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République centrafricaine : Les violences sexuelles sont utilisées comme arme de guerre

Les groupes armés ont régulièrement commis des viols et pratiqué l'esclavage sexuel

Angèle, 27 ans, serre son enfant dans ses bras à Bangui, en République centrafricaine. Les combattants de la Séléka ont tué son mari et ses parents, avant de la capturer près de Bambari en juin 2014, a-t-elle raconté. Ils l’ont détenue en tant qu’esclave sexuelle pendant neuf mois avec cinq autres femmes et jeunes filles. Plusieurs combattants l’ont violée à plusieurs reprises. © 2017 Smita Sharma pour Human Rights Watch
(New York, le 5 octobre 2017) – Les groupes armés qui sévissent en République centrafricaine ont eu recours au viol et à l'esclavage sexuel comme tactique de guerre à travers le pays, tout au long de l'actuel conflit qui

 


Ce rapport de 190 pages, intitulé « ‘Ils disaient que nous étions leurs esclaves’: Violences sexuelles perpétrées par les groupes armés en République centrafricaine », documente 305 cas de viol et de mise en esclavage sexuel par des membres des groupes armés entre le début de 2013 et le milieu de 2017. Dans un contexte de fracture sectaire, la Séléka, un groupe majoritairement musulman, et la milice essentiellement chrétienne et animiste appelée « anti-balaka », qui sont les deux principales parties au conflit, ont recouru aux violences sexuelles en représailles à ce qu'elles percevaient comme une attitude de soutien au camp opposé.

 


« Les groupes armés utilisent le viol de manière brutale et calculée pour punir et terroriser les femmes et les filles », a déclaré Hillary Margolis, chercheuse à la division Droits des femmes à Human Rights Watch. « Chaque jour, les victimes survivantes vivent avec les séquelles dévastatrices du viol, sachant que leurs agresseurs sont libres, peut-être installés dans des positions de pouvoir, et qu'ils n'ont jusqu'ici à subir aucune conséquence de leurs actes. »

Human Rights Watch a mené des entretiens avec 296 victimes de viols et d'asservissement sexuel, dont 52 étaient mineures à l'époque des agressions, ainsi que des responsables gouvernementaux, des policiers, des membres du personnel médical, des responsables des Nations Unies, et d'autres.

En raison de la honte qui s'attache au viol, qui fait que de nombreuses survivantes n'en parlent pas, et de restrictions imposées à nos recherches par des considérations de sécurité, il ne fait aucun doute que le nombre réel des actes de violence sexuelle commis par les groupes armés durant le conflit est plus élevé, a affirmé Human Rights Watch.



La plupart des abus documentés ne sont pas seulement des crimes au regard de la loi centrafricaine, ils constituent également des crimes de guerre. Dans certains cas, ils peuvent même constituer des crimes contre l'humanité. Mais jusqu'à présent, à notre connaissance, pas un seul membre d'un groupe armé n'a été arrêté ou traduit en justice pour violences sexuelles.

Les actes de violence sexuelle commis par des combattants documentés dans ce rapport constituent des actes de torture et, dans de nombreux cas, la torture ne s'est pas limitée aux violences sexuelles, car celles-ci étaient accompagnées d'autres formes d'abus qui équivalaient également à de la torture. Certaines survivantes ont été violées par 10 hommes ou plus lors d'un seul incident. Lors de leurs attaques, des combattants ont parfois donné le fouet à des femmes et des filles, les ont maintenues ligotées pendant de longues périodes, leur ont fait subir des brûlures et les ont menacées de mort. Des victimes ont fait état de blessures diverses, comme des os fracturés, des dents cassées, des blessures internes et des traumatismes crâniens. Treize d'entre elles, dont trois étaient des enfants au moment des agressions, ont affirmé s'être retrouvées enceintes après les viols.

Les combattants ont souvent violé des femmes et des filles devant leurs enfants ou devant d'autres membres de leurs familles. Elles ont également été forcées de regarder des hommes armés violer leurs filles, leurs mères ou d'autres femmes et filles, ou tuer et mutiler leurs maris ou d'autres membres de leurs familles. En mai 2017, des combattants ont forcé une victime à les regarder violer et tuer son mari, avant de la violer elle-même.

Des femmes et des filles ont été maintenues en esclavage sexuel pendant des périodes allant jusqu'à 18 mois, lors desquelles elles étaient souvent victimes de viols à répétition de la part de plusieurs hommes. Beaucoup d'entre elles ont été contraintes de devenir les « épouses » de combattants et forcées à faire la cuisine, à nettoyer et à aller chercher de la nourriture et de l'eau.

« Jeanne » (les noms de toutes les victimes survivantes ont été modifiés), âgée de 30 ans, a affirmé qu'environ 20 combattants de la Séléka l'avaient capturée en compagnie de neuf autres femmes et filles – certaines n'avaient que 16 ans – alors qu'elles fuyaient devant une attaque à Bambari en juin 2014. « Le premier jour, cinq Séléka m'ont violée. Nous n’avions jamais de répit – chaque jour, il y avait des viols, par des combattants différents », a-t-elle dit. Les combattants de la Séléka l'ont retenue prisonnière dans leur base pendant six mois. « Chaque combattant qui arrivait à la base, c'était pour nous violer. Si nous refusions, ils nous frappaient… J’allais chercher du bois pour le feu. J’allais chercher du bois pour le feu. Je puisais de l’eau, j’allais chercher de l’eau à la rivière, je préparais les repas. Toutes les femmes faisaient ça. Toutes les femmes étaient violées chaque nuit. »

Des femmes et des filles ont souvent affirmé avoir souffert de blessures physiques handicapantes et de maladies, y compris le VIH-sida, à cause des viols, ainsi que de pulsions suicidaires et de la perte de leurs moyens d'existence ou de leur accès à l'éducation. La plupart d'entre elles n'avaient reçu aucune thérapie d'après viol ou assistance médicale psychologique – notamment des traitements médicaux visant à la prévention du sida ou des grossesses non désirées – en raison d'un manque d'installations médicales, du coût des services ou du transport vers de telles installations, et d'informations inadéquates au sujet des services disponibles.

La honte et le rejet par la société sont d'importants éléments dissuasifs à surmonter pour que les femmes et les filles révèlent avoir été violées ou demandent assistance. Des victimes interrogées ont indiqué que leurs maris ou partenaires les avaient abandonnées, que les membres de leurs familles les avaient critiquées, et que des membres de leurs communautés s'étaient publiquement moqués d'elles après leurs viols.

L'impunité dont ont historiquement bénéficié les auteurs de violences sexuelles dans le pays, ainsi qu'un appareil judiciaire dysfonctionnel dans une large mesure, laissent peu d'espoir de justice aux victimes, a déclaré Human Rights Watch. Seules 11 des 296 victimes interrogées ont indiqué avoir tenté de faire ouvrir une enquête pénale. Celles qui avaient informé les autorités n'ont obtenu en retour que des mauvais traitements, notamment d'être considérées comme responsables de leur sort, le refus d'enquêter, et parfois même la demande qu'elles présentent elles-mêmes leurs agresseurs pour qu'ils soient arrêtés. Trois victimes ont affirmé que des membres de leurs familles avaient été tués, passés à tabac ou menacés de mort quand ils s'étaient confrontés avec des membres d'un groupe armé responsable de leurs viols.

Le rapport désigne six individus occupant des postes hiérarchiques dans un groupe armé qui ont été identifiés par au moins trois victimes comme ayant commis des violences sexuelles, ou comme ayant eu sous leur commandement et leur contrôle des combattants qui ont commis ces crimes.

La forte incidence des violences sexuelles souligne combien il importe de mettre le plus tôt possible sur pied et en état de fonctionner la Cour pénale spéciale  (CPS) récemment créée, a déclaré Human Rights Watch. Ce tribunal, où siègent des juges et procureurs nationaux et internationaux, peut contribuer à briser la culture de l'impunité enracinée dans le pays, mais son succès nécessitera des appuis soutenus sur les plans financier, logistique et politique.

La mission de maintien de la paix des Nations Unies en République centrafricaine, la MINUSCA, devrait, dans le cadre de son mandat, aider les autorités à enquêter sur des affaires de violence sexuelle et à identifier, arrêter et poursuivre en justice les personnes responsables de ces crimes, a ajouté Human Rights Watch. Elle devrait également inclure les programmes de protection des victimes et des témoins dans le soutien qu'elle apporte à la Cour pénale spéciale, en particulier pour les affaires sensibles, telles que celles concernant des violences sexuelles.

Le gouvernement centrafricain et les bailleurs de fonds internationaux devraient considérer comme une priorité de fournir des services médicaux, psychologiques, juridiques et socio-économiques aux victimes de violences sexuelles, y compris en dehors de la capitale, Bangui. Des mesures visant à réduire la stigmatisation dont elles font l'objet sont également d'une importance cruciale pour aider les victimes à recevoir des soins salvateurs et à rebâtir leurs vies.

« Il est urgent de répandre en République centrafricaine un message fort selon lequel le recours au viol comme arme de guerre est intolérable, les violeurs seront punis et les victimes recevront le soutien dont elles ont désespérément besoin », a affirmé Hillary Margolis. « Même dans une zone de conflit, le gouvernement et les institutions internationales peuvent et devraient s'efforcer de rendre ces services accessibles dès maintenant à toutes les victimes de viol, et de mettre en place les mesures permettant d'amener les violeurs à répondre de leurs actes. »

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Sélection de témoignages publiés dans le rapport


Esclavage sexuel

« Chaque jour, quatre hommes venaient pour avoir des rapports sexuels avec moi le matin. Puis cinq hommes à 15 h 00 et encore à 19 h 00. Le matin, quatre hommes, l’après-midi et le soir, le commandant plus quatre hommes. Ils ont dit : Tu ressembles à une fille chrétienne. Tu vends ton sexe aux musulmans. Aujourd’hui, tu vas voir.” »
– « Rachida » 25 ans (les noms de toutes les victimes ont été modifiés)

Viol

« Un [combattant] m'a prise de force et mon mari s’est adressé à lui : “C'est une pauvre femme. Epargnez-la. L'un d’eux s’est approché et lui a dit de se taire et de se déshabiller… Puis le chef a déclaré : “Moi, je vais coucher avec son mari.” J'ai baissé la tête mais il m'a dit de la relever et de regarder. J'ai crié : “Il n'y a aucune raison de nous blesser tous les deux”, mais un autre a lancé : “Ferme-là.” Ensuite, ils m'ont bâillonnée avec un morceau de tissu. Deux autres se sont approchés et m'ont pris les jambes. Ils les tenaient ouvertes. Quand le premier a fini de me violer, il a demandé à un autre d’apporter un vêtement. Il a pris [le vêtement] et l'a mis dans mon vagin pour nettoyer là où le premier homme avait été. Je n’arrivais pas à faire autre chose que crier. Cela faisait trop mal.

Ma fille pleurait. L'un d'eux a dit :
Pourquoi cet enfant pleure-t-elle comme ça ?  Je les ai entendus lui tirer dessus. J'ai imploré Jésus : “Comment peux-tu permettre une chose pareille ? ” J'ai juste pleuré pour mon enfant ... Je les ai entendus faire feu et ensuite tout était silencieux. Je ne l'entendais plus. »
- « Irène », 36 ans.

 


« Un [combattant anti-balaka] m'a dit : “Déshabille-toi, pour que nous ayons des rapports sexuels avec toi.” J’ai dit : “Je suis encore vierge.”  Il a répondu : “Si tu es encore vierge, alors nous te dépucellerons aujourd’hui.”  L’un d’eux a arraché mes vêtements et l’autre a déchiré mes sous-vêtements. Celui qui a déchiré mes sous-vêtements avait [une] machette. Un d’eux m’a attrapée à la gorge et m’a jetée au sol. Il m’a tenu la bouche fermée pendant que le premier homme me violait. J’ai commencé à saigner. Lorsque le premier homme a terminé, le deuxième homme a dit : “Je ne peux pas te laisser comme ça, je dois te violer aussi.”  Donc il m’a violée lui aussi. »
« Priscille », 16 ans, qui a affirmé que ces hommes avaient également violé sa jeune sœur âgée de 10 ans.


Impact des violences sexuelles

« J’ai été traumatisée parce que dans les rues, les gens disaient : La voilà, la femme qui a été violée par les Séléka. À la maison, mon mari a dit : “Tu as accepté que les Séléka te violent. Pourquoi n’as-tu pas crié ? Prends tes affaires et pars. »
– « Yvette », 27 ans.

« Que vais-je faire avec ce bébé ? Je n’en veux pas. Qui s’occupera de lui ? Toute ma famille est morte et j’attends le bébé d’un meurtrier. »
– « Béatrice », 18 ans, enceinte à la suite d'un viol par un combattant anti-balaka.


Accès aux services

« Ils m’ont dit de payer les médicaments et je n’ai pas les moyens. C’était pour les injections, les sérums, les antibiotiques – 4 500 francs CFA (7,67 dollars US), 2 500 francs CFA (4,26 dollars US) ... [Le médecin] a fait un examen. Il a dit que j’avais des blessures internes. Je lui ai signalé le viol. Ils n’ont pas fait de test de dépistage du VIH. Il m’a dit que pour faire un test du VIH, je devais payer 1 500 francs CFA (2,56 dollars US). »
– « Lorraine », 30 ans.

Accès à la justice

« Lorsque je les ai vus [circuler dans la ville], j’étais très effrayée, mais il n’y a aucune loi ici, donc je vais dans ma hutte et je pleure... [S]i les tribunaux étaient ouverts, j’irais porter plainte [contre eux]. Mais je ne suis pas allée voir les gendarmes, parce que là, il faut payer et, en fin de compte, ils ne font rien. »
– « Cécile », 50 ans.

« Ils ont tué mon mari, ils m'ont violée, je n'ai plus de maison, je suis infectée [avec le VIH] – voilà ce qu'ils m'ont fait. Je veux les traîner devant la justice parce qu'ils ont détruit ma vie. »

– « Mélanie », 31 ans.

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