- Depuis le début de l’année 2024, l’armée rwandaise et le groupe armé M23 bombardent sans discernement des camps de déplacés et d’autres zones densément peuplées près de Goma, dans l’est de la RD Congo.
- Les forces armées congolaises et des milices alliées ont exposé les personnes déplacées dans les camps à un risque accru en déployant de l’artillerie à proximité et en pénétrant dans les camps, où elles ont commis des abus à l'encontre des résidents.
- L’ONU, l’Union africaine et les gouvernements préoccupés devraient faire pression sur les deux parties pour qu’elles cessent de violer le droit international humanitaire et relatif aux droits humains, garantissent la protection des civils et soutiennent les sanctions et les poursuites contre les commandants responsables de crimes de guerre.
(Nairobi) – Depuis le début de l’année 2024, l’armée rwandaise et le groupe armé M23 ont bombardé sans discernement des camps de déplacés et d’autres zones densément peuplées près de Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les forces armées de la RD Congo (FARDC) et des milices alliées ont exposé les personnes déplacées dans les camps à un risque accru en déployant de l’artillerie à proximité. Les deux parties ont tué des habitants des camps, perpétré des viols, entravé l’acheminement de l’aide humanitaire et commis d’autres abus. Human Rights Watch a également publié un document de questions-réponses sur l'application du droit de la guerre dans ce contexte.
En janvier, les Forces rwandaises de défense (FDR) et le groupe armé M23 se sont approchés de la ville de Sake, située à 25 kilomètres à l’ouest de Goma, coupant ainsi les routes d’approvisionnement de la capitale provinciale du Nord-Kivu. Le M23, aux côtés des forces rwandaises, a depuis étendu son contrôle sur le Nord-Kivu, une expansion qui constitue l’avancée la plus importante du groupe armé depuis sa résurgence en 2021, d’après les Nations Unies.
« Alors que le conflit entre les forces rwandaises et congolaises et leurs milices alliées se rapproche de Goma, les habitants de la zone et plus d’un demi-million de personnes déplacées font face au risque croissant d’être pris dans les combats et privés d’aide humanitaire », a déclaré Clémentine de Montjoye, chercheuse senior sur l’Afrique à Human Rights Watch. « Le Rwanda et la RD Congo devraient cesser de soutenir des groupes armés responsables d’abus, respecter leurs propres obligations en vertu du droit de la guerre, et permettre l’acheminement sans entrave de l’aide humanitaire. »
Les Nations Unies, l’Union africaine et les gouvernements préoccupés devraient faire pression sur les parties au conflit, y compris les groupes armés non étatiques, afin qu’elles cessent de violer le droit international humanitaire, qu’elles garantissent la protection des civils et qu’elles soutiennent les sanctions et les poursuites contre les commandants responsables de crimes de guerre, a déclaré Human Rights Watch.
Entre mai et juillet 2024, les chercheurs de Human Rights Watch ont visité les camps ou sites de déplacés de Bulengo, Bushagara, Kanyaruchinya, Lushagala, Mugunga (également connu sous le nom de « 8ème CEPAC ») et Shabindu-Kashaka autour de Goma, et y ont mené des entretiens avec 65 victimes d’abus, témoins et responsables de camps. Parmi ces personnes figuraient neuf victimes de violences sexuelles, et cinq personnes disposant d’informations crédibles sur ces violences. Les chercheurs ont également mené des entretiens avec 31 sources humanitaires, diplomatiques, onusiennes et militaires. Human Rights Watch a examiné et analysé des photographies et des vidéos de sites après des attaques qui ont été diffusées en ligne ou transmises directement aux chercheurs, des photographies de fragments d’armes, ainsi que des images satellite pour déterminer la distance entre les positions d’artillerie et cibles touchées et les camps de déplacés.
Le 2 septembre, Human Rights Watch a transmis par courrier électronique ses conclusions préliminaires aux autorités congolaises et rwandaises, mais n’a reçu aucune réponse au moment de la publication du présent rapport.
À mesure que l’armée rwandaise et le M23 gagnaient du terrain en direction de Goma, plus d’un demi-million de personnes ont trouvé refuge dans des camps de déplacés autour de la ville, portant le nombre total de déplacés dans le Nord-Kivu à près de 2,4 millions. Ces forces ont utilisé de l’artillerie lourde dans des attaques qui frappaient sans discernement des zones densément peuplées, une violation manifeste du droit de la guerre.
Human Rights Watch a documenté cinq attaques manifestement illégales menées par les forces rwandaises et le M23 depuis janvier 2024, au cours desquelles des tirs d’artillerie ou de roquettes ont frappé des camps de déplacés ou des zones peuplées près de Goma. Le 3 mai, les forces rwandaises ou du M23 ont lancé au moins trois roquettes sur des camps de déplacés autour de Goma, tuant au moins 17 civils, dont 15 enfants, dans un camp connu sous le nom 8ème CEPAC. L’armée congolaise a installé des positions d’artillerie et d’autres cibles militaires potentielles à proximité de camps de déplacés, exposant ainsi les civils à des risques inutiles.
« Nous ne savons plus quoi faire », a indiqué un homme déplacé dans le camp de Mugunga après les frappes du 3 mai. « Qu’on reste ou qu’on rentre à la maison, il semble que le résultat sera le même. La mort nous accompagne partout où nous allons. »
Des soldats congolais et une coalition de milices responsables d’exactions connue sous le nom de « Wazalendo » (« patriotes » en swahili) ont ouvert le feu à l’intérieur de camps de déplacés, tuant et blessant des civils. Ils ont également violé des femmes dans les camps, ainsi que d’autres parties chercher de la nourriture et du bois de chauffage à proximité. Dans le camp de Kanyaruchinya, ils ont détenu des personnes dans une fosse creusée dans le sol pour leur extorquer de l’argent. Des combattants du M23 ont quant à eux violé des femmes qui avaient franchi la ligne de front en quête de nourriture.
En août, l’organisation humanitaire Médecins sans frontières (MSF) a déclaré que plus d’une jeune femme sur 10 dans les camps à Goma et dans les environs avait signalé avoir été violée entre novembre 2023 et avril 2024, ce chiffre pouvant atteindre 17 % dans certains camps.
Les combats à proximité de Goma et des camps ont fortement affecté l’acheminement de l’aide humanitaire et provoqué des pénuries alimentaires à Goma. Les forces congolaises et milices alliées déployées à proximité des camps de déplacés ont exposé les camps aux tirs de riposte des forces opposées. « Cela affecte l’acheminement de l’aide humanitaire », a expliqué un responsable d’un organisme humanitaire. « Maintenant, dès que les FARDC commencent à tirer à l’artillerie, les [organisations non gouvernementales] et l’ONU se mettent à quitter les camps. »
« Nous avons observé un important afflux de patients depuis février », a raconté un médecin à Goma. « Les bombes en sont la cause, avec les Wazalendo, qui sont hors de contrôle. Les balles tuent les hommes et les jeunes ; les armes explosives tuent les femmes et les enfants. Pendant la journée, les hommes vont travailler et ne sont pas dans les camps. Nous traitons davantage d’enfants de moins de 5 ans. »
Le conflit armé dans l’est de la RD Congo est soumis aux Conventions de Genève de 1949, notamment à l’article 3 commun, ainsi qu’au droit international humanitaire coutumier. Le droit de la guerre interdit les attaques délibérées ou menées sans discernement contre les civils et les biens de caractère civil. Les parties belligérantes doivent prendre toutes les précautions possibles pour limiter au maximum les préjudices causés aux civils, y compris en évitant de placer des objectifs militaires à proximité de zones densément peuplées. Le droit de la guerre reconnaît également comme crimes de guerre le fait de tuer toute personne en détention, la torture, les violences sexuelles et d’autres mauvais traitements. Toutes les parties belligérantes doivent faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire.
Quiconque commet ou ordonne des violations graves du droit de la guerre avec une intention criminelle est responsable de crimes de guerre. Les commandants peuvent également être tenus pour responsables au titre de la responsabilité de commandement s’ils avaient connaissance ou auraient dû avoir connaissance d’abus commis par des forces sous leur contrôle, mais n’ont pas mis fin aux crimes ni puni leurs auteurs. Un État qui fournit sciemment des armes à des groupes armés commettant des exactions peut être complice de crimes de guerre.
En outre, toutes les parties devraient éviter d’utiliser des armes explosives dans des zones peuplées. L’utilisation d’armes explosives à large rayon d’impact, telles que l’artillerie lourde dans des zones peuplées, conduit fréquemment à des attaques menées sans discernement en violation du droit de la guerre. En plus de leurs effets mortels immédiats, ces armes ont également des effets indirects, ou des répercussions, à long terme.
L’Union européenne et les États-Unis ont imposé des sanctions à des dirigeants de groupes armés responsables d’exactions dans l’est de la RD Congo, y compris le M23, et à plusieurs hauts responsables congolais et rwandais responsables du soutien à ces groupes.
« Toutes les parties au conflit dans le Nord-Kivu font preuve d’un mépris total à l’égard de la vie des civils, dont la protection est pourtant garantie par le droit international », a conclu Clémentine de Montjoye. « La RD Congo et le Rwanda devraient reconnaître que les abus d’une partie belligérante ne justifient jamais la commission d’abus par l’autre partie, mettre fin à leur soutien à des groupes armés responsables d’abus et traduire en justice toute personne responsable de crimes de guerre. »
Pour de plus amples détails, veuillez lire la suite.
Abus contre les civils et les personnes déplacées autour de Goma
Depuis que le M23 a refait surface dans l’est de la RD Congo à la fin de l’année 2021, la présence de forces militaires et de groupes armés dans la région s’est accrue. Le Groupe d’experts de l’ONU sur la RD Congo a estimé en juillet 2024 qu’au moins 3 000 soldats rwandais se trouvaient sur le sol congolais et que l’armée ougandaise fournissait elle aussi un « soutien actif [...] au M23 ». En outre, des forces armées burundaises sont toujours présentes dans le pays. Alors que la force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (East African Community, EAC) s’est retirée en décembre 2023, la mission de la Communauté de développement d’Afrique australe (Southern African Development Community, SADC), composée de troupes malawiennes, sud-africaines et tanzaniennes, a été déployée en janvier. En septembre 2023, le président congolais Félix Tshisekedi a demandé un retrait « accéléré » de la mission de maintien de la paix des Nations Unies (MONUSCO), mais ce retrait n’est toujours pas achevé. Des Congolais ont accusé la MONUSCO de ne pas avoir assuré, à plusieurs reprises, une protection adéquate des civils, ce qui a entraîné des violences et des pillages anti-MONUSCO.
L’ONU a signalé qu’en avril, 48 chefs de groupes armés de l’est de la RD Congo se sont rendus à Kinshasa, la capitale du pays, pour discuter de la coalition Wazalendo et de la collaboration avec les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé rwandais majoritairement hutu, dont certains dirigeants ont pris part au génocide de 1994 au Rwanda. Le gouvernement congolais soutient les Wazalendo et les FDLR qui combattent aux côtés des forces congolaises. En septembre 2023, certains membres de l’alliance Wazalendo ont été choisis pour former les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), une force supplétive « officielle ».
Les chercheurs de Human Rights Watch ont été confrontés à un brouillage de signaux GPS dans les environs de Goma et ont reçu des informations selon lesquelles plusieurs vols à caractère humanitaire ont été annulés ou retardés en raison de ce brouillage. Le 29 juillet 2024, les autorités congolaises ont affirmé que l’armée rwandaise était à l’origine du brouillage, qui a entraîné l’immobilisation au sol de certains appareils civils et militaires.
Recours accru aux armes explosives dans les zones peuplées
Human Rights Watch a examiné des informations concernant 10 attaques à l’artillerie lourde ou à la roquette contre des camps de déplacés et des quartiers autour de Goma entre février et mai, et 12 attaques dans les zones de Sake et Minova entre janvier et juin. Le Comité international de la Croix-Rouge a signalé que 40 % des civils blessés en quête de soins dans le Nord-Kivu sont des victimes de bombardements ou d’autres armes lourdes.
D’autres incidents liés à l’utilisation d’artillerie lourde sur des zones urbaines ou densément peuplées ne sont pas détaillés dans ce rapport. L’incident le plus meurtrier au moment de la rédaction du présent rapport avait eu lieu le 25 janvier, lorsque, après plusieurs jours de combats pour le contrôle de la ville de Mweso, située dans le territoire de Masisi et tenue par les forces rwandaises et du M23, l’armée congolaise a tiré sur la ville au moins deux salves d’artillerie lourde qui ont fait au moins 19 victimes civiles et sont tombées près de l’hôpital, selon des médias et des témoins.
Alors que les combats se rapprochaient de Goma, l’armée congolaise a placé des positions d’artillerie à proximité des camps de déplacés, parfois à seulement quelques dizaines ou centaines de mètres des camps.
Le 2 février, une roquette de 122 millimètres attribuée aux forces rwandaises et au M23 est tombée à moins de 100 mètres de l’école primaire de Nengapeta dans le quartier de Mugunga, dans l’ouest de Goma, blessant un homme et une fillette et endommageant au moins deux maisons, selon des témoins, des informations vérifiées issues des réseaux sociaux ainsi que des images satellite.
Les 6 et 7 avril, en réponse aux attaques de l’armée congolaise et de la mission de la SADC en RD Congo (SAMIDRC), l’armée rwandaise et le M23 ont lancé des roquettes qui ont frappé des zones proches de Sake et Mubambiro, ainsi que les zones de Mugunga et Lac Vert, où se trouvent des camps de déplacés.
Au moins une roquette a touché le camp de déplacés de Shabindu-Kashaka le 6 avril, tuant un homme de 19 ans et blessant gravement deux autres personnes, et détruisant environ 40 abris, selon deux sources du camp et un responsable d’un organisme d’aide humanitaire. En juillet, Human Rights Watch a visité le lieu de la frappe, dont l'imagerie satellite a montré une zone dépourvue d’abris à partir du 22 avril.
Attaque du 3 mai contre des camps de déplacés
Le 3 mai, entre 10 et 11 heures, au moins trois roquettes ont touché des camps de déplacés dans les quartiers de Lac Vert et de Mugunga, à environ 15 kilomètres à l’ouest du centre-ville de Goma. Human Rights Watch a confirmé les identités d’au moins 17 civils tués dans les attaques, dont 15 enfants, et d’au moins 35 personnes blessées. Il s’agit du deuxième bombardement le plus meurtrier pour les civils signalé à ce jour en 2024.
Human Rights Watch a examiné des photographies prises dans le camp de Mugunga et a identifié des fragments de roquettes d’artillerie de 122 millimètres. Des sources, y compris militaires, ainsi que d’autres photographies analysées par Human Rights Watch ont confirmé que ces munitions ont été tirées avec des lance-roquettes à canon unique depuis une position de l’armée rwandaise et du M23 au nord-ouest de Sake. Puisque trois roquettes ont été lancées simultanément en direction des camps de déplacés, il était peu probable qu’il s’agisse d’erreurs de tir.
Les roquettes ont été tirées en réponse manifeste aux tirs d’artillerie congolais depuis une position proche d’un cimetière connu sous le nom de « Chemin du Ciel », dans la zone de Mugunga, selon un porte-parole de l’armée congolaise et des entretiens menés par Human Rights Watch. En outre, des informations non confirmées indiquaient que l’armée burundaise aurait tiré depuis une position proche des camps le matin même.
Human Rights Watch a analysé des images satellite et des photographies géolocalisées publiées sur les réseaux sociaux et provenant de sources fiables, afin de localiser les points d’impact des roquettes. L’une d’entre elles a touché des abris pour personnes déplacées le long de la route N2, près du 8ème CEPAC à Mugunga, et a détruit une dizaine d’abris. Des photographies et vidéos vérifiées prises immédiatement après l’impact montrent des tentes détruites et des cadavres, principalement ceux d’enfants.
Les cratères causés par les deux autres roquettes ont été géolocalisés dans une zone vide près du camp d’Elohim et au nord du camp de Lushagala, également dans une zone vide.
Immédiatement après les attaques, les habitants du camp ont dressé des barricades avec des pierres sur la route N2 pour empêcher les travailleurs humanitaires de quitter les camps. Des soldats d’un convoi semblant appartenir à l’armée congolaise ont tiré des coups de feu, tuant une femme à environ 150 mètres du site d’impact de la roquette dans le camp 8ème CEPAC, selon une vidéo géolocalisée et deux proches de la victime. Le convoi, qui comprenait un camion militaire équipé d’un lance-roquettes multitubes, roulait vers l’est sur la N2, depuis la position d’artillerie proche du cimetière du Chemin du Ciel et en direction de Goma.
Peu de temps après le bombardement, l’Alliance Fleuve Congo, un mouvement politico-militaire allié au M23, a publié une déclaration accusant l’armée congolaise de placer des positions d’artillerie à l’intérieur des camps de déplacés et d’utiliser la population civile comme « bouclier humain ». Human Rights Watch a identifié des positions d’artillerie congolaises à proximité des camps de déplacés, mais aucune à l’intérieur des camps eux-mêmes.
Un travailleur humanitaire a expliqué : « Nous [avons plaidé pour] que l’artillerie lourde [congolaise] soit éloignée des camps, mais une semaine avant le bombardement [du 3 mai], nous avons vu que les lignes de défense [congolaises] s’étaient rapprochées. Les personnes dans les camps nous disent : “Nous avons fui la guerre pour finalement nous faire massacrer ici dans des conditions déplorables.” »
Cinq parents qui ont perdu des enfants âgés de 2 semaines à 17 ans, ainsi que d’autres témoins, ont décrit l’impact dévastateur de l’attaque à la roquette. Un père qui a perdu deux enfants a raconté : « Ma femme et moi étions absents. Mes enfants ont été réduits en poussière – en petits morceaux que nous avons enterrés… J’ai fui Sake pour protéger mes enfants, et j’ai tout perdu en l’espace d’une seconde. »
Human Rights Watch a confirmé les noms d’au moins 35 civils blessés pendant le bombardement. Une femme de 18 ans qui se trouvait dans son abri lorsque les roquettes ont frappé le camp de Mugunga a perdu une jambe. Des fragments se sont logés dans le cou et la gorge d’une autre femme, âgée de 20 ans, la blessant et entravant sa capacité à déglutir. Beaucoup ont indiqué avoir fui les combats à Sake en février dans l’espoir d’être en sécurité en se rapprochant de Goma.
Le 4 mai, les États-Unis ont condamné l’attaque des forces militaires rwandaises et du M23 contre le camp de Mugunga. Le Rwanda a rejeté les accusations, imputant « ce type d’atrocité » aux forces et milices congolaises.
Après l’attaque, MSF a déclaré que ses équipes avaient dû cesser la distribution de produits de première nécessité et interrompre les consultations médicales en raison de l’insécurité croissante.
Bombardements à la fin du mois de mai
Le 30 mai, des médias locaux ont rapporté que l’armée congolaise avait utilisé de l’artillerie depuis une position proche du camp de déplacés de Sam-Sam, à l’est du camp de Lushagala. Dans leur riposte ce même jour, l’armée rwandaise et le M23 ont frappé la périphérie du camp de Lushagala, blessant au moins deux enfants, selon des sources sur place.
Le 31 mai, l’armée congolaise a commencé à tirer depuis une position d’artillerie située à quelques centaines de mètres à peine d’une garderie accueillant des centaines d’enfants dans le camp de Lushagala, selon des sources dans le camp. Comme l’armée congolaise n’a pas prévenu la garderie, le personnel n’a eu que 30 minutes pour évacuer les enfants avant que les forces rwandaises et du M23 ne ripostent. La riposte a manifestement frappé un site situé à 100 mètres de la garderie, où Human Rights Watch a identifié deux impacts possibles sur l’imagerie satellitaire, qui ont été confirmés par des sources locales.
« Pour les enfants ici, c’est extrêmement traumatisant », a déploré un membre du personnel. « Ils font des cauchemars et ont des flashbacks, beaucoup présentent un TSPT [trouble de stress post-traumatique]. Certains ont perdu des membres de leur famille dans les bombardements. »
Militarisation des camps de déplacés et abus
Human Rights Watch a observé la présence d’hommes armés identifiés comme appartenant à l’armée congolaise ou à la milice Wazalendo dans les cinq camps que les chercheurs ont visités en juin. Les camps les plus militarisés semblaient être les sites les plus récents, situés le long de la route reliant Goma à Sake.
Les habitants des camps ont déclaré que la présence de soldats congolais et de Wazalendo à l’intérieur des camps avait entraîné une augmentation de l’insécurité et des abus subis par les habitants et qui constituent des crimes de guerre. Ils ont décrit des échanges de tirs fréquents et des pillages commis par les Wazalendo. Un habitant du camp de Kanyaruchinya a raconté : « C’est dangereux de sortir après 17 heures. Il y a des hommes armés, souvent en uniforme, qui sont dans les parages. Parfois, des personnes sont tuées. »
Le 30 mai, un combattant Wazalendo présumé a tiré sur une fille de 16 ans dans le camp de Bulengo près de Goma. Celle-ci est décédée de ses blessures deux jours plus tard. Le 11 juillet, un soldat congolais présumé a tué une fillette de 7 ans dans le camp de Lushagala, selon le témoignage d’un proche et l’examen d’une vidéo. « Un soldat a refusé de payer ses verres et une bagarre a éclaté », a raconté un témoin. « Il s’est mis à tirer et a tué une fillette et blessé d’autres personnes. La population s’est mise en colère et a lynché le soldat. »
Les habitants ont exprimé leurs inquiétudes au sujet d’attaques mortelles à la grenade dans les camps de déplacés, mais Human Rights Watch n’a pas été en mesure d’en déterminer la responsabilité. Le 4 avril, une explosion de grenade dans le camp de Shabindu-Kashaka a tué un garçon de 16 ans et blessé 12 autres personnes, dont un garçon de 11 ans gravement blessé. Human Rights Watch a confirmé que des explosions de grenades dans le camp de Lushagala le 6 avril ont tué 4 personnes et en ont blessé 11 autres.
Dans le camp de Kanyaruchinya, des combattants Wazalendo ont illégalement détenu et extorqué des personnes déplacées dans une fosse connue sous le nom de « kiboro ». Les combattants ont détenu deux personnes le 19 mai après que l’une d’elles s’est plainte que le chef du camp ne payait pas les personnes pour le transport de nourriture et d’autres marchandises.
« Nous avons passé la nuit dans le kiboro – c’est un trou au-dessus duquel ils ont mis des planches de bois, une bâche et un peu d’herbe », a décrit l’un des hommes. Les deux hommes ont raconté que les Wazalendo leur ont volé environ 500 dollars US, leurs téléphones, leurs chaussures et leurs ceintures, et les ont accusés de soutenir le M23 et d’inciter les habitants du camp à retourner dans les zones contrôlées par le M23.
Un autre homme a indiqué que les combattants Wazalendo l’avaient détenu en mars pour vol présumé et l’avaient enfermé dans le kiboro pendant une nuit : « Ils m’ont frappé avec des bâtons sur les fesses, et quand j’ai bougé, ils m’ont frappé partout… sur le dos, le flanc.Jusqu'à aujourd'hui, je ressens toujours une douleur au niveau du rein droit. » Il a raconté que son père, qui a dû verser un pot-de-vin pour le faire libérer, avait déjà été détenu pendant trois jours dans le kiboro en janvier : « Lorsque les souffrances deviennent trop intenses, vous devez payer pour ne pas mourir. »
D’anciens détenus ont expliqué qu’on leur donnait de la nourriture une fois par jour, peu ou pas d’eau, et qu’ils devaient dormir dans la boue lorsqu’il pleuvait. Certains ont été enfermés avec les membres ligotés par une corde et ont été battus. Un ancien détenu a raconté que les combattants de la milice l’ont fouetté matin et soir avec un câble électrique pendant deux semaines jusqu’à ce que sa famille accepte de payer 2500 dollars US.
En mai, le gouverneur du Nord-Kivu a ordonné aux combattants Wazalendo et aux soldats congolais de cesser d’entrer dans les camps ou de venir désarmés s’ils entraient dans un camp pour rendre visite à des proches. « Malgré la décision des autorités provinciales d’interdire aux hommes armés d’entrer dans les camps, ils y sont souvent », a constaté Jacinthe Maarifa, un bénévole travaillant dans les camps de déplacés. « Cela exacerbe le climat de violence. »
Le 9 juin, le général Janvier Ngowa, un commandant du groupe armé connu sous le nom d’Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain (APCLS) et des VDP, a déclaré à Human Rights Watch : « Nous voulons créer une unité mixte, pour superviser. C’est le gouverneur qui nous a appelés et nous a dit de faire sortir les éléments des camps. C’est vrai qu’avant il y avait des meurtres, des viols et autres. Mais quand nous avons essayé de voir ce qui se passait, nous n’avons pas arrêté les hommes. »
Violences sexuelles
Des personnes déplacées, des chefs de camps et des travailleurs humanitaires ont tous indiqué que la présence d’hommes armés dans les camps de déplacés et la nécessité pour les habitants de quitter les camps pour aller chercher du bois de chauffage et de la nourriture exposaient les femmes à un risque accru de violences sexuelles. Les survivantes de violences sexuelles, qui constituent un crime de guerre, ont affirmé que leurs agresseurs portaient un uniforme ou étaient armés, mais qu’elles avaient toutefois du mal à identifier l’unité militaire concernée, puisque différentes forces portant des uniformes et des vêtements variés se trouvaient dans la zone.
Jacinthe Maarifa, le bénévole du camp, a expliqué : « Des hommes armés non identifiés sont régulièrement accusés par les déplacés de violer des femmes dans les camps ou dans les zones voisines ». Un travailleur humanitaire a déclaré qu’entre 50 et 100 cas de viol ou d’agression sexuelle étaient enregistrés chaque semaine dans certains camps.
Cinq survivantes avec lesquelles Human Rights Watch a mené des entretiens ont identifié leurs agresseurs comme étant des Wazalendo ; trois d’entre elles ont décrit avoir été violées par des combattants du M23 alors qu’elles se rendaient chez elles dans des zones contrôlées par le M23 pour chercher de la nourriture, et une a indiqué qu’elle n’était pas en mesure d’identifier ses agresseurs.
Une femme de 31 ans a été violée dans le camp de Mugunga le 28 mai par un homme qui lui a semblé être un soldat congolais en raison de l’uniforme qu’il portait. L’homme a menacé de la tuer avec un couteau, tandis que deux autres montaient la garde devant sa tente. « J’ai des ecchymoses foncées parce que j’ai essayé de lui résister », a-t-elle raconté. « Tout le monde sait que j’ai été violée. Mon mari n’est jamais revenu après l’avoir appris. »
Les femmes dans les camps ont indiqué qu’elles craignaient d’être attaquées lorsqu’elles quittaient les sites pour chercher de la nourriture, ce qui était indispensable car les camps ne recevaient pas assez de denrées alimentaires. Une femme de 26 ans qui est arrivée dans le camp de Mugunga en février a raconté qu’elle avait été violée en mai alors qu’elle ramassait du bois de chauffage dans un endroit connu sous le nom de « Shovu » dans un parc à proximité. « J’étais seule dans la forêt quand un homme portant un vieil uniforme militaire [tenue généralement portée par les Wazalendo] m’a arrêtée et a dit qu’il voulait coucher avec moi », a décrit la femme. « J’ai dit non, et il m’a demandé si je pensais être plus forte que lui... Il a dit qu’il me tuerait si je refusais. »
Les femmes ont également expliqué qu’elles franchissaient la ligne de front pour accéder à leurs champs dans les zones proches de Sake. Une femme de 35 ans qui a été violée en mai a raconté : « Des rebelles du M23 sont venus chez moi et m’ont demandé pourquoi j’étais ici. Ils m’ont accusée d’avoir été envoyée par l’ennemi pour espionner... Je n’ai pas eu le choix, quatre d’entre eux m’ont violée. » Après son retour au camp et une consultation médicale, elle a été informée qu’elle avait contracté une maladie sexuellement transmissible. Une autre femme a expliqué qu’elle et sept autres femmes se sont rendues dans leurs maisons à Shasha, une zone contrôlée par le M23, pour récupérer des fournitures et des denrées alimentaires. Les combattants du M23 les ont empêchées de quitter Shasha pendant trois jours et les ont violées à plusieurs reprises.
Recommandations
- Toutes les parties au conflit armé dans le Nord-Kivu devraient respecter leurs obligations en vertu du droit international humanitaire et relatif aux droits humains.
- Les autorités congolaises devraient agir pour garantir que le caractère civil et humanitaire des camps de déplacés soit respecté, conformément à la Convention de l’UA de 2012 sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (Convention de Kampala). Les forces armées congolaises devraient s’abstenir de déployer des positions d’artillerie à proximité des camps et d’autres zones densément peuplées.
- Les forces armées rwandaises devraient cesser les attaques menées sans discernement qui touchent des civils.
- Les gouvernements rwandais et congolais devraient mettre fin au soutien militaire qu’ils fournissent à des groupes armés non étatiques violents, dont le M23 et la coalition Wazalendo/VDP, un soutien qui est susceptible de les rendre complices de crimes de guerre.
- La RD Congo et le Rwanda devraient mener des enquêtes et traduire en justice de manière appropriée les responsables de crimes de guerre, y compris de violences sexuelles, en vertu du principe de la responsabilité du commandement.
- La RD Congo et le Rwanda devraient faciliter l’acheminement de l’assistance humanitaire à tous les civils exposés à des risques, y compris en permettant l’accès à un soutien juridique, social et médical pour les victimes de violences sexuelles.
- La RD Congo et le Rwanda devraient approuver la Déclaration politique de 2022 sur le renforcement de la protection des civils contre les conséquences humanitaires découlant de l’utilisation d’armes explosives dans les zones peuplées.
- Les Nations Unies, l’UE et les États-Unis devraient maintenir et étendre les sanctions contre les hauts commandants du M23, les dirigeants d’autres groupes armés et les hauts cadres de la RD Congo, du Rwanda et de toute la région reconnus responsables ou complices d’abus graves commis récemment par leurs forces ou par des personnes qui se trouvent sous leur commandement.
- L’UE et ses États membres devraient surveiller et réévaluer leur assistance militaire aux forces armées rwandaises et congolaises pour s’assurer qu’ils ne contribuent pas directement ou indirectement à des opérations militaires abusives dans l’est de la RD Congo.
- Les Casques bleus des Nations Unies et la mission de la SADC devraient agir pour améliorer la protection des civils dans les camps, faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire et permettre aux femmes et aux filles, et aux filles en particulier, de se rendre sur les marchés ou ramasser du bois de chauffage en toute sécurité.
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