(Paris) – Emmanuel Macron devrait s'engager à défendre les garanties démocratiques et à mettre fin aux politiques migratoires inhumaines au sein de l'Union européenne, a déclaré Human Rights Watch dans une lettre adressée au Président français en début de semaine.
En janvier 2022, et jusqu’en juin de la même année, la France assurera la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne. Le 9 décembre 2021, Emmanuel Macron devrait présenter les priorités de la présidence française lors d’une conférence de presse.
« La présidence française de l'UE intervient à un moment critique, alors que plusieurs gouvernements rejettent délibérément les valeurs démocratiques sur lesquelles l'Union est fondée. », a déclaré Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Rights Watch. « La présidence française de l'UE sera suivie de près afin de s'assurer que la France agit de manière effective pour une Europe respectueuse des droits et fermement ancrée dans le respect de l'État de droit. »
Ces derniers mois, le gouvernement français est resté flou sur la manière dont il s’y prendrait pour défendre l'Etat de droit et les institutions démocratiques au sein de l’UE pendant la présidence française.
En septembre, le secrétaire d'État aux Affaires européennes, Clément Beaune, a déclaré que la protection des valeurs fondatrices de l'UE et de l'État de droit était « un combat existentiel » et que l'UE devait « renforcer [l’]arsenal juridique et politique » en lien avec le nouvel outil européen conditionnant l'accès aux fonds communautaires au respect de l'État de droit. En octobre, le président Macron a déclaré que « remettre en cause l'État de droit, c’est remettre en cause les fondements mêmes du projet européen ». Il a lui aussi parlé de « combat existentiel » au sujet de la défense des règles et des valeurs de l’UE.
Mais en novembre, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a fait l’impasse sur les projets de la France en matière d'État de droit lors de sa présentation des priorités de la présidence française de l'UE devant le Sénat.
En décembre 2020, l'UE a adopté un régime de conditionnalité visant à protéger son budget contre les atteintes à l'État de droit par un des États membres. Si la Commission n'a toujours pas eu recours à ce mécanisme pouvant conduire à la suspension de fonds destinés à un Etat membre, elle a en revanche évoqué la possibilité de son utilisation dans des lettres adressées en novembre aux gouvernements polonais et hongrois. Il est probable que des mesures allant dans ce sens soient mises en place pendant la présidence française du Conseil de l'UE.
Les États membres de l'UE ont déclenché les procédures prévues par l'article 7 du Traité sur l’UE (TUE) – mécanisme de sanctions à l’encontre des pays contrevenant aux valeurs de l'UE – envers la Pologne en 2017 et la Hongrie en 2018, mais aucune mesure concrète n’a été prise pour que ces deux gouvernements soient tenus de rendre des comptes.
En Pologne, le gouvernement a sapé l'indépendance de la justice, bafoué les décisions de la Cour de justice de l'UE et utilisé un tribunal constitutionnel politiquement compromis pour porter atteinte aux droits des femmes et à la nature contraignante du droit européen. Les agressions et le harcèlement commis à l'encontre des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) et des militantes pour les droits des femmes ont augmenté.
En Hongrie, la plupart des médias sont désormais contrôlés par le gouvernement ou par ses soutiens, et les autorités ne cessent de harceler les rares médias indépendants qui subsistent. Les organisations de la société civile sont confrontées à des législations restrictives et à un dénigrement de la part des représentants du gouvernement et de leurs soutiens. En juin, le Parlement a adopté une loi interdisant toute discussion sur l'identité de genre et l'orientation sexuelle, exposant les professionnels de santé, les éducateurs, les artistes et les radiodiffuseurs à des sanctions, tout en restreignant les droits des personnes LGBT.
Le président Macron devrait s'engager à mettre en place les mesures prévues par l'article 7 du TUE en réponse à la détérioration continue des situations en Pologne et Hongrie. Ces mesures devraient inclure l'adoption de recommandations spécifiques en matière d'État de droit et l’organisation d'un vote pour déterminer si les valeurs de l'UE sont en danger dans ces deux pays. Pendant sa présidence de l’Union européenne, la France devrait également s'assurer qu'elle utilise pleinement le mécanisme conditionnant l’accès aux financements européens au respect de l'État de droit.
La situation dramatique en termes humanitaires et de droits humains à la frontière entre la Pologne et le Bélarus montre de manière choquante à quel point les Etats membres sont prêts à violer les droits fondamentaux des migrants aux frontières extérieures de l’UE, et les institutions européennes à laisser ces abus se produire. Ces dernières ont échoué de façon récurrente à répondre aux refoulements illégaux, parfois accompagnés de violences, de migrants et de demandeurs d'asile à diverses frontières extérieures de l’UE, notamment en Croatie, en Grèce, en Espagne et en Hongrie. Les pays de l'UE ont tardé à soutenir une proposition de la Commission contenue dans le Pacte sur la migration et l'asile visant à établir des mécanismes indépendants de suivi de la situation aux frontières pour enquêter sur les allégations de violations des droits fondamentaux qui s’y produisent.
Si le gouvernement français entend réellement promouvoir le respect des valeurs fondatrices de l’UE, il devrait le faire en ce qui concerne les politiques migratoires de l'Union et s'engager, pendant la présidence française de l'UE, à mettre fin à la pratique des refoulements illégaux aux frontières de l'Union, à défendre le droit d’asile, à fournir des protections contre les expulsions collectives et à créer un système permettant d'enquêter sur les allégations de graves abus. La France devrait également soutenir la mise en place d’un mécanisme permanent de relocalisation et de partage des responsabilités afin d'alléger la pression sur les premiers pays d'arrivée, et agir en faveur du recours à des programmes de relocalisation temporaire d'urgence en cas de crise pendant sa présidence.
Les morts choquantes aux frontières de l'UE, y compris dans la Manche entre la France et le Royaume-Uni, rendent indispensable l’utilisation par la France de sa présidence de l’UE pour promouvoir des politiques visant à sauver des vies et à prévenir les décès de personnes migrantes, a déclaré Human Rights Watch. Ces mesures devraient inclure des opérations de recherche et de sauvetage robustes et pro-actives assurées par les Etats là où elles sont nécessaires, par un soutien aux efforts non-gouvernementaux d’assistance humanitaire, et par le conditionnement de la coopération de l’UE avec les autorités libyennes en matière de migration et de gestion des frontières à la mise en place de mesures concrètes et vérifiables en vue de mettre fin aux abus généralisés contre les migrants et les demandeurs d'asile en Libye.
La France se devant de montrer l’exemple à la tête de l’UE, son gouvernement devrait prendre des mesures urgentes pour mettre fin aux abus de ses propres autorités contre les migrants à Calais et ailleurs sur le littoral du nord. Défendre les droits fondamentaux pendant la présidence française de l'UE est d'autant plus important qu’à l’approche de l’élection présidentielle de 2022 en France, certain.es responsables politiques contestent également les valeurs fondatrices de l'Union.
« Il faudra aller au-delà des déclarations pour stopper l'érosion des garanties démocratiques et de l'État de droit dans l'UE. », a déclaré Bénédicte Jeannerod. « La France devrait mener des actions ambitieuses dans ce sens. Emmanuel Macron devrait donner une orientation claire à la présidence française de l'UE, s'engager à utiliser pleinement les pouvoirs de contrôle prévus par l'article 7 et à conditionner les financements de l'UE au respect de ses valeurs fondatrices. »