Ministres des Affaires étrangères
États membres de l’Union africaine
Objet : 50eanniversaire de l’UA et promotion de la justice pour les crimes graves
Aux ministres des Affaires étrangères des États membres de l'Union africaine :
Nous soussignées, organisations africaines de la société civile et organisations internationales ayant une présence en Afrique, agissant en matière de droits humains et de justice pénale internationale, sommes heureuses de féliciter l'Organisation de l'unité africaine (OUA), devenue l'Union africaine (UA), à l'occasion de son 50eanniversaire.
Nous saluons l'Organisation pour ses réalisations déterminantes au cours des 50 dernières années et nous exprimons notre engagement continu à travailler avec l'UA en faveur de la promotion et la défense des droits humains, de la paix et de la justice sur le continent. À cet égard, nous souhaitons profiter de cette occasion pour féliciter l'UA et le continent africain pour :
- La création de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples en 1987, ainsi que de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples en 1998, dans le but de promouvoir les droits de l'homme et des peuples et de garantir leur respect en Afrique.
- Le soutien apporté à la Cour pénale internationale (CPI). Actuellement, 34 pays africains sont des États parties au Statut de Rome de la CPI et l'Afrique reste l'un des continents les plus représentés au sein de la Cour. De plus, cinq États africains ont demandé à la CPI d'enquêter sur des crimes commis sur leurs territoires, et au moins neuf États africains ont adopté l'intégration du Statut de Rome de la CPI dans leur législation.
- Les contributions considérables en matière de poursuites judiciaires grâce au travail du Tribunal pénal international pour le Rwanda et du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, à l’avancée de l'affaire de l'ancien président du Tchad Hissène Habré, et aux efforts pour juger les auteurs de crimes graves au niveau national dans certains pays africains, comme en Côte d’Ivoire et en Guinée.
Ces exemples témoignent de la contribution et de l'engagement de l'Afrique pour faire progresser la justice. Cependant, les difficultés récentes dans les relations entre l'Afrique et la CPI créent des risques non négligeables en matière d'accès à la justice pour les victimes des crimes les plus graves et leurs familles et il reste encore beaucoup à faire pour que les auteurs de tels crimes rendent des comptes.
En s'appuyant sur les progrès réalisés au cours des 50 dernières années, nous pensons qu'il existe des opportunités décisives permettant la promotion de la justice pour les crimes graves commis en violation du droit international, promotion qui constitue une composante essentielle de la contribution de l'UA à la paix et la sécurité sur le continent. En accord avec cette démarche, nous pensons que la coopération entre les instances nationales, régionales et internationales est cruciale pour promouvoir la justice et la paix, et que les initiatives régionales ne fonctionneront pas si elles ne trouvent pas un équilibre dans le cadre de la justice pénale internationale.
Dans le cadre de cet effort, nous souhaitons formuler plusieurs recommandations que nous demandons instamment à votre gouvernement d'évoquer lors du sommet de l'UA en mai, ainsi que lors de sommets ultérieurs, par le biais de décisions, de déclarations à la presse et d'autres actions. Ces recommandations sont les suivantes :
1. Tenir compte du rôle de l'Afrique dans l'implication de la CPI dans ses pays
Les inquiétudes selon lesquelles la CPI vise en particulier l'Afrique semblent foisonner dans certains discours publics et diplomatiques des dernières années. Cependant, cette conclusion ne tient pas compte de faits importants que votre gouvernement devrait s'efforcer d'intégrer dans les documents et la politique de l'UA.
Plus précisément, même s’il est vrai que toutes les enquêtes actuelles de la CPI concernent l'Afrique, le procureur de la CPI n'a agi de sa propre autorité pour ouvrir une enquête en Afrique, sans intervention de l'État concerné, que dans une seule situation, celle du Kenya. Toutes les autres situations africaines faisant l'objet d'enquêtes de la CPI ont vu le jour suite à des saisines ou des demandes volontaires par l'État concerné ou à une saisine par le Conseil de sécurité de l'ONU. L'Ouganda, la République démocratique du Congo, la République centrafricaine, le Mali et la Côte d'Ivoire ont demandé des enquêtes à la CPI, et le Conseil de sécurité a déféré les situations au Darfour et en Libye à la CPI.
Il existe bien sûr des situations hors de l'Afrique qui nécessitent une implication de la CPI, comme celle de la Syrie, et qui n'ont pas été présentées devant la Cour. Cependant, ceci est le résultat des limites légales de la compétence de la CPI, qui sont au-delà de son contrôle. La CPI ne peut pas exercer sa compétence sur les États qui ne sont pas parties au Statut de la CPI, sauf si le Conseil de sécurité de l'ONU défère la situation à la CPI ou si l'État concerné demande à la Cour de s'impliquer. Parallèlement, la capacité des membres permanents du Conseil de sécurité à utiliser leur veto sur la base de considérations politiques a bloqué des opportunités pour faire avancer la justice dans certaines situations.
Il apparaît que la frustration qui a émané de l'UA vis-à-vis de la CPI est pour l’essentiel davantage liée au Conseil de sécurité, qu'à la Cour elle-même. À la lumière de ces éléments, nous encourageons votre gouvernement sous l'égide de l'UA à faire part de ces préoccupations sur les actions du Conseil de sécurité directement au Conseil, notamment le besoin d'une action plus cohérente pour promouvoir la justice et, plus spécifiquement, l'appel à une saisine de la CPI sur le dossier syrien. Cela aiderait à faire en sorte que les points de vue de l'UA soient exprimés avec plus de précision et cela favoriserait, espérons-le, une approche davantage guidée par les principes de la part du Conseil. Bon nombre de nos organisations travaillent actuellement à promouvoir une action plus cohérente sur la justice de la part du Conseil de sécurité.
2. Tenir compte du soutien solide à la CPI en Afrique
Comme indiqué ci-dessus, 34 États africains sur 54 sont parties au Statut de Rome. L'engagement de l'Afrique a joué un rôle pivot dans l'établissement de la CPI et un certain nombre d'États africains ont demandé à la CPI d'ouvrir des enquêtes sur des crimes commis sur leurs territoires. Des pays de plus en plus nombreux, dont le Botswana, le Burkina Faso, le Malawi, l'Afrique du Sud, le Niger, l'Ouganda et la Zambie, ont aussi déclaré expressément qu'ils arrêteront les individus sous le coup d'un mandat d'arrêt de la CPI qui entreraient sur leurs territoires.
Le soutien africain à la CPI est, cependant, souvent omis dans les décisions et les communications de l'UA, et nous pensons qu'il sera important pour votre gouvernement d'inciter vivement l'UA à exprimer clairement le soutien africain à la CPI dans ses décisions et ses déclarations publiques. Cela inclut d'inverser les décisions qui appellent à la non-coopération avec la CPI dans l'arrestation du président soudanais Omar el-Béchir. Ces appels vont à l'encontre des obligations des États africains parties de la CPI de coopérer avec la Cour et à l’encontre de l'Acte constitutif de l'UA concernant la fin de l'impunité. Ils placent également les États africains parties de la CPI dans une position délicate pour respecter leurs obligations découlant des traités internationaux de coopérer avec la CPI.
3. Renforcer les systèmes de justice pénale nationaux pour juger les crimes internationaux
Nous prions instamment votre gouvernement de faire pression sur l'UA pour qu'elle renforce les capacités techniques et législatives au niveau national pour rendre la justice conformément à l'esprit de complémentarité, principe selon lequel la CPI n'est impliquée que si un État n’a pas la compétence ou la volonté pour juger de crimes graves. Non seulement cela apportera une solution aux préoccupations de l'UA face aux actions de justice menées hors du continent, mais cela permettra à l'Afrique de faire en sorte que les victimes puissent obtenir réparation. De plus, le renforcement des systèmes nationaux fera progresser la confiance publique et favorisera le respect de la règle de droit dans les pays et sous-régions concernés. Cela peut être réalisé grâce à des partenariats avec des parties prenantes incluant la société civile.
4. L'élargissement de la compétence de la Cour africaine
Comme vous le savez, l'UA a lancé une initiative pour élargir le mandat de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples en vue d’inclure une compétence pénale pour juger les crimes internationaux. Nous pensons que, sur le principe, il est positif d’étendre les opportunités de rendre la justice. Cependant, il sera crucial de faire en sorte qu'une Cour élargie sera capable de promouvoir la justice et les droits humains pour tous les crimes sous cette juridiction. Aussi, une attention minutieuse doit être accordée à l'existence de ressources adéquates pour un mandat étendu, y compris pour financer le large éventail de besoins liés à une juridiction pénale, comme la protection des témoins et la tenue de procès équitables pour les prévenus, et au fait que le mandat étendu ne restreindra pas la capacité de la CPI, soutenue par la majorité des États africains, à effectuer son travail. Vous trouverez plus d'informations sur cette question dans un courrier datant de 2012 disponible sur : http://www.coalitionfortheicc.org/documents/Letter_on_African_Court_May_2012_FINAL.pdf.
5. Améliorer les voies de communication entre l'UA et la CPI
Nous appelons votre gouvernement à faire pression pour un dialogue continu entre l'UA et la CPI. Les deux institutions ont des mandats nuancés et un échange d'informations plus fréquent pourrait faciliter le dialogue, clarifier les malentendus qui pourraient exister et contribuer à renforcer la coopération.
Les récents séminaires de l'Union africaine où la CPI a eu l'opportunité de discuter de son travail sont positifs et doivent se poursuivre. Une autre étape clé serait l'établissement d'un bureau de liaison UA-CPI, semblable au bureau de liaison de la CPI qui existe à l'ONU. Notamment, les États parties africains ont adressé un courrier à l'UA en 2010 appelant à la création du bureau, et nous encourageons votre gouvernement à réexaminer la mise en place de ce bureau avec l'UA.
Nous espérons que ces informations seront utiles alors que nous nous tournons vers les 50 prochaines années. N'hésitez pas à nous contacter si vous avez besoin de plus amples informations ou de clarifications concernant le contenu du présent document.
Nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, l’expression de nos sentiments distingués.
Action des Chrétiens Activistes des Droits de l'Homme à Shabunda, RDC
African Centre for Justice and Peace Studies, Ouganda
Amnesty International Togo, Togo
Amuria District Development Agency, Ouganda
Ark of the Covenant, République du Congo
Arry Organization for Human Rights, Égypt
Benin Coalition for the International Criminal Court, Bénin
Burkinabè Movement for Human and Peoples’ Rights, Burkina Faso
Cairo Institute for Human Rights Studies, Égypt
Centre for Accountability and Rule of Law, Sierra Leone
Centre for Democracy and Development, Nigeria
Children Education Society, Tanzanie
Church and Society Programme of the Church of Central Africa Presbyterian Synod of Livingstonia, Malawi
Civil Liberties Committee, Malawi
Club Union Africaine – Côte d’Ivoire, Côte d’Ivoire
Coalition for the International Criminal Court, Cameroun
Coalition for the International Criminal Court, RDC
Coalition Ivoirienne pour la Cour Pénale Internationale, Côte d’Ivoire
Coalition pour la Cour Pénale Internationale – République Centrafricaine, République Centrafricaine
Coalition Tchadienne pour la Cour pénale internationale, Tchad
Community Empowerment for Progress Organization, Soudan du Sud
Congolese Coalition for Transitional Justice, RDC
Counselling Services Unit, Zimbabwe
DITSHWANELO – The Botswana Centre for Human Rights, Botswana
East and Horn of Africa Human Rights Defenders Project, Ouganda
Forum for Awareness and Development, Burundi
Forum for Strengthening Civil Society, Burundi
Foundation for Human Rights and Democracy, Libéria
Guinean Center for the Protection and Promotion of Human Rights, Guinée
Horn of Africa Human Rights Committee, Somaliland
Human Rights Concern, Érythrée
Human Rights Network, Ouganda
Human Rights Watch avec des bureaux en Afrique du Sud, au Kenya, en RDC et au Rwanda
International Crime in Africa Programme, Institute for Security Studies, Afrique du Sud
International Commission of Jurists-Kenyan Section, Kenya
International Commission of Jurists-Regional Office, Afrique du Sud
International Society for Civil Liberties & the Rule of Law, Nigeria
Kenya Human Rights Commission, Kenya
KISIMA Peace & Development, Somaliland
League for Peace, Human Rights and Justice, RDC
Legal Resources Centre, Afrique du Sud
Ligue Rwandaisepour la Promotion et la Défense des Droits de l'Homme, Rwanda
NamRights, Namibie
Network Movement for Democracy and Human Rights, Sierra Leone
Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme, Guinée
Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme, Sénégal
Regional Associates for Community Initiatives, Ouganda
Réseau Equitas, Côte d’Ivoire
Saxafi Media Network, Somaliland
Sierra Leone Coalition for the International Criminal Court, Sierra Leone
Social Justice and Advocacy Initiative, Nigeria
South Sudan Human Rights Defenders Network, Soudan du Sud
Southern Africa Litigation Centre, Afrique du Sud
Southern African Centre for the Constructive Resolution of Disputes, Zambie
SPEAK Human Rights Initiative, Maurice
Synergy of Congolese NGOs for Victims, RDC
Transformation Resource Centre, Lesotho
Uganda Coalition on the International Criminal Court, Ouganda
Vision Sociale, RDC
Women’s Centre for Democracy and Human Rights, Côte d’Ivoire
Women Lawyer’s Association, Burundi