leur avait remis son corps quelques heures après son arrestation, affirmant qu’il avait succombé à une crise cardiaque. Les deux pêcheurs et le membre de la famille se sont toutefois déclarés convaincus qu’il avait été tué par les forces de sécurité.

Les partenaires internationaux du Cameroun devraient faire pression pour que les responsabilités des violations des droits humains soient établies et œuvrer à renforcer la composante civile de la Force multinationale et de son bureau dédié au respect des droits humains, a préconisé Human Rights Watch.

Human Rights Watch exhorte également le parlement camerounais à tenir une session au sujet de la réponse du gouvernement aux attaques croissantes contre les civils dans la région de l'Extrême-Nord, à fournir des recommandations sur la manière de renforcer la protection des civils, et à solliciter l’aide d’acteurs internationaux si nécessaire.

Le droit international humanitaire, applicable au conflit armé avec Boko Haram, interdit les attaques délibérées disproportionnées ou indiscriminées contre des populations et des biens civils. Ceux qui ordonnent ou commettent de telles attaques avec des intentions criminelles sont responsables de crimes de guerre.

« Avec la montée des attaques de Boko Haram au Cameroun, davantage doit être fait pour protéger efficacement les civils, notamment en renforçant la présence militaire et les patrouilles dans la région de l’Extrême-Nord et en veillant à ce que les soldats respectent les droits des habitants », a déclaré Ilaria Allegrozzi. « Les partenaires régionaux et internationaux du Cameroun, y compris ceux qui soutiennent la force multinationale, devraient appuyer ces efforts et veiller à ce que leur assistance ne contribue pas à des violations des droits humains. »

Pour en savoir davantage sur les récentes attaques et abus perpétrés dans la région de l’Extrême-Nord, veuillez consulter les témoignages ci-dessous.

Crise humanitaire

L’armée camerounaise a déployé des milliers de soldats dans la région de l’Extrême-Nord pour prévenir et repousser les attaques de Boko Haram, mais les habitants et les travailleurs humanitaires ont déclaré que cette présence militaire était bien trop faible pour protéger efficacement les civils. Débordée, l’armée camerounaise est également confrontée à une insurrection séparatiste dans les régions anglophones du pays et à la menace des incursions transfrontaliers par des rebelles opérant depuis la République centrafricaine voisine. L’armée s’est appuyée sur plus de 14 000 « comités de vigilance » (groupes d’autodéfense communautaires) et, dans certains cas, a forcé des civils à assumer des tâches sécuritaires sans formation ni protection adéquates, les exposant à des risques considérables.

Les violences de Boko Haram au Cameroun ont déclenché une crise humanitaire majeure, forçant plus de 322 000 personnes à quitter leurs foyers depuis 2014, dont 12 500 depuis décembre. Compte tenu de l’insécurité accrue, l’accès à de nombreuses zones n’est possible que sous escorte militaire, ce qui rend difficile pour les organisations humanitaires de fournir de l’aide dans le respect de leur obligation de neutralité, privant les nécessiteux d’une aide vitale. Travailleurs humanitaires et résidents ont déclaré que la hausse de la présence et des patrouilles militaires dans les zones visées par la violence, y compris dans les jours de marché, améliorerait à la fois la protection des civils et élargirait l’accès des travailleurs humanitaires pour s’y déplacer en toute sécurité sans escorte.

Mozogo

Attaque et attentat-suicide

Des témoins ont déclaré qu’une centaine de combattants, qu’ils ont identifiés comme des membres de Boko Haram en raison de leur accoutrement et de leur manière de s’exprimer, sont entrés à pied dans la ville de Mozogo vers 1 h 30 le 8 janvier. Sur place, ils ont pénétré par effraction dans des maisons, pillant des biens et tirant sur des résidents, tuant deux hommes, dont un âgé de 80 ans. Alors qu’ils s’enfuyaient vers la brousse voisine, des témoins ont dit avoir entendu une forte explosion. Une femme kamikaze, qui s’était infiltrée parmi un groupe de civils en fuite, a déclenché sa veste explosive, tuant 11 d’entre eux, dont huit enfants, et en blessant trois autres, dont deux enfants. Un homme âgé de 43 ans est décédé trois jours plus tard à l’hôpital adventiste de Koza des suites de ses blessures.

Human Rights Watch s’est entretenu avec cinq témoins de l’attaque, dont trois membres des familles des victimes. L’organisation a également obtenu de quatre sources différentes des listes des 14 personnes tuées et s’est entretenue avec des proches et des résidents qui se sont occupé d’inhumer les corps. Des détails qui correspondent aux informations relayées par les médias locaux.

Une femme âgée de 43 ans qui a perdu dans l’attentat-suicide deux de ses enfants, un garçon de 17 ans et une fille de quatre ans, a déclaré :

[Les combattants de] Boko Haram ont tiré des coups de feu et crié « Allah Akbar ! » [Dieu est grand]. Nous avons couru en direction de la forêt. Quelques minutes plus tard, nous avons entendu une puissante explosion. Je me suis retrouvé projetée au sol. Quand je me suis redressée, j’ai cherché mes enfants. Ma fille était morte, le garçon gravement blessé. Tous deux étaient couverts de sang avec des blessures sur tout le corps. Les résidents m’ont aidé à transporter le garçon chez nous, où il a succombé à ses blessures.

Un membre de la famille de l’homme âgé de 80 ans a déclaré que quatre combattants de Boko Haram armés de kalachnikovs et de machettes étaient entrés par effraction chez eux et avaient tiré à deux reprises sur l’octogénaire, qui était trop faible pour s’enfuir :

Des coups de feu nous ont réveillés et soudainement ils [les combattants de Boko Haram] étaient à notre porte. Ils l’ont brisée et sont entrés par effraction. Ils ont tiré deux fois sur le mari de ma grand-mère, un homme de 80 ans qui ne pouvait pas très bien marcher à cause de son âge. Il n’a pas été assez rapide pour s’échapper. J’y suis parvenu. Il a reçu une balle dans l’estomac et été poignardé au crâne à l’aide d’une machette. Après cette attaque, je suis rentré chez moi et l’ai trouvé dans une mare de sang. Je l’ai emmené à l’hôpital, où il est décédé le jour même.

Réponse des forces de sécurité et déplacement de populations

Selon des témoins, des soldats du 42e Bataillon d’infanterie motorisée (BIM) basé à Mozogo sont intervenus après l’attentat-suicide, tirant en l’air pour chasser les combattants de Boko Haram.

Dans un communiqué en date du 8 janvier, le ministre camerounais de la Communication a indiqué que les autorités locales et les forces de sécurité avaient ouvert une enquête sur l’attaque.

Le 9 janvier, Midjiyawa Bakari, le gouverneur de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, a déclaré que des renforts militaires avaient été déployés à Mozogo pour sécuriser la zone, une annonce corroborée par des témoins, selon lesquels jusqu’à cinq véhicules militaires supplémentaires ont patrouillé dans la ville pendant quelques jours. Mais d’après les habitants, ces renforts sont repartis.

Les habitants ont déclaré être inquiets pour leur sécurité, surtout depuis le départ des renforts militaires.

« Nous vivons dans la peur », a confié un homme de 50 ans. « Nous sommes lassés par cette situation ; épuisés économiquement et psychologiquement. »

À la suite de l’attaque du 8 janvier, des centaines de personnes ont fui Mozogo vers les villages et villes voisins, notamment Koza, Mokolo et Touboro. Au moins 300 d’entre elles sont restées à Mozogo ont cessé de dormir à leur domicile, passant la nuit à l’extérieur pendant plus d’un mois, soit dans les locaux d’un lycée près de la brigade de gendarmerie, soit sur l’emplacement public utilisé pour les célébrations nationales près de la base militaire.

Un homme de 38 ans ayant survécu à l’attentat-suicide a déclaré le 28 janvier qu’il n’avait plus dormi chez lui depuis le 8 janvier et passait ses nuits, entre 17 heures et 5 heures du matin, dans la véranda d’un lycée technique, avec ses deux femmes et ses six enfants : « Je dors avec toute ma famille sur un seul matelas installé dans la véranda de l’école, située à 20 mètres de la brigade de gendarmerie. Il y a une centaine de personnes qui dorment là-bas, à l’extérieur. »

Garde de nuit

Human Rights Watch a auparavant documenté le fait que, à Mozogo, des soldats ont forcé des civils à effectuer de nuit des tours de garde pour protéger la ville des attaques de Boko Haram, n’hésitant à menacer et frapper les récalcitrants. Alors que les passages à tabac semblent avoir cessé, Human Rights Watch s’est entretenu avec des résidents qui continuent à assurer cette tâche, de crainte de nouveaux passages à tabac et menaces. Certains se disent inquiets pour leur sécurité, ayant le sentiment d’être en danger, faute d’expérience et d’équipement suffisants pour accomplir les tâches sécuritaires dangereuses qui leur sont imposées.

« Je fais généralement mon service de garde de nuit deux fois par semaine », a expliqué un mécanicien âgé de 39 ans. « Je n’ai qu’une lampe de poche. Je n’ai ni sifflet, ni arme, ni téléphone. Ce type de travail n’est pas rémunéré et est dangereux. Ce n’est pas le genre de travail que les civils devraient avoir à faire. C’est aux militaires de nous protéger des attaques de Boko Haram. Nous sommes inutilement exposés à des risques considérables. »

Âgé de 50 ans, un habitant de Mozogo a déclaré avoir cessé d’exercer son service de garde nocturne à la suite d’un raid mené par Boko Haram en novembre, au cours duquel des civils en service ont été attaqués et visés par des tirs : « Nous étions seuls. Il n’y avait aucun membre du comité de vigilance ou soldat à nos côtés cette nuit-là. Nous n’étions que 10 civils au poste de sécurité, appelé Stade municipal. Jusqu’à 30 combattants de Boko Haram nous ont tiré dessus. C’était un miracle que personne n’ait été blessé. »

Darak

Le 24 décembre, des combattants de Boko Haram ont attaqué Darak, une île du lac Tchad. Human Rights Watch s’est entretenu avec deux survivants, trois personnes qui ont procédé à des inhumations et un parent d’un survivant. Ceux qui se sont occupés des enterrements ont déclaré que Boko Haram avait tué jusqu’à 80 civils, dont une majorité de pêcheurs. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier de manière indépendante le nombre de morts.

Les autorités locales ont déclaré aux médias internationaux et nationaux que des « dizaines » avaient été tuées dans l’attaque. Selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), Boko Haram a attaqué quatre îles situées sur le lac, à la frontière entre le Tchad et le Cameroun, le 24 décembre. Le bilan est de 27 morts et de 12 enlèvements.

Selon les informations recueillies par Human Rights Watch, une centaine de combattants de Boko Haram à bord de pirogues en bois ont pris d’assaut une zone de Darak connue sous le nom de Tonganamie, où les pêcheurs de nuit jetaient leurs filets, vers minuit. Ils les ont rassemblé et les ont tués, principalement à l’aide de couteaux et de machettes.

« J’ai entendu des gens parler en kanuri [langue couramment parlée dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun] et dire : ‘‘Allez! Dépêchez-vous! Venez !’’. C’étaient des combattants de Boko Haram qui rassemblaient les pêcheurs pour les tuer », a assuré un pêcheur de 24 ans témoin de l’attaque. « Je suis resté caché. Plus tard, je suis retourné à Darak. J’en connais huit parmi ceux qui ont été tués cette nuit-là ; c’étaient tous des pêcheurs de Darak. »

Un pêcheur de 32 ans gravement blessé a témoigné :

Plus d’une centaine de combattants de Boko Haram sont venus dans leurs chaloupes en bois. Certains sont restés à bord ; d’autres sont sortis et nous ont rassemblés. Ils ont réuni tous les pêcheurs qui se trouvaient là et les ont tués à l’aide de couteaux et de machettes alors qu’ils tentaient de s’échapper. J’ai été capturé et ils m’ont frappé à coup de machette à la tête. J’ai également été blessé à la main droite par une lance. Je pensais être mort. J’ai plongé dans l’eau pour survivre. J’ai nagé et atteint la rive herbeuse [d’un marais voisin]. Des pêcheurs m’ont retrouvé plus tard. J’ai été conduit à l’hôpital, où je suis resté 15 jours. Mes blessures ne sont toujours pas cicatrisées.

« Je faisais partie de ceux qui ont aidé à récupérer les corps dans l’eau », a expliqué un habitant de Darak âgé de 25 ans. « Il nous a fallu trois jours pour tous les retrouver. Des corps flottaient à la surface. Le premier jour, après l’attaque, nous avons collecté plus de 40 dépouilles, notamment à l’aide de filets. Les deux jours suivants, nous en avons trouvé 40 de plus, pour un total de plus de 80. Des coups de couteau étaient visibles sur la plupart d’entre eux. »

Des témoins ont déclaré que l’attaque de nuit à Darak avait pris par surprise les forces de sécurité sur place, y compris les forces marines et d’infanterie. Ils ont déclaré que les combattants de Boko Haram, arrivés à bord de pirogues, n’avaient tiré que quelques coups de feu pour ne pas alarmer les soldats et les inciter à intervenir.

Lors d’une précédente attaque de Boko Haram contre Darak en juin 2019, 21 soldats et 16 civils avaient trouvé la mort.

Gouzoudou

Le 16 décembre, vers 1 h 45, cinq combattants de Boko Haram ont attaqué le domicile de l’autorité traditionnelle de Gouzoudou, connue sous le nom de lawane, tirant plusieurs coups de feu et blessant deux hommes. L’avocat s’est échappé et s’est précipité vers le camp militaire de la ville pour y faire retentir l’alarme. Les insurgés avaient déjà fui lorsque les soldats sont arrivés sur place, où ils ont évacué les blessés vers l’hôpital régional de Maroua. L’un d’eux, âgé de 60 ans, continue de recevoir des soins médicaux, notamment pour l’amputation de sa main droite.

Human Rights Watch s’est entretenu avec l’avocat, ainsi qu’avec sept témoins de l’attaque. « J’étais dehors avec mon frère de 30 ans quand nous avons entendu du bruit », a relaté le lawane. « Mon frère s’est servi de sa lampe de poche pour éclairer les environs. J’ai vu cinq combattants de Boko Haram armés de kalachnikovs. Ils ont tiré sur mon frère, le touchant au talon alors que j’escaladais un muret pour sauver ma vie. Quand je suis rentré chez moi, j’ai découvert que mon magasin d’alimentation et ma moto avaient été pillés. »

Selon des habitants, Boko Haram s’en est pris à plusieurs reprises à Gouzoudou, y menant au moins huit raids entre le 14 décembre et le 21 janvier. Ils ont déclaré que jusqu’à fin 2020, il y avait un camp militaire à Gouzoudou, mais qu’il avait été démantelé.

Blabline

Le 2 décembre, vers 18 heures, au moins cinq combattants de Boko Haram ont attaqué un groupe de quatre civils à la périphérie du village de Blabline, en tuant un – un avocat d’un village voisin – et en blessant trois autres, dont un jeune âgé de 16 ans. Human Rights Watch s’est entretenu avec deux témoins de l’attaque et trois habitants de Blabline qui ont enterré le corps de l’avocat et aidé à secourir les blessés.

L’un des témoins a fait le récit suivant :

J’étais à quelques mètres de la scène. J’ai vu les combattants de Boko Haram et me suis caché. J’ai vu qu’ils capturaient l’avocat, deux de ses fils et un autre homme. Ils les ont plaqués au sol et leur ont pris leurs téléphones. Ils parlaient kanuri et arabe. Ensuite, ils ont tiré plusieurs coups de feu sur eux. Le juriste, touché à la tête, est mort sur le coup. Les combattants ont volé sa moto et se sont enfuis avec. Je me suis précipité pour secourir les blessés, dont un homme de 28 ans qui avait reçu une balle dans l’épaule droite, un enfant de 16 ans blessé d’une balle dans le talon, et un homme de 45 ans blessé au niveau des côtes.

Des combattants de Boko Haram ont de nouveau attaqué Blabline le 4 décembre, vers 23 heures, tirant sur les habitants qui s’enfuyaient, touchant au ventre un homme de 38 ans. Ils ont également fait irruption dans des dizaines de maisons, pillant entre autres des vélos, des motos, des vivres, des téléphones, des vêtements.

Human Rights Watch s’est entretenu avec cinq témoins de l’attaque, dont le chef du village, selon lequel les assaillants ont pillé 80 des 142 foyers de Blabline.

Selon des témoins, les soldats sont intervenus et ont chassé les assaillants, mais seulement après les pillages généralisés. Ils ont également déclaré que les combattants de Boko Haram avaient tenté d’attaquer le village à quatre reprises par la suite – les 14, 27 et 31 décembre – mais que les militaires les avaient expulsés. Lors d’une autre attaque commise le 11 janvier, les insurgés avaient pillé quatre maisons.

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