(Nairobi) – Les forces de sécurité tchadiennes ont fait un usage excessif de la force, y compris le recours indiscriminé à des balles réelles, pour disperser des manifestations dirigées par l’opposition à travers le pays à la suite des élections du 11 avril, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Lors des manifestations qui se sont déroulées fin avril et courant mai, au moins sept personnes ont été tuées, et des dizaines ont été blessées. Les forces de sécurité ont aussi arrêté plus de 700 personnes, dont plusieurs ont fait état de mauvais traitements, notamment d’actes de torture commis en détention.
Les tensions sont vives au Tchad depuis la mort inattendue du président Idriss Déby, qui aurait succombé à ses blessures à la suite d’affrontements entre rebelles et forces gouvernementales dans la province du Kanem occidental. L’armée a annoncé sa mort le 20 avril, au lendemain de sa réélection pour un sixième mandat, lors d’un scrutin largement boycotté par l’opposition en raison de la violence et de la répression généralisées. Un conseil militaire de transition dirigé par Mahamat Idriss Déby Itno, le fils de Déby, a pris le contrôle du pays le 20 avril, mais cet organe fait l’objet de critiques sur le plan national et international, sur fond d’appels répétés à une transition dirigée par des civils et à des élections crédibles.
« La répression brutale exercée par le Tchad contre les opposants, les dissidents et d’autres personnes risque de plonger le pays davantage encore dans l’instabilité », a prévenu Ida Sawyer, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les autorités devraient immédiatement mettre un terme aux abus commis par les forces de sécurité et demander des comptes aux individus qui ont fait un usage excessif de la force contre des manifestants pacifiques. »
Des centaines de membres et sympathisants de partis d’opposition et d’organisations de la société civile unis au sein d’une coalition connue sous le nom de Wakit Tama (« Le temps est venu », en arabe tchadien), et d’autres habitants ont manifesté à N’Djamena, la capitale, ainsi qu’à Moundou, Doba, et d’autres villes à travers le pays, les 27 et 28 avril, puis les 8 et 19 mai. Les manifestants ont contesté l’interdiction des manifestations par le conseil militaire de transition, exigeant une transition vers un régime civil. Ils se sont également mobilisés contre le soutien initial de la France à la prise de pouvoir militaire et son ingérence présumée dans les affaires politiques tchadiennes.
Les autorités militaires de transition ont déclaré le 28 avril que six personnes ont trouvé la mort lors des manifestations du 27 avril, sans préciser les lieux ni les circonstances. Des organisations de la société civile ont déclaré que 15 personnes ont été tuées et 36 blessées lors des manifestations des 27 et 28 avril à travers tout le Tchad.
Sur la base d’entretiens téléphoniques avec 45 interlocuteurs entre le 29 avril et le 27 mai, dont six manifestants et passants blessés par les forces de sécurité lors des manifestations, Human Rights Watch a été en mesure de confirmer la mort de sept personnes, dont six hommes tués à N’Djamena et un à Moundou, ainsi que les blessures de sept personnes à N’Djamena et Doba. Parmi les personnes interrogées, figurent sept manifestants précédemment détenus, et 20 témoins d’abus et des proches des victimes, ainsi que 12 personnels de santé, journalistes, membres des partis d’opposition et des représentants de la société civile. Human Rights Watch a corroboré les récits des victimes et des témoins à l’aide de dossiers médicaux, de déclarations officielles du conseil militaire de transition, de photographies et de vidéos.
Le 11 juin, Human Rights Watch a transmis par courriel ses conclusions à Mahamat Ahmat Alhabo, le ministre de la Justice, en lui demandant des réponses à des questions spécifiques, auxquelles il n’a pas répondu jusqu’à présent.
Des témoins et des membres de la famille ont soutenu que les forces de sécurité, notamment la police et les soldats, étaient en grande partie responsables des meurtres et des blessures. Dans deux cas, les victimes ont été tuées par des hommes armés non identifiés en tenue civile qui sont arrivés aux manifestations à peu près en même temps que les forces de sécurité, dans des véhicules banalisés, et ont tiré sur des civils en présence de membres des forces de sécurité en uniforme, qui ne sont pas intervenus.
Les forces de sécurité et d’autres membres des autorités ont également arrêté, menacé et intimidé des témoins et des manifestants, dont des victimes qui recevaient des soins dans des centres de santé.
La police a abattu Adouksouma Balama Mathieu, un étudiant âgé de 26 ans qui a participé aux manifestations du 27 avril dans le quartier de Walia à N’Djamena. « La police a lancé des grenades lacrymogènes et effectué des tirs de sommation en l’air, mais elle n’a pas réussi à nous disperser », a relaté un témoin. « Nous avons brûlé des pneus et leur avons lancé des pierres. Ensuite, ils ont tiré à balles réelles à environ 20 à 30 mètres de nous. Balama a reçu une balle dans la cuisse, mais la police a continué à tirer. » Human Rights Watch a confirmé les circonstances du meurtre de Balama avec un autre témoin et un membre de sa famille.
Certains manifestants ont attaqué les forces de sécurité et endommagé des lieux publics et des propriétés privées. Dans une déclaration en date du 28 avril, les autorités militaires de transition ont affirmé que des manifestants avaient tué une policière et détruit 15 véhicules des forces de sécurité et deux stations-service à N’Djamena le 27 avril. Human Rights Watch a également appris qu’une foule de manifestants avait violemment passé à tabac un gendarme le 27 avril à Moundou.
Selon le procureur de N’Djamena, les médias et le porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, les forces de sécurité ont arrêté plus de 700 personnes en relation avec les manifestations des 27 et 28 avril. Des membres d’associations de défense des droits humains et des avocats tchadiens ont informé Human Rights Watch que la plupart d’entre eux avaient été remises en liberté, mais qu’au 23 juin, 10 au moins se trouvaient toujours en détention à la prison centrale de N’Djamena, notamment pour des accusations de destruction de biens publics et privés, de troubles à l’ordre public, de manifestations illégales et de violences.
En s’appuyant sur des témoignages d’avocats et de membres d’associations de défense des droits humains qui se sont adressés à nous, Human Rights Watch a estimé à plus de 50 le nombre des personnes passées à tabac puis arrêtées par les forces de sécurité avant qu’elles ne soient transférées dans divers postes de police.
Le 5 mai, Mahamat Ahmat Alhabo, le nouveau ministre de la Justice, a déclaré à Radio France Internationale que le procureur devrait ouvrir une enquête sur les arrestations, les décès et les blessures de manifestants les 27 et 28 avril. Le ministre a ajouté que les autorités judiciaires devraient traiter rapidement ces cas et libérer immédiatement les détenus si aucune charge n’est retenue contre eux.
Les acteurs régionaux et internationaux ont condamné le recours excessif à la force par les forces de sécurité tchadiennes contre les manifestants et appelé à l’établissement des responsabilités. Parmi eux, figurent le président français Emmanuel Macron et son homologue congolais Félix Tshisekedi, qui se sont exprimés dans une déclaration conjointe en date du 27 avril, le Rapporteur spécial de l’Union africaine sur les défenseurs des droits de l’homme le 29 avril, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme le 30 avril et le Parlement européen le 19 mai.
Le droit international, la Charte africaine des droits de l’homme et la charte de transition du Tchad protègent les droits à la liberté d’expression et de réunion et interdisent le recours excessif à la force par les forces de l’ordre. Les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois prévoient que les forces de sécurité ne peuvent recourir à la force qu’en proportion de la gravité de l’infraction commise et que le recours intentionnel à la force meurtrière n’est autorisé que lorsqu’il est absolument inévitable pour protéger des vies humaines.
« Les autorités devraient immédiatement mettre fin aux abus commis par les forces de sécurité et autoriser des manifestations pacifiques dans le cadre du processus démocratique », a conclu Ida Sawyer. « Les personnes qui sont actuellement au pouvoir, avec le soutien de partenaires régionaux et internationaux, devraient garantir une transition rapide et pacifique vers un régime civil et permettre l’organisation d’élections crédibles, libres et équitables. »
Pour lire des détails supplémentaires et les témoignages de survivants et de témoins, veuillez consulter la partie ci-dessous.
Manifestants et passants tués
Selon des témoins et des proches, sur les six tués à N’Djamena, deux ont été abattus par la police, un par la garde présidentielle, deux par des hommes non identifiés à bord de véhicules civils arrivés à peu près en même temps que les forces de sécurité, et un par un agent qui, selon certains témoins, était un douanier. La police a abattu la seule personne dont Human Rights Watch a pu documenter le meurtre à Moundou. Six meurtres ont été commis le 27 ou le 28 avril, et un homme est décédé le 11 mai après avoir été touché par balle le 8 mai.
Meurtres du 27 avril à N’Djamena et à Moundou
Des soldats de la garde présidentielle en uniforme ont tué un homme de 19 ans qui manifestait dans le quartier de Gassi à N’Djamena. Human Rights Watch s’est entretenu avec deux témoins et un parent de la victime et a examiné une vidéo, filmée par un témoin, montrant la victime quelques minutes après avoir été abattue. Ce témoin a dit :
La police a lancé de nombreuses grenades lacrymogènes pour nous disperser et nous avons suffoqué. Certaines personnes se sont évanouies. Des soldats de la garde présidentielle sont venus à bord de trois véhicules et nous ont tiré dessus à balles réelles. Un soldat est sorti armé de son véhicule. Il s’est dirigé vers nous et a tiré une salve. Puis il s’est arrêté, a visé le jeune homme à environ 200 mètres, lui a tiré dessus et est reparti en sautant dans son véhicule.
Je me suis approché du jeune homme pour le secourir. Il avait reçu une balle près du nombril. Nous l’avons transporté sur nos épaules. Un véhicule de police s’est arrêté devant nous et nous avons demandé aux policiers de l’emmener à l’hôpital. Ils ont refusé, sans la moindre explication. Nous avons finalement trouvé une voiture, mais le jeune homme est décédé avant notre arrivée à l’hôpital.
Des personnes non identifiées tirant depuis des véhicules civils à N’Djamena ont tué au moins deux hommes, dont un manifestant âgé de 19 ans qui était étudiant. Human Rights Watch s’est entretenu avec un parent de l’étudiant et deux témoins de son assassinat. Son ami a été témoin et a décrit la fusillade :
Nous sommes sortis pour manifester et nous étions nombreux. La police a été débordée et a appelé des renforts. Des militaires sont venus et ont tiré des coups de semonce en l’air pour nous disperser. Au même moment, ou peu de temps après, un véhicule civil, une Toyota V8 Land Cruiser, sans plaques d’immatriculation et aux vitres teintées, est venue se garer à environ 200 mètres de nous. Un des occupants a baissé la vitre et commencé à nous tirer dessus. C’est comme cela que mon ami a été tué, après avoir reçu trois balles : une au côté gauche, une dans le coude droit et une autre dans la cuisse droite. Les soldats se trouvaient là [debout à proximité] mais n’ont rien fait pour empêcher l’individu de tirer.
Les parents d’un étudiant de 22 ans se sont entretenus avec Human Rights Watch de la situation de leur fils, qui a reçu une balle dans la fesse et au ventre dans le quartier de Walia, à N’Djamena. Le père de la victime a expliqué que le personnel médical de l’hôpital central de N’Djamena avait ramené son fils à la maison parce que des soldats avaient encerclé l’hôpital à la recherche de manifestants blessés. Il est décédé peu de temps après avoir été conduit dans un autre centre de soins.
Human Rights Watch n’a pu s’entretenir avec aucun témoin du meurtre, mais a examiné en revanche une vidéo de l’étudiant ensanglanté à terre, filmée par un témoin. Les parents ont également déclaré que des témoins leur avaient rapporté que le tireur était un douanier, mais nous n’avons pas été en mesure de le vérifier.
La police a tiré à bout portant sur un homme âgé de 21 ans à Moundou. Human Rights Watch s’est entretenu avec deux témoins du meurtre et un parent, et a examiné des photographies révélant ses blessures ainsi que son dossier médical et son certificat de décès qui indique que la mort a été causée par des blessures par balle. Les photographies et les dossiers médicaux corroborent les récits fournis par les témoins et le membre de la famille. Un enseignant de 43 ans a vu un policier se trouvant à environ cinq mètres de distance tirer sur l’homme, touché à l’épaule gauche. Le témoin a couru vers la victime, décédée sur le coup.
Tirs fatals le 8 mai à N’Djamena
Un policier a tiré à bout portant sur un manifestant âgé de 32 ans dans le quartier Morsal de N’Djamena. L’homme est décédé des suites de ses blessures le 11 mai dans un hôpital. Human Rights Watch s’est entretenu avec un membre de la famille de la victime et deux témoins. L’ami de la victime et manifestant a été témoin de la fusillade :
La police a lancé des grenades lacrymogènes. L’une d’entre elles a atterri dans une petite maison en paille et mon ami, avec d’autres, a tenté d’étouffer l’incendie. Tout le monde a couru sauf [la victime], un policier lui a alors tiré dessus à deux reprises, à l’abdomen et à la cuisse gauche, à environ 10 mètres de là.
Human Rights Watch a examiné deux photographies : l’une des blessures de la victime juste après la fusillade et l’autre, alors qu’elle était recouverte de bandages à l’hôpital.
Manifestants et passants blessés
Fusillades du 27 avril à N’Djamena
La police antiémeute en uniforme a tiré sur un musicien âgé de 32 ans, qui est aussi une figure de proue de la société civile, Djasrabé Kimassoum, plus connu par son surnom de « Ray’s Kim », alors qu’il manifestait dans le 7ème arrondissement de N’Djamena aux côtés d’une centaine d’autres personnes. Il a été blessé à la cuisse gauche. Ray’s Kim a déclaré qu’il se sentait menacé en raison de son rôle de leader :
La police nous a bloqué le passage et lancé des grenades lacrymogènes sur nous. Outre la police, des militaires [en uniforme], des gendarmes et même des douaniers déployés étaient déployés. Un policier s’est saisi d’une kalachnikov, s’est mis à genoux et a tiré. Je pense qu’il m’a délibérément pris pour cible parce que j’étais en tête de la manifestation. J’ai réalisé que j’avais reçu une balle quand j’ai vu du sang couler le long de ma cuisse.
Human Rights Watch a examiné trois photographies envoyées par Ray’s Kim le montrant à l’hôpital, blessé.
La police anti-émeute a abattu un manifestant âgé de 27 ans dans le quartier de Walia à N’Djamena. La victime, qui a survécu, a déclaré :
Un policier est descendu de son véhicule, m’a arrêté, a chargé son arme et l’a pointée en direction de ma poitrine. J’ai levé les mains en signe de reddition. J’ai dit: « Je ne suis pas armé ! » Il m’a laissé partir. Mais un autre policier, qui se trouvait à bord du même véhicule, a déclaré : « Menteur ! » et m’a tiré dessus à bout portant dans la jambe gauche. Il se trouvait à 30 ou 50 mètres de moi. Il portait un casque sur la tête et était en uniforme. Il appartenait au Groupement mobile d’intervention. Il m’a pris pour cible.
Human Rights Watch a examiné une photographie envoyée par la victime montrant sa jambe bandée.
Fusillade le 28 avril à N’Djamena
Un homme en tenue civile, qui était assis côté passager à bord d’une Toyota Land Cruiser blanche aux vitres teintées, a ouvert le feu sur un petit groupe de manifestants dans le quartier de Walia à N’Djamena, blessant un étudiant de 23 ans. Les policiers qui se trouvaient à proximité n’ont rien fait pour arrêter la fusillade ou le tireur. La victime a déclaré :
L’individu a baissé la vitre, a saisi une kalachnikov et commencé à nous tirer dessus à bout portant, environ à 10 reprises. Il y avait 10 véhicules de police stationnés à 6 à 7 mètres de là ; ils ont vu ce qui s’est passé et n’ont rien fait. C’était comme s’il y avait un accord tacite entre eux et l’homme qui tirait depuis la Toyota. Après que l’individu nous a tiré dessus, son véhicule est parti. J’ai été touché par une balle. Elle est entrée par mon cou et ressortie par la mâchoire.
Human Rights Watch a également examiné des photographies envoyées par la victime montrant ses blessures au cou, près de la mâchoire, ainsi que son dossier médical indiquant qu’il avait été soigné pour des blessures par balle. Le personnel hospitalier a informé la victime que ses blessures n’étaient pas trop graves.
Fusillade le 19 mai à Doba
Un étudiant de 23 ans a déclaré à Human Rights Watch que la police avait lancé des grenades lacrymogènes et tiré à balles réelles pour disperser une cinquantaine de manifestants dans les rues de Doba. L’étudiant a déclaré :
La police nous a tiré dessus à 50 ou 60 mètres de distance. J’ai reçu une balle dans le côté gauche [à l’abdomen]. Je me suis effondré. Un policier est venu vers moi, m’a mis à bord de son véhicule et conduit à la gendarmerie, où le commandant a ordonné mon évacuation à l’hôpital.
Human Rights Watch s’est entretenu avec la victime et a examiné des photographies montrant ses blessures, ainsi que des dossiers médicaux de l’hôpital du district de Doba indiquant qu’il avait été soigné pour des blessures par balle.
Des manifestants arrêtés et passés à tabac
Le 27 avril à N’Djamena
Les forces de sécurité ont arrêté des manifestants à N’Djamena et perquisitionné des maisons de membres de l’opposition et de la société civile. Les forces de sécurité ont passé à tabac de nombreuses personnes arrêtées avant de les transférer dans différents commissariats de la capitale. Human Rights Watch s’est entretenu avec trois ex-détenus et trois avocats qui leur ont rendu visite dans ces postes de police.
« Des soldats ont tiré des gaz lacrymogènes dans la cour de ma maison et sont entrés par effraction pour m’arrêter devant ma famille », a assuré un membre de la Convention pour la démocratie et le fédéralisme, parti d’opposition, qui a été arrêté puis remis en liberté au bout de quatre jours. « Ils m’ont frappé à plusieurs reprises avec la crosse de leurs fusils et giflé. »
Un manifestant âgé de 18 ans a déclaré que la police l’avait arrêté dans le quartier Gassi de N’Djamena, puis l’avait roué de coups à l’aide d’un bâton en bois jusqu’à ce que son poignet enfle.
Le 8 mai à Doba, N’Djamena
La police a arrêté au moins 35 personnes, dont trois femmes, à Doba alors qu’elles se préparaient pour une manifestation. Human Rights Watch s’est entretenu avec trois anciens détenus qui ont déclaré que des policiers en uniforme et des hommes en tenue civile, soupçonnés d’appartenir aux services de renseignement, les avaient intimidés et leur avaient donné des coups au poste de police central de Doba, où ils ont été détenus dans des conditions dégradantes. D’après leurs témoignages, les femmes ainsi qu’un homme malade ont été remis en liberté le même jour, mais les autres ont été relâchés le 11 mai.
Une femme âgée de 33 ans a déclaré : « La police m’a violemment passée à tabac. Le délégué régional de la police a dit : ‘‘Aujourd’hui, nous allons vous achever.’’ Six policiers m’ont forcée, ainsi que deux autres femmes, à nous mettre en position de faire des pompes. Ils nous ont encerclées et, alors que nous devions tenir cette position, ils nous ont battus. Chaque policier nous a frappés à au moins 10 reprises ou plus à l’aide d’un fouet en caoutchouc. »
La victime a envoyé à Human Rights Watch les deux photographies montrant des cicatrices qui correspondent au récit des violences qu’elle a subies et les dossiers médicaux d’une clinique privée de Doba indiquant qu’elle avait été soignée pour des contusions et des ecchymoses sur le dos, les jambes et au visage.
« Avant que la police ne nous jette en cellule, ils ont versé de l’urine sur le sol », a relaté un homme âgé de 28 ans arrêté à Doba. « C’était repoussant. Ensuite, ils nous ont sortis un par un et nous ont frappés. » Il a déclaré que le policier lui avait donné des coups au visage, aux mains et au cou à l’aide d’un fouet, avant que quatre autres individus, deux en tenue civile et deux en uniforme de police, ne le frappent à coups de poing et de pied pendant environ une demi-heure.
Human Rights Watch a examiné une photographie montrant l’œil gauche enflé et rouge de la victime et les dossiers médicaux de l’hôpital provincial de Doba indiquant que l’homme avait été battu et soigné pour des contusions et des ecchymoses.
Un activiste arrêté à N’Djamena a déclaré :
[Les forces de sécurité] m’ont laissé le choix : reconnaître que j’étais descendu manifester parce que j’avais été manipulé et, dans ce cas, ils me laisseraient partir, ou admettre que j’avais agi de mon plein gré et, dans ce cas, ils procèderaient à mon arrestation. J’ai répondu que j’étais volontairement descendu dans la rue. Alors, ils m’ont arrêté.
Le 19 mai à N’Djamena
« Ils m’ont insulté et dit que j’étais un ‘‘bâtard’’ », a déclaré un membre du parti d’opposition Les Transformateurs, âgé de 33 ans, qui a été arrêté par des gendarmes et des militaires et détenu plusieurs heures durant au commissariat de N’Djamena du 13ème arrondissement. « Ils m’ont menotté et frappé à coups de poing et à l’aide de bâtons. Ils m’ont jeté à terre, ventre au sol, et dans cette position, m’ont roué de coups de bottes. »
Manifestants et témoins menacés
Les autorités et les forces de sécurité ont menacé et intimidé les manifestants blessés et ceux qui ont été témoins d’abus des forces de sécurité.
Un activiste de la société civile qui a été témoin de l’assassinat, le 27 avril, de l’étudiant âgé de 19 ans, a déclaré qu’un officier haut placé du renseignement national et un responsable gouvernemental l’avaient convoqué à des réunions les 27 et 28 avril respectivement et tenté de le contraindre à produire une version des faits mensongère de l’incident. Lors de la réunion du 28 avril, les deux responsables étaient présents, selon le témoignage de cet activiste :
Ils m’ont dit de ne pas mentionner que des soldats étaient là quand un individu à bord d’un véhicule civil a tiré sur mon ami. Ils m’ont demandé de taire que l’armée n’avait pas empêché l’incident. Mais je ne pouvais pas m’y résoudre en mon âme et conscience. J’ai refusé d’accepter leur version des faits. Cela n’a pas été très bien reçu, et quand je suis sorti du bureau du ministre, dans la cour, des militaires se sont emparés de moi et m’ont frappé à la tête pendant plusieurs minutes avec la crosse de leurs fusils. C’était un avertissement, une tentative d’intimidation.
Human Rights Watch a examiné trois photographies envoyées par l’activiste révélant des bosses sur son front.
Âgé de 30 ans, un témoin de l’assassinat, commis le 27 avril, du manifestant de 19 ans dans le quartier de Gassi à N’Djamena a déclaré avoir reçu des appels anonymes menaçants après avoir raconté sa version des faits sur Radio FM Liberté. Il pense que les auteurs de ces menaces travaillent pour le gouvernement. Il a dit que le premier appelant a dit : « Si vous continuez comme ça, vous serez enlevé et tué. Si vous voulez vous vivre, restez chez vous et ne parlez à personne. » Le deuxième l’a encouragé à « rester à la maison et à garder le silence ».
Un membre de la société civile a déclaré que les forces de sécurité le surveillaient depuis qu’il a pris part à des manifestations :
Depuis que j’ai participé aux premières manifestations anti-Déby en février, j’ai été traqué par les services de renseignement. Ils m’ont dit que je devais faire attention et m’abstenir de mobiliser les jeunes. Le 27 avril, huit véhicules de police ont encerclé ma maison. La police a essayé d’entrer par effraction, mais je me suis enfui par l’arrière.
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