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A photo of a TV screen shows French President Emmanuel Macron speaks during televised address on June 22, 2022, in Paris.

Une feuille de route pour les droits humains pour le second mandat d’Emmanuel Macron

14 priorités en matière de droits humains pour le second mandat du président Macron

Une photo d'un écran de télévision montre le président français Emmanuel Macron s'exprimant lors d'une allocution télévisée, le 22 juin 2022, à Paris. © Raphael Lafargue/Abaca/Sipa USA(Sipa via AP Images)

Alors qu'il entame son second mandat, le président de la République française Emmanuel Macron et le gouvernement français devraient veiller à ce que les droits humains soient au cœur de toutes leurs politiques, en France comme à l'international. Human Rights Watch a élaboré une feuille de route à leur intention qui détaille une série de quatorze priorités en matière de droits humains.

  1. Protéger les droits socio-économiques alors que la pandémie de Covid-19 se poursuit
  2. Renforcer l’État de droit, y compris dans les politiques antiterroristes
  3. Garantir le droit à l’égalité de traitement par la police
  4. Respecter les droits des migrants, des réfugiés et des demandeurs d'asile
  5. Promouvoir les droits des femmes en France et à l’étranger
  6. Rapatrier les citoyens français, notamment les enfants et leurs mères, détenus arbitrairement dans le nord-est de la Syrie
  7. Prendre des mesures fortes en faveur du droit à un environnement propre, sain et sûr
  8. Défendre l’État de droit et les droits des réfugiés au sein de l’Union européenne
  9. Faire preuve de leadership dans les institutions multilatérales pour la défense des droits humains
  10. Placer les droits humains au cœur des relations bilatérales de la France
  11. Protéger les droits humains lors des interventions armées à l’étranger
  12. Traiter les questions liées aux armes de manière à réduire au minimum les dommages causés aux civils
  13. Soutenir la justice internationale
  14. Renforcer la responsabilité des entreprises en matière de droits humains et d'atteintes à l'environnement dans leurs chaînes d’approvisionnement globales

 

  1. Protéger les droits socio-économiques alors que la pandémie de Covid-19 se poursuit
Des bénévoles de l'association Linkee préparent des boîtes de  denrées alimentaires pour des étudiants à Paris, le 11 février 2021. © 2021 Raphael Lafargue/Abaca/Sipa via AP Images

La crise du Covid-19 a exacerbé les vulnérabilités socio-économiques, malgré les mesures d’accompagnement et de soutien du gouvernement. Davantage de personnes ont souffert de précarité alimentaire et ont eu recours à l'aide alimentaire pendant la pandémie. La précarité et l’insécurité alimentaire ont augmenté chez les jeunes. Les régions de France qui connaissaient déjà de fortes inégalités économiques ont également été particulièrement impactées par les décès dus au Covid-19.

En avril 2022, le taux de vaccination contre le Covid-19 était plus faible parmi les personnes vivant dans la pauvreté. Bien que la vaccination soit ouverte à tous, les structures de soins ne sont pas toujours aussi accessibles aux populations les plus marginalisées, qui n'ont pas toujours le même accès aux informations sur les vaccins ou les soins de santé en général. Au niveau mondial, l'accès aux vaccins a été profondément inéquitable, principalement du fait des limitations sur la production renforcées par les règles qui entravent le partage de la propriété intellectuelle et de la technologie pour les vaccins et autres outils thérapeutiques et tests contre le Covid-19. Cette situation a augmenté de manière disproportionnée les risques de transmission de la maladie et de la mortalité chez les personnes marginalisées des pays à revenu faible ou intermédiaire. Dans les pays à faible revenu, seule 18% de la population est vaccinée. L’opacité des contrats d’achat de vaccins conclus avec les entreprises ont nui à la transparence et à la notion de redevabilité des marchés publics. Malheureusement, l’accord limité négocié lors de la conférence ministérielle de l'OMC de juin 2022 ne permettra pas de résoudre ces problèmes. En tant que membre de l’Union européenne, la France a fait partie des pays qui ont empêché, en pleine crise sanitaire dévastatrice, la mise en place d’une dérogation plus générale.

L'accès inéquitable aux technologies de santé liées au Covid-19 a également favorisé l’émergence de variants et de souches. Cela a également prolongé la pandémie et la nécessité de mettre en place des mesures très contraignantes comme les confinements, qui restreignent les droits et les libertés, et peuvent menacer la sécurité de personnes vulnérables comme les victimes de violences domestiques.

Recommandations au Président de la République et au gouvernement :

  • S'assurer que les personnes les plus vulnérables sur le plan socio-économique en France seront mieux soutenues en cas de crise future, afin que les conséquences négatives ne se répètent pas.
  • Soutenir la dérogation temporaire en matière de propriété intellectuelle pour les tests et les traitements Covid-19 envisagée par l'Organisation mondiale du commerce afin de faciliter un accès plus rapide, équitable et abordable aux traitements et aux tests dans le monde entier. 
  • Soutenir les transferts de technologie des vaccins vers les fabricants des pays à revenu faible ou intermédiaire. 
  • Rendre les contrats relatifs aux vaccins contre le Covid-19 et les autres contrats d'approvisionnement transparents, au niveau national, au niveau de l'Union européenne (UE), et en ce qui concerne le dispositif mondial d'approvisionnement en vaccins COVAX, afin que l’utilisation de l'argent des contribuables fasse l’objet d’un meilleur contrôle.
  1. Renforcer l'État de droit, y compris dans les politiques antiterroristes
Des policiers et une brigade anti-criminalité sécurisent une rue lors d'une opération anti-terroriste à Argenteuil (banlieue parisienne) le 21 juillet 2016, date à laquelle l'état d'urgence en vigueur en France depuis le 14 novembre 2015 a été prorogé. © 2016 Reuters / Charles Platiau

Depuis 2015, la France a passé plus de 35 mois sous le régime de l’état d'urgence, d'abord pour des raisons sécuritaires, puis sanitaires pour faire face à la pandémie de Covid-19. L’état d'urgence octroie à l’exécutif des pouvoirs exceptionnels et peut imposer des restrictions temporaires à l'exercice de nombreux droits et libertés fondamentaux.

Des mesures telles que les couvre-feux, les fermetures administratives d’associations et de lieux de culte, les restrictions à la circulation et à la tenue de manifestations, et les mesures de surveillance restreignent les droits à la liberté de réunion et d'association, et portent atteinte au droit à la vie privée. Alors que de telles restrictions peuvent être justifiées, y compris pour des raisons de santé publique, elles devraient être non discriminatoires, nécessaires et proportionnées à la menace publique, limitées dans le temps et soumises à un examen régulier.

Dans certains cas, des mesures exceptionnelles introduites en France sous état d'urgence ont ensuite été incorporées dans la loi ordinaire, élargissant leur application au-delà de l'urgence pour laquelle elles étaient jugées nécessaires. Les autorités françaises ont utilisé des pouvoirs initialement introduits dans le cadre de l'état d'urgence pour dissoudre une organisation anti-discriminations, alléguant entre autres que qualifier d’islamophobes certaines mesures antiterroristes incitait à la haine.

Les organisations de défense des droits humains et autres instances internationales ont documenté et critiqué l'usage excessif de la force par la police lors de manifestations, blessant des manifestants et menaçant le droit de manifester.

Recommandations au Président de la République et au gouvernement :

  • Garantir le respect des libertés fondamentales et de l'État de droit tout en protégeant la population contre les menaces liées à la sécurité nationale et au Covid-19.
  • Respecter la liberté d'expression, d'association et de réunion des organisations de la société civile qui luttent contre les discriminations et agissent pour le respect les droits humains.
  • Respecter la liberté de manifestation.
  • Faire en sorte que les mesures d'urgence soient soumises à un examen robuste et régulier et un contrôle judiciaire et ne deviennent pas des mesures permanentes en étant intégrées aux lois ordinaires.
  • Veiller à ce que les mesures antiterroristes soient non discriminatoires et proportionnées et exiger une autorisation judiciaire pour des mesures telles que les perquisitions.
  • Revoir les politiques et méthodes de maintien de l'ordre afin de mettre en place des garanties efficaces contre le recours excessif à la force lors des manifestations et contre toute atteinte injustifiée au droit de manifester. Enquêter sur les abus présumés et tenir les agents pour responsables en cas de recours excessif à la force.
  1. Garantir le droit à l’égalité de traitement par la police
Des agents de police contrôlent les documents d'identité de passants pendant le confinement à Rennes, en France. Le 11 avril 2020. © 2020 Sipa via AP Images

Le profilage ethnique, ou « contrôles au faciès », lors des contrôles de police, qui affectent particulièrement les jeunes hommes noirs et arabes, ou perçus comme tels, demeurent une pratique généralisée en France, malgré la confirmation par le Conseil constitutionnel de l’obligation que les contrôles d'identité de la police soient « fondés exclusivement sur des critères excluant toute forme de discrimination ».

Les gouvernements successifs n’ont pas mis fin à cette discrimination systémique, laissant perdurer cette pratique abusive et illégale, qui porte profondément préjudice non seulement aux personnes concernées, mais aussi aux relations entre la police et la population. Face à l'inaction des autorités françaises, un groupe d'organisations non gouvernementales, dont Human Rights Watch, a lancé en janvier 2021 une action en justice sans précédent contre le gouvernement, qui vise à mettre fin à ces pratiques abusives.

Au-delà du profilage ethnique, les discriminations produites par les institutions affectent les musulmans, les Roms, les migrants, les personnes noires et d’origine arabes dans les secteurs de l’éducation, du logement et de l'emploi.

Recommandations au Président de la République et au gouvernement :

  • Mettre fin aux contrôles d’identité discriminatoires fondés sur des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée.
  • Réformer le cadre légal des contrôles d'identité, prendre des mesures spécifiques pour les contrôles d’identité impliquant des enfants, mettre en place un système d'enregistrement des contrôles d’identité, de collecte et d’analyse des données relatives à ces contrôles et créer un mécanisme de plainte indépendant.
  • Soutenir l’instauration d’une preuve de contrôle mise à la disposition de toute personne contrôlée indiquant la motivation légale du contrôle et permettant un suivi et une évaluation de ces opérations de police. Cette mesure, mise en œuvre avec succès dans d’autres pays européens, s’est avérée être un moyen simple et efficace d’assurer la transparence et la traçabilité des contrôles d’identité, ainsi que de renforcer la confiance entre police et population sans pour autant alourdir le travail des agents de police.
  • Prendre des mesures concrètes pour documenter, analyser et s’attaquer de manière adéquate aux contrôles au faciès.
  • Faire en sorte que les abus commis lors des contrôles d’identité fassent systématiquement l’objet d’enquêtes et de poursuites appropriées, et que les agents ne respectant pas les instructions en soient tenus responsables à travers des mécanismes internes.
  1. Respecter les droits des migrants, des réfugiés et des demandeurs d'asile
Un migrant de la région kurde d'Irak se réchauffe en brûlant du bois de chauffage dans un camp de migrants improvisé dans la région de Dunkerque, dans le nord de la France, le 5 décembre 2021. © 2021 Geovien So / SOPA Images/Sipa via AP Images

A travers l'Europe, plusieurs pays se livrent à de violents refoulements de personnes migrantes aux frontières et soutiennent l'externalisation des contrôles migratoires vers des pays ayant moins de capacités et moyens de surveillance. Ces pratiques menacent des droits humains protégés au niveau international, tels que le droit de chacun à quitter son pays, le droit de demander l'asile pour échapper à la persécution, et le droit de ne pas être renvoyé dans un endroit où sa vie ou sa sécurité seraient menacées.

Des organisations de défense des droits humains ont également documenté le traitement dégradant infligé aux migrants par les autorités françaises, notamment le harcèlement policier, des restrictions d’accès à l’aide humanitaire, des expulsions sommaires d’enfants non accompagnés à la frontière franco-italienne, et le déni d’accès d’enfants migrants non-accompagnés à la protection et aux services essentiels sur le territoire français.

Recommandations au Président de la République et au gouvernement :

  • S’engager à traiter les migrants et les demandeurs d'asile avec humanité, à respecter pleinement leurs droits, et à protéger le droit d'asile.
  • Mettre fin aux traitements dégradants et au harcèlement policier à l’égard des migrants et des demandeurs d'asile, notamment dans le nord de la France et à Paris ; mettre fin aux restrictions imposées à l'aide humanitaire et aux services essentiels ; mettre fin au harcèlement policier dont sont victimes les travailleurs et les bénévoles œuvrant au service d’organisations humanitaires et des droits humains.
  • Veiller à ce que les enfants migrants non accompagnés se trouvant sur le territoire français aient accès à la protection et aux services auxquels ils ont droit.
  • Prendre des mesures pour que les personnes en quête de protection aient accès à des services de soutien de santé mentale.
  • Agir concrètement pour contribuer à l'établissement d'un mécanisme permanent de relocalisation et de partage des responsabilités au sein de l'UE afin d'alléger la pression sur les premiers pays d'arrivée et la souffrance des personnes aux frontières extérieures de l'UE.
  • Soutenir une réforme du règlement de Dublin.
  • Soutenir les programmes de relocalisation temporaire d'urgence en cas d'augmentation des arrivées. 
  • Proposer des options supplémentaires en matière de statut migratoire en fonction des liens familiaux et communautaires, de la langue ou de liens historiques avec les pays d’origine.
  • Développer des alternatives efficaces aux traversées irrégulières désespérées et dangereuses de la Manche, notamment en travaillant avec le gouvernement du Royaume-Uni pour créer et mettre en œuvre une procédure permettant aux enfants migrants non accompagnés de rejoindre les membres de leur famille au Royaume-Uni. Exhorter le gouvernement britannique à identifier et mettre en œuvre d'autres voies sûres et légales permettant aux demandeurs d’asile et autres migrants, adultes et enfants, d’atteindre le Royaume-Uni.
  1. Promouvoir les droits des femmes en France et à l’étranger
Des femmes portent une banderole "Stop aux violences sexistes et sexuelles", le 20 novembre 2021 à Paris. © 2021 AP Photo/Adrienne Surprenant

Les violences sexuelles recensées ont fortement augmenté en France et le taux de féminicides y est l'un des plus élevés en Europe.

La crise du Covid-19 a eu un impact disproportionné sur l'emploi des femmes. Plus de femmes que d'hommes ont dû réduire leur temps de travail ou quitté leur emploi en grande partie pour pouvoir s’occuper de leurs familles. Les femmes sont également surreprésentées dans les métiers en première ligne dans la réponse à la pandémie, en particulier aux niveaux inférieurs, où les risques d'infection sont les plus élevés.

Les confinements liés au Covid-19 ont créé des risques spécifiques pour les victimes de violences domestiques, au cours desquels les signalements de violence ont augmenté de manière significative.

En novembre 2021, le Parlement français a adopté un projet de loi pour permettre à la France de ratifier la Convention sur la violence et le harcèlement au travail de l'Organisation internationale du travail (C190), mais la France ne l'a toujours pas fait. En outre, aucune réforme législative n'a été entreprise pour garantir l'intégration effective de la convention et de ses recommandations dans le droit français. 

Recommandations au Président de la République et au gouvernement :

  • Faire des droits des femmes et de l'élimination de la violence contre les femmes et les filles une priorité de la politique nationale et internationale de la France.
  • En France :
  • Promouvoir des lois et mesures visant à lutter contre la discrimination persistante à l'égard des femmes, en particulier l'inégalité des salaires, la violence à l'égard des femmes, y compris le harcèlement et les agressions sexuelles, et le manque de parité en politique. Respecter les libertés d’expression et de religion, ainsi que l’autonomie des femmes, et ne pas permettre que des restrictions telles que celles portant sur les vêtements religieux entravent ces droits. Protéger les droits des femmes marginalisées ou particulièrement exposées, et respecter les obligations de la France en matière de prévention et de lutte contre la violence à l'égard de toutes les femmes et filles, conformément à la Convention d'Istanbul, quels que soient leurs titres de séjour ou de résidence, leur orientation sexuelle, leur culture, leur origine ethnique ou leur religion.
  • Veiller à ce que les réformes nécessaires soient entreprises en conformité avec la C190, afin que les personnes puissent être protégées au mieux contre la violence et le harcèlement sexuel au travail. Faire en sorte que les victimes de violences domestiques ne soient pas pénalisées par des politiques sur leur lieu de travail rendant plus difficile l’accès à l’aide dont elles ont besoin.
  • A l’étranger :
  • Poursuivre les efforts de la France pour faire des droits des femmes et des filles une priorité de sa diplomatie.
  • En tant que pays revendiquant une politique étrangère féministe, la France devrait travailler avec le Canada, l'Allemagne, la Suède et les autres pays dotés d’une diplomatie féministe pour développer une stratégie internationale coordonnée et concrète visant à mettre fin aux abus généralisés subis par les femmes et les filles en Afghanistan sous les talibans.  
  • Promouvoir la C190 au niveau international et encourager davantage de pays à la ratifier. 
  • En tant que présidente du Comité des parties à la Convention d'Istanbul, un traité novateur du Conseil de l'Europe visant à renforcer la prévention et la protection contre toutes les formes de violence à l'égard des femmes, la France devrait montrer l'exemple en mettant en œuvre tous les aspects de la convention afin de prévenir la violence, de protéger les femmes et les filles et de demander des comptes aux auteurs de ces actes. Elle devrait également exhorter les États membres de l'UE qui ne l'ont pas encore fait à ratifier et à mettre en œuvre la convention, suite au récent engagement de l'Union européenne à rejoindre la convention en tant qu'institution.
  • Faire des droits des femmes un axe prioritaire de l'aide au développement française. Maintenir la priorité apportée à l'Agence Française de Développement (AFD) aux programmes de lutte contre les inégalités de genre, notamment en renouvelant la stratégie Genre et Développement 2018-2022.
  • S'engager à soutenir politiquement et financièrement les droits sexuels et reproductifs, qui sont des droits humains fondamentaux. Exhorter les autres États membres de l'UE à faire respecter ces droits dans leur intégralité, et condamner publiquement ceux qui ne le font pas. L'éducation sexuelle, le planning familial, l'avortement sécurisé et les services de maternité font partie intégrante des droits sexuels et reproductifs et sont indispensables à la réduction de la mortalité maternelle, de la violence sexiste et des grossesses non désirées, ainsi qu'à la réalisation par les femmes et les filles de divers droits humains.
  1. Rapatrier les citoyens français, notamment les enfants et leurs mères, détenus arbitrairement dans le nord-est de la Syrie
Un jeune tient un parapluie alors qu'il marche sous la pluie au Camp Roj, où sont détenus des proches de personnes soupçonnées d'appartenir au groupe État islamique (EI), dans le nord-est de la province de Hasakah, en Syrie, le 4 mars 2021. © 2021 Delil Souleiman/AFP via Getty Images

Depuis plus de trois ans, environ 400 citoyens français, dont environ 200 enfants français et leurs mères, sont détenus arbitrairement dans des camps et des prisons pour membres présumés de l'État islamique (EI) et leurs familles dans le nord-est de la Syrie. Ils sont détenus dans des conditions mettant leur vie en danger, profondément dégradantes et souvent inhumaines, sans aucune possibilité de contester la légalité et la nécessité de leur détention. Les enfants détenus sont privés de leurs droits fondamentaux, notamment les droits à la vie, à la protection, à la santé et à l'éducation. 

À ce jour, la France n'a rapatrié que 35 enfants (les derniers en janvier 2021) et aucun adulte.

Les conditions humanitaires et de sécurité dans les deux camps fermés détenant des femmes et des enfants continuent de se détériorer. Selon l’ONU, des centaines de personnes détenues dans le camp de Al Hol -dont au moins la moitié sont des enfants- sont déjà mortes ces trois dernières années, notamment en raison du manque de soins médicaux, de l'insalubrité, d’accidents comme des incendies de tentes. L’insécurité y est grandissante, avec notamment des assassinats ciblés orchestrés par Daech et des agressions sexuelles, y compris sur des enfants. Les conditions de vie sont encore plus désastreuses dans les prisons surpeuplées où sont détenus des milliers d’hommes suspectés d’avoir rejoint l’EI, dont environ 60 Français et 850 garçons originaires de dizaines de pays. La plus grande de ces prisons a été attaquée par l’EI en janvier, menant à une bataille meurtrière de 10 jours et a provoqué des centaines de morts parmi les prisonniers et les forces armées locales.

La Haute-Commissaire des droits de l’homme des Nations unies, et des experts des droits humains de l’ONU, le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, le Comité international de la Croix-Rouge, ainsi que la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) et le Défenseur des droits en France ont appelé au rapatriement des enfants et de leurs mères. Les autorités régionales dirigées par les Kurdes au nord-est de la Syrie, qui détiennent les Français et d'autres étrangers, ont exhorté à plusieurs reprises les pays d'origine à rapatrier leurs ressortissants.

Dans une décision rendue le 23 février, le Comité des droits de l'enfant des Nations unies a considéré que le refus de la France de les rapatrier porte atteinte au droit à la vie des enfants français détenus dans ces camps, à leur droit de ne pas être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi qu’à leur intérêt supérieur.

La détention arbitraire de ces enfants viole aussi les principes internationaux relatifs aux enfants associés à des groupes armés, qui doivent être considérés avant tout comme des victimes. La résolution 2396 de 2017 du Conseil de sécurité des Nations unies, contraignante pour tous les États membres, souligne l'importance d'aider les femmes et les enfants associés à des groupes comme EI, qui peuvent eux-mêmes être victimes du terrorisme. Les gouvernements qui contribuent activement à la détention de leurs citoyens sans procédure régulière peuvent être complices de leur détention illégale et de leur punition collective.

En abandonnant leurs ressortissants dans le nord-est de la Syrie, des pays dont la France n'ont fait qu'aggraver la crise humanitaire et les risques sécuritaires. De plus, en permettant que leurs ressortissants soient détenus arbitrairement et indéfiniment dans le nord-est de la Syrie, la France et les autres pays d'origine contribuent à l'impunité de tout crime de l’EI qui aurait été commis par les adultes détenus, tout en infligeant à leurs enfants une punition collective.

Recommandations au Président de la République et au gouvernement :

  • Rapatrier d'urgence les enfants français détenus dans le nord-est de la Syrie ainsi que leurs mères, conformément au droit international relatif aux droits de l'enfant et au principe de l'unité familiale.
  • Fournir aux ressortissants rapatriés des services de réinsertion et de réintégration suffisantes, y compris un soutien psychologique.
  • Plus généralement, répondre aux appels répétés des autorités du nord-est de la Syrie à rapatrier les ressortissants français détenus. Une fois de retour en France, les suspects pourront faire l’objet d’enquêtes et de poursuites judicaires comme il se doit. 
  • Entre-temps, fournir une aide adéquate pour améliorer les conditions de vie dans les camps et les prisons du nord-est de la Syrie et faire pression sur le Conseil de sécurité des Nations unies pour qu'il autorise de nouveau les opérations d’aide transfrontalière dans le nord-est de la Syrie.
  1. Prendre des mesures fortes en faveur du droit à un environnement propre, sain et sûr
Une jeune femme tient une pancarte sur laquelle on peut lire "Il n'y a pas de planète B" lors d'un rassemblement sur le changement climatique à Toulouse, le 6 novembre 2021. © 2021 Alain Pitton/NurPhoto via AP

Le réchauffement climatique représente la plus grande menace globale pour les droits humains. La France s'est engagée à réduire ses émissions de 40 % d'ici à 2030. Bien que des efforts aient été entrepris pour réduire ces émissions, les progrès ont été trop lents et montré le besoin urgent que la France prenne des mesures plus ambitieuses pour atteindre cet objectif. La France a favorablement avancé pour mettre fin au financement public international des énergies fossiles. Mais d'autres aides financières et subventions pour ces énergies subsistent. Depuis le début de la pandémie de Covid-19, la France a octroyé davantage de subventions aux projets liés aux énergies fossiles, à l'origine de la crise climatique, qu’aux énergies renouvelables.

Recommandations au Président de la République et au gouvernement :                                                                                                                

  • Placer la lutte contre le réchauffement climatique au centre des politiques françaises ces cinq prochaines années et mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires pour parvenir à une réduction rapide et ambitieuse des émissions de gaz à effet de serre. 
  • Prendre les mesures nécessaires pour tenir les entreprises responsables de leur rôle dans le changement climatique et la dégradation de l'environnement.
  • Mettre fin aux subventions aux énergies fossiles et restreindre les importations de produits qui participent à la déforestation mondiale.
  1. Défendre l’État de droit et les droits des réfugiés au sein de l’Union européenne
Des migrants au camp de réfugiés de Kara Tepe, sur l'île de Lesbos, au nord-est de la mer Égée, en Grèce, le 14 octobre 2020. © 2020 AP Photo/Panagiotis Balaskas

L'Union européenne (UE) se trouve à un moment critique quant à la défense de ses valeurs fondatrices. Plusieurs dirigeants politiques d’États membres de l’UE s’adonnent à une remise en cause accrue des valeurs fondatrices de l’UE. Ils tentent de saper les institutions démocratiques et l'État de droit en instaurant des lois ciblant les droits fondamentaux des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles (LGBT), les droits des femmes, l'indépendance de la justice, la liberté de la presse et les défenseurs des droits humains. Des mécanismes européens existent pour tenir les États responsables du non-respect de ses valeurs, notamment par le biais de sanctions et en conditionnant les fonds de l'UE à des réformes.

Human Rights Watch et de nombreuses autres organisations non gouvernementales et internationales ont documenté des refoulements illégaux, parfois accompagnés de violences, de migrants et de demandeurs d'asile aux frontières extérieures de l'UE, notamment en Croatie, en Grèce, en Hongrie, en Espagne et, plus récemment, en Pologne. Les institutions européennes ont échoué de manière récurrente à s’attaquer à ces graves violations.

Depuis 2014, plus de 24 000 personnes sont mortes en mer Méditerranée en tentant de rejoindre l'Europe. L'UE n'opère pas de mission de recherche et de sauvetage dédiée en Méditerranée et les organisations non gouvernementales qui comblent ce vide se heurtent à des délais et à des obstructions. Les États membres et agences de l'UE (comme l’agence de garde-frontières et de garde-côtes Frontex) fournissent un soutien matériel et financier aux garde-côtes libyens pour intercepter les personnes en mer et les ramener en Libye où elles sont détenues de manière abusive et arbitraire.

La Commission européenne a proposé que les États membres de l'UE mettent en place des mécanismes indépendants de suivi de la situation aux frontières à même d’enquêter sur les allégations de violations des droits fondamentaux aux frontières. De plus en plus de voix s'élèvent pour demander des comptes sur les décès en mer et mettre fin à la coopération avec la Libye qui contribue aux abus contre les migrants.

Recommandations au Président de la République et au gouvernement :

  • Ne mettre en œuvre que des politiques respectueuses des valeurs fondatrices communes de l’Union européenne de dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, d'État de droit et de droits humains, y compris les droits des personnes appartenant à des minorités, inscrites à l'article 2 du Traité sur l'Union européenne (TUE).
  • Poursuivre les efforts de la France pour la défense de l’état de droit au sein et de l’UE. Faire pression pour que l'examen par le Conseil de la situation en Hongrie et en Pologne dans le cadre des procédures de l'article 7.1 progresse réellement, avec la programmation d'auditions régulières sur la situation dans les deux pays, l'adoption de recommandations sur l'État de droit et un vote pour déterminer si les valeurs de l'UE sont en danger dans les deux pays.
  • Soutenir l'utilisation rapide par la Commission européenne du régime de conditionnalité du budget de l'UE au respect des principes de l'État de droit et veiller à ce que le Conseil mette en œuvre les décisions proposées par la Commission de manière rapide et transparente.
  • S'opposer fermement aux efforts visant à saper le droit d’asile et les protections contre les expulsions sommaires et collectives, et les retours non sûrs.
  • Renforcer la proposition de la Commission européenne dans le Pacte sur la migration et l’asile pour établir des mécanismes indépendants crédibles de suivi de la situation aux frontières et s'assurer que le champ d'application de ce suivi s'applique à toutes les violations présumées des droits fondamentaux pendant les activités de contrôle des frontières. Pousser pour qu'il y ait des garanties plus fortes d'indépendance vis-à-vis des institutions chargées de l'application des lois, et des assurances que ces mécanismes agissent sur la base de toutes les informations disponibles, et que les constats et les conclusions soient publics et aboutissent à des conséquences réelles en cas de violations des droits fondamentaux.
  • Soutenir une réforme du système de Dublin qui comprenne la mise en place d’un mécanisme permanent de relocalisation et de partage des responsabilités, afin d'alléger la pression sur les premiers pays d'arrivée et la souffrance des personnes aux frontières extérieures de l'UE. Agir en faveur du recours à des programmes de relocalisation temporaire d'urgence en cas de crise future.
  • Encourager l'adoption d'un cadre global de réinstallation dans l'UE assorti d'engagements significatifs fondé sur une évaluation de la protection et sur les critères du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), centré sur la protection des plus vulnérables, garantissant le respect de l'unité familiale et adapté aux besoins mondiaux.
  • Appeler à une plus grande transparence sur les mesures prises par Frontex pour donner suite aux rapports d'incidents graves, aux plaintes, aux rapports émis par son responsable et ses contrôleurs des droits fondamentaux, ainsi que par des organisations internationales et régionales et des organisations non gouvernementales indépendantes ; et pour mettre en œuvre son obligation de diligence raisonnable de suspendre ou de mettre fin aux opérations en cas d’abus grave.
  • Œuvrer pour le réexamen de la coopération de l'UE avec les autorités libyennes en matière de migration et de gestion des frontières –en particulier concernant le soutien aux garde-côtes et à la marine libyens– en vue de conditionner la poursuite de cette coopération à des mesures concrètes et vérifiables en vue de la libération rapide de toutes les personnes détenues arbitrairement en Libye, et de la fin du système de détention automatique et indéfinie sur la seule base du statut migratoire ; des garanties que le HCR pourra s’acquitter de son mandat et aura pleinement accès aux personnes relevant de sa compétence ; et de la ratification de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et de son protocole de 1967.
  • Promouvoir des politiques visant à sauver des vies et à prévenir les décès de migrants, notamment à travers des opérations de recherche et de sauvetage robustes et proactives assurées par les États là où elles sont nécessaires, et par un soutien aux efforts non-gouvernementaux d’assistance humanitaire et de sauvetage.
  • S'engager en faveur d'une politique étrangère de l'UE qui reste fidèle aux valeurs fondatrices de l'Union, et qui défend les droits humains et la démocratie en toutes circonstances et avec tous les États du monde.
  1. Faire preuve de leadership dans les institutions multilatérales pour la défense des droits humains
Rassemblement contre le traitement du peuple ouïghour par les autorités chinoises, à Paris, France, le 2 octobre 2021. © 2021 Georges Darmon/Avenir Pictures/Abaca/Sipa via AP Images

En tant que membre du Conseil des droits de l'homme des Nations unies et membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la France a un rôle essentiel à jouer dans la défense des droits humains au niveau mondial. Conformément à ses engagements internationaux, la France devrait jouer un rôle moteur et initier des actions coordonnées dans les forums multilatéraux sur les situations spécifiques dans certains pays. De telles situations incluent des pays où des atrocités sont commises dans le cadre de conflits armés, notamment l'Ukraine, le Yémen, les pays de la région du Sahel, et le Cameroun ; la Chine où les autorités chinoises commettent des crimes contre l'humanité contre les Ouïghours et autres minorités turciques au Xinjiang ; le Myanmar, où la junte a perpétré des crimes contre l’humanité avant et depuis le coup d’État de 2021 ; l’Afghanistan où se déroule la pire crise des droits des femmes et des filles actuellement dans le monde ; Israël-Palestine, où les autorités israéliennes commettent les crimes d’apartheid et de persécution à l’encontre de millions de Palestiniens ; l’Ethiopie, où les autorités éthiopiennes ont commis des crimes de guerre et crimes contre l’humanité contre des Tigréens dans l’Ouest du Tigré, et les autres situations d’abus généralisés en Russie, en Egypte, au Liban et dans d’autres pays, qui nécessitent des réponses internationales fortes.

Recommandations au Président de la République et au gouvernement :

  • Jouer un rôle moteur dans les forums multilatéraux, notamment à l’ONU -au sein du Conseil de sécurité, de l’Assemblée générale et du Conseil des droits de l’homme-, pour mettre fin aux graves violations des droits humains et du droit international humanitaire dans des situations et des pays dans le monde.
  • Défendre le rôle des organisations non-gouvernementales ainsi que la liberté académique et la liberté de presse, dans le but de garantir les principes démocratiques et le respect des droits humains.
  • Veiller à ce que les négociations de paix et les missions de maintien de la paix comportent toutes systématiquement un volet consacré aux droits humains.
  • Prendre des mesures pour faire face aux tentatives des régimes autoritaires, comme la Chine et la Russie, membres du Conseil de sécurité des Nations unies, d'empêcher les représentants de la société civile et les défenseurs des droits humains de s'exprimer dans les forums multilatéraux ou lors d'événements internationaux.
  1. Placer les droits humains au cœur des relations bilatérales de la France
Le Président français Emmanuel Macron, à droite, accueille le Prince héritier de l'Émirat d'Abu Dhabi, Sheikh Mohammed bin Zayed Al Nahyan, au château de Fontainebleau, dans le sud de Paris, en France, le 15 septembre 2021. © 2021 AP Photo/Thibault Camus

Dans un contexte de mépris flagrant pour les droits humains et les contrepouvoirs de la part de gouvernements dans de nombreuses régions du monde, la France devrait faire des droits humains une priorité de ses relations bilatérales. Ne pas mentionner les graves violations des droits humains et la faible adhésion à l’État de droit lors de discussions avec des pays partenaires comme l’Egypte, les Emirats arabes unies et d’autres pays, affaiblit la crédibilité de la France lorsque qu’elle promeut les droits humains sur la scène internationale.

Des déclarations diplomatiques fortes, en public et en privé, lorsque de graves violations des droits humains sont commises permettent d’inciter les États concernés à mettre fin à ces abus et à demander des comptes à leurs auteurs, à assurer la justice aux victimes et à adopter les réformes nécessaires pour mettre fin aux abus systémiques. Dans ses relations avec des gouvernements responsables de violations graves, la France devrait utiliser ses leviers et conditionner son soutien à des progrès concrets en matière de droits humains.

La France a également un rôle important à jouer dans la politique étrangère de l'Union européenne. La réponse de l'UE aux violations des droits humains dans le monde a mis en évidence une approche de « deux poids deux mesures », des États-membres bloquant souvent des initiatives guidées par le respect des droits pour protéger leurs intérêts propres et les relations bilatérales qu’ils entretiennent avec certains gouvernements responsables d’abus.

Recommandations au Président de la République et au gouvernement :

  • Placer les droits humains au cœur de la diplomatie française.
  • Soutenir publiquement la société civile et les défenseurs des droits humains menacés, notamment dans les pays avec lesquels la France entretient des partenariats forts -militaires, économiques, culturels.
  • Faire pression sur les pays qui reçoivent l’appui militaire de la France et son assistance en matière de sécurité pour que des enquêtes crédibles et impartiales soient conduites sur les allégations de violations des droits humains. Suspendre l’assistance militaire et sécuritaire française aux États qui ne le font pas.
  • Adresser un message clair aux diplomates indiquant que les droits humains devraient être au cœur de leur travail quotidien. Les chefs de mission devraient recevoir une formation en droit international relatif aux droits humains et en droit international humanitaire et une information régulière sur la situation des droits humains dans le pays dans lequel ils sont en poste, en s’appuyant notamment sur divers groupes de la société civile locale, surtout ceux représentant les populations marginalisées.
  1. Protéger les droits humains lors des interventions armées à l’étranger

Les forces armées françaises sont déployées dans de nombreuses régions du monde, notamment en Irak, au Sahel, en Europe de l'Est et au Liban.

Recommandations au Président de la République et au gouvernement :

  • Assurer que les forces françaises déployées à l’étranger et leurs alliés respectent et font de la protection des droits humains une priorité dans toutes les opérations militaires. Lors des opérations de lutte contre le terrorisme, les armées et les forces de sécurité devraient strictement respecter leurs obligations de protéger le droit à la vie et à la sécurité des civils et respecter les droits fondamentaux de toute personne arrêtée ou placée en détention.
  • Appeler publiquement les alliées de la France engagés dans des conflits à conduire des enquêtes crédibles, indépendantes, impartiales sur les allégations d’abus ou de violations des droits humains commis par toutes les parties au conflit. Appeler à ce que les coupables de ces violations soient dûment poursuivis et à ce que les victimes puissent obtenir justice, réparation et compensation en conformité avec les standards internationaux.
  • Rendre obligatoire la formation systématique de toutes les forces armées françaises sur leurs obligations en matière de droits humains – y compris la tolérance zéro concernant l’exploitation sexuelle et les abus – en amont de leur déploiement à l’étranger. Les militaires occupant des postes de commandement devraient être préparés à superviser leurs troupes de manière à prévenir et signaler les violations, ainsi qu’à sanctionner quiconque les commettrait. Chaque fois que les militaires français sont soupçonnés d'avoir commis des abus ou des violations des droits humains, demander des enquêtes rapides, rigoureuses et impartiales, conformes aux normes internationales, susceptibles de déboucher sur des poursuites effectives des suspects, le cas échéant.
  • Assurer la mise en œuvre pleine et effective de la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, pour promouvoir la protection des élèves, des professeurs et des écoles pendant les conflits, et encourager son endossement par d’autres États.
  1. Traiter les questions liées aux armes de manière à réduire au minimum les dommages causés aux civils

Parmi les principaux clients de la France en matière d'exportation d'armes au cours de la dernière décennie figurent l'Arabie saoudite, l'Égypte et les Émirats arabes unis (EAU), qui sont tous responsables de graves violations des droits humains sur leur sol, et dont certains sont accusés de crimes de guerre et d'attaques illégales dans le conflit yéménite.

Les exportations d'armes françaises sont caractérisées par leur opacité et le manque de contrôle démocratique. Depuis des années, les ONG et d'autres acteurs appellent les autorités françaises à renforcer la transparence et le contrôle parlementaire sur les ventes d'armes françaises.

Depuis 2013, la France participe aux négociations internationales aux Nations unies sur les inquiétudes soulevées par les systèmes d'armes autonomes en particulier ceux qui sélectionneraient et attaqueraient des cibles sans contrôle humain significatif.

L'utilisation d'armes explosives à large rayon d’impact en zones peuplées a des conséquences désastreuses pour la protection des civils. Les personnes sont exposées à un risque élevé de mort et de blessure grave, tandis que les dommages et la destruction des habitations et des infrastructures essentielles, notamment les hôpitaux et les écoles, les réseaux électriques et les systèmes d'approvisionnement en eau et d'assainissement, causent des dommages supplémentaires et ont des conséquences à long terme sur les communautés et sur leurs conditions de vie. Au cours de la dernière décennie, 90 % des victimes d'armes explosives dans des zones peuplées étaient des civils.

Recommandations au président de la République et au gouvernement :

  • Suspendre les ventes d'armes à des gouvernements lorsqu'il existe un risque qu'elles soient utilisées à des fins de répression interne ou pour commettre des violations du droit international humanitaire.
  • Suspendre le transfert d'armes françaises aux pays membres de la coalition militaire engagée dans le conflit au Yémen, notamment l'Arabie saoudite et les EAU, compte tenu des violations généralisées des droits humains et du droit international humanitaire.
  • Renforcer la transparence et le contrôle parlementaire sur les exportations d'armes de la France.
  • Coopérer avec d'autres pays pour élaborer un nouveau traité international comprenant des interdictions et des réglementations sur les systèmes d'armes autonomes et assurant la conservation d’un contrôle humain significatif sur l'utilisation de la force.
  • Soutenir et mettre en œuvre une déclaration politique internationale forte pour mieux protéger les civils contre les conséquences humanitaires de l’utilisation d’armes explosives dans les zones peuplées.
  • Élaborer des politiques et des pratiques visant à éviter l'utilisation d'armes explosives à large rayon d’impact sur les zones peuplées.
  1. Soutenir la justice internationale
L'entrée de la Cour pénale internationale à La Haye, aux Pays-Bas. © 2021 AP Photo/Peter Dejong

La France est membre de la Cour pénale internationale (CPI), une institution essentielle pour garantir que les victimes des pires crimes internationaux, notamment le génocide, les crimes de guerre, et les crimes contre l’humanité aient accès à la justice. Alors que les crises des droits humains se multiplient, le besoin de responsabilité et de justice n'a jamais été aussi grand. La France a été à l'avant-garde des discussions sur la coopération avec la CPI, et il est crucial qu'elle s'assure, avec les autres pays membres, que la Cour reçoive le soutien politique, financier et pratique dont elle a besoin pour accomplir son mandat essentiel, tout en respectant et en sauvegardant son indépendance.

En vertu du principe juridique de la compétence universelle, la justice française peut enquêter et poursuivre les crimes les plus graves au regard du droit international, même s'ils n'ont pas été commis sur le territoire français, ou par ou contre un citoyen français. Mais la loi française comporte des restrictions qui limitent l'application de la compétence universelle et font craindre que la France ne devienne un refuge pour les auteurs présumés d'atrocités.

Recommandations au président de la République et au gouvernement :

  • Lutter contre l'impunité pour les génocides, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité en assurant un fort soutien politique et financier à la Cour pénale internationale, et en respectant son indépendance.
  • S’assurer que la lutte contre l’impunité et le soutien à la CPI sont des priorités de la diplomatie française dans ses relations bilatérales et multilatérales ; la France devrait profiter des opportunités offertes par l'anniversaire du Statut de Rome pour réitérer son  soutien affirmé à la CPI ; prendre toutes les mesures nécessaires pour travailler avec les autres États parties au Statut de Rome, particulièrement les États africains, où la CPI a pu rencontrer des réactions hostiles, pour maintenir leur adhésion à la CPI. La France et les autres États-membres devraient veiller à étendre la portée de la CPI en encourageant d’autres pays à devenir parties au Statut de Rome.
  • Prendre des mesures pour lever toutes les restrictions juridiques qui affaiblissent le principe de compétence universelle en France, notamment les règles de la double incrimination et de la résidence habituelle en France.
  1. Renforcer la responsabilité des entreprises en matière de droits humains et d'atteintes à l'environnement dans leurs chaînes d’approvisionnement globales

Les entreprises devraient respecter les droits humains et l'environnement non seulement en ce qui concerne leurs propres activités, mais aussi dans leurs chaînes d'approvisionnement mondiales. En 2017, la France a été le premier pays à adopter la loi innovante sur le devoir de vigilance, qui introduit la responsabilité civile des entreprises en cas d'atteintes aux droits humains dans leurs chaînes d'approvisionnement mondiales. Mais sa mise en œuvre n'a pas été une priorité suffisamment forte. Les organisations de la société civile, notamment celles qui fournissent une assistance juridique aux victimes des entreprises, font face à de nombreux obstacle qui devraient être résolus.

Des initiatives visant à élaborer une législation à l'échelle de l'UE introduisant une diligence raisonnable obligatoire en matière de droits humains et d'environnement sont en cours depuis longtemps. En février 2022, la Commission européenne a publié un projet de proposition sur la diligence raisonnable en matière de de développement durable. Cette proposition de législation est cruciale pour créer un cadre homogène pour les entreprises opérant au sein de l'UE.

La proposition de la Commission de février 2022 est loin de correspondre au projet recommandé par le Parlement européen dans la résolution qu'il a adoptée en mars 2021. Le projet de proposition présente un certain nombre de lacunes, comme démontré par Human Rights Watch et la Coalition européenne pour la justice des entreprises.

Recommandations au Président de la République et au gouvernement :

  • Proposer des amendements au projet de proposition de la Commission afin de remédier aux insuffisances soulignées par les groupes de défense des droits, notamment celles soulevées par la Coalition européenne pour la justice des entreprises et Human Rights Watch. Les amendements devraient viser à élargir le champ d'application, à clarifier les aspects procéduraux liés à la responsabilité civile afin de faire peser la charge de la preuve et l'obligation de produire des informations sur les entreprises, à introduire une diligence raisonnable forte en matière de réchauffement climatique, ainsi qu'à intégrer des mesures d’achat et responsable et de remédiation.
  • Accélérer significativement la mise en œuvre de la loi française sur le devoir de vigilance en consultation avec les organisations de la société civile notamment en créant des tribunaux spéciaux désignés pour instruire les cas et en renforçant l'utilisation du Code civil français pour engager des poursuites civiles suo motu contre les entreprises.

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