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Tchad : La transition politique s’achève avec l’élection de Mahamat Idriss Déby

Le fils de l’ex-président a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle plusieurs semaines après le meurtre d’un opposant

Le président tchadien Mahamat Idriss Déby en réunion de campagne en tant que président de la transition à N'Djamena, au Tchad, le 4 mai 2024. © 2024 JEROME FAVRE/EPA-EFE/Shutterstock

(Nairobi) – La transition politique au Tchad s’est conclue par des violences, alors qu’au moins neuf civils, et probablement plus, auraient été tués par des tirs de célébration de soldats et de civils, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Le 9 mai 2024, l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE) a annoncé que le président par intérim, le général Mahamat Idriss Déby, avait remporté le scrutin du 6 mai, citant des résultats provisoires. Son principal rival, le Premier ministre Succès Masra, s’est déclaré vainqueur dans une annonce séparée sur les réseaux sociaux.

La période pré-électorale ainsi que les jours qui ont suivi le vote le scrutin ont été marqués par des violences. Le 28 février, des membres des forces de sécurité ont tué Yaya Dillo, président du Parti socialiste sans frontières (PSF) et potentiel candidat de l’opposition aux élections, lors d’une attaque perpétrée au siège de ce parti à N’Djamena, la capitale du pays. Human Rights Watch a demandé l’ouverture d’une enquête indépendante sur son meurtre. Le jour du vote, des violences ont éclaté à Moundou, une ville du sud du pays, et un homme qui tentait de voter a été tué. Après l’annonce des résultats, des tirs de célébration par les forces de sécurité et des civils ont retenti dans tout N’Djamena, tuant au moins neuf personnes selon des médias locaux.

« Le président Mahamat Idriss Déby a consolidé son pouvoir alors que la période de transition est désormais achevée », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Alors que le résultat de l’élection a déjà été contesté, l’ouverture d’une enquête sur les violences avant et après le vote est primordiale. »

Les autorités électorales ont annoncé que Mahamat Idriss Déby avait remporté 61,03% des voix – bien au-delà des 50% nécessaires pour éviter un second tour – et que Succès Masra avait remporté 18,53% des voix.

Si des organisations internationales, comme l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), ont tenté de surveiller le déroulement des élections, elles n’ont pas eu la capacité de le faire de manière systématique dans l’ensemble du pays. Le gouvernement intérimaire a refusé d’accréditer des organisations nationales de la société civile financées par l’Union européenne pour surveiller les élections. Succès Masra a fait état de menaces contre lui et ses partisans depuis le vote.

Le 23 mars, la plateforme de la société civile Wakit Tamma, qui a joué un rôle déterminant dans les manifestations prodémocratie, avait appelé au boycott, qualifiant l’élection de « mascarade » visant à soutenir une « dictature dynastique ».

L’ancien président Idriss Déby est décédé en avril 2021 lors de combats avec un groupe armé, avant que l’armée ne confère le pouvoir à son fils, Mahamat Idriss Déby, dans le cadre d’une transition contraire à la constitution. Le gouvernement de Mahamat Idriss Déby a violemment réprimé les manifestations continues réclamant le retour à un régime civil, notamment lors de la  répression sanglante du 20 octobre 2022. Ce jour-là, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de N’Djamena et de plusieurs autres villes du sud du Tchad, notamment Moundou, Doba et Sarh, pour protester contre la décision du gouvernement de transition de prolonger la période de transition. Une nouvelle constitution a été adoptée à l’issue d’un référendum en décembre 2023, permettant à Mahamat Idriss Déby de se présenter à la présidence.

Dans les mois précédant le vote, l’espace politique s’est restreint pour le parti des Transformateurs de Succès Masra. Malgré un mandat d’arrêt émis contre ce dernier, il a été nommé Premier ministre en janvier dans le cadre d’un accord politique.

Yaya Dillo, le président du Parti socialiste sans frontières, était considéré comme un opposant politique de premier plan à Mahamat Idriss Déby. Yaya Dillo et Mahamat Idriss Déby seraient des cousins issus de l’ethnie Zaghawa. Il a été largement relayé que Yaya Dillo se préparait à se présenter à la présidence, même s’il n’avait pas fait de déclaration publique allant dans ce sens. Une enquête indépendante sur la mort de Yaya Dillo devrait être une priorité pour le gouvernement Mahamat Idriss Déby, a déclaré Human Rights Watch.

Carte d'identité d'Enock Neratar. © 2024 Private

Le jour du scrutin, un groupe d’hommes a tenté d’accéder à un bureau de vote à Moundou. N’ayant pas présenté de pièces d’identité, ils ont été invités à quitter le bureau de vote. Un témoin a déclaré à Human Rights Watch que les hommes ont alors commencé à tirer aux abords du lieu de vote : « C’était le chaos et un homme a été touché ». Il a poursuivi : « Les militaires et les gendarmes sont arrivés sur place, mais les assaillants étaient déjà repartis et les autorités ont déclaré qu’elles n’avaient aucune idée de qui ils pouvaient être. » Enock Neratar, la victime, a reçu une balle dans le ventre alors qu’il attendait pour voter, est décédé sur le coup. Il a été inhumé le 9 mai.

Alors que l’ANGE, l’Agence nationale de gestion des élections, disposait de 12 jours supplémentaires pour annoncer les résultats, elle a rendu public le décompte provisoire le 9 mai. Dans son discours sur les réseaux sociaux juste avant l’annonce des résultats, Succès Masra a revendiqué la victoire et a appelé les forces de sécurité et ses partisans à s’opposer à ce qu’il considérait comme une tentative de confiscation du vote. S’adressant au peuple tchadien, il a déclaré : « Ne vous laissez pas voler votre destin.», tout en réitérant que toute mobilisation devait se faire « pacifiquement ».

Human Rights Watch a pris connaissance de plusieurs vidéos et photos prises à N’Djamena le 9 mai, qui montrent de nombreux militaires tchadiens occupant des positions stratégiques dans la ville, ainsi que plusieurs vidéos montrant des soldats tirant des coups de feu pour célébrer la victoire de Mahamat Idriss Déby. Les médias locaux ont indiqué que les tirs dans la capitale avaient tué 9 civils et blessé 60 autres.

Les tirs étaient en partie concentrés dans des quartiers considérés comme des bastions du parti des Transformateurs. « Ces tirs sont une menace pour nous, ils nous adressent un message : si vous descendez dans la rue pour protester, nous vous tuerons », a déclaré un membre du parti à Human Rights Watch. Sur leur page Facebook, les Transformateurs ont fait état de tirs nourris devant la résidence de Succès Masra, dans le quartier de Gassi, dans le septième arrondissement de N’Djamena, un quartier densément peuplé à l’extérieur du centre-ville.

« La période pré-électorale a été marquée par des violences et la société civile, les journalistes et les opposants craignent que certains Tchadiens, frustrés par les résultats du scrutin, ne descendent dans la rue », a déclaré Lewis Mudge. « Le président Déby devrait demander sans équivoque et publiquement aux services de sécurité de ne pas recourir à la violence contre les manifestants, et les avertir que ceux qui le feraient seraient tenus pour responsables de leurs actes et s’exposeraient à de sévères sanctions. »

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