(Nairobi,) – Les arrestations de partisans du principal parti d’opposition au Tchad semblent constituer une tentative de limiter la dissidence politique avant le référendum constitutionnel à venir, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les arrestations ont eu lieu quelques jours après l’apparition sur les réseaux sociaux d’un mandat d’arrêt à l’encontre du chef du parti Les Transformateurs, en date de juin 2023. Au moins 72 membres et sympathisants du parti sont détenus depuis le 8 octobre.
Succès Masra, le président des Transformateurs, qui a quitté le pays après la répression violente de manifestations politiques en 2022, a informé le ministre de la Sécurité publique le 5 octobre 2023 dans une lettre qu’il prévoyait de rentrer au pays le 18 octobre. Plus tard dans la journée du 5 octobre, le mandat d’arrêt émis en juin par les autorités tchadiennes est apparu sur les réseaux sociaux. Ce mandat indique que Succès Masra est recherché pour plusieurs crimes, notamment pour « tentative d’atteinte à l’ordre constitutionnel, incitation à la haine et à un soulèvement insurrectionnel ».
« Le gouvernement de transition du Tchad devrait respecter les principes fondamentaux de la pluralité politique alors que le pays prépare le terrain pour une nouvelle constitution », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Menacer un leader de l’opposition d’arrestation et placer ses partisans en détention montre clairement que les libertés fondamentales ne sont pas encore garanties. »
La détention des partisans des Transformateurs intervient quelques semaines avant l’anniversaire des manifestations du 20 octobre 2022, durant lesquelles des milliers de personnes sont descendues dans les rues de N’Djamena, la capitale du pays, et d’autres villes du sud du pays pour protester le jour où l’administration militaire avait initialement promis de transmettre le pouvoir à un gouvernement civil. Avant la mobilisation de masse de 2022, le gouvernement de transition avait, à plusieurs reprises, violemment réprimé les manifestants qui réclamaient un retour à un régime démocratique civil.
Dans un rapport publié en février, la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) a indiqué que 128 personnes avaient été tuées et 518 blessées le 20 octobre 2022. La Commission a constaté que les forces de sécurité « ont systématiquement violé plusieurs droits fondamentaux de l’Homme... en utilisant des moyens disproportionnés » pour réprimer les manifestations. La Commission a posé plusieurs questions au gouvernement, y compris sur les raisons pour lesquelles aucune enquête judiciaire n’avait été ouverte sur les violations des droits humains, et a formulé des recommandations à l’intention des autorités militaires de transition, notamment celle d’engager des poursuites judiciaires à l’encontre des personnes responsables de graves abus.
Un membre du parti qui a été placé en détention puis relâché le 8 octobre 2023 a déclaré que la police avait encerclé environ une centaine de sympathisants du parti en train de faire du sport aux alentours de 6h15 du matin dans le quartier de Gassi à N’Djamena. « Nous étions simplement en train de [faire du sport] lorsqu’ils nous ont encerclés et arrêtés », a-t-il déclaré à Human Rights Watch.
Au moins 78 personnes ont été conduites au siège de l’Agence nationale de sécurité (ANS), où 72 d’entre elles se trouvent toujours. Six personnes ont été libérées le 8 octobre sans avoir été inculpées. Les avocats des accusés ont déclaré que les membres du parti détenus n’ont été inculpés d’aucun crime et qu’ils n’ont pas non plus eu accès aux membres de leur famille ou à un avocat. Le 9 octobre, certains proches ont été autorisés à donner du pain aux détenus par l’intermédiaire de leurs gardes.
La loi tchadienne exige que toute détention provisoire de plus de 48 heures soit renouvelée par un responsable judiciaire, or on ignore pour l’instant si cette détention provisoire a été renouvelée. Les normes fondamentales d’une procédure régulière devraient être respectées, notamment le transfert des détenus vers un centre de détention officiel et leur présentation devant un procureur pour confirmer les charges qui pèsent contre eux, garantir l’accès à des avocats et aux membres de leurs familles, ou les libérer, a déclaré Human Rights Watch.
Le membre du parti qui a été libéré a déclaré que les questions des autorités portaient uniquement sur le fait de savoir s’il était oui ou non membre des Transformateurs et si des groupes de membres du parti prenaient des mesures pour préparer le trajet de Succès Masra depuis l’aéroport vers le siège de son parti, dans le quartier d’Abena.
Après les manifestations de masse du 20 octobre 2022, les autorités militaires tchadiennes ont suspendu Les Transformateurs, d’autres partis politiques et des organisations de la société civile réunis au sein d’une coalition connue sous le nom de Wakit Tama, « Le temps est venu » en arabe tchadien. Ces suspensions ont été levées au bout de trois mois et Succès Masra a quitté le Tchad quelques jours plus tard. Le 18 octobre 2023, ce sera la première fois qu’il reviendra au Tchad depuis son départ.
Mahamat Idriss Déby Itno est à la tête du Conseil militaire de transition (CMT) depuis la mort soudaine de son père, Idriss Déby Itno, en 2021. Un nouveau projet de constitution proposé par le gouvernement de transition a été adopté en juin 2023 par 96 pourcent des membres du Conseil national de transition, qui a remplacé l’Assemblée nationale dissoute après la mort d’Idriss Déby Itno. La nouvelle constitution sera soumise à un référendum en décembre. Les élections présidentielles sont prévues pour 2024.
Les récentes arrestations suivent un schéma bien connu au Tchad ces dernières années. Les forces de sécurité ont commencé à réprimer les manifestants et l’opposition politique à l’approche de l’élection présidentielle du 11 avril 2021, lors de laquelle le président Idriss Déby Itno s’est présenté pour un sixième mandat. Elles ont arrêté au moins 112 membres et sympathisants de partis d’opposition et activistes de la société civile, en passant à tabac et en maltraitant sévèrement certains d’entre eux. Après la mort d’Idriss Déby Itno et le transfert inconstitutionnel du pouvoir au CMT, les forces de sécurité ont fait un usage disproportionné de la force contre des opposants, tuant ainsi certains manifestants et blessant des dizaines d’autres. Elles ont arrêté plus de 700 personnes, dont la plupart ont finalement été relâchées.
« Les actes que pose le gouvernement de transition du Tchad aujourd’hui sont importants », a déclaré Lewis Mudge. « Pour que ce référendum ait une quelconque légitimité, les partis d’opposition et leurs dirigeants doivent se sentir libres de se réunir et de faire campagne. Dans le cas contraire, le référendum risque d’être perçu comme un moyen de transformer le gouvernement de transition en un gouvernement permanent. »