(Beyrouth) – Les humoristes ayant participé au Festival d’humour de Riyad (« Riyadh Comedy Festival 2025 »), en Arabie saoudite, n'ont pas saisi cette occasion pour appeler les autorités saoudiennes à libérer les dissidents, journalistes et défenseurs des droits humains injustement détenus, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Le site web du festival, qui a débuté le 26 septembre et s’achèvera le 9 octobre, souligne la participation de « plus de 50 légendes mondiales du stand-up ».
Peu avant l’ouverture du festival, Human Rights Watch avait appelé les humoristes y participant à demander la libération de Waleed Abu al-Khair, défenseur des droits humains emprisonné, et de Manahel al-Otaibi, professeure de fitness et militante des droits des femmes qui est également en prison. Aucun humoriste ne semble l'avoir fait publiquement.
« Human Rights Watch n'avait pas appelé les humoristes à boycotter le Festival de l'humour de Riyad, mais leur avait simplement demandé d'exprimer leur soutien à la liberté d'expression en appelant à la libération d’activistes saoudiens injustement emprisonnés », a déclaré Joey Shea, chercheuse sur l'Arabie saoudite à Human Rights Watch. « Aziz Ansari et d'autres humoristes ont généreusement proposé de reverser une partie de leurs cachets à des organisations de défense des droits humains comme Human Rights Watch ; nous ne pouvons pas accepter ces fonds, mais il n'est pas trop tard pour eux d'appeler à la libération des activistes saoudiens détenus. »
Le 6 octobre, en tant qu’invité de l'émission Jimmy Kimmel Live, Aziz Ansari a affirmé qu’il partageait les « préoccupations » soulevées par diverses personnes (à 9:01 de la vidéo) et a exprimé son intention de reverser une partie de son cachet à des organisations qui défendent « des causes qui soutiennent la liberté de la presse et les droits humains », citant Reporters sans frontières et Human Rights Watch. De même, l’humoriste Jessica Kirson, qui a également participé au festival de Riyad, a déclaré qu'elle reverserait l'intégralité de ses cachets à une organisation de défense des droits humains.
Le Festival de l'humour de Riyad s'inscrit dans la stratégie du gouvernement saoudien visant à blanchir son bilan déplorable en matière de droits humains, et les humoristes y participant avaient une certaine responsabilité d'éviter de redorer le blason du gouvernement. Le 19 septembre, Human Rights Watch avait écrit aux agents et manageurs de plusieurs humoristes ayant annoncé leur participation au festival, afin de proposer une réunion au sujet de la crise des droits humains en Arabie saoudite, mais n’avait toutefois reçu aucune réponse.
L’humoriste Louis C.K. a déclaré que les autorités saoudiennes lui avaient indiqué au préalable qu'il n'y avait que deux restrictions sur ce dont il pourrait parler sur scène : « leur religion et leur gouvernement ». Il a ajouté : « Je n'ai pas de blagues sur ces deux sujets. ».
Le 27 septembre, l’humoriste Atsuko Okatsuka a publié des captures d'écran montrant des extraits du contrat proposé pour se produire au festival, ajoutant qu’elle avait décliné cette proposition. D'après les captures d'écran, il était interdit aux artistes d’exprimer « tout contenu considéré comme dégradant, diffamatoire ou susceptible de jeter le discrédit » sur le Royaume d'Arabie saoudite, notamment par le biais de propos « méprisants, scandaleux, embarrassants ou prêtant au ridicule ». Les contenus concernant la famille royale saoudienne ou toute religion étaient également interdits.
Les artistes qui envisagent de se produire en Arabie saoudite devraient refuser toute clause contractuelle explicite ou implicite restreignant leur capacité à s'exprimer en public ou en privé au sujet d’abus, allant au-delà des exigences habituelles en matière de confidentialité, a déclaré Human Rights Watch.
« Il est plus facile de parler ici [en Arabie saoudite] qu'aux États-Unis », a déclaré Dave Chappelle lors de son spectacle à Riyad, le 27 septembre. Il n’a fait aucun commentaire public sur les violations des droits humains commises en Arabie saoudite.
L'humoriste Jessica Kirson a exprimé ses regrets quant à sa participation au festival de Riyad. « Cette décision pèse lourdement sur mon cœur depuis lors. Je tiens à exprimer mes sincères regrets de m’être produite sur scène, sous [la supervision d’]un gouvernement qui continue de violer les droits humains fondamentaux », a-t-elle affirmé. Elle a ajouté : « J'espérais que cela aiderait les personnes LGBTQ+ en Arabie saoudite à se sentir reconnues et valorisées. Je suis reconnaissante d'avoir pu faire cela. À ma connaissance, je suis la première humoriste ouvertement gay à en parler sur scène en Arabie saoudite. »
La création d'une industrie du divertissement par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a été menée parallèlement à certaines avancées à l’égard des droits des femmes et des jeunes. Bien que ces changements soient importants et de grande envergure, ils ont également contribué à masquer les graves restrictions des droits civils et politiques depuis que « MBS » est devenu prince héritier en 2017, a déclaré Human Rights Watch. Alors même que certains médias internationaux saluaient l'émergence de cette industrie des loisirs, les autorités saoudiennes procédaient simultanément à des vagues d'arrestations arbitraires de dissidents, d’activistes, d'intellectuels et même de membres de la famille royale.
Le festival de Riyad s'est déroulé partiellement lors du septième anniversaire du meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, commis le 2 octobre 2018 au consulat saoudien d'Istanbul et commandité par l'État saoudien, et quelques mois après l'exécution par les autorités saoudiennes de Turki al-Jasser, éminent écrivain et journaliste saoudien, pour divers « crimes terroristes » le 14 juin. Le gouvernement a divulgué peu de détails sur la détention, le procès et l'exécution d'al-Jasser, et il semble qu'il ait été condamné à la peine capitale en raison de ses discours et commentaires pacifiques.
« Les humoristes qui se sont rendus à Riyad pourraient toujours appeler les autorités saoudiennes à libérer Manahel al-Otaibi et Waleed Abu al-Khair », a observé Joey Shea. « La pression publique exercée par ces célèbres artistes qui disent défendre la liberté d'expression pourrait contribuer à obtenir la remise en liberté de ces deux personnes. »
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