(Beyrouth, 23 septembre 2025) – Le gouvernement saoudien compte utiliser le Festival d'humour de Riyad (« Riyadh Comedy Festival 2025 »), qui se déroulera du 26 septembre au 9 octobre, pour détourner l’attention de sa répression brutale de la liberté d’expression et des violations systématiques des droits humains, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Ce festival se tiendra sept années après le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, commis le 2 octobre 2018 et commandité par l’État saoudien, et quelques mois seulement après l’exécution d’un journaliste saoudien, apparemment en raison de critiques qu’il avait exprimées publiquement.
Afin de minimiser leur contribution à cette tentative du gouvernement saoudien de blanchir sa réputation, les humoristes participant au festival devraient appeler publiquement les autorités saoudiennes à libérer les dissidents, les journalistes et les défenseurs des droits humains saoudiens détenus arbitrairement. Parmi ces humoristes figurent Aziz Ansari, Hannibal Buress, Bill Burr, Jimmy Carr, Dave Chappelle, Pete Davidson, Maz Jobrani, Sam Morril, Mark Normand, Nimesh Patel et Tom Segura. Tim Dillon devait également participer au festival, mais a déclaré avoir été exclu du programme après avoir plaisanté dans son podcast sur la situation des droits humains en Arabie saoudite.
« Le septième anniversaire du meurtre brutal de Jamal Khashoggi n’est pas une occasion qui prête à rire, et les humoristes qui reçoivent de grosses sommes des autorités saoudiennes ne devraient pas garder le silence sur des sujets sensibles en Arabie saoudite, comme les droits humains ou la liberté d’expression », a déclaré Joey Shea, chercheuse sur l’Arabie saoudite à Human Rights Watch. « Tous les artistes qui se produisent à Riyad devraient profiter de cette occasion pour demander la libération des activistes saoudiens détenus. »
Le 19 septembre, Human Rights Watch a écrit aux représentants et aux managers d’un groupe d’humoristes devant participer au festival pour solliciter un entretien sur la crise des droits humains en Arabie saoudite, mais n’a reçu aucune reponse.
Human Rights Watch a appelé les humoristes à demander publiquement la libération du défenseur des droits humains saoudien Waleed Abu al-Khair, condamné à 15 ans de prison pour son militantisme. Les humoristes devraient également demander la libération de Manahel al-Otaibi, instructrice de fitness et militante des droits des femmes, condamnée à une peine de 11 ans de prison, ultérieurement réduite à 5 ans de prison, pour avoir appelé en ligne à un meilleur respect des droits des femmes. Les humoristes devraient aussi dénoncer le manque de justice et d'obligation de rendre des comptes pour le meurtre de Jamal Khashoggi, commis au consulat saoudien d'Istanbul le 2 octobre 2018.
Le gouvernement du prince héritier Mohammed ben Salmane a organisé et financé de manière intensive des événements prestigieux mettant en vedette des artistes, des célébrités et des sportifs de renommée internationale. Ces investissements sont liés au programme « Vision 2030 » du prince héritier, un plan visant à moderniser l'économie du pays et à attirer les investisseurs et les touristes étrangers. Ce plan prévoit notamment de développer les activités de loisirs et de divertissement afin d'« améliorer l'image du Royaume à l'international ».
« Je fais cela parce qu'ils me versent une grosse somme d'argent », a déclaré Tim Dillon dans son podcast le 30 août. « Ils me paient suffisamment pour fermer les yeux sur certaines choses. » Dillon a précisé que les organisateurs du festival lui verseraient 375 000 dollars pour son spectacle du 8 octobre, et que d'autres artistes recevraient jusqu'à 1,6 million de dollars. « [Les Saoudiens] ont acheté l'humour », a ajouté Dillon. « Est-ce que je suis d'accord avec la politique saoudienne concernant la liberté d'expression ? Bien sûr que non, mais je pense avant tout à mon bien-être financier. »
Le 20 septembre, Tim Dillon a toutefois annoncé que son spectacle avait été annulé après que les autorités saoudiennes se soient dites « mécontentes » de ses blagues sur le traitement des travailleurs migrants et d'autres questions relatives aux droits humains. « J'ai abordé le sujet de manière humoristique et ils m'ont viré », a-t-il déclaré. « Je n'allais certainement pas me rendre dans leur pays pour insulter ceux qui me paient », a-t-il ajouté. « Mais dans mon propre spectacle, dans mon propre pays, où je suis libre de dire ce que je veux, avec mes propres blagues. »
Jimmy Carr, qui co-animera le festival le 6 octobre, ne mentionne pas son passage en Arabie saoudite sur son site web, ni sur ses réseaux sociaux. Carr a souvent défendu publiquement la liberté d'expression. « Je suis un fervent défenseur de la liberté d'expression, mais elle entraîne parfois des conséquences [négatives] », a-t-il reconnu.
Plusieurs humoristes participant au festival de Riyad ont publiquement évoqué l’importance de la liberté d’expression dans les spectacles humoristiques ; mais ceci contraste fortement avec la répression brutale menée par les autorités saoudiennes contre toute critique du gouvernement. À ce jour en 2025, le gouvernement saoudien a déjà procédé à plusieurs exécutions visant à réprimer toute tentative de dissidence pacifique, refusant ainsi le droit à la liberté d'expression.
Le 14 juin 2025, les autorités saoudiennes ont ainsi exécuté Turki al-Jasser, un écrivain et journaliste saoudien de renom, pour divers « crimes terroristes ». Le gouvernement a publié peu d'informations sur sa détention, son procès et son exécution, et il semble qu'il ait été condamné à mort pour ses propos et ses commentaires exprimés de manière pacifique.
Précédemment, en février 2024, les autorités saoudiennes ont exécuté Abdullah al-Shamri, un analyste politique saoudien spécialisé sur la Turquie, pour des accusations, notamment de « menaces à la stabilité et à la sécurité [du royaume] ». Al-Shamri rencontrait régulièrement des journalistes de grands médias et intervenait comme commentateur politique à la télévision.
La création d'une industrie de loisirs par Mohammed ben Salmane a été menée parallèlement à certaines avancées à l’égard des droits des femmes et des jeunes. Bien qu'importants et considérables, ces changements ont également contribué à masquer les graves restrictions des droits civils et politiques depuis que « MBS » est devenu prince héritier en 2017. Alors même que certains médias internationaux saluaient l'émergence de cette industrie des loisirs, les autorités saoudiennes procédaient simultanément à des vagues d'arrestations arbitraires de dissidents, d’activistes, d'intellectuels et même de membres de la famille royale.
« Les humoristes se produisant à Riyad devraient dénoncer les graves violations des droits humains commises en Arabie saoudite, afin de ne pas renforcer les efforts déployés à grand frais par le gouvernement saoudien pour blanchir son image », a conclu Joey Shea. « Ce blanchiment intervient dans un contexte de répression accrue, notamment une atteinte à la liberté d'expression, que nombre de ces humoristes défendent, mais dont la population saoudienne est totalement privée. »
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