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« Comme son père, Mahamat Idriss Déby dirige le Tchad d’une main de fer »

Pour Lewis Mudge, de l’ONG Human Rights Watch, les meurtres, les arrestations et détentions arbitraires, la torture et l’extorsion se sont multipliés depuis avril 2021

Publié dans: Le Monde
Un véhicule de la police anti-émeute circulait dans une rue de la capitale du Tchad, N’Djamena, lors de manifestations organisées par l’opposition le 2 octobre 2021. © 2021 Privé

Il y a un an, au lendemain des résultats officiels annonçant son sixième mandat présidentiel, le président tchadien Idriss Deby Itno était tué lors d’affrontements entre rebelles et forces gouvernementales dans la province du Kanem occidental. Le même jour, l’un de ses fils, Mahamat Idriss Déby Itno, 38 ans, foulant la constitution, prenait le contrôle du pays . Or c’est le président du parlement qui aurait dû accéder à ce poste.

Depuis cette date, la situation déjà préoccupante des droits humains au Tchad n’a fait qu’empirer. Les abus – notamment les meurtres, les arrestations et détentions arbitraires, la torture et l’extorsion – se sont multipliés sans que rien – ou presque - ne soit fait pour punir les responsables. Les défenseurs des droits humains travaillent dans des conditions de plus en plus dangereuses.

Le conseil militaire qui a installé Mahamat Idriss Deby au pouvoir a suspendu la constitution et l’a remplacée par une charte de transition et la promesse d’élections libres dans un délai de 18 mois, après la tenue d’un dialogue national. Prévu pour le mois de février, ce dialogue n’a toutefois pas encore eu lieu, suscitant des appels croissants, au Tchad mais aussi à l’extérieur du pays, en faveur d’une transition dirigée par des civils et de la tenue d’élections crédibles.

Ce dialogue est censé être précédé de négociations entre le Conseil militaire de transition (CMT) du Tchad et les représentants des groupes armés. Le premier cycle de négociations a débuté à Doha, la capitale du Qatar, le 13 mars, mais aucun média tchadien indépendant  n’a été autorisé à y assister pour en rendre compte.

La constitution est toujours suspendue et les signes du retour à la démocratie sont rares. Comme son père, Mahamat Idriss Deby dirige le Tchad d’une main de fer, en menaçant et en arrêtant les dissidents et les voix critiques. Ses ministres font des déclarations fallacieuses pour tenter de justifier les abus des forces de sécurité et nient systématiquement les allégations de mauvais traitements.

La tenue de manifestations de l’opposition, de la société civile ou des citoyens ordinaires est devenue difficile, car les autorités appliquent une politique de tolérance zéro vis-à-vis de la contestation.

Au lendemain de l’élection présidentielle du 11 avril 2021, les forces de sécurité ont fait un usage excessif de la force, notamment en tirant à balles réelles et sans discernement pour disperser les manifestations de l’opposition dans tout le pays. Les forces de sécurité ont tué au moins sept personnes, en ont blessé des dizaines d’autres et ont arrêté plus de 700 personnes lors des manifestations organisées fin avril et en mai par des membres et des sympathisants de partis d’opposition et d’organisations de la société civile, réunis au sein d’une coalition appelée Wakit Tamma. Un grand nombre de ceux qui ont été arrêtés ont déclaré avoir été maltraités, voire torturés, pendant leur détention.

Le 2 octobre, des centaines d’habitants de N’Djamena, la capitale, ont rejoint les membres et les partisans de Wakit Tamma pour protester contre le pouvoir du Conseil militaire et réclamer des amendements à la charte de transition tchadienne. En réponse, la police anti-émeute et les gendarmes ont tiré des grenades lacrymogènes, des balles en caoutchouc et possiblement des balles réelles sur les manifestants, blessant jusqu’à 45 personnes et endommageant des biens privés.

Le 24 janvier, les forces de sécurité ont violemment dispersé des milliers de manifestants pacifiques qui étaient descendus dans les rues d’Abéché, dans la province du Ouaddaï, pour protester contre le projet de nomination d’un nouveau chef coutumier, tuant 3 personnes et en blessant au moins 40 autres. Le lendemain, lors des funérailles des personnes tuées le 24 janvier, les soldats ont à nouveau tiré sans discernement et à balles réelles, faisant 10 morts et au moins 40 blessés supplémentaires. Plusieurs vidéos montrent des soldats se déplaçant dans des camions équipés de mitrailleuses lourdes et qui tirent sans discernement sur la foule.

Les forces de sécurité impliquées depuis avril dernier dans la répression des manifestations ont aussi été déployées dans les rues de N’Djamena et d’autres villes du Tchad avant le scrutin présidentiel. Elles ont arrêté, torturé et terrorisé des manifestants qui demandaient pacifiquement le changement et le respect de leurs droits fondamentaux.

Le mépris de Mahamat Idriss Deby pour les droits humains s’inscrit malheureusement dans la continuité des méthodes de son père. Au Tchad, l’impunité en cas d’abus, en particulier de la part des forces de sécurité, est endémique.

Le 24 décembre, la junte a publié un décret accordant une amnistie à près de 300 rebelles et dissidents politiques condamnés pour des infractions comme le recrutement d’enfants soldats, en dépit du fait que cette pratique constitue une grave violation des droits de l’enfant et du droit humanitaire international.

Parallèlement, des affrontements entre éleveurs et agriculteurs à Sandana, dans la province du Moyen-Chari, ont fait au moins 15 morts le 9 février. Les avocats des victimes et les organisations de la société civile ont dénoncé l’inaction des autorités et le blocage des procédures judiciaires. 

Pour mettre fin à ces violations et assurer une transition vers une gouvernance démocratique, il faudra une forte pression internationale de la part des partenaires régionaux et internationaux du Tchad – que ce soient des pays comme les États-Unis, la France, l’Allemagne, le Qatar ou des institutions comme l’Union européenne, l’Union africaine et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Les engagements militaires importants du Tchad dans la lutte contre le terrorisme ont incité la communauté internationale à fermer les yeux sur les graves violations des droits humains dans le pays. Contrairement aux multiples condamnations qui ont suivi les prises de pouvoir des militaires en Guinée, au Burkina Faso, au Mali et au Soudan, les partenaires internationaux et régionaux du Tchad ont critiqué du bout des lèvres la prise de pouvoir anticonstitutionnelle de Mahamat Idriss Deby.

Les alliés du Tchad devraient parler à Mahamat Idriss Deby d’une voix claire et unie. Ils devraient lui dire que le Conseil militaire doit faire marche arrière, et qu’il lui faut respecter et protéger le droit des Tchadiens à manifester pacifiquement, veiller à ce que les forces de sécurité impliquées dans des violations des droits rendent des comptes, accélérer la transition vers un régime civil et permettre l’organisation d’élections crédibles, libres et équitables.

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Lewis Mudge est directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch.

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