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Le défenseur russe des droits humains Oleg Orlov lit le roman « Le Procès » de Franz Kafka lors de son procès à Moscou, le 26 février 2024.   © 2024 Ekaterina Yanshina, pour Memorial

À mon avis, il s'agit de l'un des meilleurs textes jamais publiés sur notre site web.

La déclaration finale faite lundi par le défenseur russe des droits humains Oleg Orlov devant le tribunal de Moscou qui le juge sur la base de fausses accusations est vraiment remarquable.

Nos lecteurs réguliers doivent se rappeler de Orlov et de son travail, que nous avons déjà souligné ici. C’est un éminent et fervent défenseur des droits humains et coprésident de l’organisation de défense des droits Memorial, que les autorités russes ont fait fermer peu de temps après qu'il ait été co-lauréat du prix Nobel de la paix en 2022.

Les accusations absurdes portées contre Orlov découlent de ses manifestations contre la guerre et d'un article critique qu'il a écrit. Il a été accusé de "discréditer de manière répétée" les forces armées russes, comme si l'armée russe ne s'était pas discréditée elle-même de manière répétée par son invasion et son occupation de l'Ukraine marquées par des atrocités.

Dans sa déclaration finale au tribunal lundi, Orlov a non seulement démonté pièce par pièce l'affaire grotesque dont il était accusé, mais il a également disséqué la dictature qui est à l'origine de ces injustices. Je vous encourage à lire l'intégralité de cette déclaration (traduite en anglais sur le site de HRW ici), mais je voulais également en partager quelques extraits avec vous dans cette newsletter.

Après avoir évoqué la mort récente, choquante mais non surprenante, du leader de l'opposition politique russe Alexei Navalny en prison, Orlov aborde son propre cas...

Je n'ai commis aucun crime. Je suis jugé pour un article de presse que j'ai écrit et dans lequel je qualifie le régime politique mis en place en Russie de totalitaire et de fasciste. Je l'ai écrit il y a plus d'un an. À l'époque, certains de mes amis pensaient que j'exagérais les choses.

Mais aujourd'hui, c'est tout à fait clair. Je n'exagérais pas du tout. Dans notre pays, l'État ne contrôle pas seulement la vie publique, politique et économique. Il cherche également à contrôler totalement la culture et les sciences, et envahit la vie privée. L'État est devenu omniprésent. ... il n'y a plus de vie privée.

Orlov énumère quelques-uns des nombreux événements survenus récemment en Russie qui prouvent son point de vue, notamment l'interdiction de livres, la persécution d'un "mouvement LGBT" inexistant et l'obligation pour les futurs étudiants d'apprendre par cœur les noms figurant sur la liste des "agents étrangers" établie par l'État.

Il continue en rappelant comment il a relu Le Procès de Franz Kafka pendant ses audiences...

Notre situation a vraiment quelques points communs avec celle du protagoniste de Kafka : l'absurdité et la tyrannie déguisées en adhésion formelle à des procédures pseudo-juridiques.

On nous accuse de discréditer, mais personne n'explique en quoi cela diffère d’une critique légitime. On nous accuse de diffuser des informations délibérément fausses, mais personne ne se préoccupe de démontrer en quoi elles sont fausses. Lorsque nous essayons de prouver que ces informations sont en fait correctes, notre démonstration devient un motif de poursuites pénales. ... Nous sommes condamnés pour avoir douté que l'objectif de l'agression d'un État voisin soit de maintenir la paix et la sécurité internationales. Absurde.

Jusqu'à la fin du roman, le protagoniste de Kafka n'a aucune idée de ce dont il est accusé, mais il est condamné et exécuté. En Russie, nous sommes officiellement informés des accusations, mais il est impossible de les comprendre dans un quelconque cadre juridique.

Toutefois, contrairement au protagoniste de Kafka, nous connaissons la véritable raison pour laquelle nous sommes détenus, jugés, arrêtés, condamnés et tués. Nous sommes punis pour avoir osé critiquer les autorités. Dans la Russie d'aujourd'hui, c'est absolument interdit. ...

En ce moment même, Alexey Gorinov, Alexandra Skochilenko, Igor Baryshnikov, Vladimir Kara-Murza et beaucoup d'autres sont tués à petit feu dans des colonies pénitentiaires et des prisons. Ils sont tués pour avoir protesté contre l'effusion de sang en Ukraine, pour avoir voulu que la Russie devienne un État démocratique et prospère qui ne représente pas une menace pour le monde qui l'entoure. ...

Navalny nous a exhortés : "N'abandonnez pas." Nous nous en souvenons. Ce que je peux ajouter, c'est ceci : ne perdez pas courage, ne perdez pas votre optimisme. Car la vérité est de notre côté.

Ceux qui ont entraîné notre pays dans l'abîme où il se trouve aujourd'hui représentent l'ordre ancien, décrépit, dépassé. Ils n'ont aucune vision pour l'avenir - seulement de faux récits du passé, des illusions de "grandeur impériale". ...

Dans la dernière partie de sa déclaration - peut-être la plus puissante du texte - Orlov s'adresse à "ceux qui travaillent à faire avancer la machine de la répression".

Aux fonctionnaires, aux agents de police, aux juges, aux procureurs.

En fait, vous savez exactement ce qui se passe. Et vous êtes loin d'être tous convaincus de la nécessité de la répression politique. Parfois, vous regrettez ce que vous êtes obligés de faire, mais vous vous dites : "Que puis-je faire d'autre ? Je ne fais qu'obéir aux ordres." ...

Un mot pour vous, Monsieur le juge, et pour le procureur. N'avez-vous pas peur vous-mêmes ? Vous qui aimez probablement notre pays, n'avez-vous pas peur de voir ce qu'il est en train de devenir ? N'avez-vous pas peur que non seulement vous et vos enfants, mais aussi, Dieu nous en préserve, vos petits-enfants, aient à vivre dans cette absurdité, dans cette dystopie ?

Ne vous rendez-vous pas compte que tôt ou tard, la machine de la répression risque de s'abattre sur ceux qui l'ont lancée et qui l'ont fait avancer ? C'est ce qui s'est produit à plusieurs reprises au cours de l'histoire. ...

Je ne suis pas tout à fait sûr que les législateurs et les responsables de l'application des lois russes anti-légales et anti-constitutionnelles seront eux-mêmes tenus de rendre des comptes. Mais ils seront inévitablement punis. Leurs enfants ou petits-enfants auront honte de dire où travaillaient leurs pères, leurs mères, leurs grands-pères et leurs grands-mères et ce qu'ils faisaient. Il en ira de même pour ceux qui, en exécutant les ordres, commettent des crimes en Ukraine. À mon avis, c'est la pire des punitions. Et c'est inévitable.

Bien sûr, les mots bien choisis d'Orlov lundi n'ont pas empêché le juge de le condamner mardi. Il a été condamné à deux ans et demi de prison. Il ne suffit pas d'une déclaration pour que le rouleau compresseur du Kremlin, qui sème la terreur à l'intérieur du pays et commet des atrocités à l'étranger, change de trajectoire.

Mais Orlov a dénoncé la tyrannie en disant la vérité - un acte simple, rendu héroïque par les circonstances.

Je suis convaincu que ses paroles seront lues et relues pendant longtemps, sans doute avec une pertinence croissante pour les générations futures de la Russie, qui interrogeront leurs parents et leurs grands-parents sur ces jours sombres.

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