(Nairobi) – Le meurtre d’un candidat potentiel à l’élection présidentielle au Tchad, lors d’un raid effectué par les forces de sécurité contre le siège d’un parti d'opposition, soulève de graves questions sur le climat politique dans le pays à l’approche de l’élection prévue le 6 mai, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Le 28 février, des membres des forces de sécurité ont tué Yaya Dillo, le président du Parti socialiste sans frontières (PSF), lors d’une attaque contre le siège du parti dans la capitale, N’Djamena. Le procureur de la République, Oumar Mahamat Kedelaye, a déclaré lors d’une conférence de presse que Dillo a été tué lors d’un échange de tirs avec les forces de sécurité.
« Les circonstances du meurtre de Yaya Dillo ne sont pas claires, mais sa mort violente illustre les dangers auxquels font face les politiciens de l’opposition au Tchad, en particulier à l’approche d’élections », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Le Premier ministre et les autres personnalités nationales en vue devraient appeler publiquement à l’ouverture d’une enquête indépendante sur sa mort, dans l’optique d’assurer un meilleur établissement des responsabilités avant l’élection ».
Dillo, qui était âgé de 49 ans, était considéré comme un opposant politique de premier plan à l’actuel Président de transition, le général Mahamat Idriss Déby Itno. Les deux hommes sont réputés comme étant cousins, originaires du même groupe ethnique des Zaghawas. Quoique Dillo n’ait pas annoncé sa candidature à la présidence, l’intention de le faire lui était largement prêtée.
Plus tôt dans la semaine, les médias ont affirmé que dans la nuit du 27 au 28 février, un membre de haut rang du PSF, Ahmed Torabi, a été arrêté pour avoir tenté d’assassiner le président de la Cour suprême. Certains organes de presse ont affirmé que Torabi avait en fait été tué par les forces de sécurité. Le gouvernement a affirmé que des membres du PSF avaient attaqué un bureau de l’agence nationale de sécurité, laquelle aurait riposté en attaquant le siège du parti le 28 février. Avant d’être tué, Dillo avait déclaré à l’Agence France-Presse que la prétendue tentative d’assassinat avait été mise en scène et que les membres de son parti n’avaient jamais attaqué l’agence de sécurité.
Human Rights Watch a examiné plusieurs photos transmises par une source fiable proche de Dillo, montrant celui-ci mort et portant la trace de l’impact d’une seule balle dans la tête.
Dillo a été tué trois ans jour pour jour après une attaque de son domicile par les forces de sécurité, le 28 février 2021, lors de laquelle elles avaient tué sa mère âgée de 80 ans, et blessé cinq autres membres de sa famille.
Les services internet à N’Djamena ont été coupés à la suite de l’attaque et le sont restés toute la journée du 29 février, rendant très difficiles les communications avec la capitale.
Le manque de clarté entourant l’attaque du siège du PSF, les menaces précédemment proférées à l’encontre de Dillo et la répression politique générale dans le pays rendent nécessaire l’ouverture d’une enquête indépendante, avec une aide étrangère, sur les événements du 28 février, a déclaré Human Rights Watch.
Depuis la mort du président Idriss Déby en avril 2021, le gouvernement de transition dirigé par son fils, le général Mahamat Idriss Déby Itno, a à plusieurs reprises violemment réprimé des manifestations organisées par l’opposition pour réclamer un régime démocratique civil ainsi que des médias indépendants.
Le 20 octobre 2022, les forces de sécurité ont tiré à balles réelles sur des manifestants lors de manifestations organisées par des groupes de la société civile et des partis d’opposition, tuant et blessant nombre d’entre eux, et ont battu des personnes et les ont poursuivies jusque dans leurs maisons. Des centaines d’hommes et de garçons ont été arrêtés et beaucoup d’entre eux ont été conduits à Koro Toro, une prison de haute sécurité située à 600 kilomètres de N’Djamena. Plusieurs personnes sont mortes pendant le trajet, certaines à cause du manque d’eau. À Koro Toro, les manifestants ont subi des abus supplémentaires, notamment des mauvais traitements de la part d’autres détenus, et certains sont décédés. Ces détenus ont été maintenus en détention pendant des mois, puis relâchés ou amnistiés. Les autorités tchadiennes ont refusé d’effectuer des enquêtes pénales rapides, effectives et impartiales sur ces violations.
Le 23 novembre 2023, le Conseil national de transition a adopté une loi d’amnistie qui otait la possibilité de poursuivre en justice les membres des forces de sécurité ou d’autres responsables des graves violations des droits humains, y compris des meurtres perpétrés contre des participants aux manifestations du 20 octobre, consacrant ainsi l’impunité et récompensant les auteurs d’abus.
Le meurtre de Dillo survient une semaine après la destitution par le gouvernement du président de la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH), la seule institution gouvernementale qui était prête à publier un compte-rendu exact de la répression du 20 octobre. Succès Masra, l’actuel Premier ministre et président du parti politique Les Transformateurs – dont les membres constituent la majeure partie des détenus politiques et des victimes après les manifestations du 20 octobre – a exprimé son « soutien total et inconditionnel au chef de l’État », dans un tweet, le 28 février.
Dans un communiqué publié le 29 février, le président de l’Union africaine a exprimé sa préoccupation au sujet des événements au Tchad, mais n’a pas appelé à l’ouverture d’une enquête.
« L’Union africaine devrait prendre l’initiative et appeler à l’ouverture d’une enquête indépendante sur la mort de Yaya Dillo, et offrir son assistance », a affirmé Lewis Mudge. « Un compte-rendu transparent des circonstances autour de la mort de Yaya Dillo est nécessaire pour rassurer les Tchadiens de toutes tendances politiques quant à la détermination du gouvernement de transition à assurer que l’élection prévue en mai sera libre et équitable ».