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Tunisie : Mettre fin aux poursuites contre un défenseur des droits humains

Mounir Baatour est accusé d’incitation à la haine pour un statut posté sur Facebook

Mounir Baatour, avocat et président de l'association Shams pour la défense des minorités sexuelles. © Privé

(Tunis) – Les autorités tunisiennes devraient abandonner les poursuites judiciaires contre un proéminent défenseur des droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT), à la suite d’un message posté sur Facebook jugé offensant pour l’islam.

Le 6 novembre 2019, le procureur chargé de l’antiterrorisme au tribunal de première instance de Tunis a ouvert une enquête sur Mounir Baatour, avocat et président de Shams, organisation qui défend les minorités sexuelles, pour incitation à la haine, à la discrimination et à la violence. Le 4 novembre, Baatour avait partagé sur son propre mur le contenu d’une page Facebook intitulée « Les non-dits de l’islam », accusant le prophète Mohamed d’être un violeur et un tueur, et raillant sa vie sexuelle en des termes grossiers.

« Baatour a peut-être offensé certains Tunisiens avec ces statuts, mais ce n’est pas une raison pour le poursuivre en justice », a déclaré Amna Guellali, directrice du bureau de Tunis de Human Rights Watch. « Les lois devraient être utilisées contre de véritables incitations à la violence imminente, pas contre des opinions, même teintées de vulgarité ou jugées blessantes par certains groupes. »

Le procureur a inculpé Baatour en vertu de l’article 14 de la loi antiterroriste de 2015, qui considère comme des actes de terrorisme le fait d’« inciter à la haine, à l’animosité entre les races, les doctrines et les religions », un crime passible d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison. Il a également inculpé Baatour d’« incitation à la haine, à la violence et à la ségrégation […] de personnes fondée sur la discrimination raciale», en vertu de l’article 9 de la loi relative à « l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale », adoptée en octobre 2018, un chef d’accusation passible d’une peine de trois ans de prison, et enfin pour avoir « directement incité à la haine entre les genres, les religions ou les populations », en vertu de l’article 52 du décret-loi de 2011 sur la liberté de la presse.

Baatour a indiqué à Human Rights Watch avoir fui en France, où il a demandé l’asile, après avoir reçu des dizaines de messages sur Facebook Messenger de la part d’utilisateurs non identifiés le traitant d’apostat et le menaçant de mort. Un prédicateur tunisien notoire a appelé à l’application de la punition prévue par l’islam pour apostasie qui, d’après celui-ci, serait la mort. La Tunisie n’a pas de loi criminalisant l’apostasie.

Les autorités tunisiennes devraient cesser de poursuivre en justice les personnes qui expriment des opinions jugées offensantes pour l’islam ou pour d’autres religions, a déclaré Human Rights Watch. Les traités internationaux des droits humains auxquels la Tunisie est partie protègent ce type de discours. Tourner en dérision les religions ne doit pas être assimilé à une incitation à la discrimination ou à la haine.

Depuis 2011, les autorités tunisiennes ont également poursuivi d’autres personnes pour des écrits jugés blasphématoires. Le 28 mars 2012, un tribunal de première instance de Mahdia a condamné Jabeur Mejri et Ghazi Beji à sept ans de prison pour des publications satirisant le prophète Mohamed, une peine confirmée en appel.

Bien que le gouvernement ait l’obligation, en vertu de l’article 20 du Pacte relatif aux droits civils et politiques, d’interdire « tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence », cette prérogative ne couvre pas la criminalisation des critiques des religions ou du blasphème.

Dans son Observation générale n ° 34 sur les libertés d’opinion et d’expression, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, qui interprète le Pacte, le considère comme une violation du droit à la liberté d’expression lorsque les pays imposent des « interdictions des manifestations de manque de respect à l’égard d’une religion ou d’un autre système de croyance, y compris les lois sur le blasphème ». De telles interdictions, écrit le Comité, ne devraient pas « empêcher ou réprimer la critique des dirigeants religieux ou le commentaire de la doctrine religieuse et des dogmes d’une foi ».

Le Plan d’action de Rabat sur l’interdiction de tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence, approuvé par des experts internationaux des droits humains, déclare : « D’ailleurs, le droit à la liberté de religion ou de croyance, comme il est inscrit dans les normes juridiques internationales applicables, ne prévoit pas le droit d’avoir une religion ou une croyance libre de toute critique, ou de dérision ».

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