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Turquie : Abandonner les poursuites contre le Barreau d’Istanbul

Un mémoire d'amicus curiae vise à protéger les professionnels du secteur juridique dans ce pays

Des avocats du Barreau d'Istanbul manifestaient dans cette ville turque le 23 juin 2025, contre l'arrestation quatre jours auparavant de leur confrère Mehmet Pehlivan, avocat du maire emprisonné Ekrem İmamoğlu ; ils protesatient aussi contre la detention injuste de plusieurs autres avocats turcs. © 2025 Barreau d'Istanbul (Istanbul Barosu)

(Ankara, 10 septembre 2025) – Les poursuites pénales et civiles engagées contre le conseil exécutif du Barreau d'Istanbul sont incompatibles avec les obligations internationales de la Turquie en matière de droits humains et constituent une atteinte directe à l'indépendance de la profession d'avocat, ont déclaré aujourd'hui 12 organisations juridiques et de défense des droits humains, dont Human Rights Watch.

Ces organisations ont déposé un mémoire d'amicus curiae (« amicus brief », en anglais) auprès de la 26ème Cour pénale d'Istanbul le 5 septembre, en prévision des audiences tenues les 9-10 septembre.

L’action en justice intentée par le parquet turc vise le bâtonnier du Barreau d'Istanbul, İbrahim Kaboğlu, et 10 membres de son conseil exécutif. Elle fait suite à une déclaration publique publiée par le Barreau le 21 décembre 2024, suite à l'assassinat de deux journalistes kurdes, Nazim Daştan et Cihan Bilgin, présumément lors d'une frappe de drone dans le nord de la Syrie.

Dans sa déclaration, le Barreau avait rappelé les protections juridiques internationales qui doivent être accordées aux journalistes dans les zones de conflit, a appelé à une enquête efficace sur les décès et a exigé la libération des manifestants et des avocats arrêtés lors d'une manifestation organisée à Istanbul le même jour.

En réponse, le parquet turc a ouvert une procédure pénale contre la direction du Barreau pour « propagande en faveur d'une organisation terroriste » et « diffusion d'informations trompeuses », et a simultanément engagé une action civile visant à révoquer le conseil d'administration au motif qu'il avait outrepassé ses obligations légales. Le 21 mars, le deuxième tribunal civil de première instance d'Istanbul a ordonné la révocation de l'ensemble du mandat du conseil, une décision actuellement en appel.

Les 12 organisations ont déclaré dans leur soumission conjointe que cette procédure violait les obligations de la Turquie en vertu du droit international des droits de l'homme. La déclaration du Barreau d'Istanbul, soulignent-elles, s'inscrit pleinement dans le cadre de son mandat professionnel et de son devoir légal de défendre les droits de l'homme et l'État de droit.

« Les poursuites pénales et civiles engagées contre le conseil exécutif du Barreau d'Istanbul constituent des représailles pour avoir défendu un plaidoyer légal et fondé sur les droits », a déclaré Ayşe Bingöl Demir, directrice du Projet turc de soutien aux litiges relatifs aux droits humains. « Elles s'inscrivent dans une démarche plus large visant à intimider la profession juridique et à réduire au silence les institutions qui contestent le pouvoir de l'État. »

Les organisations ont souligné que les barreaux doivent être libres de s'exprimer sur leurs préoccupations en matière de droit et de droits humains sans crainte d'intimidation ou de sanction.

Thierry Wickers, président du Conseil des barreaux européens, a déclaré : « Ces actions ne constituent pas seulement une attaque contre le Barreau d'Istanbul, mais une atteinte à l'idée même d'une profession juridique indépendante, l'un des principaux piliers d'une société démocratique et une garantie fondamentale pour garantir l'État de droit et prévenir les abus de pouvoir. »

Les organisations ont déclaré dans leur mémoire d'amicus curiae que les accusations portées contre la direction du Barreau sont à la fois vagues et juridiquement infondées, s'appuyant sur des lois antiterroristes et de « désinformation » trop larges, qui ne respectent pas les normes internationales de légalité, de nécessité et de proportionnalité. Aucune partie de la déclaration du Barreau ne peut raisonnablement être interprétée comme une « incitation à la violence » ou une « promotion du terrorisme », ont-elles affirmé. Le texte reflète plutôt le rôle du Barreau en tant que garant institutionnel, défendant ses membres et dénonçant des détentions illégales et des violations présumées du droit international.

« La déclaration du Barreau d'Istanbul s'inscrivait parfaitement dans le cadre de ses obligations statutaires et de son rôle protégé au niveau international », a déclaré la baronne Helena Kennedy, directrice de l’Institut des droits humains de l’Association internationale du barreau (IBAHRI). « Criminaliser une telle déclaration est à la fois indéfendable d’un point de vue juridique et inquiétant d’un point de vue politique. »

Les organisations ont déclaré que ce cas n'est pas isolé, mais emblématique d'une tendance plus large en Turquie, où les barreaux sont confrontés à une ingérence croissante, où les avocats sont de plus en plus poursuivis en raison de leur travail et où les institutions dissidentes sont soumises à des pressions coordonnées.

Dinushika Dissanayake, directrice régionale adjointe pour l’Europe à Amnesty International, a déclaré : « Ce à quoi nous assistons dans cette affaire est emblématique d’une tendance systémique, tout en créant un dangereux précédent : le droit pénal est utilisé à mauvais escient pour cibler des avocat·e·s, leur ordre professionnel et des défenseur·e·s des droits humains qui ne font que leur travail. »

Elle a poursuivi : « En Turquie, les lois générales relatives à la lutte contre le terrorisme ouvrent la voie aux abus. Les poursuites judiciaires intentées envoient un message très inquiétant : exiger des autorités qu’elles respectent leurs obligations en matière de droits humains peut avoir de lourdes conséquences et il est possible de restreindre arbitrairement le droit à la liberté d’expression des avocat·e·s, de leurs représentant·e·s et des citoyen·ne·s. Compte tenu de ces éléments, la seule issue équitable est l’acquittement de tous les dirigeants du Barreau d’Istanbul lors de l’audience de demain. »

Compte tenu de ces préoccupations, les organisations internationales ont demandé au tribunal d'Istanbul d'évaluer la légalité et la régularité des procédures pénales et civiles en cours, conformément aux obligations contraignantes de la Turquie en vertu du droit international des droits humains, notamment les normes relatives à l'indépendance des avocats et des barreaux, ainsi que les droits à la liberté d'expression et d'association.

Comme le soulignent les organisations dans leur mémoire d'amicus curiae, les accusations et les actions contre le conseil exécutif du barreau d'Istanbul contreviennent à ces normes, semblent poursuivre un objectif politique caché et risquent de créer un précédent dangereux pour les professionnels du droit et les institutions engagées dans la défense des droits humains.

Les 12 organisations ayant soumis ce mémoire d'amicus curiae sont les suivantes : Turkey Human Rights Litigation Support Project (« Projet de soutien aux litiges relatifs aux droits humains en Turquie »), Amnesty International, le Conseil des barreaux européens (CCBE), l'Association européenne des juristes pour la démocratie et les droits humains dans le monde, le Barreau fédéral allemand, Human Rights Watch, l’Institut des droits humains de l’Association internationale du barreau (International Bar Association's Human Rights Institute, IBAHRI), la Commission internationale de juristes (CIJ), l'Observatoire international des avocats en danger, la Law Society of England and Wales, Lawyers for Lawyers (L4L) et PEN Norvège.

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