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Éthiopie : Des Tigréens ont été victimes de disparitions forcées

Des Tigréens ont subi des arrestations discriminatoires, des placements en détention et des fermetures d’entreprises à Addis-Abeba

Le siège de la police fédérale éthiopienne à Addis-Abeba. © 2008 Vob08, CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons

(Nairobi, le 18 août 2021) – Depuis fin juin 2021, les autorités éthiopiennes ont perpétré détentions arbitraires, disparitions forcées et autres abus contre des membres de la communauté tigréenne à Addis-Abeba, capitale du pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les autorités devraient immédiatement fournir des informations au sujet des disparitions forcées de Tigréen·ne·s, libérer les personnes détenues sans preuve crédible d’un crime commis, et mettre fin à tout acte de discrimination.

Le 28 juin, après huit mois de combats dans la région du Tigré, dans le nord de l’Éthiopie, les forces tigréennes ont repris la capitale régionale, Mekele, alors que les forces gouvernementales se retiraient. Les forces tigréennes ont ensuite progressé rapidement dans les régions voisines, Afar et Amhara, causant un déplacement de grande envergure. Depuis, les violations graves de droits humains commises par les forces de sécurité gouvernementales à l’encontre des personnes d’origine tigréenne n’ont cessé de croître.

« Ces dernières semaines, les forces de sécurité éthiopiennes ont multiplié les arrestations arbitraires et les disparitions forcées de Tigréen·ne·s à Addis-Abeba », a déclaré Laetitia Bader, Directrice pour la Corne de l’Afrique à Human Rights Watch. « Le gouvernement devrait mettre fin immédiatement à ce profilage ethnique qui suscite une méfiance injustifiée envers la population tigréenne, fournir des informations sur chaque personne détenue, et accorder des réparations aux victimes. »

Entre juillet et août, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec 8 personnes tigréennes actuellement ou anciennement détenues, 4 propriétaires d’entreprise d’origine tigréenne et 25 proches de détenu·e·s ayant assisté à des abus, ainsi qu’avec des avocat·e·s. L’ONG a également passé en revue des documents de tribunal et de police et des photos riches d’enseignement. Aucune réponse n’a été donnée à un e-mail envoyé le 11 août au procureur général Gedion Timothewos pour résumer les conclusions de Human Rights Watch et demander de plus amples informations. Ces dernières recherches complètent les entretiens menés en novembre et décembre 2020 avec 9 personnes tigréennes ayant été victimes de profilage, de fouilles et d’arrestations arbitraires à Addis-Abeba après le début du conflit au Tigré en novembre.

À la mi-juillet, le commissaire de police d’Addis-Abeba, Getu Argaw, a annoncé aux médias que plus de 300 Tigréen·ne·s avaient été arrêtés, précisant qu’ils étaient mis en examen pour leur soutien supposé à l’ancien parti tigréen au pouvoir, le Front populaire de libération du Tigré (FPLT), qui a été désigné en mai comme organisation terroriste par le Parlement éthiopien. Bien que le procureur général ait déclaré à la presse que les citoyennes et citoyens ordinaires ne seraient pas touchés, parmi les arrestations examinées par Human Rights Watch, la plupart, voire la totalité, semblent avoir été faites sur la base de l’appartenance ethnique.

Des témoins ont rapporté que les forces de sécurité interpellaient et arrêtaient des personnes tigréennes dans la rue, dans des cafés et d’autres lieux publics, à leur domicile et sur leur lieu de travail, effectuant souvent des fouilles sans mandat. Dans de nombreux cas, les forces de sécurité ont vérifié les papiers des personnes pour confirmer leur identité avant de les embarquer vers un poste de police ou un autre site de détention. Parmi les personnes arrêtées en juillet, on compte un activiste politique et un travailleur humanitaire, tous deux d’origine tigréenne et installés à Addis-Abeba, ainsi qu’une dizaine de journalistes et de professionnels des médias ayant signalé des abus commis à l’encontre de Tigréen·ne·s.

Si les familles ont su généralement pendant les premiers jours où étaient détenus leurs proches, nombre d’entre eux ont ensuite été transférés secrètement vers des sites non identifiés. Les avocat·e·s et les familles ont découvert, souvent après plusieurs semaines et parfois uniquement de manière informelle, que certaines personnes étaient détenues à Afar, une région située à plus de 200 kilomètres d’Addis-Abeba. D’autres, notamment dans 23 affaires recensées par Human Rights Watch, ne sont toujours pas localisées.

Le 2 juillet, les autorités ont arrêté un Tigréen âgé de 34 ans, un de ses amis et deux autres personnes tigréennes dans un café du quartier de Haya Hulet, très fréquenté par la communauté tigréenne. Cet homme a déclaré que 12 agents de police étaient entrés dans le café, avaient contrôlé leur identité et les avaient emmenés au poste de police de Karamara, où toutes les personnes détenues étaient divisées par appartenance ethnique. Tandis que lui était libéré le lendemain, son ami est resté en prison, tout comme quelque 90 autres Tigréennes et Tigréens. Deux jours plus tard, il recevait un appel de son ami, qui avait pu emprunter un téléphone. Ce dernier lui a dit : « On nous emmène ailleurs. Il y a 16 bus. Il y a la police, les renseignements et aussi l’armée. » Lorsque l’homme a rappelé à ce numéro le jour suivant, un policier a répondu que les détenus étaient transférés à Afar.

Les médias et des témoins ont rapporté que, depuis le 28 juin, les autorités avaient fait fermer des dizaines d’entreprises à Addis-Abeba, toutes appartenant à des Tigréen·ne·s, en particulier à Haya Hulet et dans plusieurs quartiers du district de Bole. Par exemple, le 29 juin, des agents de police et des renseignements ont arrêté le propriétaire d’un hôtel, qu’ils ont fait fermer, mais ont libéré sa collègue, d’ethnie Amhara. Le frère du propriétaire d’origine tigréenne a indiqué qu’à peine deux jours plus tard, ce dernier avait été transféré par les forces de sécurité vers un lieu secret, et que son emplacement demeurait inconnu.

Les forces de sécurité ont également intimidé et menacé des personnes, notamment des détenus et leurs proches. « Les agents de police présents dans l’enceinte [du centre de détention] étaient nombreux à m’insulter », a déclaré une femme détenue en juillet. « Ils proféraient des injures en lien direct avec mon identité. Ils ont dit que j’étais un "serpent venimeux" ».

Les abus commis par le gouvernement éthiopien à l’encontre de la population tigréenne à Addis-Abeba ont démarré après le début du conflit au Tigré en novembre. En novembre et en décembre, les autorités ont arrêté arbitrairement et licencié des Tigréen·ne·s qui travaillaient dans les services de sécurité ou civils du gouvernement. Elles ont ciblé des Tigréen·ne·s par des contrôles d’identité systématiques et ont effectué des fouilles de domicile sans mandat, parfois à plusieurs reprises. Ces actions ont restreint la liberté de circulation des personnes tigréennes tout au long du conflit.

La plupart des tactiques illégales utilisées actuellement par les forces de sécurité, telles que le transfert secret de suspects d’une autorité de police à l’autre afin d’échapper aux obligations légales et de prolonger les durées de détention, étaient déjà appliquées en 2020 à l’encontre de figures de l’opposition et de journalistes détenus arbitrairement.

Selon le droit international relatif aux droits humains, il y a disparition forcée lorsqu’une personne est arrêtée ou détenue par des représentants ou des agents de l’État, qui refusent ensuite d’admettre qu’il s’agit d’une arrestation et de révéler le sort réservé à cette personne ou l’endroit où elle se trouve. Ces personnes disparues sont soustraites à la protection de la loi et sont ainsi plus exposées à la torture, aux exécutions extrajudiciaires et à d’autres abus.

Les disparitions forcées privent les victimes du droit à un avocat, et par conséquent à un procès équitable ; elles peuvent aussi infliger des souffrances psychologiques graves à leur famille. En Éthiopie, la situation de ces victimes est aggravée, car les personnes détenues comptent sur leurs proches pour recevoir de la nourriture adéquate, des vêtements et d’autres produits essentiels non fournis par le gouvernement.

Les autorités éthiopiennes devraient respecter l’interdiction de la privation arbitraire de liberté et des disparitions forcées inscrite dans le droit international, a déclaré Human Rights Watch. Elles devraient, de toute urgence, donner des informations aux familles sur leurs proches, libérer les personnes détenues injustement et passer sous contrôle civil les civils actuellement sous la garde de l’armée.

« Le recours par le gouvernement éthiopien au profilage ethnique, aux arrestations, à la détention et aux disparitions forcées de Tigréen·ne·s est illégal et injuste », a souligné Laetitia Bader. « Les pays donateurs devraient exprimer leurs inquiétudes auprès du gouvernement afin qu’il cesse immédiatement ces pratiques discriminatoires et enquête sans délai sur ces mêmes pratiques qui menacent d’aggraver les tensions ethniques dans le pays. »

Version plus détaillée de ce communiqué en anglais : en ligne ici.

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