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Tunisie : Une lourde peine est prononcée contre un blogueur

Les lois restreignant la liberté d’expression devraient être abrogées

Une Tunisienne passe devant un graffiti en arabe affirmant « La liberté est un exercice quotidien », le 26 avril 2011 à Tunis. © 2011 Reuters / Anis Mili

(Tunis) - Un tribunal de Tunis a condamné, le 12 novembre 2020, un blogueur, Wajdi Mahouechi, à deux ans de prison ferme pour avoir mis en ligne sur Facebook une vidéo jugée offensante par un fonctionnaire du tribunal, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.

Âgé de 31 ans, Mahouechi s’exprime fréquemment sur des questions d’intérêt général. Le 1er novembre, il avait mis en ligne sur sa page Facebook une vidéo dénonçant le fait qu’un procureur de Tunis n’avait pas ordonné l’arrestation d’un imam tunisien qui semblait justifier le meurtre de personnes qui insultent le prophète Mahomet, ni même ouvert une enquête a son sujet. Au lieu de cela, Mahouechi a été lui-même poursuivi, pour avoir « accusé des fonctionnaires de crimes en l’absence de preuves », « offensé autrui via les réseaux de télécommunications », ainsi que pour « calomnie publique » et « outrage à un fonctionnaire public ». Les chefs d’accusation sont issus du code pénal et du code des télécommunications tunisien de 2001.

« Les codes juridiques de la Tunisie regorgent de lois vagues que les autorités exploitent pour pénaliser la liberté d’expression et faire taire les voix critiques », a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Alors que la Tunisie se félicite de promouvoir la liberté d’expression depuis sa révolution de 2011, elle régresse quant à la protection de ce droit. »

La vidéo postée par l’imam faisait suite à la décapitation, le 16 octobre, de Samuel Paty, enseignant dans un collège en France, tué par un réfugié tchétchène après que Paty eut montré des caricatures du prophète Mahomet dans sa classe dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression. La vidéo semble avoir été supprimée de Facebook plus tard. Dans sa publication sur Facebook en date du 1er novembre, Mahouechi a également critiqué le procureur pour ne pas avoir enquêté sur une plainte datant de 2019 qu’il avait déposée contre des policiers qui, soutient-il, l’avaient roué de coups. Mahouechi a recouru à un langage qui pourrait être considéré comme vulgaire, tout en déclarant qu’il n’insultait que ce procureur et non l’appareil judiciaire dans son ensemble.

Des agents de l’Unité de Lutte contre le Terrorisme et la Criminalité Organisée d’Hay El Khadra ont arrêté Mahouechi le 2 novembre et l’ont interrogé pendant au moins quatre heures en présence de son avocat, Mohamed Ali Bouchiba. L’avocat est le cofondateur de Blogueurs Sans Chaînes, une organisation formée d’avocats bénévoles pour défendre les activistes des réseaux sociaux et d’autres poursuivis pour leurs publications sur Facebook.

Bouchiba a déclaré à Human Rights Watch que des policiers s’étaient rendus tard dans la nuit à la maison familiale de Mahouechi. « Nous savions qu’il allait être arrêté », a déclaré Bouchiba. « Les agents l’ont emmené à peine un jour après la mise en ligne de sa vidéo. »

Selon Bouchiba, Mahouechi a indiqué à ses interrogateurs qu’il ne visait personne dans son statut et n’avait agi qu’en tant que dénonciateur de la vidéo de l’imam, dans le seul but d’exposer ses idées extrémistes et le terrorisme.

Le tribunal de première instance de Tunis a condamné Mahouechi pour avoir « accusé des fonctionnaires publics de crimes en rapport avec leur travail sans en fournir la preuve », un crime passible de deux ans de prison maximum en vertu de l’article 128 du code pénal, avoir « sciemment nuit aux tiers ou perturbe leur quiétude à travers les réseaux publics des télécommunications », en vertu de l’article 86 du code des télécommunications, qui prévoit une peine pouvant aller jusqu’à deux ans de prison et une amende pouvant aller jusqu’à 1000 dinars tunisiens (environ 300 dollars), de « calomnie publique » en vertu de l’article 245 du code pénal, et « outrage à un fonctionnaire public dans l’exercice de ses fonctions », crime passible d’un an de prison maximum en vertu de l’article 125 du code pénal.

« Nous assistons à une intensification des poursuites qui nous rappellent les arrestations et les procès de blogueurs et de critiques des réseaux sociaux en 2017 », a déclaré Bouchiba. « Les poursuites ne se sont jamais vraiment arrêtées. Elles ont juste ralenti et font maintenant leur retour. »

Deux rapports rendus publics par Human Rights Watch, en janvier et octobre 2019, ont documenté les poursuites engagées contre des blogueurs et des activistes des réseaux sociaux en Tunisie pour leurs propos en ligne pacifiques. Dans le cadre de ces poursuites, les autorités ont utilisé les lois sur la diffamation, la « diffusion d’informations mensongères» et le « préjudice à autrui via les réseaux de télécommunications » pour poursuivre les personnes qui mette en ligne sur les réseaux sociaux des informations à caractère politique, dénoncent la corruption ou critiquent de hauts fonctionnaires.

Depuis 2017, les tribunaux tunisiens ont condamné à la prison six activistes des réseaux sociaux pour des propos critiques qu’ils ont rendus publics. La peine de deux ans contre Mahouechi est la plus sévère à ce jour prononcée contre un blogueur pour critique en ligne, a relevé Bouchiba. Mahouechi purge actuellement sa peine à la prison de Mornaguia, à Tunis. Ses avocats feront appel du verdict.

« La Tunisie n’a aucune excuse pour poursuivre en justice des détracteurs pacifiques et intimider les blogueurs qui s’en prennent aux autorités de l’Etat », a conclu Eric Goldstein. « Le Parlement devrait agir rapidement pour amender ou abroger des lois qui sont des reliques du régime autocratique évincé. »

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