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La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples donne carte blanche au Rwanda

Publié dans: African Arguments
L'ancien Rapporteur spécial de l’ONU sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, Maina Kiai (à gauche), s’exprimait lors de sa visite officielle au Rwanda, le 22 janvier 2014.  © 2014 Privé

En janvier 2014, j’ai été invité à me rendre au Rwanda en ma qualité de Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association. J’ai été frappé par le degré de méfiance chez les différentes personnes que j’ai rencontrées, notamment au sein de la société civile. Rares étaient celles qui exprimaient leurs opinions lors de réunions à plusieurs.

La peur était présente dans quasiment toutes mes interactions – la peur des violences passées, la peur d’attirer les foudres du gouvernement et la peur d’être victime des diverses lois d’application très générale relatives au déni de génocide, à la diffusion de fausses informations ou à l’incitation à l’insurrection. Lorsque j’ai présenté mon rapport au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, j’ai fait part de mes préoccupations à propos de l’opposition à un débat nourri et à la libre expression des opinions, de l’hostilité du gouvernement envers les initiatives pacifiques de ses détracteurs, et du cadre juridique qui muselle la dissidence.

Ces avertissements n’ont pas été pris en compte. En effet, la communauté internationale a longtemps accordé carte blanche au Rwanda en raison des progrès remarquables du gouvernement dans la reconstruction du pays après le génocide de 1994. Mais près d’une décennie après ma visite, il apparaît qu’en agissant ainsi, elle a également soutenu aveuglément un gouvernement dont les politiques et les pratiques de criminalisation des désaccords publics pacifiques ont étouffé la dissidence et ancré la peur au sein de la population, même au-delà de ses frontières.

Un incident illustrant mes inquiétudes a été la prise de contrôle par le gouvernement de l’une des dernières organisations indépendantes de défense des droits humains au Rwanda l’année précédant mon déplacement dans le pays. En juillet 2013, un petit nombre de membres de la Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l’homme (LIPRODHOR) a organisé une réunion et a élu un nouveau conseil d’administration dans le but de stopper le travail critique du groupe. Cet acte a enfreint à la fois les règles de l’organisation et la législation nationale relative aux ONG. Pourtant, trois jours plus tard, l’Office rwandais de la gouvernance a adressé un courrier au groupe reconnaissant officiellement son nouveau conseil d’administration.

Comme je l’ai signalé en 2014, l’indépendance et la capacité des associations à gérer leurs affaires internes sans ingérence extérieure sont les fondements du droit à la liberté d’association. Dans ce cas, l’ingérence du gouvernement a conduit à la dissolution de facto de l’organisation indépendante. L’ancien président du groupe, Laurent Munyandilikirwa, qui a depuis fui le Rwanda, a tenté de contester la décision dans un premier temps par le biais du mécanisme de règlement des différends de l’organisation, puis devant les tribunaux rwandais, qui l’ont débouté en 2015. Il a ensuite porté l’affaire devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples à Arusha, en Tanzanie.

Six ans plus tard, le 2 décembre 2021, la Cour a jugé que la requête déposée dans l’affaire de Laurent Munyandilikirwa était irrecevable parce que les recours au niveau national n’avaient pas été épuisés. La Cour a fondé sa décision sur une question de forme presque ridicule présentée par l’avocat actuel du groupe, à savoir que la version française des statuts dela LIPRODHOR stipule que la décision du comité interne de règlement des différends doit être soumise à l’Assemblée générale de l’organisation, et que, cela n’ayant pas été fait, Laurent Munyandilikirwa n’était pas allé au terme de la procédure.

Deux juges ont remis en question la décision. Ils ont fait observer que les versions en anglais et en kinyarwanda des statuts n’incluaient pas cette exigence et ont ajouté que la décision n’avait « guère de sens » étant donné que l’Assemblée générale avait déjà refusé de se conformer à la décision du mécanisme interne de règlement des différends, qui avait été en faveur de Laurent Munyandilikirwa et du conseil d’administration précédent.

En 2017, j’ai remis un rapport soutenant les allégations de Laurent Munyandilikirwa et faisant valoir que les actions du gouvernement rwandais avaient constitué une violation manifeste du droit à la liberté d’association.

Pour sa part, le gouvernement rwandais a refusé de participer à la procédure, affirmant que la Cour manquait d’impartialité et d’indépendance. Il a également annoncé en février 2016 qu’il retirait sa déclaration permettant aux individus de déposer des plaintes devant la Cour, juste avant que les juges ne soient appelés à entendre une autre plainte contre le Rwanda. Ce refus de collaborer avec la Cour, bien que non surprenant, a été un coup dur pour les Rwandais souhaitant former un recours contre le gouvernement et accéder à la justice.

La Cour africaine avait une occasion unique de rendre justice dans une affaire concernant le Rwanda et de démontrer son indépendance. Son échec en la matière est aggravé par le fait que le gouvernement rwandais a privé ses citoyens d’une précieuse voie de recours lorsqu’ils estiment que le système judiciaire national a failli. Ces voies de responsabilisation et de recours pacifiques sont toujours importantes, mais elles le sont peut-être davantage dans les sociétés qui ont traversé des divisions, des tensions et un génocide.

Les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association sont essentiels pour la démocratie et une paix durable – en particulier dans un pays encore profondément traumatisé par son passé tragique. Reconstruire un pays, c’est tout autant reconstruire la confiance, la bonne volonté et l’espoir chez les citoyens que reconstruire l’économie ; et tout cela est favorisé par le respect des droits humains.

Les partenaires internationaux du Rwanda devraient soutenir les efforts déployés par les Rwandais pour exercer ces droits, qui renforcent la capacité de la démocratie à prévenir les troubles sociaux en permettant et en encourageant des opinions diverses et en veillant à ce que la dissidence soit pacifique.

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Maina Kiai est le directeur fondateur du programme Alliances et partenariats de Human Rights Watch. Avocat et défenseur des droits humains kényan, il a été Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association.

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