La réponse de l'Union européenne au conflit armé dans l'est de la République démocratique du Congo n'a pas été à la hauteur face à la progression rapide du groupe armé M23 soutenu par le Rwanda. Mais les sanctions ciblées du 17 mars laissent espérer que l'Europe prend enfin conscience de la gravité des exactions commises, du rôle du Rwanda et de l'engagement même de l'UE avec le Rwanda.
Les terribles souffrances endurées dans l'est de la RD Congo ne datent pas de l'offensive du M23 en janvier. Les civils subissent depuis longtemps les exactions des groupes armés et des armées nationales soutenues par le Rwanda. La résurgence du M23 fin 2021 a entraîné son lot de violations et un désastre humanitaire. Dans les zones qu'il occupe, le M23 a recouru au travail forcé et au recrutement forcé, démantelé des camps et menacé, détenu et attaqué des journalistes, des détracteurs et des militants de la société civile.
Outre les sanctions prises à l'encontre de plusieurs dirigeants du M23, l'UE a inscrit sur sa liste noire des responsables rwandais de premier plan ainsi qu'une société aurifère pour leur rôle dans le soutien aux exactions commises dans l'est de la RD Congo. La rupture des relations diplomatiques avec la Belgique par Kigali ne doit pas faire oublier les prochaines étapes qui devraient s'imposer.
En sanctionnant la raffinerie d'or de Gasabo, identifiée par les experts des Nations Unies comme le lieu où l'or transporté frauduleusement depuis la RD Congo est raffiné avant d'être exporté, ainsi que le directeur de l'Office rwandais des mines, du pétrole et du gaz, les ministres de l'UE ont clairement mis en évidence le rôle du Rwanda dans l'exploitation illicite des ressources naturelles.
Dans son dernier rapport, le Groupe d'experts des Nations Unies sur la République démocratique du Congo a confirmé que le M23 et l'Alliance du Fleuve Congo (AFC) contrôlaient les routes reliant la ville minière congolaise de Rubaya au Rwanda, où les minerais sont mélangés à la production rwandaise. Les experts de l'ONU ont également conclu que « l'extraction frauduleuse, le commerce et l'exportation vers le Rwanda des minéraux de Rubaya ont donc bénéficié à la fois à la coalition AFC/M23 et à l'économie rwandaise ».
L'implication de longue date du Rwanda dans l'exploitation minière illégale aurait dû alerter la Commission européenne dans ses relations avec Kigali. Au lieu de cela, la Commission a signé en février 2024 un mémorandum d'entente très critiqué sur les chaînes de valeur des matières premières durables, qui a suscité l'ire du Parlement européen. Bien que l'accord comprenne des engagements en faveur des normes environnementales, sociales et de gouvernance, des droits humains et de la paix et de la stabilité régionale, ces promesses contrastent fortement avec la réalité sur le terrain.
L'accord de février 2024 a représenté un appui considérable à la réputation du Rwanda, tout en devenant un risque pour celle de la Commission suite au non-respect par le Rwanda des engagements fondamentaux pris dans son accord avec Bruxelles.
Le Commissaire européen aux partenariats internationaux, Jozef Síkela, devrait reconnaître que les conditions de mise en œuvre ne peuvent être remplies tant que le Rwanda soutient le M23, qui commet des abus, en lui fournissant des armes, du matériel et des combattants.
En juin 2023, la Direction des partenariats internationaux de la Commission Européenne et l'agence allemande de développement (GIZ) ont lancé un projet de plusieurs millions d'euros avec l'office des mines du Rwanda, dont le directeur a été sanctionné la semaine dernière. L'Allemagne a suspendu sa coopération avec le Rwanda en raison du conflit – la Commission européenne devrait faire de même.
Ces sanctions remettent aussi en question les décisions antérieures de l'UE d'accorder deux subventions de 20 millions d'euros pour soutenir le déploiement de l'armée rwandaise au Mozambique dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix (FEP).
Parmi les responsables rwandais sanctionnés figurent également trois commandants impliqués dans le soutien au M23. Deux d'entre eux, Eugène Nkubito et Pascal Muhizi, avaient récemment servi parmi les forces rwandaises envoyées dans la province assiégée de Cabo Delgado au Mozambique dans le cadre d'opérations de contre-insurrection. Le commandant en chef actuel des forces rwandaises au Mozambique, le général de division Emmy Ruvusha, vient d'être transféré de l’est de la RD Congo, ce qui aurait dû éveiller des soupçons à Bruxelles.
Si l'UE prend au sérieux les garanties qui accompagnent le financement de la FEP pour le déploiement du Rwanda au Mozambique, le déploiement d’Emmy Ruvusha et d'autres commandants dans ce pays devrait être considéré comme une ligne rouge catégorique. La haute représentante de l'UE pour les affaires étrangères, Kaja Kallas, devrait suspendre le versement de tout nouveau fonds de la FEP au Rwanda jusqu'à ce que des garanties, y compris une véritable vérification des antécédents des troupes déployées, soient respectées, et que les commandants et les troupes qui ont servi en RD Congo soient exclus des opérations financées par l'UE.
Enfin, les institutions de l'UE devraient indiquer clairement que les mesures ne seront levées que lorsque le Rwanda aura mis fin à son soutien au M23.
La création et le soutien par l'armée congolaise d'une coalition de groupes armés violents connus sous le nom de « Wazalendo » ont encore aggravé les souffrances des civils.
Mais le soutien du Rwanda au M23 joue un rôle si important dans la crise actuelle que l'UE devrait utiliser tous les moyens de pression possibles pour y mettre fin. Les institutions de l'UE devraient faire preuve de cohérence avec les récentes sanctions, suspendre l’accord minier dont les dispositions sont bafouées par le Rwanda et veiller à ce que la coopération militaire et sécuritaire ne contribue pas aux violations en RD Congo.
L'UE devrait également se montrer prête à limiter les avantages que le Rwanda tire de sa présence dans l'est de la RD Congo et à revoir radicalement sa coopération avec un gouvernement qui viole les droits sur son territoire et alimente les atrocités à l'étranger.