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Tunisie : Confiscation sans précédent du pouvoir par la présidence

Déclaration commune de quatre organisations dont Human Rights Watch

Le président tunisien Kaïs Saïed levait son poing en marchant sur l'avenue Bourguiba à Tunis, entouré de gardes du corps, le 1er août 2021.   © 2021 Slim Abid/Présidence tunisienne via AP

La promulgation, le 22 septembre, du décret présidentiel n°117 abrogeant implicitement l’ordre constitutionnel en Tunisie est un premier pas vers l’autoritarisme. Ce tournant menace les droits humains et les aspirations démocratiques du peuple tunisien.

Tout en reconnaissant les limites du système politique actuel établi par la constitution de 2014, nous demandons que toute réforme de ce système soit menée dans le plein respect de l’ordre constitutionnel, et en particulier de la séparation des pouvoirs et dans la pleine garantie des libertés et des droits humains fondamentaux.

Il pourrait être nécessaire de repenser le système politique et de réformer la Constitution de 2014, fruits d’un long processus démocratique. Cependant, ces réformes ne peuvent être dictées unilatéralement par le pouvoir présidentiel sans débat pluraliste ni contrôle effectif.

Selon le décret présidentiel 117, la constitution de 2014 a été suspendue à l’exception du préambule et des deux premiers chapitres sur les dispositions générales et les droits et libertés. Les dispositions transitoires confèrent au Président de la République uniquement la prérogative de légiférer dans tous les domaines, qu’ils soient liés à l’organisation de la justice et de la magistrature, l’organisation de l’information, la presse, l’organisation des partis politiques, des syndicats, des associations, des organisations, et les corporations ainsi que leur financement, l’organisation des forces de sécurité intérieure et des coutumes, la loi électorale, les libertés et droits humains, le statut personnel ou le pouvoir local, et la loi organique des finances.

Toutefois, la Présidence va encore plus loin et renverse la règle universelle de la prééminence de la Constitution en plaçant les décrets-lois présidentiels au-dessus. Les chapitres maintenus dans la constitution ne seront respectés que s’ils ne contreviennent pas aux mesures exceptionnelles et aux décrets-lois présidentiels.

La Constitution n’est désormais plus la source des lois, et aucun recours ne sera possible contre les décrets présidentiels. L’organe provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois a été suspendu. Le Président de la République exerce tous les pouvoirs exécutifs et sera assisté d’un gouvernement qui agit à son entière discrétion du Président, qui à son tour préside le Conseil des ministres. Tous ces pouvoirs sont conférés à la présidence de manière indéfinie.

Sous couvert d’une feuille de route, le Président, avec l’appui d’une commission, sera chargé d’élaborer des réformes politiques afin d’instaurer « un véritable régime démocratique dans lequel le peuple est effectivement le titulaire de la souveraineté ».  Contrairement aux déclarations répétées du Président de la République, il n’a toutefois pas progressé dans la lutte contre la corruption ou contre l’impunité concernant les martyrs de la révolution, la justice transitionnelle, les assassinats politiques et le terrorisme. Il n’y a pas non plus de programme clair sur la manière de juguler la crise économique qui sévit en Tunisie depuis des années. La Tunisie, qui a été jusqu’à présent le seul pays de la région à avoir inspiré l’espoir d’un réel changement, semble avoir tourné le dos à la démocratie naissante.

À maintes reprises dans l’Histoire, nous avons vu les graves conséquences pour les droits humains lorsque l’exécutif ou l’autorité présidentielle se sont emparés du pouvoir. Nous rappelons que le droit international des droits humains autorise, dans des conditions strictes, la promulgation de pouvoirs d’exception. Cependant, il s’agit de dérogations temporaires conditionnées de façon très stricte par les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité et par l’existence d’un contrôle judiciaire rigoureux. Surtout, le droit international exige que les situations d’urgence soient traitées dans le cadre de l’état de droit. Toute modification du cadre politique ou constitutionnel doit intervenir dans le cadre prévu par la Constitution, qui stipule les conditions de sa propre modification dans le plein respect du processus démocratique.

Face aux dérives alarmantes auxquelles nous assistons, les organisations de la société civile nationales et internationales dénoncent avec force les décisions prises unilatéralement par le président Kaïs Saïed, réaffirment leur attachement indéfectible aux principes démocratiques, et condamnent la prise du pouvoir et l’absence de toute forme de garde-fous. Nous nous engageons à soutenir tout processus visant à surmonter la crise politique et constitutionnelle actuelle à condition qu’il respecte l’état de droit, les garanties des droits humains et l’expression démocratique des aspirations du peuple.

Organisations signataires :

  • Amnesty International (section Tunisie)
  • Association Beity
  • Association des Femmes Tunisiennes pour la Recherche sur le Développement 
  • Association Théâtre Forum Tunisie
  • Association tunisienne de Défense des Libertés Individuelles
  • Avocats Sans Frontières
  • Coalition Tunisienne pour la Dignité et la Réhabilitation
  • Commission internationale de juristes (CIJ)
  • Fédération internationale pour les droits humains (FIDH)
  • Human Rights Watch
  • La Voix des Jeunes de Krib
  • Labo’ Démocratique
  • Ligue Tunisienne pour la Citoyenneté
  • Nachaz
  • No Peace Without Justice
  • Organisation contre la torture en Tunisie (OCTT)
  • Organisation mondiale contre la torture (OMCT)
  • Réseau tunisien pour la justice transitionnelle (RTJT)

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OLJ   Economiste maghrébin    DirectInfo  

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