UKRAINE

Mort à la gare

L’attaque russe menée à Kramatorsk avec une arme à sous-munitions

Une enquête conjointe de Human Rights Watch et SITU Research

Au début du mois d’avril 2022, alors que les forces russes intensifient leur offensive dans l’est de l’Ukraine, Alina Kovalenko appelle sa mère, Tamara, 71 ans, et la supplie de fuir leur maison familiale de Kramatorsk. Malgré le danger pressant et les appels des autorités locales à évacuer, Tamara hésite à quitter la ville où elle vit depuis 40 ans.

Puis le 7 avril, Tamara finit par céder. « C’est trop tard pour aujourd’hui, la file d’attente est déjà longue [à la gare de Kramatorsk] », dit-elle alors à sa fille. Elles conviennent qu’elle partira le lendemain matin pour l’ouest de l’Ukraine, et de là peut-être pour la Pologne, où Alina, 48 ans, vit depuis le mois de janvier.

Tamara a préparé son sac et prévu de partir tôt pour éviter les longues files d’attente des trains d’évacuation. Alina a appelé sa mère avant 7 heures du matin, alors que Tamara se rendait à la gare où des centaines de personnes s’étaient déjà rassemblées. Le premier train ne doit pas arriver avant plusieurs heures – alors Tamara attend, et Alina avec elle.

Inquiète au sujet de ce voyage, Alina appelle de nouveau sa mère quelques heures plus tard. Cette fois, elle ne répond pas.

Soudain, le téléphone d’Alina est inondé de messages. « J’ai commencé à recevoir des messages sur les réseaux sociaux, comme Facebook, et j’ai entendu dire qu’il y avait un missile. » Alina lit avec affolement les informations qui lui parviennent. Puis elle voit les images. « La première que j’ai vue, c’était une photo de ma mère couchée sur le sol. Je voyais les photos et je n’arrivais pas à y croire. »

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Deux experts travaillant pour les autorités ukrainiennes inspectaient le moteur-fusée et la section de guidage d'un missile Tochka-U près du bâtiment principal de la gare de Kramatorsk, dans l'est de l'Ukraine, le 8 avril 2022. Les mots russes peints en blanc sur le missile signifient « Représailles pour les enfants ». © 2022 Fadel Senna/AFP via Getty Images

Le 8 avril 2022, à 10h28, un missile balistique équipé d’une ogive d’arme à sous-munitions a dispersé 50 petites bombes, appelées sous-munitions, au-dessus des voies ferrées et de la gare de Kramatorsk, où Tamara et plusieurs centaines d’autres personnes attendaient dans l’anxiété les trains qui devaient les évacuer vers une sécurité relative, loin des combats les plus violents. Soixante et une personnes ont été tuées – toutes civiles à notre connaissance – et plus de 100 autres ont été blessées. Le jour même où les autorités ukrainiennes ont signalé l’attaque, le gouvernement russe a nié toute responsabilité, affirmant que ses forces ne disposaient pas du missile balistique utilisé et ne l’avaient pas déployé, avant de rejeter la responsabilité de l’attaque sur les forces ukrainiennes. Cette attaque reste l’un des incidents les plus meurtriers pour les civils depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022.

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Image satellite montrant un nuage de fumée s’élevant au-dessus d'une voiture en feu devant la gare de Kramatorsk, en Ukraine, le 8 avril 2022 à 10 h 35. © 2022 Planet Labs PBC

Des chercheurs de Human Rights Watch se sont rendus à Kramatorsk du 14 au 24 mai 2022 pour enquêter sur l’attaque et sur ses conséquences. SITU Research, un groupe spécialisé dans les enquêtes visuelles, et Human Rights Watch ont analysé plus de 200 vidéos et photographies et réalisé une analyse spatiale et chronologique de l’attaque. Nous avons également examiné des images satellites et inspecté une ancienne position militaire russe près du village de Kunie dans la région de Kharkiv, identifié comme un possible site du lancement de cette attaque.

Les preuves indiquent clairement que le missile qui a tué et blessé les civils à la gare de Kramatorsk a été lancé depuis le territoire contrôlé par la Russie, dans l’est de l’Ukraine. Cette attaque constitue une violation des lois de la guerre et un crime de guerre manifeste.

Ce qui suit est l’histoire de cette attaque et de quelques-unes des personnes qui ont été affectées par celle-ci pour le restant de leurs jours.

Un centre d'évacuation

Au cours des premières semaines de la guerre, les forces russes ont mené un assaut – qui a échoué – contre la capitale ukrainienne, Kiev. Fin mars et début avril 2022, ces forces se sont retirées des régions de Kiev, Chernihiv et Soumy, au nord et à l’est de la capitale.1 L’offensive russe s’est ensuite intensifiée dans la partie est de l’Ukraine, connue sous le nom de Donbass et constituée pour l’essentiel des régions de Donetsk et Luhansk. Des groupes armés affiliés à la Russie ont pris le contrôle de certaines parties de ces régions en 2014, parfois avec l’aide directe des forces armées russes. Kramatorsk est alors devenu, temporairement, le principal centre régional de la partie de la région de Donetsk contrôlée par le gouvernement ukrainien.2

Les attaques russes contre les zones contrôlées par le gouvernement ayant de plus en plus touché les maisons, écoles et autres infrastructures civiles dans toute la région, les familles ont commencé à fuir en masse.

La gare de Kramatorsk est devenue le principal site d’évacuation, vers lequel convergeaient les habitants de tout le Donbass, à bord de bus affrétés pour les évacués ou de véhicules privés, pour prendre des trains qui les emmèneraient vers une sécurité relative dans l’ouest de l’Ukraine, avec leurs animaux domestiques et tous les biens qu’ils pouvaient transporter.3

Des dizaines de milliers de civils ont été évacués depuis la gare de Kramatorsk dans les jours qui ont précédé l’attaque du 8 avril.4Les autorités locales et les bénévoles ont déclaré que des milliers de personnes par jour avaient été évacuées par train avant l’attaque. Un employé de la gare qui avait accès aux registres officiels a déclaré à Human Rights Watch que les 6 et 7 avril respectivement, 6 500 et 8 200 personnes avaient été évacuées. Un bénévole qui travaillait à la gare a déclaré que la plupart des personnes arrivaient chaque jour entre 7 et 8 heures du matin.5 Le chef de la patrouille de police de Kramatorsk, Oleksandr Malysh, a déclaré qu’il avait ordonné le déploiement de l’unité d’opérations tactiques de la police pour faciliter la gestion de grosses foules.6

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3 avril 2022 Des familles arrivaient à la gare de Kramatorsk le 3 avril 2022, alors qu'elles tentaient d'évacuer la région du Donbass, dans l'est de l'Ukraine. © 2022 Fadel Senna/AFP via Getty Images

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4 avril 2022 Des civils ukrainiens faisaient la queue pour monter à bord de trains afin de quitter Kramatorsk, le 4 avril 2022. © 2022 Fadel Senna/AFP via Getty Images

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5 avril 2022 Des familles attendaient de monter à bord d'un train à la gare de Kramatorsk alors qu'elles évacuent la région du Donbass, dans l'est de l'Ukraine, le 5 avril 2022. © 2022 Fadel Senna/AFP via Getty Images

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6 avril 2022 Des civils attendaient à l’intérieur de la gare de Kramatorsk afin de quitter la région du Donbass, dans l'est de l'Ukraine, le 6 avril 2022. © 2022 Andrea Carrubba/Anadolu Agency via Getty Images Images

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6 avril 2022 Des civils cherchaient à quitter la région du Donbass, dans l'est de l'Ukraine, à bord d’un train se dirigeant vers l'ouest du pays, à partir de la gare de Kramatorsk, le 6 avril 2022. © 2022 Andrea Carrubba/Anadolu Agency via Getty Images

Alors que la menace posée par les forces russes s’intensifiait, les responsables locaux ont encouragé les civils à évacuer.7 Sur sa chaîne Telegram, le conseil municipal de Kramatorsk a partagé publiquement des informations sur les évacuations depuis la gare de Kramatorsk, notamment des mises à jour quotidiennes sur les horaires exacts des trains que les civils pouvaient prendre pour ces évacuations.8 Des photos et des vidéos des évacuations avant le 8 avril ont largement été diffusées sur les comptes des réseaux sociaux de la municipalité de Kramatorsk et sur d’autres comptes de réseaux sociaux, et plusieurs organes de presse ont rendu compte de la situation dans les jours qui ont précédé l’attaque.

Des messages publiés sur les réseaux sociaux et les comptes Telegram des responsables locaux encourageaient les civils à évacuer. Sur sa chaîne Telegram, le conseil municipal de Kramatorsk partageait publiquement des informations sur les évacuations depuis la gare de Kramatorsk, notamment les horaires quotidiens des trains.

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Un message posté sur la chaîne Telegram du Conseil municipal de Kramatorsk le 10 mars 2022 indique que les civils qui veulent évacuer peuvent prendre des trains ou des bus depuis la gare de Kramatorsk et précise que les horaires sont publiés tous les soirs sur les sites des compagnies ferroviaires. © 2022 Conseil municipal de Kramatorsk via Telegram

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Un message posté le 22 mars 2022 sur le compte Facebook d’Oleksandr Honcharenko, le maire de Kramatorsk donne l’horaire des trains d’évacuation pour le jour suivant. © 2022 Oleksandr Honcharenko via Facebook

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Un message publié le 4 avril 2022 sur le compte Facebook du maire Oleksandr Honcharenko indique que 4 000 personnes sont évacuées de Kramatorsk tous les jours, et que 100 000 civils se trouvent encore sur place. Le message encourage les gens à partir en raison du conflit. © 2022 Oleksandr Honcharenko via Facebook

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Un message posté par Serhiy Haidai, chef de l’administration militaire régionale de Louhansk, le 24 février 2022, confirme qu’une évacuation générale des habitants de la région de Louhansk a été annoncée ce jour-là à 5h50. Haidai recommande aux habitants de la région de Louhansk de quitter immédiatement la zone. © 2022 Serhiy Haidai via Facebook

Human Rights Watch et SITU Research ont examiné plus de 100 photos et vidéos des jours qui ont précédé l’attaque. Ces photos et vidéos ont été publiées sur les réseaux sociaux ou partagées de manière privée et montrent des milliers de personnes entassées sur les quais de la gare, dans le bâtiment principal de la gare, ainsi que dans la cour et sur le parking à l’ouest du bâtiment principal, où se trouvent aussi de petits magasins. Le 5 avril, une vidéo filmée à la gare par le journaliste Cristiano Tinazzi montre des foules de civils, dont des personnes âgées et des enfants, chargés de sacs et de valises de petite taille, qui forment de longues files devant la gare ou sont regroupés sur le quai dans l’attente d’être évacués.9 Le 6 avril, l’organisation humanitaire Médecins Sans Frontières a filmé une vidéo qui montre selon notre estimation bien plus de 1 000 personnes entassées sur le quai.10

Une vidéo filmée par le journaliste Cristiano Tinazzi le 5 avril 2022 montre une foule de civils, dont des personnes âgées et des enfants, avec des petits sacs et valises alignés en longues files d’attente devant la gare et sur le quai, qui attendent de quitter Kramatorsk. © 2022 Cristiano Tinazzi

Une vidéo filmée le 6 avril 2022 par Médecins Sans Frontières montre une foule importante de personnes rassemblée sur le quai principal de la gare de Kramatorsk dans l’attente des trains d’évacuation. © 2022 Médecins Sans Frontières

Le 7 avril, une attaque a endommagé les voies ferrées à environ 40 kilomètres au nord-ouest de Kramatorsk, en direction de Barvinkove, menaçant de perturber les évacuations prévues pour le lendemain.11

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Un message Telegram posté le 8 avril 2022 à 7h50 sur le compte du conseil municipal de Kramatorsk et signé du maire de Kramatorsk, Oleksandr Honcharenko, explique que les autorités continuent de réparer les dommages causés aux voies ferrées pour que les évacuations puissent reprendre. © 2022 Conseil municipal de Kramatorsk via Telegram 12

Une heure plus tard, le maire a annoncé la reprise des évacuations et l’horaire des neuf trains qui étaient attendus ce jour-là a été affiché sur Telegram. 13 Le premier d’entre eux était un petit train régional à destination de Lozova, à moins de 100 kilomètres à l’ouest de Kramatorsk. Il devait partir à 11h50 et certains passagers étaient déjà montés à bord de ce train au moment de l’attaque. Un train plus important, composé de 14 voitures, devait partir pour Lviv vers 13 heures.14

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Un message Telegram posté le 8 avril 2022 à 8h56 sur le compte du Conseil municipal de Kramatorsk et signé du maire de Kramatorsk, Olksandr Honcharenko, indique que les évacuations vont reprendre et énumère l’horaire des neuf trains attendus le 8 avril. © 2022 Conseil municipal de Kramatorsk via Telegram

Malgré les possibles perturbations et retards, le 8 avril a commencé comme les jours qui avaient précédé. Hommes, femmes, enfants, personnes âgées et personnes à mobilité réduite ont commencé à arriver à la gare avant 8 heures du matin, avec leurs bagages et leurs animaux domestiques. Ils cherchaient à fuir le barrage d’attaques russes et à rejoindre l’ouest de l’Ukraine, ou à poursuivre leur route vers un autre pays.15 À leur arrivée, ils se sont joints à une file d’attente qui commençait devant la gare, à l’entrée principale orientée à l’ouest, où des bénévoles les ont aidés à se répartir en trois groupes. Le groupe 1 était composé de femmes enceintes et de familles avec des enfants de moins de 5 ans et a été autorisé à attendre le train qui lui était destiné dans le hall d’attente nord du bâtiment principal. Le groupe 2 était composé de familles avec des enfants de 6 à 12 ans et de personnes handicapées, et attendait dans l’aile sud de la gare. Le reste des personnes à évacuer formait le groupe 3 qui pour l’essentiel attendait sur le quai ou dans le hall principal de la gare.

Des bénévoles distribuaient des boissons chaudes aux personnes qui attendaient les trains d’évacuation à la gare de Kramatorsk, le 8 avril 2022. Une sous-munition à fragmentation a par la suite frappé tout près de cet endroit, et fait un grand nombre de blessés et de morts. © 2022 Alexey Merkoulov, journaliste

De nombreuses personnes avaient choisi d’attendre dehors, à proximité des voies, quel que soit le groupe auquel ils appartenaient. Certains s’étaient assis sur des bancs en bois près du quai. D’autres s’étaient rassemblés à l’extérieur d’une grande tente verte montée par les autorités locales, qui fournissait un peu de chaleur à ceux qui attendaient dehors. Des bénévoles distribuaient des tasses de thé et de la nourriture, de l’eau, des informations sur les trains et donnaient accès à prises de courant pour que les personnes qui évacuaient puissent recharger leurs téléphones.

Plusieurs témoins, dont le directeur de la gare, le chef de la police et des bénévoles qui travaillaient à la gare, ont décrit l’importance de la foule au matin du 8 avril. Un journaliste ukrainien, Alexey Merkoulov, qui est arrivé à la gare vers 10 heures et était présent et filmait au moment de l’attaque, a fait de nombreuses vidéos du quai, de l’intérieur de la gare et de la zone située à l’extérieur de l’entrée qui donnait vers l’ouest. En s’appuyant sur ces vidéos, sur des entretiens avec d’autres personnes présentes dans la gare, et sur une analyse de l’architecture de la gare et de ses environs, SITU Research et Human Rights Watch ont calculé qu’il y avait plus de 500 personnes dans et autour de la gare au moment de l’attaque.

SITU Research et Human Rights Watch ont utilisé la vidéo filmée par Alexey Merkoulov pour compter le nombre de personnes visibles autour de la gare juste avant l’attaque. © 2022 Alexey Merkoulov, journaliste. Analyse par SITU Research et Human Rights Watch

« Quelque chose de terrible »

Le 8 avril à 10h28, la vidéo du journaliste Alexey Merkoulov montre une famille qui s’entretient avec à un bénévole à l’extérieur du bâtiment principal de la gare de Kramatorsk, à l’extrémité sud, près d’une porte extérieure, lorsqu’une forte explosion fait trembler les vitres de la gare, courir les chiens et sursauter les gens.

Des personnes à la gare de Kramatorsk sursautent après avoir entendu une explosion au-dessus de leur tête à 10h28. © 2022 Alexey Merkoulov, journaliste

Anton, un bénévole, se trouvait plus près du centre de la gare, sur le côté du quai. Il a expliqué qu’il emmenait un groupe de personnes du bâtiment principal vers le quai lorsqu’il a entendu et ressenti une puissante explosion. Il a raconté :

Des personnes ont été projetées au sol par l’onde de choc. Certains ont subi des traumatismes dus à l’onde de choc, comme des saignements de nez. Les gens ont commencé à paniquer. J’ai essayé de les calmer puisque les explosions avaient déjà eu lieu. Mais les sous-munitions ont commencé à tomber. Les gens couraient dans le bâtiment pour se cacher à l’intérieur. ... J’ai été renversé. ... Après [l’arrêt des explosions], je me suis extrait de la pile de personnes entassées et quand je me suis relevé, il y avait des blessés partout autour de moi.16

Anton a déclaré que lui-même et les autres personnes présentes à la gare avaient été complétement pris au dépourvu par l’attaque : « Il n’y a pas eu d’avertissement. Pas de sirène. »

Yuliia Davliatchyna, âgée d’une cinquantaine d’années, attendait sur le quai du train au nord de la gare avec quatre membres de sa famille – sa fille, son mari, le frère et la mère de ce dernier – lorsque les sous-munitions ont commencé à pleuvoir. Elle a fourni ce témoignage :

Lorsque les premières explosions se sont produites, nous n’avons pas compris ce que c’était. Nous avions entendu des explosions plusieurs fois auparavant, mais celles-ci étaient tellement proches, donc inhabituelles. C’est quand les gens ont commencé à crier que j’ai compris. C’était quelque chose de terrible.

Lorsque nous avons compris que [l’explosion] s’était produite juste à côté de nous, nous nous sommes jetés à terre. Mais ma belle-mère [âgée de 72 ans] n’a pas réagi assez vite, et est restée assise. Une de ses jambes a été arrachée, l’autre a été broyée. Elle est décédée peu après.

Mon mari a protégé notre fille avec son corps. [Après quoi] il a été gravement blessé. ... L’os de son épaule droite a été coupé en deux par un morceau de métal. Cette pièce [de métal] a été extraite plus tard. Elle ressemble à un petit carré.

Un homme en combinaison orange, un ouvrier peut-être, a été tué. Nous lui avions parlé juste avant. L’instant d’après, il était mort.17

Vladyslav Kopychko, 27 ans, se trouvait lui aussi sur le quai du côté nord de la gare. Sa mère, son demi-frère Liovka, âgé de 3 ans, et sa belle-mère étaient à l’intérieur du bâtiment principal de la gare. Ils attendaient un train dont on leur avait dit qu’il arriverait à midi. Il a expliqué :

Après la première explosion, je me suis retourné, mais je n’ai rien entendu. J’ai commencé à écouter attentivement et j’ai entendu un sifflement et j’ai vu quelque chose qui s’approchait de moi. J’étais assis sur le banc, dos à la ville, face aux voies ferrées – et le son que j’entendais venait de derrière. J’ai tourné la tête vers la droite et j’ai entendu ce sifflement dans mon oreille droite.

J’ai sauté sous le banc et me suis couché sur le côté. Si je n’avais pas entendu ce bruit, je ne me serais pas caché et j’aurais pu être tué. Quand j’étais sous le banc, j’ai entendu une autre explosion, puis 10 autres. J’ai crié pour éviter un barotraumatisme [blessure à l’oreille causée par une explosion]18 et puis j’ai senti que quelque chose me pénétrait le corps.

Après j’ai levé la tête et j’ai vu un homme mort. J’ai vu son cerveau, sa jambe déchirée – cette personne était couchée sur moi, son visage était tourné vers moi. Ses intestins s’étaient déversés sur moi. J’ai compris qu’il n’était plus vivant. J’ai ensuite vu que je saignais et que j’étais criblé de métal dans le dos, le bassin et les fesses.

La mère de Vladyslav, Olena Khalimonova, 49 ans, a déclaré qu’elle et les autres personnes avec lesquelles elle se trouvait à l’intérieur de la gare s’étaient jetées à terre après la première explosion et avaient caché l’enfant sous un banc. Aucun d’entre eux n’a physiquement été blessé. Olena Khalimonova s’est ensuite précipitée à l’extérieur pour retrouver son fils. Elle s’est servie de ceintures pour improviser des garrots et arrêter l’hémorragie de ses jambes, une technique qu’elle avait apprise sur Internet.

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Une personne blessée lors de l’attaque a fourni à Human Rights Watch des fragments de métal comme celui-ci, que les médecins ont extrait de son corps. Les fragments sont de forme et de taille semblables à ceux des sous-munitions 9N24, ainsi qu’aux fragments que Human Rights Watch a trouvés à la gare de Kramatorsk. © 2022 Yuliia Davliatchyna

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Vladyslav Kopychko sur son lit d’hôpital à Kiev, où il se remettait de ses blessures causées par des fragments de métal. © 2022 Olena Khalimonova

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Une radiographie photographiée par Human Rights Watch dans un hôpital de Kramatorsk montre un fragment métallique enfoncé dans le corps d’une personne blessée. La forme et la taille du fragment correspondent à celles des fragments métalliques préformés contenus dans la sous-munition 9N24 et examinés à la gare de Kramatorsk par Human Rights Watch. © 2022 Human Rights Watch

Andrii Kovaliov, 46 ans, attendait sur le quai lorsque les explosions ont commencé. Il dit avoir vu un homme passer en courant devant lui avec un enfant dans les bras. Du sang coulait du corps de l’enfant et l’homme criait : « Pourquoi lui et pas moi ? Ses jambes sont arrachées ! »19

Les personnes qui étaient déjà montées dans le train régional en direction de Lozova n’ont pas été épargnées.20 Hanna Breslavets, 46 ans, et ses deux enfants – Liliia, 12 ans, et Artem, 13 ans – étaient montés dans ce train pour fuir Kramatorsk aussi vite que possible. Elle a expliqué qu’après qu’ils soient montés dans le train, les bombes avaient commencé à tomber. Son fils Artem a été frappé par un morceau de métal qui a pénétré puis s’est figé dans sa cuisse. Hanna Breslavets a réalisé plus tard qu’elle avait elle aussi été coupée par un éclat de verre au niveau du front.21

Sur le parking devant la gare, un homme qui a requis l’anonymat a déclaré qu’il attendait près de sa voiture pendant que sa femme, ses enfants et petits-enfants attendaient à l’intérieur de la gare. Lorsque les explosions ont commencé, il a crié à un homme qui était à proximité de se baisser, mais l’homme a été touché et s’est effondré au sol. Une autre sous-munition a explosé sur la voiture voisine, et l’homme qui attendait près de sa voiture a perdu connaissance. Il a raconté comment il a rapidement repris conscience et vu une flaque d’essence de la voiture d’à côté prendre feu. Les flammes se sont propagées à l’homme qui avait été touché. Il a expliqué qu’il a alors retrouvé ses esprits et s’est traîné jusqu’à l’intérieur de la gare pour se mettre en sécurité et retrouver sa famille. Il a appris plus tard que trois véhicules du parking avaient pris feu, brûlant le corps de l’homme tué près de sa voiture.22

Chaos et carnage

À 11h17 le 8 avril 2022, Pavlo Kyrylenko, le chef de l’administration militaire régionale de Donetsk qui dépend du gouvernement ukrainien a déclaré sur sa chaîne Telegram que « plus de 30 personnes sont mortes et plus de 100 autres ont été blessées suite à l’attaque à la roquette contre la gare de Kramatorsk », qu’il a qualifiée d’« attaque ciblée contre l’infrastructure de transport de passagers du chemin de fer et les habitants de la ville de Kramatorsk ».

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Message Telegram de Pavlo Kyrylenko, chef de l’administration militaire régionale de Donetsk qui dépend du gouvernement ukrainien, qui indique que « plus de 30 personnes sont mortes et plus de 100 autres ont été blessées suite à l’attaque à la roquette contre la gare de Kramatorsk ». © 2022 Pavlo Kyrylenko via Telegram

Juste après l’attaque, les survivants qui se trouvaient autour de la gare et sur le quai se sont rassemblés dans le bâtiment principal de la gare pour se mettre en sécurité, tandis que d’autres ont fui la zone. Dans une vidéo filmée par Alexey Merkoulov à 10h33, on peut voir des personnes courir vers l’ouest de la gare, en direction de plusieurs zones résidentielles et commerciales.

Juste après l’attaque, de nombreux survivants se sont regroupés dans le bâtiment principal de la gare de Kramatorsk pour se mettre à l’abri, tandis que d’autres ont immédiatement quitté ce lieu. © 2022 Alexey Merkoulov, journaliste

Dans cette vidéo filmée à 10h33 le 8 avril 2022 par Alexey Merkoulov, on peut voir des personnes courir dans la partie ouest de la gare de Kramatorsk, vers les zones résidentielles et commerciales voisines. 2022 Alexey Merkoulov, journaliste

Oleksander Vovk, 45 ans, se trouvait chez lui en face de la gare et a déclaré qu’il avait accueilli les gens dans son sous-sol pour qu’ils puissent se mettre à l’abri, avant de se précipiter jusqu’à la gare pour voir s’il pouvait aider. Lorsqu’il est arrivé, il a vu des blessés et des morts partout autour de lui. « J’ai vu un enfant dont la tête était éclatée», a-t-il expliqué. Il s’est ensuite précipité pour aider un autre enfant gravement blessé à la jambe. Il a emmené autant de personnes que possible à l’hôpital, et appelé sa femme, infirmière, pour lui dire qu’il y avait des blessés partout.23

Des bénévoles et d’autres civils présents sur les lieux ont désespérément tenté de soigner les blessés en attendant l’arrivée des premiers secours.

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Des vitres brisées, des éclats de verre et des taches de sang dans le train d’évacuation local qui se trouvait devant la gare de Kramatorks au moment de l’attaque au missile. © 2022 Fadel Senna/AFP via Getty Images

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Image explicite - Des effets personnels abandonnés et les corps de civils tués sur le quai après l’attaque contre la gare de Kramatorsk. © 2022 Andrea Carrubba/Anadolu Agency via Getty Images
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Image explicite - Un civil aidait deux membres d’une équipe d’intervention municipale à transporter un corps après l’attaque contre la gare de Kramatorsk, le 8 avril 2022. © 2022 Fadel Senna/AFP via Getty Images

Vitalii Oshmoukha, un volontaire à la gare, a décrit la scène terrible qu’il a vécue quand lui-même et d’autres personnes, après avoir fait le tri parmi les morts, ont tenté de prodiguer les premiers soins à la gare avec tout ce qu’ils avaient sous la main, notamment des couches-culottes pour panser les blessures. Vitalii Oshmoukha n’avait pas de pansements, « mais il y avait beaucoup de couches ». Il a donc expliqué comment il s’est servi des couches pour soigner les blessures d’une femme. Il a aussi utilisé sa ceinture comme garrot de fortune en voyant un homme saigner abondamment d’une jambe sur le quai.

Certaines personnes gravement blessées sont rapidement décédées, a déclaré Vitalii Oshmoukha. La plupart des blessés qu’il a vus avaient des blessures aux membres inférieurs et à l’abdomen. « Ils saignaient », a-t-il dit. « Si nous avions eu plus de moyens pour arrêter les saignements, ils auraient été moins nombreux à mourir ».

Vitalii Oshmoukha a ajouté qu’alors qu’il courait pour aller aider les gens, il avait aperçu une femme assise en position verticale près de la tente verte à l’extrémité sud de la station. Mais quand il est revenu un peu plus tard, elle était déjà morte. La tente verte s’était effondrée à cause de l’explosion. Lorsqu’il a dégagé la toile, il y a trouvé d’autres corps.

Aliona Kobets, 45 ans, se trouvait dans la tente verte avec neuf membres de sa famille au moment de l’attaque, et elle a décrit la détonation des sous-munitions à proximité. Les membres de sa famille et un bébé de 5 mois d’une autre famille sont les seuls à avoir survécu. « Les autres étaient des cadavres. ... Nous avons couru et il y avait cadavres devant nous », a-t-elle dit. « Quelqu’un était décapité. Un autre n’avait plus de jambes.»24

Aliona Kobets a également décrit les blessures subies par six membres de sa famille :

  • Iryna, 8 ans, avait une lacération à la cuisse droite. Elle était toujours hospitalisée à la fin du mois de mai 2022.
  • Milana, 9 ans, avait des fragments de métal logés dans le bras et la main droits ; l’un des fragments près de l’auriculaire a été retiré ; les plus petits morceaux de métal sont restés à l’intérieur.
  • Oleksandra, 12 ans, avait un fragment de métal logé dans la partie inférieure de sa jambe gauche, qui a ensuite été retiré.
  • Hanna, 15 ans, avait un fragment de métal logé près de la taille. Les médecins de Dnipro ont dit que l’enlever comportait des risques. À Lviv, les médecins ont déclaré que le fragment s’était déplacé de huit centimètres vers le bas. Fin mai, la famille était toujours à la recherche d’un spécialiste pour retirer le fragment. Le talon droit d’Hanna a également été blessé et l’a fait boiter pendant un certain temps.
  • Heorhii, 18 ans, a été blessé au coude. Deux fragments de métal ont ensuite été retirés.
  • Halyna, 44 ans, a eu une vertèbre cervicale disloquée par l’onde de choc, endommageant les nerfs.

Les services d’urgence, y compris des unités médicales militaires, sont arrivés à la gare quelques minutes après l’attaque. Un ambulancier attaché à une unité militaire stationnée à proximité a déclaré qu’on lui avait demandé d’aider à ramasser les corps. « Mais il n’y avait pas que des corps à ramasser », a-t-il expliqué. Alors qu’il s’activait autour du quai en essayant d’aider là où il le pouvait, il a également collecté des parties de corps appartenant aux morts et aux blessés et les a mis de côté. « J’entendais beaucoup de cris », se souvient-il. « Les gens pleuraient, partout autour de nous. Ces pleurs exprimaient une très grande douleur. J’ai entendu les pleurs de personnes qui n’avaient plus que 20 à 40 secondes à vivre. J’ai entendu les derniers cris avant la mort. J’ai vu des membres arrachés, des membres d’enfants, joncher le sol. J’ai vu une tête qui roulait par terre. »

Le commandant de la police, Oleksandr Malysh, est arrivé après avoir entendu à la radio les multiples appels à l’aide de ses agents qui se trouvaient déjà sur place. Il a croisé un homme qui portait une jeune fille « à qui il manquait la moitié du crâne », a-t-il raconté. « J’ai pris la fille, je l’ai mise dans une voiture de patrouille et je l’ai conduite à l’hôpital... à toute allure avec les feux allumés. Je l’ai emmenée à l’Hôpital municipal No. 1. J’ai vu au visage des infirmières que c’était le premier tel cas qu’elles voyaient. »25

Des civils en possession de véhicules et des secouristes ont également transporté en urgence les personnes gravement blessées vers les hôpitaux les plus proches, les hôpitaux municipaux n° 1 et n° 3. En peu de temps, les hôpitaux étaient bondés de personnes qui luttaient pour leur survie, tandis que les médecins s’efforçaient d’arrêter les hémorragies graves et de sauver des membres qui étaient presque sectionnés. Un médecin de l’Hôpital n° 3 a déclaré qu’une cinquantaine de personnes se trouvaient sur place, mais qu’il avait fallu appeler en renfort les hôpitaux de toutes les villes voisines.26

Viktor Kryklii, le médecin-chef par intérim de l’Hôpital municipal n° 1, a décrit les efforts du personnel hospitalier ce jour-là :

Entre 10h40 et 15h, nous avons traité 56 personnes, et plus tard 7 autres encore, ce qui fait 63 personnes en tout. Il y avait 42 femmes et 21 hommes. Huit d’entre eux sont morts plus tard, dont une fille de 12 ans. Nous avons aidé 11 enfants. Les blessures provenaient principalement de l’amputation traumatique de membres. Certains blessés ont subi de lourds traumatismes. Nous avons tenté de sauver une personne dans le couloir, qui était cliniquement morte avec une blessure à la tête à l’arrière du crâne et une autre dans la partie gauche de sa poitrine. Mais les tentatives de réanimation n’ont rien donné et la personne est morte. Une femme a eu la mâchoire arrachée.27

Valentina Choubatenko, la directrice médicale de l’Hôpital n° 3, a déclaré que son personnel avait traité 60 patients au total : 26 hommes, 25 femmes et 9 enfants. Une cinquantaine de patients présentaient des blessures plus graves qui devaient être traitées immédiatement, notamment des fractures, des amputations, des hémorragies et des chocs traumatiques. D’autres avaient des blessures mineures telles que des éraflures et des contusions.28

Vitaliy Kyrylenko, chirurgien et chef par intérim du service de traumatologie de l’Hôpital n° 3, a déclaré avoir commencé à traiter des patients environ 20 minutes après l’attaque, jusqu’à environ 1 heure du matin le lendemain. Les blessures allaient de fractures ouvertes causées par l’explosion, à des traumatismes partiels de membres et aux amputations, en passant par des traumatismes crâniens et des traumatismes dus aux explosions, y compris des brûlures de la peau. « Les personnes avaient des fragments [de métal] dans le corps», a-t-il expliqué. « Nous les avons retirés quand nous avons pu, mais pour certains, ce n’était pas possible ».29

Andrii Petrychenko, chef du Département de la santé de Kramatorsk, a déclaré que, malgré les efforts des médecins, 16 patients étaient décédés après leur opération.30

Dans plusieurs cas, les blessures étaient si graves que les hôpitaux qui se trouvaient sur place ne pouvaient qu’espérer stabiliser les victimes. Les médecins et les secouristes ont rapidement organisé des ambulances pour transporter les cas les plus urgents vers les hôpitaux de Pavlohrad et Dnipro, à l’ouest de Kramatorsk. Viktor Kryklii, le médecin-chef par intérim de l’Hôpital n° 1, a déclaré que 20 ambulances étaient arrivées de Dnipro la nuit qui a suivi l’attaque et qu’elles avaient emmené les blessés les plus graves, notamment les amputés et les enfants.

À Dnipro, Human Rights Watch a parlé avec six médecins qui ont traité des patients de Kramatorsk à l’hôpital pour enfants de la région de Dnipropetrovsk. Ils ont déclaré avoir traité 16 enfants, 10 filles et 6 garçons, et 5 adultes âgés de 18 à 44 ans. Les 5 premiers enfants et 2 premiers adultes sont arrivés à l’hôpital vers 15 ou 16 heures le jour de l’attaque. Certains des enfants avaient perdu des membres. Le lendemain matin vers 6h30, 11 autres enfants et 3 autres adultes sont arrivés. Le directeur de l’hôpital a déclaré que l’unité de soins intensifs disposait de 12 lits mais qu’il avait fallu en ajouter d’autres.31

Human Rights Watch a examiné 28 photos de blessures subies par des patients traités à Dnipro, montrant des membres amputés, des os cassés et d’autres blessures.

L’hôpital a indiqué à Human Rights Watch l’âge de chacun des 21 patients traités, et a fourni une courte description de leurs blessures :

  • Âge : 4 ans Fracture ouverte du tiers inférieur du fémur gauche avec déplacement des fragments.
  • Âge : 2 ans Lésion de la paroi abdominale antérieure.
  • Âge : 26 ans Blessure due à des fragments dans les tissus mous de la région lombo-iliaque.
  • Âge : 17 ans Plaie ouverte dans les tissus mous du tiers inférieur-médian de la cuisse gauche.
  • Âge : 11 ans Lésion cérébrale traumatique. Plaie ouverte de la région pariétale droite.
  • Âge : 13 ans Plaie ouverte dans le tiers supérieur de la cuisse droite. Corps étranger dans le tiers supérieur de la cuisse droite.
  • Âge : 44 ans Plaie ouverte au front.
  • Âge : 10 ans Amputation traumatique du tiers inférieur du tibia droit. Amputation traumatique de la partie inférieure de la jambe gauche au niveau de l’articulation de la cheville. SPO (Ostéotomie Smith-Petersen) : Amputation du tibia gauche. Résection du pied droit. Plaies par fragmentation d’arme à feu dans les membres inférieurs mous. Douleur fantôme. Choc hypovolémique du deuxième stade.
  • Âge : 17 ans Amputation traumatique du membre supérieur gauche.
  • Âge : 7 ans Plaie ouverte dans les tissus mous du membre inférieur droit.
  • Âge : 15 ans Plaie ouverte dans les tissus mous de la région lombaire.
  • Âge : 9 ans Plaie ouverte dans les tissus mous d’un membre supérieur.
  • Âge : 9 ans Plaie ouverte dans les tissus mous de la cuisse gauche et de l’épaule gauche.
  • Âge : 9 ans Plaie ouverte à la cuisse.
  • Âge : 37 ans Plaie ouverte dans la cuisse. Corps étranger dans la cuisse.
  • Âge : 15 ans Plaie ouverte dans les tissus mous d’un membre inférieur. Plaie par fragmentation.
  • Âge : 18 ans Plaie ouverte dans les tissu mous du coude gauche.
  • Âge : 12 ans Plaie ouverte dans les tissus mous de la main droite.
  • Âge : 12 ans Fractures multiples aux deux jambes.
  • Âge : 7 ans Plaie ouverte de la paroi abdominale antérieure due à des fragments avec corps étranger.
  • Âge : 43 ans Blessure à la cuisse droite due à des fragments. Plaie ouverte.
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Image explicite – Un enfant blessé lors de l’attaque au missile contre la gare de Kramatorsk le 8 avril 2022 reçoit un traitement à l’unité de soins intensifs pédiatriques d’un hôpital de la ville de Dnipro, en Ukraine, le 14 avril 2022. © 2022 Andrea Carrubba/Anadolu Agency via Getty Images

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Image explicite – Certains des civils blessés ont été soignés dans un hôpital municipal après l’attaque contre la gare de Kramatorsk, le 8 avril 2022. © 2022 Wojciech Grzedzinski/The Washington Post via Getty Images
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Image explicite – Un enfant blessé lors d’une attaque de missiles est traité à l’unité de soins intensifs pédiatriques d’un hôpital de la ville de Dnipro, en Ukraine, le 14 avril 2022. © 2022 Andrea Carrubba/Andalou Agency via Getty Images

« Pour les enfants » : Un message de vengeance russe

L’arme utilisée lors de l’attaque contre la gare de Kramatorsk – un missile balistique 9M79K-1, ou Tochka-U – peut être lancée jusqu’à 120 kilomètres de distance de la cible envisagée et est conçue pour avoir un effet destructeur maximal. À Kramatorsk, le moteur de la fusée du missile a atterri à environ 50 mètres au sud-ouest de l’entrée principale de la gare. Sur le côté, on pouvait lire deux mots russes inscrits en peinture argentée : ЗА ДЕТЕЙ (« Za detei »), signifiant « POUR LES ENFANTS ». Cela semblait être un message de rétribution, qui s’inspire de l’affirmation souvent répétée part le gouvernement russe selon laquelle les bombardements ukrainiens blessent et tuent des enfants russes dans le Donbass depuis que les forces soutenues par la Russie ont pris le contrôle de certaines parties de cette région en 2014.32

Le missile Tochka-U utilisé dans l’attaque est un type d’arme à sous-munition. Les armes à sous-munitions sont conçues pour s’ouvrir en l’air et disperser des dizaines, voire des centaines, de sous-munitions sur de vastes zones. Lorsque ces armes sont utilisées, il arrive fréquemment que certaines des sous-munitions n’explosent pas à l’impact initial, laissant des engins non explosés qui peuvent agir comme des mines terrestres pendant des années, voire des décennies.

Ce modèle Tochka-U est conçu pour transporter 50 sous-munitions.

Le 8 avril, quand le missile s’est approché de la gare et alors qu’il se trouvait encore à plus de 2 000 mètres du sol, son ogive (de type 9N123K) a dispersé 50 sous-munitions à fragmentation 9N24. Chacune d’entre risque d’être mortelle pour les personnes se trouvant dehors, sans protection. Elles sont conçues pour blesser et tuer, ou détruire des équipements légèrement protégés dans la zone d’impact prévue.

Chaque sous-munition 9N24 pèse 7,4 kilogrammes et transporte 1,45 kilogramme de charge explosive, soit la même quantité environ qu’un obus de mortier de taille moyenne. Les sous-munitions sont équipées d’un aileron à quatre bras avec des rubans blancs qui se déploient lorsque la sous-munition est éjectée de l’ogive.

Les rubans stabilisent et ralentissent la sous-munition lors de sa chute, augmentant ainsi les chances qu’elle fonctionne comme prévu. Chaque sous-munition 9N24 est équipée d’une fusée conçue pour exploser quand elle heurte une surface dure à un angle compris entre 25 et 90 degrés, ou pour s’autodétruire dans un délai de 32 à 60 secondes après avoir été libérée de la tête du missile.33

La partie principale de chaque sous-munition comporte 18 anneaux métalliques préformés et partiellement pré-fragmentés qui, lors de la détonation, produisent un total d’environ 316 fragments métalliques quasi uniformes, d’un poids moyen de 7 grammes chacun et qui se propagent à grande vitesse dans toutes les directions. Cela signifie que les 50 sous-munitions dispersées lors d’une seule attaque par un missile balistique équipé d’une ogive 9N123K peuvent produire 15 800 de ces fragments métalliques préformés – qui sont tous des projectiles mortels, ainsi que des fragments d’autres parties métalliques produits par la détonation.

L’image ci-dessous montre des fragments de métal ayant pénétré les corps des hommes, des femmes et des enfants qui attendaient à la gare, arrachant leurs membres dans certains cas et causant des blessures parfois mortelles.

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Fragments métalliques de sous-munitions 9N24 trouvés par Human Rights Watch à la gare de Kramatorsk après l’attaque. © 2022 Human Rights Watch

Une vidéo filmée par le journaliste Alexey Merkoulov à 10h33 le 8 avril 2022 montre la section de guidage et de propulsion du missile en feu, à environ 50 mètres au sud et à l’ouest de l’entrée principale de la gare.34

Une vidéo filmée par Alexey Merkoulov à 10h33 le 8 avril 2022 montre la section de guidage et de propulsion du missile en feu, à environ 50 mètres au sud-ouest de l’entrée principale de la station. © 2022 Alexey Merkoulov, journaliste

La vidéo filmée par Alexey Merkoulov à 10h22 ne montre aucun missile au sud-ouest de l’entrée principale de la gare. © 2022 Alexey Merkoulov, journaliste

Aucun missile n’est visible dans une vidéo de la même zone enregistrée par Alexey Merkoulov quelques minutes plus tôt, à 10h22. Human Rights Watch a examiné un total de 21 photos et vidéos montrant la section de propulsion et de guidage du missile peu après son impact, examen qui a permis d’identifier l’arme. Les chercheurs de Human Rights Watch se sont rendus sur le site le 14 mai et ont observé que le sol avait été retourné dans l’herbe, à l’endroit où les photos et vidéos montraient des restes de munitions.

Entre le 14 et le 19 mai 2002, Human Rights Watch a également identifié 32 sites d’impact distincts où des sous-munitions 9N24 ont frappé et explosé, notamment sur le sol qui entoure la gare, le toit du bâtiment principal de la gare, les quais, sur et à l’extérieur des magasins voisins, et dans le parking à l’est de l’entrée principale de la gare. Human Rights Watch a analysé des modèles de dispersion à l’impact, des restes et des modèles de fragmentation, qui correspondaient tous à ceux d’une sous-munition 9N24.

Les 32 points d’impact distincts des sous-munitions que Human Rights Watch a identifiés étaient situés sur une zone d’environ 55 000 mètres carrés, soit environ la taille de 10 terrains de football. Bien que la portée létale maximale de chaque sous-munition soit inconnue, les chercheurs ont trouvé des fragments de sous-munitions enfoncés dans l’acier à des dizaines de mètres des points d’impact connus. Cela démontre l’impact dévastateur que peut produire un seul missile Tochka-U équipé d’une ogive d’arme à sous-munitions sur une large zone.

Human Rights Watch a examiné deux vidéos et une photographie postées sur Telegram le 8 avril montrant ce qui semble être le lancement de deux missiles et deux traînées de fumée qui correspondent à des missiles lancés depuis le sol. Les légendes des deux vidéos expliquent qu’elles ont été filmées à Shakhtarsk dans la région de Donetsk, à environ 100 kilomètres au sud-est de Kramatorsk, et certains commentateurs ont émis l’hypothèse qu’elles pourraient être des images du lancement de l’attaque contre la gare de Kramatorsk. L’analyse de ces documents par Human Rights Watch s’est toutefois révélée peu concluante s’agissant de la datation de ces vidéos, et du lieu où elles auraient été filmées.35

« ZA DETEI » (ЗА ДЕТЕЙ) – « Pour les enfants »

Le slogan « Vengeance pour les enfants du Donbass » (ou en forme raccourcie « Za detei », « Pour les enfants ») est un slogan populaire en Russie et dans les territoires ukrainiens occupés par ce pays. Il est utilisé comme cri de ralliement par les groupes armés russes et soutenus par la Russie dans le Donbass depuis leur prise du contrôle de certaines parties de la région en 2014. Il a également été utilisé par divers groupes et individus depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022. Des comptes de réseaux sociaux pro-russes, sur Telegram et TikTok notamment, ont publié ce slogan à plusieurs reprises à côté d’images de forces russes faisant usage d’artillerie et d’autres munitions en Ukraine.36 Les médias russes ont également publié des photos de troupes affiliées à la Russie inscrivant ce slogan sur des munitions depuis le 24 février 2022. Au début de l’invasion à grande échelle, Rybar et Swodki, des chaînes Telegram pro-russes qui comptent un grand nombre d’adeptes, ont publié des messages appelant les unités russes et celles qui sont soutenues par la Russie à écrire ce slogan sur leurs véhicules blindés pour les distinguer des véhicules ukrainiens. 37Les forces russes et celles des soi-disant « République populaire de Donetsk » et « République populaire de Louhansk », des zones des régions de Donetsk et de Louhansk actuellement occupées par la Russie, font également figurer ce slogan sur les projectiles d’artillerie et sur les roquettes.38 En juillet 2022, le slogan est apparu sur des panneaux d’affichage à Moscou dans le cadre d’une campagne de publicité pro-guerre.39 Le ministère russe de la Défense a également utilisé l’expression dans au moins deux de ses messages publiés sur les réseaux sociaux, sur Instagram et Twitter.40

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Une vidéo postée sur le compte TikTok de l’utilisateur @sekretka_v le 19 septembre 2022 montre le lancement de plusieurs roquettes avec la légende : « Vengeance pour les enfants du Donbass ». © 2022 @loverbanhammer via TikTok

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Une photo postée par le ministère russe de la Défense sur Instagram avec la lettre « Z », où l’on peut lire « Vengeance pour les enfants du Donbass », le 5 mars 2022. © 2022 @mil_ru sur Instagram

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Sur ce panneau d’affichage le 19 juillet 2022, devant la chambre basse du Parlement russe, dans le centre de Moscou, on pouvait lire les lettres Z – emblème tactique des troupes russes en Ukraine – et le texte : « Pour la Russie ! Vengeance pour les enfants du Donbass ! » © 2022 Alexander Nemenov/AFP via Getty Images

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Une vidéo postée sur le compte TikTok de l’utilisateur @loverbanhammer le 12 octobre 2022 a pour légende « Vengeance pour les enfants morts du Donbass ! ». Un homme non identifié sur la vidéo dit en russe : « Vengeance pour les enfants morts du Donbass. Nous allons nous venger ». © 2022 @loverbanhammer via TikTok

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Une vidéo postée sur le compte TikTok de l’utilisateur @sekretka_v le 19 septembre 2022 montre le lancement de plusieurs roquettes avec la légende : « Vengeance pour les enfants du Donbass ». © 2022 @sekretka_v via TikTok

Démentis du gouvernement russe

Le 8 avril 2022 à 12h26, le ministère russe de la Défense a démenti que les forces russes aient attaqué la gare de Kramatorsk et affirmé que cette allégation était une « provocation et un mensonge », ajoutant que ces forces n’avaient pas planifié ni effectué de « missions de tir » contre Kramatorsk ce jour-là. Le ministère a ensuite affirmé à tort que les forces ukrainiennes étaient les seules à utiliser le missile Tochka-U.41

Plus tard dans la journée du 8 avril, sans toutefois présenter aucune preuve, le ministère de la Défense a accusé les forces ukrainiennes d’avoir mené l’attaque contre la gare afin de perturber les évacuations et d’utiliser les civils comme « boucliers humains ».”42 Cette affirmation sans fondement contraste directement avec les efforts considérables déployés par les autorités ukrainiennes pour faciliter et encourager l’évacuation des civils, tel qu’il a été décrit ci-dessus. Les parties au conflit ont l’obligation, en vertu du droit international humanitaire, les lois de la guerre, de faciliter l’évacuation des civils des zones de combats actifs.

Le 20 avril, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a réitéré cette affirmation sans fondement, déclarant que l’attaque de Kramatorsk avait été menée par les forces ukrainiennes après que « les gens ont été invités à se rendre à la gare ». 43 Bien que des dizaines de milliers de personnes se soient rendues en voiture ou en bus à la gare de Kramatorsk au cours de la semaine précédente, encouragées par les autorités locales à fuir l’offensive russe, Sergueï Lavrov semblait suggérer que l’arrivée massive de civils à la gare le matin du 8 avril était différente ou faisait partie d’un plan ukrainien visant à tuer des Ukrainiens de manière intentionnelle.

Human Rights Watch n’a trouvé aucune preuve à l’appui des affirmations russes. Au contraire, tout indique que les forces russes ont tiré le missile Tochka-U avec des munitions à fragmentation sur la gare de Kramatorsk.

Le 3 février 2023, Human Rights Watch a envoyé des questions au ministère russe de la Défense sur l’utilisation de missiles Tochka en Ukraine et sur les preuves dont il dispose pour appuyer leur affirmation d’une responsabilité ukrainienne dans cette attaque. Nous n’avions toujours pas reçu de réponse au moment de la publication de ce rapport.

Utilisation de missiles Tochka par les forces russes en Ukraine

Depuis son entrée en service en 1989, le système de missiles Tochka occupe une place importante dans l’arsenal militaire de la Russie, et auparavant de l’Union soviétique. Le système a également été et est actuellement encore utilisé par les forces ukrainiennes.44 L’armée russe prévoit depuis longtemps de remplacer ce système vieillissant et a annoncé en 2019 qu’elle avait terminé de réarmer toutes ses brigades de missiles qui utilisaient des missiles Tochka avec le système de missiles balistiques 9K720 Iskander.45 Depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022, les responsables russes ont déclaré à de multiples occasions, notamment dans des lettres adressées au Conseil de sécurité de l’ONU le 15 mars et à l’Assemblée générale le 8 avril, que leur armée n’utilisait pas de missiles Tochka.46

U.N. letter, page 1
U.N. letter, page 2

Lettre de Vassily Nebenzia, Représentant permanent de la Russie auprès des Nations Unies, au Secrétaire général de l’ONU et au président du Conseil de sécurité, affirmant que la Russie n’utilise pas de missiles Tochka-U.

Malgré ces démentis, diverses sources ont rendu compte de l’utilisation par la Russie de ce système de missiles depuis le 24 février 2022. En juillet 2022, un ancien officier militaire russe et un commentateur pro-gouvernemental ont critiqué l’armée russe pour ne pas avoir dissimulé les lanceurs de Tochka-U que les forces ukrainiennes auraient détruits près de Louhansk.47 En janvier 2022, la publication Jane’s Strategic Weapons Yearbook, une référence en la matière, a indiqué que les forces militaires russes et ukrainiennes disposaient toutes deux du système de missiles Tochka dans leurs stocks.48 Divers enquêteurs indépendants ont également documenté la présence de missiles balistiques russes Tochka-U en Ukraine et à proximité de ce pays, en examinant des photos et vidéos publiées sur les réseaux sociaux.49

Human Rights Watch a également identifié plusieurs endroits où les forces russes ont apparemment déployé des systèmes de missiles Tochka en Ukraine depuis le 24 février 2022.

Dans le village de Kunie, à 22 kilomètres au nord d’Izioum dans la région de Kharkiv, Human Rights Watch a trouvé de nombreuses preuves de la présence de missiles Tochka près d’une installation utilisée par les forces russes au moment de l’attaque du 8 avril 2022. La gare de Kramatorsk se trouve bien dans le rayon d’action de 120 kilomètres du missile Tochka-U. Les forces russes ont occupé cette région pendant environ six mois, de début mars à début septembre 2022.

Human Rights Watch a analysé des images satellite à haute résolution prises le 15 avril 2022, qui montrent plusieurs grands conteneurs rectangulaires sur une dalle de béton à l’extérieur de l’installation utilisée par les forces russes près de Kunie. La forme, la taille et la couleur des conteneurs correspondent à des conteneurs de transport 9Ya234 prévus pour les missiles Tochka. Au moins 12 de ces conteneurs de transport sont également visibles sur une image satellite prise le 6 septembre. Les mêmes conteneurs sont également visibles sur ce site dans deux vidéos mises en ligne sur la page Facebook officielle du commandement des troupes d’assaut aéroportées des forces armées ukrainiennes les 29 et 30 juin.50 Les vidéos montrent ce que les forces armées ukrainiennes affirment être une attaque contre ce site, où de nombreux véhicules militaires étaient garés. L’analyse de l’imagerie satellite par Human Rights Watch a confirmé que cette attaque s’est produite entre le 28 juin à 11h04 et le 29 juin 2022, à 11h07.

Une image satellite enregistrée le 6 juin 2022, montrant des conteneurs de missiles Tochka sur une dalle de béton dans un complexe du village de Kunie, que les forces militaires russes ont utilisés pendant leur occupation de la région. © 2022 Planet Labs PBC

Le 11 avril 2022, date la plus proche de celle du 8 avril pour laquelle des images satellite sont disponibles, les conteneurs de missiles Tochka présumés n’étaient pas visibles à cet endroit. Cela n’exclut toutefois pas la possibilité que les missiles Tochka aient été lancés depuis cette zone ou que les missiles aient été stockés dans l’enceinte. Il est peu probable que ces munitions de valeur aient été stockées à l’extérieur sans abri ni protection. Des habitants de Kunie ont également décrit à Human Rights Watch une importante activité militaire russe dans le village et aux alentours au début du mois d’avril, incluant des tirs de munitions.

Drone photo of missile containers on a concrete slab

Conteneurs de missiles Tochka 9Ya234 sur une dalle de béton dans un complexe du village de Kunie, dans une vidéo publiée sur le compte Facebook des forces d’assaut aériennes ukrainiennes le 30 juin 2022. La vidéo montre une attaque ukrainienne présumée du site contre les forces russes. © 2022 Ukrainian Air Assault Forces via Facebook

Human Rights Watch a visité le site de Kunie les 10 et 11 janvier 2023, environ quatre mois après que les forces ukrainiennes aient repris le contrôle de la région. Les chercheurs ont interrogé 16 personnes qui vivent dans la région et ont observé, sur les dalles de béton à l’extérieur de l’installation, des restes qui correspondaient à un conteneur de missile Tochka 9Ya234. Les conteneurs intacts ne se trouvaient plus sur le site. Un habitant et un responsable ukrainien ont déclaré à Human Rights Watch que le gouvernement ukrainien avait inspecté le site et déplacé les conteneurs vers une installation gouvernementale de la région.51 Le 6 septembre 2022, les conteneurs sont toujours visibles sur les images satellites du site. Ils ne sont plus visibles sur les images enregistrées le 7 janvier 2023. Le 14 octobre 2022, Carl Court, un photographe de Getty Images, a photographié au moins sept conteneurs de missiles 9Ya234 sur la même dalle de béton du même site de Kunie visité par Human Rights Watch.

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Sept caisses de stockage de conteneurs de missiles Tochka 9Ya234 photographiées sur la dalle de béton à l’extérieur de l’installation utilisée par les forces russes près de Kunie, le 14 octobre 2022. Les conteneurs se trouvent au même endroit que sur l’image satellite prise le 15 avril 2022. 2022 Carl Court/Getty Images

Human Rights Watch a vu au moins 11 conteneurs de mêmes dimensions et de même couleur stockés dans une installation du gouvernement ukrainien à Izioum, à 20 kilomètres de là.

Human Rights Watch a également observé la section du moteur de fusée d’un missile Tochka et de multiples sous-munitions 9N24 non explosées dans le village de Kunie, que deux habitants ont déclaré avoir personnellement déplacées un mois plus tôt de l’endroit qu’elles avaient frappé, à un kilomètre environ. D’après l’analyse de ces restes, il semble que le missile Tochka avec l’ogive d’arme à sous-munitions n’ait pas fonctionné correctement. Les dommages thermiques sur certaines parties de l’arme indiquent des dommages causés par le feu qui ne résultent pas d’un fonctionnement normal du missile. Ces deux mêmes habitants ont déclaré avoir vu cinq extincteurs sur le site où ils ont trouvé les restes.52 Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier d’où ce missile a pu être tiré.

Sur place, une douzaine d’habitants ont déclaré à Human Rights Watch que les forces russes étaient dans la région de Kunie dès les premiers jours de l’invasion, fin février. Début mars, elles occupaient le site où les restes de ces conteneurs ont été retrouvés. Les habitants ont également décrit une activité militaire russe continue dans la zone, notamment le déplacement et la réparation de véhicules, ainsi que des tirs de munitions à l’intérieur et autour du village. Un habitant a déclaré que les tirs depuis la zone ont été plus intenses à partir du mois d’avril.53 Deux autres habitants ont déclaré que les Russes avaient tiré depuis les champs autour de la zone, puis étaient revenus dans la zone de l’installation.54 « Ils n’ont rien tiré d’ici, ils vivaient ici mais tiraient depuis les champs qui sont autour », a déclaré un homme qui a requis l’anonymat.55

Trois habitants ont déclaré avoir vu des véhicules russes correspondant à ceux qui sont associés au système de missiles Tochka, notamment, dans certains cas, ceux utilisés pour lancer et charger le missile, ainsi que les longs conteneurs rectangulaires verts.56 Un homme qui avait auparavant travaillé dans l’installation où Human Rights Watch a trouvé les restes de conteneurs a déclaré qu’il pouvait voir les forces russes présentes depuis l’école voisine. « Ils ne laissaient pas les gens venir ici », a-t-il expliqué. « Ils chargeaient et rechargeaient des Tochka-U. (...) Ils rechargeaient [dans l’installation], puis se rendaient dans les champs et les forêts avoisinants et tiraient depuis là-bas. J’ai entendu de nombreux lancements pour lesquels ils partaient d’ici, puis tiraient, avant de revenir. »57

Pris dans leur ensemble, ces éléments de preuve indiquent clairement que les forces russes disposaient de véhicules de lancement de Tochka, de l’équipement de transport de missiles qui y est associé et de missiles Tochka dans la région du village de Kunie, à peu près au moment de l’attaque de Kramatorsk, et que les forces russes ont régulièrement lancé des attaques depuis des positions autour de Kunie pendant cette période.

En outre, Human Rights Watch a vérifié deux vidéos filmées dans la région de Gomel, en Biélorussie, et publiées sur les réseaux sociaux le 30 mars 2022, qui indiquent que les forces russes possèdent le système de missiles Tochka. L’une des vidéos montre six lanceurs 9P129-1M Tochka. Dans l’autre vidéo, neuf boîtes qui correspondent au conteneur de transport de missiles Tochka sont visibles à l’arrière de cinq véhicules de transport Kamaz voyageant dans le même convoi. 58 Human Rights Watch n’a pas été en mesure de déterminer de manière indépendante quand ces vidéos ont été filmées. Dans les deux vidéos, les véhicules portent le symbole « V » peint sur eux – l’un des symboles que l’armée russe utilise pour désigner les équipements destinés aux opérations en Ukraine depuis le 24 février 2022. En juillet, des chercheurs de logiciel libre (open source) ont, dans des vidéos dont Human Rights Watch a confirmé l’authenticité, identifié deux des mêmes véhicules 9P129-1M en Ukraine grâce à leur marquage et de leurs motifs de camouflage spécifiques. L’un a été aperçu à Pryazovske, dans la région de Zaporijjia, et l’autre dans la région de Luhansk.59

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Une vidéo publiée sur les réseaux sociaux le 30 mars 2022 montre neuf boîtes correspondant au conteneur du missile Tochka à l’arrière de cinq véhicules de transport Kamaz, voyageant en convoi avec des lanceurs Tochka 9P129-1M dans l’oblast de Gomel, au Bélarus. © 2022 Belarusian Hajun Project via Twitter

Une violation du droit de la guerre et un crime de guerre présumé

Le conflit armé entre la Russie et l’Ukraine est régi par le droit international humanitaire, connu sous le nom de droit de la guerre, qui figure dans les Conventions de Genève de 1949, le premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève (Protocole I) et le droit international coutumier. Le droit de la guerre interdit les attaques délibérées contre les civils et les biens à caractère civil, les attaques qui ne distinguent pas entre les combattants et les civils, et les attaques dont on peut attendre qu’elles causent des dommages disproportionnés aux civils par rapport à tout gain militaire concret.

L’attaque de la Russie contre la gare bondée de Kramatorsk était illégalement indiscriminée. Les voies ferrées et les gares sont utilisées par les forces armées à des fins militaires et peuvent donc être des cibles militaires légales. Cependant, Human Rights Watch n’a trouvé aucune preuve que la gare de Kramatorsk était, au moment de l’attaque, utilisée à des fins militaires ou que des forces ukrainiennes se trouvaient dans la zone. Les frappes aériennes ou les attaques d’artillerie sur des objets sans objectif militaire sont indiscriminées.

Human Rights Watch a examiné 26 vidéos et photos prises juste avant et pendant l’attaque et n’a vu personne en uniforme militaire, ni aucun véhicule ou équipement militaire à la gare ou dans la zone située à l’ouest des voies. Un travailleur bénévole qui a passé plusieurs semaines à la gare avant l’attaque a déclaré qu’il voyait chaque jour 20 militaires tout au plus, venus déposer les membres de leur famille pour qu’ils puissent être évacués.60 Lui et d’autres employés de la gare ont déclaré que dans les jours qui ont précédé l’attaque, certains membres des forces de défense territoriale de l’Ukraine aidaient les autorités et la police de la gare à coordonner le flux des milliers de personnes qui arrivaient chaque jour pour être évacuées.61

Human Rights Watch a trouvé quelques preuves d’une possible utilisation militaire a minima de la gare et du réseau ferroviaire voisin au moment de l’attaque. Deux personnes ont déclaré que le matin du 8 avril, elles avaient observé à la gare un train transportant de la ferraille qui, selon l’une d’elles, semblait être « des restes de machines militaires ».62Le train était à la gare à 8 heures du matin et est parti avant l’attaque, en direction du nord.63 L’autre homme a déclaré qu’avant 10 heures du matin, il avait observé un train à quai qui comptait environ 10 wagons et transportait « des machines militaires cassées et endommagées », notamment des véhicules sans roues ni chenilles qui semblaient être de la ferraille.64 Les vidéos filmées par Alexey Merkoulov et examinées par Human Rights Watch, enregistrées juste après 10 heures du matin, ne montraient pas ce train, mais un train transportant des conteneurs.65 Au loin, on peut voir un autre train de marchandises à l’arrêt, mais sans ferraille visible ni machines militaires endommagées.

Mais même si la gare et les installations ferroviaires de Kramatorsk avaient été utilisées à des fins militaires, l’attaque du 8 avril aurait été illégalement disproportionnée. Les forces attaquantes sont tenues de prendre toutes les précautions possibles pour minimiser les dommages causés aux civils. Bombarder une gare le matin, alors qu’elle est bondée de passagers civils, de familles et d’employés de gare, plutôt que tard dans la nuit, alors qu’elle aurait été beaucoup moins fréquentée, démontre un mépris pour la vie civile. Tuer des dizaines de civils dans une gare pour mener une attaque sur du matériel militaire endommagé représenterait probablement une perte disproportionnée de vies et de biens civils par rapport à tout gain militaire anticipé.

Enfin, l’attaque contre la gare de Kramatorsk était indiscriminée en raison de l’arme utilisée. Bien que ni la Russie ni l’Ukraine ne soient parties à la Convention de 2008 sur les armes à sous-munitions, qui interdit l’usage de telles armes, leur utilisation est largement considérée comme une violation du droit humanitaire international parce qu’elles ne font pas la distinction entre combattants et civils, et en raison du danger durable que représentent les sous-munitions non explosées pour les civils.66

Les violations graves des lois de la guerre commises par des individus avec une intention criminelle – soit délibérément, soit par négligence – sont des crimes de guerre. Les individus peuvent également être tenus pénalement responsables d’avoir tenté de commettre un crime de guerre, et d’avoir assisté, facilité, aidé ou encouragé un crime de guerre. Les commandants militaires et les responsables civils peuvent être poursuivis pour crimes de guerre au titre de la responsabilité du commandement lorsqu’ils savaient ou auraient dû savoir que des crimes de guerre étaient commis et qu’ils n’ont pas pris les mesures nécessaires pour les empêcher ou punir les responsables.

Diriger une attaque contre des civils ou des biens à caractère civil ou lancer une attaque en sachant que les pertes incidentes en vies civiles sont manifestement excessives par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu, constitue une violation grave du Protocole I67 et un crime de guerre selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.68 Une attaque indiscriminée, notamment l’utilisation d’armes à sous-munitions dans des zones peuplées, est un crime de guerre en vertu du droit international humanitaire coutumier.69

Dans les jours qui ont précédé l’attaque aux armes à sous-munitions, les responsables locaux ont fait des annonces publiques répétées concernant l’évacuation des civils de la gare de Kramatorsk. L’utilisation de la surveillance aérienne aurait également permis de découvrir les foules présentes dans la gare. Les commandants russes responsables de l’attaque et l’unité militaire impliquée dans cette dernière auraient dû savoir qu’un grand nombre de civils se trouveraient probablement à la gare au moment de l’attaque du 8 avril.

Lors de visites de la gare et de ses environs entre le 14 et le 24 mai, Human Rights Watch a observé une base militaire ukrainienne à environ 350 mètres au sud-est de la gare et une autre base militaire à environ un kilomètre au nord de la gare. Il est difficile de savoir si ces positions militaires étaient présentes le 8 avril. Le gouvernement russe, qui a nié avoir mené des attaques à Kramatorsk le 8 avril, n’a pas prétendu avoir cherché à attaquer ces bases et frappé accidentellement la gare.

Le caractère illégal de l’attaque de Kramatorsk, les preuves d’une présence civile importante sans objectif militaire significatif et l’utilisation d’une arme intrinsèquement indiscriminée indiquent que les commandants et le personnel militaires russes qui ont ordonné et exécuté l’attaque ont commis un crime de guerre.

Pleurer les morts, attendre la justice

Le ministère ukrainien de la Défense a déclaré le 14 avril 2022 que 59 personnes, dont 7 enfants, avaient été tuées dans l’attaque contre la gare de Kramatorsk.70 Les autorités ont par la suite révisé ce chiffre à 61 personnes tuées.71 Human Rights Watch a vérifié la mort de 40 personnes, sur la base d’entretiens avec des responsables d’hôpitaux, des employés de la morgue et des parents et amis des victimes. Les chercheurs ont visité les lieux de sépulture de quatre victimes de l’attaque. A la connaissance de Human Rights Watch, toutes les personnes tuées étaient des civils.

Human Rights Watch a également vérifié et analysé 99 photographies et vidéos prises juste après l’attaque et a fait correspondre l’emplacement des morts et des blessés sur ces images avec cinq endroits où des sites d’impact de sous-munitions et des éclats de fragmentation ont été trouvés.72

La plupart des corps des victimes ont été transportés à la morgue principale de la ville, à l’Hôpital n° 3. Deux employés de la morgue ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils avaient initialement reçu 40 corps, qui ont ensuite été transportés dans un camion frigorifique militaire à Dnipro. La morgue a ensuite reçu 8 corps en provenance de Dnipro entre 10 et 15 jours après l’attaque.73 Ils ont tous été enterrés dans des cimetières de Kramatorsk. Dix autres corps auraient été transportés dans les villes et villages d’où provenaient les personnes pour y être enterrées.

Un soldat qui travaille comme ambulancier a déclaré qu’il a aidé à transporter des corps à la morgue de l’Hôpital n° 3 après l’attaque, et qu’il a personnellement vu à la morgue 18 corps qui avaient été ramenés de Dnipro.74 L’un des corps était celui d’une jeune femme dont il a rencontré les parents lorsqu’il a transporté son corps à la morgue. Le soldat a expliqué que les parents étaient désemparés et lui avaient raconté que leur seul souhait était que leur fille soit enterrée en robe de mariée, une coutume locale pour les jeunes femmes non mariées. La mère de la jeune femme a demandé au soldat d’appeler un magasin de robes de mariée pour commander la robe. Le soldat a appelé et le commerçant lui a apparemment répondu : « Vous vous moquez de moi ? Nous sommes en pleine guerre ». Mais après que le soldat lui ait expliqué la situation, le commerçant a fait preuve de compréhension et la famille a pu obtenir une robe.75

Une employée de la morgue a décrit les difficultés qu’elle a rencontrées pour préparer le corps de la jeune femme pour l’enterrement : « [Elle] n’avait pas de membres, et des coupures sur le ventre. Elle était en trois morceaux répartis dans deux sacs mortuaires... J’ai poudré ses joues et je lui ai mis la robe. Elle était en trois morceaux et il était donc impossible de lui mettre la robe normalement». 76

Le corps de la mère d’Alina Kovalenko, Tamara, était aussi parmi ceux qui ont été emmenés à la morgue de l’Hôpital n° 3. Alina a décrit sa mère comme une ingénieure électricienne à la retraite, qui avait remporté des prix d’excellence pour son travail et avait vécu la majeure partie de sa vie à Kramatorsk. Alina a déclaré que du printemps jusqu’à l’automne, sa mère passait une grande partie de son temps dans son jardin : « Elle adorait planter des fleurs. Elle avait tant de roses de tant de couleurs différentes ».

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Tamara Kovalenko dans son jardin à l’été 2018, entourée de rosiers. Image reproduite avec l’aimable autorisation d’Alina Kovalenko © 2018 Privé

Comme beaucoup de membres des familles des personnes tuées lors de l’attaque du 8 avril, Alina n’a pas pu rentrer chez elle pour enterrer sa mère. Elle a donc demandé à un ami de l’aider. Le 19 avril, Tamara a été enterrée à côté du père d’Alina. Sa tombe, ainsi que les milliers de nouvelles tombes creusées dans les cimetières ukrainiens depuis le début de la guerre, se distingue par la terre récemment creusée et un panneau fraîchement peint.

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La tombe de Tamara Kovalenko à Kramatorsk. © 2022 Human Rights Watch

Comme tant d’autres personnes qui ont perdu des membres de leur famille, Alina veut que justice soit faite. Cela ne ramènera pas sa mère, dit-elle, mais elle veut que les responsables de cette horrible attaque soient tenus de rendre des comptes.

Version originale en anglais
Communiqué de Human Rights Watch au sujet de ce rapport
En savoir plus sur le travail de Human Rights Watch en Ukraine
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Remerciements

Recherches à Human Rights Watch : Richard Weir, Alexx Perepölov, Belkis Wille, Kseniya Kvitka, Yuri Kulynyak, Ida Sawyer, Robin Taylor, Gabriela Ivens, Devon Lum, Léo Martine, Carolina Jordá Álvarez, Martyna Marciniak, Sam Dubberley, Mark Hiznay
Recherches à SITU Research : Bora Erden, Jarrett Ley, Helmuth Rosales, Brad Samuels, Candice Strongwater
Analyse juridique : James Ross
Révisé par : Fred Abrahams, Rachel Denber, Yulia Gorbunova
Coordination de la rédaction et de la production : Nia Knighton and Emma Wilbur
Conception du site web : Grace Choi and John Emerson
Production vidéo : Taurai Maduna
Modèle architectural de la gare de Kramatorsk avec l’aimable autorisation du bureau d’architecture VALENTIROV&PARTNERS / http://valentirov.com/en/
Traduction en français : David Boratav

Notes de bas de page

1 Ministère de la Défense de la Fédération de Russie, 30 mars 2022, message sur la chaîne Telegram, https://t.me/mod_russia_en/509 (consulté le 1er septembre 2022) ; “Russia says it will sharply cut military activity near Kyiv, Chernihiv,” Reuters, 29 mars 2022, https://www.reuters.com/world/europe/russia-says-it-will-drastically-cut-military-activity-near-kyiv-chernihiv-2022-03-29/ (accessed September 1, 2022).

2 Le gouvernement russe dément toute implication des forces russes dans ces régions avant le 24 février 2022.

3 Entretien de Human Rights Watch avec un employé de la gare, 18 mai 2022 ; entretien de Human Rights Watch avec Andrii Kovaliov, Kiev, 31 mai 2022.

4 Entretien de Human Rights Watch avec un employé de la gare, 18 mai 2022 ; entretien de Human Rights Watch avec Andrii Kovaliov, Kiev, 31 mai 2022.

5 Entretien de Human Rights Watch avec Anton Maliuskyi, Kramatorsk, 24 mai 2022. L’employé de la gare a déclaré que du 26 février au 8 avril, 110 620 personnes avaient quitté la ville par la gare de Kramatorsk. Un autre responsable de la municipalité a déclaré que, dans les jours qui ont précédé l’attaque, 4 000 à 5 000 personnes en moyenne avaient été évacuées chaque jour. Un volontaire qui travaillait à la gare depuis environ un mois au moment de l’attaque a déclaré que la semaine où l’attaque a eu lieu, entre 2 000 et 6 000 personnes étaient évacuées chaque jour.

6 Entretien de Human Rights Watch avec Oleksandr Malysh, Kramatorsk, 14 mai 2022.

7 “Ukraine Governor Urges Evacuations in Region Targeted by Russia,” France 24, 4 avril 2022, https://www.france24.com/en/live-news/20220404-ukraine-governor-urges-evacuations-in-region-targeted-by-russia (consulté le 1er septembre 2022).

8 Voir Conseil municipal de Kramatorsk (Краматорська міська рада), 5 avril 2022, message sur la chaîne Telegram, https://t.me/kramatorsk_rada/1430 (consulté le 1er septembre 2022) ; Conseil municipal de Kramatorsk, 7 avril 2022, message sur la chaîne Telegram, https://t.me/kramatorsk_rada/1461(consulté le 1er septembre 2022) ; Conseil municipal de Kramatorsk, 8 avril 2022, message sur la chaîne Telegram, https://t.me/kramatorsk_rada/1489 (consulté le 1er septembre 2022).

9 Tinazzi Cristiano, reportage vidéo, 7 avril 2022.

10 Médecins Sans Frontières (MSF) Ukraine, message sur Twitter, 8 avril 2022, https://twitter.com/MSF_Ukraine/status/1512379287126646792?s=20&t=pBQPj4yaCR1Me1OBQaRcRg (consulté le 8 août 2022) ; MSF Ukraine, message sur Twitter, 8 avril 2022, https://twitter.com/MSF_Ukraine/status/1512530331647283202?s=20&t=pBQPj4yaCR1Me1OBQaRcRg (consulté le 8 août 2022). Dans une vidéo mise en ligne par MSF Ukraine, le Dr Jean-Clément Cabrol, qui travaillait avec MSF à Kramatorsk le 6 avril, a déclaré que les foules comprenaient « des familles entières, avec des mères qui allaitent, des enfants, des personnes âgées, des chiens et des chats de compagnie. Dans ces endroits, ces gares, on parle de milliers de personnes ». La vidéo a été postée par MSF le 8 avril, mais montre la gare le 6 avril.

11 Le 8 avril à 10h13, le ministère russe de la Défense a déclaré : « Des missiles aériens de haute précision dans la région de Donetsk ont détruit des armes et des équipements militaires des réserves militaires ukrainiennes arrivant dans le Donbass aux gares de Pokrovsk, Slaviansk et Barvinkove ». Voir ministère de la Défense de la Fédération de Russie, 8 avril 2022, message sur la chaîne Telegram, https://t.me/mod_russia_en/754 (consulté le 9 août 2022). Selon le gouverneur de Louhansk, la frappe a touché les voies ferrées au niveau du viaduc près de la gare de Barvinkove. Voir Luhanska OVA/Sergiy Gayday, 7 avril 2022, message sur la chaîne Telegram, https://t.me/luhanskaVTSA/1328 (consulté le 9 août 2022) ; Ukrzaliznytsia, 7 avril 2022, message sur la chaîne Telegram, https://t.me/UkrzalInfo/1919 (consulté le 9 août 2022) ; « L’évacuation de la région de Donetsk est bloquée : une frappe aérienne de la Fédération de Russie a bloqué le chemin de fer à Barvinkove » (« Евакуація з Донеччини заблокована : РФ вдарила з авіації по залізниці у Барвінковому »), Suspil’ne, 7 avril 2022, https://suspilne.media/226314-evakuacia-z-donbasu-zablokovana-rf-vdarila-z-aviacii-po-zaliznici-u-barvinkovomu/ (accessed August 9, 2022).

12 Conseil municipal de Kramatorsk, 8 avril 2022, message sur la chaîne Telegram, https://t.me/kramatorsk_rada/1488(consulté le 1er septembre 2022).

13 Conseil municipal de Kramatorsk, 8 avril 2022, message sur la chaîne Telegram, https://t.me/kramatorsk_rada/1489 (consulté le 1er septembre 2022).

14 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec un employé de la gare, 18 mai 2022 ; Conseil municipal de Kramatorsk, 8 avril 2022, message sur la chaîne Telegram, https://t.me/kramatorsk_rada/1489 (consulté le 1er septembre 2022). Un volontaire qui travaillait à la gare de Kramatorsk a déclaré à Human Rights Watch que pendant de nombreux jours avant l’attaque du 8 avril, les employés de la gare n’avaient qu’une vague idée des horaires des trains et devaient attendre les appels téléphoniques de Sloviansk qui leur confirmaient le départ des trains vers Kramatorsk. Il a ajouté que les itinéraires et les arrêts des trains, en plus des horaires, étaient susceptibles d’être modifiés en fonction des conditions de sécurité et des aléas de la guerre dans les régions environnantes. Le 8 avril, le premier train d’évacuation annoncé était à destination de Lviv. Aucun train d’évacuation n’était encore parti au moment de l’attaque. Un petit train régional était prêt à partir pour Lozova et le train à destination de Lviv devait partir juste après. Aucun train de passagers en provenance d’autres régions n’est arrivé à la gare dans la matinée du 8 avril. Le volontaire a déclaré qu’un train d’évacuation devait également partir de Kramatorsk à destination de Khmelnitskyi le 8 avril à 15 heures, et que les personnes évacuées vers Khmelnitsky avaient déjà commencé à se rassembler près d’une tente au sud du bâtiment principal de la gare.

15 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Aliona Kobets, 1er juin 2022.

16 Entretien de Human Rights Watch avec Anton Maliouskyi, Kramatorsk, 24 mai 2022.

17 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Youliia Davliatchina, 26 mai 2022.

18 Le barotraumatisme est une blessure physique causée par des changements de pression barométrique (air), comme lors d’une explosion, ou de pression de l’eau.

19 Entretien de Human Rights Watch avec Andrii Kovaliov, Kiev, 31 mai 2022.

20 La patrouille de police a déclaré que de nombreuses personnes avaient été tuées dans le train régional ou à ses abords. La vidéo montre un corps immobile sur le quai à l’extérieur du train régional et des personnes qui passent devant.

21 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Hanna Breslavets, 31 mai 2022.

22 Entretien de Human Rights Watch, Kramatorsk, 24 mai 2022.

23 Entretien de Human Rights Watch avec Oleksander Vovk, Kramatorsk, 24 mai 2022.

24 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Aliona Kobets, 1er juin 2022.

25 Entretien de Human Rights Watch avec Oleksandr Malysh, Kramatorsk, 15 mai 2022.

26 Entretien de Human Rights Watch avec Vitaliy Yaroslavovitch, Kramatorsk, 17 mai 2022.

27 Entretien de Human Rights Watch avec Viktor Kryklii, Kramatorsk, 17 mai 2022.

28 Entretien de Human Rights Watch avec Valentina Chubatenko, Kramatorsk, 17 mai 2022 ; entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Valentina Chubatenko, 29 juillet 2022.

29 Entretien de Human Rights Watch avec Kyrylenko Vitaliy Pavlovitch, Kramatorsk, 17 mai 2022 ; entretien de Human Rights Watch avec Vitaliy Malanchouk, chef de l’unité médicale de la 81ème brigade aéromobile du district hospitalier.

30 Entretien de Human Rights Watch avec Andrii Petrychenko, Kramatorsk, 16 mai 2022.

31 Entretien de Human Rights Watch avec six médecins de Dnipro, Dnipro, 25 mai 2022. Hôpital du centre périnatal régional de Dnipropetrovsk.

32 Isabel van Brugen, « Missile that Hit Ukrainian Civilian Station Had “For Children” On It », Newsweek, 8 avril 2022, Newsweek, April 8, 2022, https://www.newsweek.com/russian-missile-kramatorsk-civilian-train-station-children-painted-1696354 (consulté le 1er septembre 2022).

33 “Jane’s Weapons Yearbook: Strategic,” le 6 janvier 2022, https://shop.janes.com/products/weapons/janes-weapons-strategic (consulté le 15 février 2023).

34 Alexey Merkoulov, reportage vidéo, 8 avril 2022.

35 Voir : Svodki Opolcheniya (СВОДКИ ОПОЛЧЕНИЯ | ДОНЕЦК), 8 avril 2022, message sur la chaîne Telegram, https://t.me/svodki_opolcheniya/11123 (consulté le 8 avril 2022) ; It’s Donetsk (Типичный Донецк), 8 avril 2022, message sur la chaîne Telegram https://t.me/itsdonetsk/11816 (consulté le 8 avril 2022) ; It’s Donetsk (Типичный Донецк), message posté le 8 avril 2022 sur la chaîne Telegram https://t.me/itsdonetsk/11817 (consulté le 8 avril 2022).

36 (@timrus._0) posté sur TikTok, 8 juillet 2022, https://www.tiktok.com/@timrus._0/video/7117938553400724741, (consulté le 17 décembre 2022) ; (@sekretka_v) posté sur TikTok le 19 septembre 2022,https://www.tiktok.com/@sekretka_v/video/7145044774003739910, (consulté le 17 décembre 2022).

37 (@Rybar), 27 février 2022, message sur la chaîne Telegram https://t.me/rybar/26210 (consulté le 17 février 2023) ; (@swodki), 27 février 2022, message sur la chaîne Telegram, https://t.me/swodki/27013 (consulté le 13 février 2023).

38 « Les artilleurs de la RPD travaillent sur les positions des forces armées de l’Ukraine », [n.d.], clip vidéo, Rutube https://rutube.ru/video/06f0c68974d2ec5a96463ae38b8d8b29/ (consulté le 13 février 2023).

39 Message de Jonny Tickle (@JonnyTickle) sur Twitter le 4 septembre 2022, https://twitter.com/jonnytickle/status/1566455752436367365 (consulté le 15 février 2023) ; Semyon Morgunov, « Pour les enfants du Donbass. Des affiches de soutien à l’opération spéciale sont apparues à Moscou », 7 décembre 2022, https://aif.ru/moscow/za_detey_donbassa_v_moskve_poyavilis_plakaty_v_podderzhku_specoperacii (consulté le 15 février 2023).

40 (@Mil_ru) publié sur Instagram, 5 mars 2022, https://www.instagram.com/p/CatxoLpALqv/ (consulté le 7 février 2023) ; (Mod_Russia) publié sur Twitter, 5 mars 2022, https://twitter.com/mod_russia/status/1500026403865169921?s=20&t=DEUYStyPLBZ8H-WPXjJ8tA (consulté le 7 février 2023).

41 Ministère de la Défense de la Fédération de Russie, 8 avril 2022, message sur la chaîne Telegram, https://t.me/mod_russia_en/760 (consulté le 1er septembre 2022).

42 Dans un communiqué publié sur Telegram, le ministère russe de la Défense a déclaré : « Selon des informations clarifiées, la frappe sur la gare de Kramatorsk a été effectuée par une division de missiles des forces armées ukrainiennes depuis la zone de Dobropol’e, à 45 kilomètres au sud-ouest de la ville ». Ministère de la Défense de la Fédération de Russie, 8 avril 2022, message sur la chaîne Telegram, https://t.me/mod_russia_en/761 (consulté le 1er septembre 2022).

43 « Entretien avec le ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, S.V. Lavrov pour la chaîne de télévision indienne “India Today”, Moscou, 19 avril 2022 » (« Интервью Министра иностраных дел Российской Федерации С.В.Лаврова индийскому телеканалу “Индия Тудэй”, Москва, 19 апреля 2022 года »), ambassade de la Fédération de Russie au Royaume-Uni et en Irlande du Nord, 20 avril 2022, https://rus.rusemb.org.uk/article/658 (consulté le 1er septembre 2022).

44 Voir : Ministère de la défense de l’Ukraine (@DefenceU) sur Twitter, 23 juin 2022, https://twitter.com/DefenceU/status/1540079577955024902 (consulté le 13 février 2023).

45 Valentina Peskova . « L’armée russe a achevé le réarmement sur l’“Iskander” », ZVEZDA TV, 25 novembre 2019, https://tvzvezda.ru/news/20191125355-TX9JV.html (consulté le 15 février 2023).

46 Lettre aux Nations Unies, 15 mars 2022, A/76/761-S/2022/233 https://digitallibrary.un.org/record/3966851 (consultée le 15 février 2023) ; « Tochka-U missiles not in service in Russian Armed Forces – mission to UN », Tass. 16 mars 2022, https://tass.com/politics/1423317 (consulté le 15 février 2023) ; et le 8 avril A/76/794-S/2022/303 https://digitallibrary.un.org/record/3968732 (consulté le 15 février 2023) ; https://tvzvezda.ru/news/20191125355-TX9JV.html consulté le 15 février 2023) ; « Fragments of Tochka-U missile used by Ukrainian army found on Kramatorsk strike site », Tass , 8 avril 2022, https://tass.com/world/1434717 (consulté le 15 février 2023).

47 Isabel van Brugen, « Russian Official Accidentally Reveals Missiles Being Used in Ukraine », Newsweek , 13 juillet 2022, https://www.newsweek.com/russian-official-accidentally-reveals-missiles-used-ukraine-tochka-u-1724266 (consulté le 31 août 2022).

48 “Jane’s Weapons Yearbook: Strategic,” 6 janvier 2022, https://shop.janes.com/products/weapons/janes-weapons-strategic (consulté le 15 février 2023).

49 Voir : Message du Belarusian Hajun Project (@Hajun_BY) sur Twitter, 30 mars 2022, https://twitter.com/Hajun_BY/status/1509099435262976000 (consulté le 28 août 202) ; Michael Sheldon, « Russia’s Kramatorsk “Facts” Versus the Evidence », Bellingcat, 14 avril 2022, https://www.bellingcat.com/news/2022/04/14/russias-kramatorsk-facts-versus-the-evidence/ (consulté le 15 février 2023).

50 Message sur Facebook, 20 juin 2022, https://www.facebook.com/watch/?v=738532247484084 (consulté le 15 février 2023).

51 Entretien de Human Rights Watch avec Serhii Movhan, Kunie, 10 janvier 2023 ; entretien de Human Rights Watch, Kiev, 10 février 2023.

52 Entretien de Human Rights Watch avec Genia, 33 ans, Kunie, 11 janvier 2023 ; entretien de Human Rights Watch avec Serhii, 42 ans, Kunie, 11 janvier 2023.

53 Entretien de Human Rights Watch avec Natalia Ivanivna, 62 ans, 11 janvier 2023.

54 Entretiens de Human Rights Watch, Kunie, 10 janvier 2023.

55 Entretien de Human Rights Watch, Kunie, 10 janvier 2023.

56 Entretien de Human Rights Watch avec Anatolii Biletskyi, 10 janvier 2023 ; entretien de Human Rights Watch avec Kateryna Stefanyshyna, 11 janvier 2023 ; entretien de Human Rights Watch avec Nikolai Matvienko, 11 janvier 2023.

57 Entretien de Human Rights Watch avec Nikolai Matvienko, Kunie, 11 janvier 2023.

58 Voir : (@Сергей Вильшанский) posté sur TikTok, le 30 mars 2022, https://www.tiktok.com/@_taiger_z/video/7080941643406331137 (consulté le 15 février 2023) ; Projet hajun biélorusse (@Hajun_BY) posté sur Twitter, le 30 mars 2022, https://twitter.com/Hajun_BY/status/1509099435262976000 (consulté le 28 août 2022).

59 Des vidéos postées sur les réseaux sociaux en juillet 2022 montrent des véhicules 9P129-M dans les régions de Zaporijja et Louhansk, https://t.me/riamelitopol/61349 (consulté le 15 février 2023) ; (@Hajun_BY), posté sur twitter le 11 juillet 2022, https://twitter.com/Hajun_BY/status/1546462058400604160 (consulté le 15 février 2023).

60 Entretien de Human Rights Watch avec Vitalii Oshmukha, Dnipro, 29 avril 2022.

61 Human Rights Watch interview with Vitalii Oshmukha, Dnipro, April 29, 2022; Human Rights Watch interview by phone with Kramatorsk rail station worker, May 18, 2022.

62 H Entretien de Human Rights Watch avec Vitalii Oshmukha, Dnipro, 29 avril 2022 ; entretien téléphonique de Human Rights Watch avec un employé de la gare de Kramatorsk, 18 mai 2022.

63 Entretien téléphonique de Human Rights Watch, Kiev, 1er juin 2022.

64 Entretien de Human Rights Watch, Kiev, 31 mai 2022.

65 Alexey Merkoulov, clip vidéo filmé, 8 avril 2022.

66 Convention sur les armes à sous-munitions, https://www.un.org/disarmament/convention-on-cluster-munitions/ (consulté le 15 février 2023).

67 Protocole I, art. 85(3).

68 Statut de Rome de la Cour pénale internationale, article 8(2)(b).

69 Comité international de la Croix-Rouge, Droit international humanitaire coutumier, règle 156.

70 (@DefenceU) publié sur Twitter, le 14 avril 2022,, https://twitter.com/DefenceU/status/1514666578473857034 (consulté le 15 février 2023).

71 Posté sur la chaîne Telegram, le 21 mai 2022, https://t.me/kramatorsk_rada/2775 (consulté le 15 février 2023).

72 Human Rights Watch a également reçu des images d’organisations de presse présentes sur les lieux après l’attentat, notamment le Washington Post et l’AFP.

73 Entretien de Human Rights Watch, Kramatorsk, 18 mai 2022 ; Entretien de Human Rights Watch, Kramatorsk, 18 mai 2022.

74 Entretiens de Human Rights Watch à Kramatorsk, 18 mai 2022.

75 Entretien de Human Rights Watch à Kramatorsk, 17 mai 2022.

76 Entretien de Human Rights Watch, Kramatorsk, 18 mai 2022.