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Arabie saoudite : Révéler ce qu’il est advenu de Jamal Khashoggi

De nombreux indices suggèrent une responsabilité de l’État saoudien dans sa disparition

(Beyrouth, le 11 octobre 2018) – Le Prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, devrait rendre publics immédiatement tous les éléments de preuve et les informations que détient son pays concernant le statut de l'éminent journaliste saoudien Jamal Khashoggi, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Khashoggi, qui est âgé de 59 ans, est entré dans les locaux du consulat d'Arabie saoudite à Istanbul, en Turquie, le 2 octobre 2018, et n'a plus été vu ni n'a donné de ses nouvelles depuis lors. L'Arabie saoudite a nié toute implication dans la disparition de Khashoggi, affirmant qu'il avait quitté seul le consulat peu après y être entré, mais n'a fourni aucune preuve de nature à soutenir cette affirmation.

Le 7 octobre, Yasin Aktay, un conseiller du président turc Recep Tayyip Erdoğan, a déclaré à l'agence Reuters qu'il pensait que Khashoggi avait été assassiné à l'intérieur du consulat, et qu'un groupe de 15 hommes de nationalité saoudienne était « presque certainement impliqué. » Le 9 octobre, le Washington Post a publié une information selon laquelle les responsables des services de renseignement américains avaient intercepté des communications inter-saoudiennes révélant l'existence d'un plan visant à capturer Khashoggi.

Jamal Khashoggi © AP

« Il y a pléthore d'indices impliquant l'Arabie saoudite dans la disparition forcée de Jamal Khashoggi et, vraisemblablement, dans son assassinat et, au fur et à mesure que les jours passent, ses démentis dépourvus d'éléments de preuve deviennent par eux-mêmes et en eux-mêmes des auto-inculpations », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Si l'Arabie saoudite est responsable de la disparition de Khashoggi et peut-être de son assassinat, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Union européenne et d'autres alliés de ce pays doivent réviser fondamentalement leurs relations avec des autorités dont le comportement ressemble à celui d'un régime-voyou. »

Les autorités saoudiennes ont accentué la répression contre les dissidents et les détracteurs du gouvernement depuis que Mohammed ben Salmane est devenu prince héritier en juin 2017.

La fiancée de Khashoggi, qui est de nationalité turque, a affirmé aux médias que Khashoggi s'était rendu au consulat d'Arabie saoudite à Istanbul dans l'après-midi du 2 octobre, afin d'obtenir les documents nécessaires à leur mariage, et qu'il lui avait laissé ses téléphones, ainsi que l'instruction d'alerter les autorités s'il ne revenait pas au bout de deux heures. C'est la dernière fois que sa fiancée l'a vu.

Mohammed ben Salmane a nié que l'Arabie saoudite ait capturé Khashoggi, dans un entretien avec l'agence Bloomberg le 5 octobre, déclarant: « [s'il] était en Arabie saoudite, je le saurais », et l'ambassadeur saoudien auprès des États-Unis, le prince Khalid ben Salmane, frère du prince héritier, a rejeté toutes les allégations comme étant « dénuées de tout fondement » et « absolument fausses. » Cependant, les responsables saoudiens n'ont fourni aucune preuve que Khashoggi avait quitté le consulat et Khalid ben Salmane a déclaré au Washington Post que les caméras de sécurité du consulat « ne filmaient pas » le 2 octobre.

Toutefois, les responsables turcs ont présenté au Washington Post ce qui apparaît comme un plan saoudien coordonné visant Khashoggi. Citant des documents de vol et des responsables turcs ayant connaissance des éléments de l'enquête, le Post a décrit comment deux avions privés transportant 15 personnes avaient atterri à Istanbul en provenance de Riyadh le 2 octobre, et comment les hommes qui étaient à bord d'un de ces avions avaient été transportés au consulat. Ils en seraient repartis plus tard à bord d'une fourgonnette noire pour se rendre à la résidence du Consul général, environ deux heures après l'arrivée de Khashoggi au consulat. Les deux avions sont repartis plus tard dans la soirée, l'un en direction du Caire, l'autre de Dubai, avant de retourner tous les deux à Riyadh le lendemain. Des responsables turcs ont affirmé à plusieurs médias que le personnel turc du consulat avait reçu l'ordre de prendre un jour de congé le 2 octobre.

Le 10 octobre, le quotidien Sabah, journal turc pro-governmental, a publié les noms et les photos des 15 Saoudiens dont les enquêteurs turcs affirment qu'ils sont impliqués dans le complot. L'un de ces hommes est identifié comme étant un expert en médecine légale.

La disparition de Khashoggi a suscité des messages de préoccupation de la part du vice-président américain Mike Pence, du président Donald Trump, d'influents sénateurs américains et du ministre britannique des Affaires étrangères Jeremy Hunt, ainsi que des appels à l'ouverture d'enquêtes par les Saoudiens de la part du Secrétaire d'État américain Mike Pompeo et de la haut- représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini. Parmi ces déclarations, bien peu laissent entrevoir un potentiel de graves conséquences s'il est prouvé que Khashoggi a bien été assassiné.

Le 9 octobre, trois éminents experts des Nations Unies – Bernard Duhaime, président et rapporteur du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires; David Kaye, rapporteur spécial de l'ONU sur la liberté d'expression; et Agnès Callamard, rapporteuse spéciale de l'ONU sur les exécutions sommaires, ont appelé au lancement d'une « enquête internationale indépendante » sur l'affaire Khashoggi.

Un attentat contre Khashoggi par des agents saoudiens à l'intérieur du consulat d'Arabie saoudite à Istanbul constituerait une violation flagrante de la Convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963. L'article 55.2 de cette convention stipule que « les locaux consulaires ne seront pas utilisés d'une manière incompatible avec l'exercice des fonctions consulaires ». La convention affirme également que l'immunité diplomatique peut être annulée en cas de « crime grave », à la suite d'une décision de l'autorité judiciaire compétente (art. 41).

En septembre 2017, l'Arabie saoudite a arrêté des dizaines de dissidents, écrivains et religieux. Des activistes ont fait circuler des listes de plus de 60 personnes actuellement détenues et les autorités ont commencé à les faire passer en jugement en septembre 2018, le plus souvent pour des chefs d'accusation liés à l'expression pacifique de leurs opinions, ainsi qu'à leur appartenance politique.

Les autorités cherchent à obtenir la peine de mort pour plusieurs de ces personnes, notamment pour un religieux de renom, Salmane al-Awda, qui fait l'objet de 37 chefs d'accusation basés sur ses liens prétendus avec le gouvernement du Qatar et avec le mouvement des Frères musulmans, que l'Arabie saoudite considère comme une organisation terroriste.

En mai, l'Arabie saoudite a entamé une répression généralisée des activistes des droits des femmes, arrêtant au moins 13 femmes sous le prétexte de préserver la sécurité nationale. Neuf de ces femmes sont toujours en détention.

Les autorités saoudiennes ont également pris pour cibles des citoyens saoudiens à l'étranger au cours de ces derniers mois, notamment lorsqu'elles ont orchestré l'enlèvement d'une activiste renommée des droits des femmes, Loujain al-Hathloul, aux Émirats arabes unis, et de son mari, Fahad al-Butairi, en Jordanie en mars 2018, les ramenant tous les deux de force en Arabie saoudite.

En tant que ministre de la Défense, Mohammed ben Salmane a autorité sur la totalité des forces armées saoudiennes. L'Arabie saoudite dirige la coalition qui a entamé des opérations militaires au Yémen en mars 2015. Cette coalition a commis de nombreuses violations du droit international humanitaire, y compris de probables crimes de guerre, et s'est abstenue de mener des enquêtes crédibles sur les allégations de violations ou de dédommager les victimes civiles.

Les autres pays devraient mettre fin à leurs ventes d'armes à l'Arabie saoudite, a déclaré Human Rights Watch. Les États membres du Conseil de sécurité de l'ONU devraient infliger des sanctions ciblées à l’encontre de Mohammed ben Salmane et d'autres commandants de haut rang de la coalition qui sont largement responsables des violations généralisées des lois de la guerre et qui n'ont pas pris de mesures sérieuses pour mettre fin aux abus, conformément aux résolutions 2140 et 2146 du Conseil de sécurité sur le Yémen. Et l'Arabie saoudite devrait être expulsée du Conseil des droits de l'homme de l'ONU pour s'être livrée à des « violations flagrantes et systématiques des droits humains. »

« Étant donné que l'Arabie saoudite ne fournira aucune preuve des mouvements de Khashoggi à l'intérieur et à l'extérieur du consulat, on ne peut pas lui faire confiance pour qu'elle mène une enquête véritable – et encore moins efficace », a affirmé Sarah Leah Whitson. « Le but de l'Arabie saoudite est d'obscurcir les faits, pas de les éclairer, et elle devrait subir de ce fait de graves conséquences. »

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