À première vue, il est difficile de comprendre la décision prise la semaine dernière par la Cour suprême de Russie de qualifier le « mouvement international LGBT » d' « organisation extrémiste ».
Étant donné qu'un tel groupe n'existe pas, l'interdire semblerait au moins confus, ou au pire, délirant. Un autre exemple de l'autoritarisme absurde de la Russie.
Ce serait déjà assez grave, mais ce n'est pas tout.
Le régime s'en prend depuis longtemps aux personnes LGBT, et cette dernière initiative visant à en faire des boucs émissaires a probablement pour but de redynamiser les partisans conservateurs du Kremlin en amont du scrutin présidentiel de mars. Depuis des années, c'est l'idée maîtresse de Poutine : combattre « l'Occident » et prétendre que les personnes LGBT et les droits humains (ainsi que l'Ukraine en tant que pays) sont en quelque sorte des « inventions occidentales ».
Il s'agit là d'un procédé autoritaire typique pour maintenir le contrôle au sein de l’Etat : inventer un ennemi, prétendre qu'il menace la population et s'engager à la défendre contre lui. Ce procédé est utilisé à mauvais escient pour justifier toutes sortes de violations des droits humains.
La cible est clairement plus large que les seules personnes LGBT. Cette décision entravera encore davantage le travail de toutes les organisations de défense des droits qui luttent contre la discrimination et défendent les libertés fondamentales.
En vertu du droit pénal russe, le fait de prendre part à une « organisation extrémiste » ou de la financer est passible d'une peine pouvant aller jusqu'à 12 ans d'emprisonnement. Une personne reconnue coupable d'avoir affiché les symboles de ces groupes risque jusqu'à 15 jours de détention pour la première infraction et jusqu'à quatre ans de prison en cas de récidive.
Les autorités peuvent inscrire les personnes soupçonnées d'être impliquées dans une organisation extrémiste sur leur « liste d'extrémistes » et geler leurs comptes bancaires. Les personnes considérées comme impliquées dans une organisation extrémiste n'ont pas le droit de se présenter à des élections.
Ainsi, la décision apparemment illogique d'interdire un groupe qui n'existe pas prend soudain tout son sens. La nouvelle décision permettra aux autorités de s'en prendre à n’importe qui pour toute activité liée de près ou de loin aux droits des personnes LGBT.
Comme le dit ma collègue Tanya Lokshina, spécialiste de la Russie, « l'attaque contre les droits des personnes LGBT est devenue un symbole du rejet par la Russie des droits humains fondamentaux ».
Ce qui, à première vue, peut sembler être une mesure très limitée, voire inutile de la part des autorités, est en fait un coup de filet très large de la part du Kremlin.