La situation sécuritaire et des droits humains en RD Congo a continué de se dégrader, notamment dans les provinces de l’est du pays. L’administration du Président Félix Tshisekedi a peu avancé dans la mise en œuvre des réformes systémiques sur lesquelles il s’était engagé pour rompre les cycles de violence, d’exactions, de corruption et d’impunité qui accablent le pays depuis des décennies.
Dans un climat d’intolérance croissante à l’égard des voix dissidentes, la répression à l’encontre des journalistes, des activistes, des détracteurs du gouvernement et des manifestants pacifiques s’est poursuivie.
Dans l’est du pays, l’état de siège imposé un an plus tôt au Nord-Kivu et en Ituri n’est pas parvenu à endiguer la violence généralisée et les atrocités perpétrées par de nombreux groupes armés contre les civils. Dans ces deux provinces, les groupes armés et les forces gouvernementales ont tué plus de 2 000 personnes entre janvier et fin octobre.
En pleine résurgence et soutenus par le Rwanda, les rebelles du M23 ont lancé leur plus grande offensive contre les forces gouvernementales depuis une décennie, s’emparant de portions de territoires au Nord-Kivu, et aggravant la situation humanitaire déjà déplorable dans la région.
Selon les Nations Unies, près de 5,6 millions de personnes étaient déplacées à travers le pays au mois de juillet, dont plus de 1,6 million en Ituri et plus de 1,8 million au Nord-Kivu.
En août, une force militaire est-africaine a commencé à déployer ses troupes dans l’est du Congo, dans un contexte de tensions régionales ; la Mission de Stabilisation de l’Organisation des Nations Unies en RD Congo, la MONUSCO, a été accusée à plusieurs reprises d’échouer dans sa mission de protection des civils, ce qui a déclenché des violences et le pillage de plusieurs de ses bases.
Liberté d’expression, réunion pacifique et médias
Les libertés d’expression et d’association se sont gravement détériorées dans les deux provinces de l’est du pays placées sous état de siège. Initialement imposé en réponse à l’insécurité dans la région, les autorités militaires ont utilisé l’état de siège pour réprimer des manifestations pacifiques par la force meurtrière, détenir arbitrairement et poursuivre des activistes, des journalistes et des membres de l’opposition politique en justice.
En janvier, les forces de sécurité ont tué Mumbere Ushindi, âgé de 22 ans et membre du mouvement citoyen Lucha (Lutte pour le changement), lors d’une manifestation contre l’état de siège à Beni. En août, 13 activistes de la Lucha ont été libérés après neuf mois passés en détention pour s’être opposés à l’état de siège.
En avril, la police a recouru à un usage excessif de la force pour disperser un sit-in organisé devant le parlement à Kinshasa par des partisans de l’opposition qui réclamaient un consensus autour de la loi électorale, blessant au moins 20 manifestants.
En septembre, les forces de sécurité ont fait un usage excessif de la force pour disperser la manifestation pacifique d’un syndicat médical à Kinshasa, faisant plusieurs blessés.
Attaques de groupes armés et des membres des forces gouvernementales contre des civils
Environ 120 groupes armés étaient actifs dans les provinces de l’Ituri, du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et du Tanganyika dans l’est de la RD Congo, dont plusieurs groupes comprenant des combattants venus du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi voisins. Nombre de leurs commandants ont été impliqués dans des crimes de guerre, notamment des massacres, des violences sexuelles, le recrutement d’enfants, des actes de pillage et des attaques contre des écoles et des hôpitaux.
Divers acteurs armés, dont certains n’ont pas été identifiés, ont tué au moins 2 446 civils dans les provinces du Sud-Kivu, du Nord-Kivu et de l’Ituri entre janvier et fin octobre, d’après des données recueillies par le Baromètre sécuritaire du Kivu, qui documente les violences perpétrées dans l’est de la RD Congo. Ce bilan comprend au moins 155 civils tués par les forces de sécurité congolaises.
Les opérations militaires menées conjointement par la RD Congo et l’Ouganda contre les Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces, ADF), un groupe armé dirigé par des Ougandais ayant des liens avec le groupe armé extrémiste de l’État islamique (EI), n'ont pas mis fin aux attaques meurtrières des ADF contre les civils au Nord-Kivu et en Ituri.
Au Nord-Kivu, le groupe rebelle du M23 a attaqué les positions des troupes gouvernementales près de Goma. Responsables d’exactions généralisées en 2012 et 2013, notamment de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, les rebelles du M23 ont délibérément tué au moins 29 civils dans des zones placées sous leur contrôle en juin et juillet, et des dizaines d’autres au cours du dernier trimestre.
Dans un rapport confidentiel présenté au Conseil de sécurité de l’ONU qui a fuité dans les médias en août, le Groupe d’experts onusiens sur la RD Congo a indiqué avoir des « preuves solides » attestant que les forces rwandaises apportaient un soutien direct aux combattants du M23. Le Rwanda a réfuté ces accusations.
Les pays de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), à laquelle la RD Congo a adhéré en avril, ont convenu de mettre sur pied une force régionale pour combattre les groupes armés dans l’est du Congo.
Fin avril et début décembre, le Kenya a accueilli des pourparlers entre le gouvernement congolais et plusieurs groupes armés dans le but d’obtenir la reddition et la démobilisation des combattants. Les autorités ont échoué à démarrer leur programme de démobilisation pour prendre en charge plusieurs milliers de combattants issus de différents groupes armés, provoquant le retour d’un grand nombre d’entre eux dans leurs groupes armés.
Les tensions sont restées vives dans les hauts-plateaux du Sud-Kivu, avec des combats impliquant plusieurs groupes armés, dont certains sont soutenus par des pays voisins. En août, des troupes burundaises, qui menaient des incursions secrètes depuis fin 2021, sont entrées au Sud-Kivu au titre du premier déploiement de la force de la CAE.
En juillet, des violences ont éclaté à Kwamouth, dans la province occidentale du Mai-Ndombe, entre des communautés ethniques Teke et Yaka sur fond de conflit foncier et coutumier. Des dizaines de personnes auraient été tuées, et des milliers d’autres déplacées. Une délégation gouvernementale de haut niveau s’est rendue sur place en août, et des militaires congolais y ont été déployés pour renforcer la sécurité.
Justice et obligation de rendre des comptes
Un procès d’une durée de quatre années n’a pas permis d’établir toute la vérité sur l’assassinat en 2017 de deux enquêteurs des Nations Unies, Zaida Catalán et Michael Sharp, et sur le sort de leur interprète congolais, Betu Tshintela ; du chauffeur de moto Isaac Kabuayi ; et de deux autres chauffeurs de motos non identifiés.
Le 29 janvier, un tribunal militaire à Kananga a condamné à mort 49 accusés, dont beaucoup par contumace, pour divers chefs d’accusation, notamment pour terrorisme, meurtre et le crime de guerre de mutilation. Un officier de l’armée, le colonel Jean de Dieu Mambweni, a été condamné à dix ans de prison pour désobéissance aux ordres. Un agent local des services de l’immigration, Thomas Nkashama, figure parmi les personnes condamnées à mort. L’accusation n’a pas cherché à déterminer qui avait planifié et ordonné ces meurtres, ignorant les informations selon lesquelles des hauts fonctionnaires congolais auraient été impliqués.
En mars, le gouvernement a lancé des consultations nationales sur une nouvelle initiative de justice transitionnelle et réaffirmé son engagement à établir les responsabilités pour les crimes graves commis à travers le pays. Mais ces consultations n’ont que peu progressé et l’administration de Tshisekedi n’a pas pris de mesures concrètes pour mettre fin à l’impunité.
Le 11 mai, la Haute Cour militaire a confirmé les verdicts de culpabilité de deux officiers supérieurs de la police congolaise dans l’assassinat de l’éminent défenseur des droits humains Floribert Chebeya et de son chauffeur, Fidèle Bazana, en 2010. L’ancien colonel Christian Ngoy Kenga Kenga a été condamné à la peine de mort—commuée en peine de prison à perpétuité— et l’ancien lieutenant Jacques Mugabo à 12 ans de prison. Le tribunal a acquitté l’ancien major Paul Mwilambwe. Bien que ce procès représente un pas positif pour la justice et l’obligation de rendre des comptes en RD Congo, plusieurs individus qui auraient été impliqués dans l’assassinat n’ont pas encore été poursuivis. Le général John Numbi, ancien chef de la police suspecté d’être impliqué, a fui le pays en 2021 et restait en fuite au moment de la rédaction de ce rapport.
Peu de progrès ont été réalisés concernant le procès visant à déterminer les coupables des massacres commis en décembre 2018 dans le territoire de Yumbi, dans le nord-ouest du pays, lors desquels au moins 535 personnes ont été tuées. Le procès a commencé en 2021.
En juin, l’ancien directeur de cabinet Vital Kamerhe a été acquitté par une cour d’appel après avoir été condamné en 2020 à 20 ans de prison pour le détournement de près de 50 millions de dollars.
En août, l’ancien proche de Tshisekedi et responsable de son parti politique, Jean-Marc Kabund, a été arrêté pour outrage au chef de l’État. Kabund a été exclu du parti présidentiel en juillet et a formé son propre parti d’opposition.
Toujours en août, l’ancien conseiller en sécurité de Tshisekedi, François Beya, a été remis en liberté provisoire pour raisons de santé. Il avait été arrêté début février, accusé de complot contre le président, et son procès avait démarré en juin.
Gédéon Kyungu, un chef de guerre responsable d’atrocités dans la région du Katanga, dans le sud du pays, qui s’est échappé de sa résidence surveillée à Lubumbashi en mars 2020, était toujours en fuite au moment de la rédaction de ce rapport.
Le chef de milice Guidon Shimiray Mwissa, recherché par les autorités congolaises pour des crimes graves, dont des viols et le recrutement d’enfants, demeurait actif au Nord-Kivu, où il commandait une faction du Nduma défense du Congo-Rénové (NDC-R). En mai, Guidon a rejoint une coalition de groupes armés, dont certains étaient rivaux, qui ont combattu aux côtés des forces congolaises contre le M23.
Environnement et droits humains
Le territoire de la RD Congo abrite la majeure partie de la deuxième plus grande forêt tropicale de la planète, qui contient des milliards de tonnes de carbone dans ses sous-sols et où vivent des populations autochtones.
En avril, le ministère de l’Environnement a rendu public un audit réalisé par l’Inspection générale des finances, daté de mai 2021, qui révélait qu’au moins six anciens ministres avaient délivré des permis d’exploitation forestière en violation d’un moratoire national. Cet audit a également souligné l’évasion fiscale généralisée de la part des titulaires de concessions. Le gouvernement a suspendu 12 concessions, sans toutefois résilier tous les permis illégaux.
En novembre, le président Tshisekedi a promulgué la loi de Protection et de promotion des droits des peuples autochtones pygmées.
En juillet, le gouvernement a mis aux enchères les droits d’exploitation de 27 blocs pétroliers et 3 blocs gaziers, ouvrant ainsi au forage une superficie estimée à 11 millions d’hectares de forêt tropicale. Le forage de ces blocs pourrait libérer jusqu’à 5,8 milliards de tonnes de carbone, soit plus de 14 % de la totalité des émissions de gaz à effet de serre dans le monde en 2021.
Principaux acteurs internationaux
En juin, le roi Philippe de Belgique s’est rendu en RD Congo pour la première fois et a réitéré ses « plus profonds regrets » pour les exactions commises à l’époque coloniale, mais n’a pas présenté d’excuse ni abordé la question des réparations. Les autorités belges ont rendu une dent qui avait été prélevée sur le corps du héros de l’indépendance congolaise assassiné Patrice Lumumba à sa famille. Cette relique du premier chef de gouvernement du pays a été transportée à travers la RD Congo avant la tenue de funérailles à Kinshasa.
En août, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a rencontré le Président Tshisekedi à Kinshasa et s’est engagé à fournir 10 millions de dollars supplémentaires pour promouvoir une participation politique pacifique et des élections transparentes.
En décembre, l’Union européenne a ajouté huit personnes à sa liste de sanctions (gel des avoirs financiers et interdictions de séjour) portant à 17 le nombre de personnes, dont des hauts fonctionnaires, faisant l’objet de mesures restrictives. Au cours du même mois, le Conseil de sécurité des Nations Unies a prorogé le mandat de la MONUSCO d’un an.