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Les dirigeants mondiaux devraient rejeter l'auto-disculpation de l'Arabie saoudite

Une enquête de l'ONU sur le meurtre de Jamal Khashoggi est indispensable

Le journaliste saoudien Jamal Khashoggi. © 2018 Cemal Kaşıkçı

(Beyrouth, le 22 octobre 2018) –Les États-Unis, la Turquie, les États membres de l'Union européenne et les autres pays devraient rejeter la tentative de l’Arabie saoudite de se disculper de tout rôle officiel dans le meurtre de Jamal Khashoggi, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

La déclaration officielle saoudienne au sujet de la mort de Khashoggi semble destinée à détourner les projecteurs du prince héritier, Mohammed ben Salmane, et à empêcher que toute la lumière soit faite sur ce meurtre. Les pays qui se préoccupent de cette affaire devraient appeler à  l’ouverture d’une enquête des Nations Unies afin de déterminer de manière indépendante les circonstances concernant le rôle joué par l'Arabie saoudite dans le meurtre de Jamal Khashoggi et d'identifier les personnes responsables d'avoir commandité, planifié et exécuté toute opération liée à cette affaire.

« Étant donné que l'Arabie saoudite a menti à plusieurs reprises à la face du monde au sujet de la disparition et de la mort de Khashoggi, il n'y a aucune raison de prendre au sérieux les résultats de son ‘enquête interne’ », a déclaré Michael Page, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « La démission forcée de plusieurs responsables de haut rang pris comme boucs émissaires ne suffira pas à débarrasser Mohammed ben Salmane des relents nauséabonds du meurtre de Khashoggi. »

Le 20 octobre 2018, l’Arabie saoudite a publié deux déclarations confirmant la mort violente de Khashoggi au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, le 2 octobre. La première déclaration affirmait que Khashoggi était décédé des suites d'une « querelle » et d’une « bagarre » à coups de poing" avec « des personnes qui l'avaient rencontré » au consulat. La deuxième déclaration annonçait que le Procureur du Royaume avait ordonné la détention de 18 Saoudiens qui s'étaient rendus à Istanbul « pour rencontrer… [Khashoggi], en vue de voir la possibilité de son retour au pays ». Ce deuxième communiqué a également accusé les hommes d'avoir « tenté de dissimuler » la vérité au sujet du meurtre de Khashoggi.

Outre ces arrestations, l'Arabie saoudite a annoncé le 20 octobre la création d'un comité ministériel chargé de « restructurer la présidence » de l’agence du renseignement général et de « moderniser ses règlements ». Les autorités saoudiennes ont également annoncé la démission de cinq hauts responsables de cette agence avaient été démis de leurs fonctions : trois officiers. ainsi qu’un conseiller de la cour royale, Saud al-Qahtani, et le chef adjoint des services de renseignement, Ahmed al-Assiri, ancien porte-parole de la coalition saoudienne menant des opérations militaires au Yémen. Al-Qahtani avait tweeté en août 2017 qu'il n'agissait jamais sans ordres du roi et du prince héritier.

En réponse aux déclarations du gouvernement saoudien, le porte-parole du gouvernement turc, Ömer Çelik, a souligné que l’enquête menée séparément par la Turquie permettrait de révéler ce qu'il était advenu de Khashoggi et que la Turquie considérait comme une « dette d'honneur » que cette enquête fasse toute la lumière sur les circonstances de sa mort. 

L'Union européenne et ses 28 États membres ont publié une déclaration dans laquelle ils insistent sur la nécessité d'une « enquête exhaustive, crédible et transparente, qui fasse la lumière de manière appropriée sur les circonstances du meurtre et qui assure que tous les responsables soient amenés à rendre des comptes », mais ils ne sont pas allés jusqu'à appeler à l'ouverture d'une enquête internationale. Le Canada a appelé à l'ouverture « d'une enquête exhaustive, menée en pleine collaboration avec les autorités turques. »

Trois éminents experts des Nations Unies – Bernard Duhaime, président-rapporteur du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, David Kaye, Rapporteur spécial sur la liberté d'expression, et Agnes Callamard, Rapporteure spéciale sur les exécutions sommaires – ont conjointement appelé à l’ouverture une « enquête internationale indépendante » sur l'affaire Khashoggi.

Le Secrétaire au Foreign office britannique, Jeremy Hunt, n'a pris aucun engagement concernant une éventuelle cessation des ventes d'armes à l'Arabie saoudite, soulignant que la relation entre ce pays et le Royaume-Uni était « stratégique » et que toute forme possible de réponse britannique serait « prise en considération. » 

Aux États-Unis, quoique d'influents sénateurs républicains aient tourné en dérision l'explication officielle saoudienne du meurtre de Khashoggi comme étant non crédible et « bizarre », la réponse du président Donald Trump a été ambigüe. Le 20 octobre, il a répondu à des journalistes qu'il considérait l'explication saoudienne crédible et a déclaré: « Je crois que nous approchons de la solution d'un gros problème. » Mais il a par la suite affirmé qu'il n'était « pas satisfait » des explications saoudiennes.

Il a également réitéré qu'il n'était pas en faveur d'un arrêt des ventes d'armes à l'Arabie saoudite. Le sénateur Bob Corker, président de la commission sénatoriale des affaires étrangères, a déclaré le 18 octobre que l'administration Trump avait « imposé des restrictions » sur les informations des services de renseignement au sujet de l'affaire Khashoggi, refusant de les partager avec l'ensemble du Sénat.

« Le président Trump a à plusieurs reprises couvert les explications ridicules de l'Arabie saoudite et ses tentatives évidentes d'empêcher que la vérité n'apparaisse sur les véritables responsables du meurtre de Khashoggi », a affirmé Michael Page. « Continuer à traiter avec l'Arabie saoudite comme si de rien n'était donnerait aux dictateurs à travers le monde un feu vert pour assassiner leurs détracteurs sans jamais avoir à rendre de comptes, tant qu'ils ont assez d'argent pour acheter des armes américaines. »

En plus de coopérer à une éventuelle enquête de l'ONU sur l'affaire Khashoggi, l'Arabie saoudite devrait réagir à cet incident en modifiant fondamentalement certaines de ses politiques afin d'améliorer la situation sur son territoire en matière de droits humains, a déclaré Human Rights Watch.

Parmi les mesures qu'il est nécessaire qu'elle prenne, figure la remise en liberté de tous les Saoudiens détracteurs pacifiques du gouvernement et défenseurs des droits humains emprisonnés uniquement pour leur travail en faveur de ces droits. Ceux qui devraient être immédiatement libérés incluent: Loujain al-HathloulAziza al-YousefEman al-NafjanNouf AbdelazizMayaa al-ZahraniHatoon al-FassiSamar BadawiNassema al-Sadah, Waleed Abu al-KhairAbdulaziz al-ShubailyMohammed al-QahtaniAbdullah al-HamidFadhil al-ManasifAbdulkareem al-KhodrFowzan al-HarbiRaif BadawiSaleh al-AshwanAbdulrahman al-HamidZuhair KutbiAlaa BrinjiNadhir al-MajedIssa al-NukheifiEssam KoshakMohammad al-OtaibiAbdullah al-Attawi et Fahad al-Fahad.

Compte tenu de la poursuite par l'Arabie saoudite de ses graves violations des lois de la guerre au Yémen, où des millions de personnes sont exposées à un risque immédiat de mort de malnutrition et de maladies évitables, une réaction internationale est également nécessaire et urgente, notamment sous la forme de sanctions de l'ONU à l'encontre des dirigeants saoudiens. Une telle action devrait avoir pour but de contraindre l'Arabie saoudite et la coalition qu'elle dirige à mettre fin à toutes les attaques et restrictions illégales de l'aide humanitaire au Yémen, et à assurer que les responsables des actes de la coalition rendent des comptes. La coalition a commis de nombreuses violations du droit international humanitaire au Yémen, y compris de probables crimes de guerre, et s'est abstenue d'effectuer des enquêtes crédibles sur les allégations de violations ou d'indemniser les victimes civiles.

« Si l'Arabie saoudite veut restaurer sa réputation internationale gravement entachée, il faut qu'elle cesse ses attaques constantes contre ses détracteurs pacifiques et mette fin à la culture d'impunité pour les graves crimes commis sur le territoire national et à l'étranger qui continue de régner parmi les hauts dirigeants saoudiens », a conclu Michael Page.

 
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