(Nairobi) – Les autorités rwandaises devraient autoriser la tenue d’une enquête efficace, indépendante et transparente sur la mort suspecte de John Williams Ntwali, journaliste d'investigation de premier plan et rédacteur en chef du journal The Chronicles, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Ntwali était régulièrement menacé en raison de son travail de journaliste dénonçant les violations des droits humains au Rwanda, et avait fait part de ses inquiétudes quant à sa sécurité à Human Rights Watch, ainsi qu’à d’autres organisations.
« John Williams Ntwali jouait un rôle crucial pour de nombreuses victimes de violations des droits humains au Rwanda, et était souvent le seul journaliste qui osait faire des reportages sur des questions de persécution et de répression politiques », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l'Afrique centrale à Human Rights Watch. « Il existe de nombreuses raisons de remettre en question la théorie d'un accident de la route ; une enquête rapide et efficace, s'appuyant sur une expertise internationale, est essentielle pour déterminer s'il s’agit plutôt d’un meurtre. »
La nouvelle de la mort de John Williams Ntwali a été annoncée dans la soirée du 19 janvier 2023. La police a demandé à son frère d'identifier son corps à la morgue de l'hôpital de Kacyiru, lui disant que Ntwali était décédé dans un accident de la route dans la nuit du 17 au 18 janvier. La police a par ailleurs indiqué au site d’informations New Times que Ntwali est décédé dans un accident de moto dans le quartier de Kimihurura à Kigali, le 18 janvier à 14 h 50, mais à ce jour, n'a pas fourni de détails sur l'accident tels qu'un rapport de police, son emplacement exact ou des informations sur les autres personnes impliquées. Human Rights Watch n'a connaissance d'aucun rapport faisant état d'un accident présumé révélé avant la soirée du 19 janvier.
John Williams Ntwali était régulièrement menacé et attaqué dans les médias pro-gouvernementaux pour ses reportages d'investigation. Il a joué un rôle de premier plan en couvrant et en attirant l'attention sur le sort des habitants du quartier de Kangondo, qu’un différend de longue date oppose aux autorités au sujet des expulsions foncières. Récemment, il avait également publié sur sa chaîne YouTube des vidéos au sujet de personnes qui avaient « disparu » de manière suspecte. Sa dernière vidéo, publiée le 17 janvier, portait sur la disparition signalée d'une rescapée du génocide qui avait déclaré avoir été battue par des policiers en 2018.
Ntwali était également l'un des rares journalistes à couvrir de manière indépendante des procès médiatisés et politisés d’opposants, de journalistes et de commentateurs, et à publier des vidéos sur leurs conditions de détention. En juin 2022, il a décrit à Human Rights Watch les signes de torture qu'il avait lui-même vus dans le cas de certains détracteurs et opposants. Évoquant la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth (Commonwealth Heads of Government Meeting, CHOGM) qui a eu lieu à Kigali ce mois-là, il a également déclaré à Human Rights Watch :
Je ne sais pas ce qui va m'arriver après la CHOGM. On me dit qu'après la CHOGM, ils ne joueront plus avec nous. On me l'a dit cinq ou six fois. Je reçois des appels téléphoniques de numéros privés. Certaines personnes [des services du renseignement] sont venues chez moi deux fois, pour me le dire. La NISS [National Intelligence and Security Services] m'a dit : « Si vous ne changez pas de ton, après la CHOGM, vous verrez ce qui vous arrivera. »
Le 12 juillet, il avait dit à un ami qu'il avait survécu à plusieurs « accidents mis en scène » à Kigali. « Il me parlait des épreuves et des menaces auxquelles il est confronté en raison de son travail de journaliste », a déclaré son ami à Human Rights Watch.
Dans ces circonstances, le Rwanda a l'obligation légale d'assurer une enquête rapide et efficace, capable de déterminer les circonstances de la mort de Ntwali et d'identifier les responsables, en vue de les traduire en justice. Une enquête efficace doit être indépendante, impartiale, approfondie et transparente, menée en pleine conformité avec le Manuel révisé des Nations Unies sur la prévention et les enquêtes efficaces sur les exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires (Protocole du Minnesota sur les enquêtes relatif aux décès potentiellement illégaux).
Toutefois, étant donné que les autorités rwandaises ont systématiquement échoué à mener des enquêtes crédibles et à rendre des comptes pour les décès suspects d'opposants politiques ou de critiques de haut niveau, comme la mort de Kizito Mihigo en février 2020, des experts étrangers tels que le rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires devraient être impliqué dans l'enquête, a déclaré Human Rights Watch. Toutes les autorités rwandaises devraient pleinement soutenir et coopérer à l'enquête, et le Commonwealth, que le Rwanda préside actuellement, devrait publiquement demander une telle enquête.
Les autorités rwandaises ciblaient depuis longtemps Ntwali. Il a été arrêté en janvier 2016, à l'approche des élections de 2017, et accusé d'avoir violé une mineure. Les autorités judiciaires ont ensuite changé l'accusation en attentat à la pudeur et ont finalement abandonné l'affaire, faute de preuves.
À l'époque, Ntwali enquêtait sur plusieurs questions sensibles, notamment la mort d'Assinapol Rwigara, un homme d'affaires et père de la candidate à la présidence indépendante Diana Rwigara, dont la candidature aux élections de 2017 a ensuite été rejetée. La police a déclaré qu'Assinapol Rwigara était décédé dans un accident de voiture en février 2015, mais sa famille a contesté la version des faits donnée par les autorités.
Ntwali a également été arrêté arbitrairement à plusieurs autres reprises et son site Web a été bloqué par un régulateur gouvernemental, apparemment en représailles pour ses reportages critiques à l'égard du gouvernement.
« Il est embarrassant pour le Commonwealth, et cela transmet un message problématique sur ses valeurs, quand le pays qui le préside est un lieu où les morts suspectes de journalistes et d'activistes peuvent être balayées sous le tapis », a conclu Lewis Mudge. « Les autorités rwandaises devraient non seulement s’abstenir de nuire aux journalistes, mais au-delà, elles devraient les protéger activement ; et les partenaires du Rwanda devraient exiger que le gouvernement respecte pleinement ses obligations en vertu du droit international des droits humains. »
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