Résumé
[La police] m’a emmené au « service de moralité » et m’a gardé jusqu’à quatre heures du matin dans une pièce minuscule, sans nourriture et sans eau. Ils ont pris mon téléphone et mes effets personnels. Lorsqu’ils sont revenus avec un rapport de police, j’ai été surpris de voir que le gars que j’avais rencontré sur Grindr était l’un des policiers. Ils m’ont battu et insulté jusqu’à ce que je signe des documents disant que je m’adonnais à la « débauche » et que j’en parlais publiquement pour satisfaire mes « désirs sexuels contre nature ».
— Yazid, homme homosexuel égyptien, 27 ans, le 17 juillet 2021
[La police] a fouillé tous nos téléphones. Ils ont pris le mien et l’ont utilisé pour s’envoyer des messages les uns aux autres, ensuite ils ont fait des captures d’écran de ces conversations et de photos qui se trouvaient dans mon téléphone. Ils ont aussi récupéré des photos et des vidéos où je portais du maquillage ou une robe et les ont utilisées comme preuves contre moi. Ils ont fouillé mes conversations sur WhatsApp et ont récupéré mes contacts pour pouvoir aussi piéger mes amis.
—Amar, femme transgenre jordanienne, 25 ans, le 24 septembre 2021
Dans toute la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), des acteurs étatiques et des particuliers piègent des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres (LGBT) sur les réseaux sociaux et les applications de rencontres, les soumettent à des extorsions en ligne, à du harcèlement en ligne et à l’outing, et utilisent, dans le cadre de poursuites judiciaires, des photos, des conversations et d’autres informations similaires obtenues de façon illégitime, violant le droit à la vie privée, à une procédure régulière et à d’autres droits fondamentaux. Ce rapport examine la pratique du ciblage en ligne dans cinq pays : l’Égypte, l’Irak, la Jordanie, le Liban et la Tunisie.
Les forces de sécurité ont ajouté ces tactiques de ciblage en ligne à leurs méthodes traditionnelles de ciblage des personnes LGBT, telles que le harcèlement en rue, les arrestations et les mesures de répression, afin de pouvoir procéder à des arrestations arbitraires et aux poursuites judiciaires qui en découlent.
S’appuyant sur 120 entretiens, dont 90 avec des personnes LGBT concernées par le ciblage en ligne et 30 experts, notamment des avocat·e·s et des professionnels des droits numériques, ce rapport documente l’utilisation de cette tactique par les forces de sécurité et par les particuliers contre des personnes LGBT, ainsi que ses conséquences considérables hors ligne. Il décrit la façon dont les forces de sécurité l’utilisent pour recueillir ou créer des preuves numériques à l’appui des poursuites contre ces personnes. Les recherches réalisées pour ce rapport ont bénéficié du soutien de membres de la Coalition pour les droits numériques et les droits des personnes LGBT : en Égypte, Masaar et une organisation de défense des droits des personnes LGBT que nous ne nommons pas pour des raisons de sécurité ; en Irak, IraQueer et le Réseau irakien pour les réseaux sociaux (Iraqi Network for Social Media, INSM) ; en Jordanie, Rainbow Street et la Jordan Open Source Association (JOSA) ; au Liban, Helem et Social Media Exchange (SMEX) ; et en Tunisie, l’association Damj.
Le ciblage en ligne des personnes LGBT est possible en raison de leur précarité légale dans la vie réelle. La criminalisation des relations homosexuelles ou, si celles-ci ne sont pas criminalisées, l’application de dispositions vagues liées à la « moralité » et à la « débauche » contre les personnes LGBT encouragent le ciblage en ligne, étouffent l’expression en ligne et hors ligne et servent de base aux poursuites à l’encontre de ces personnes. En l’absence de législation ou de réglementation suffisante des plateformes numériques pour protéger les personnes LGBT contre la discrimination en ligne et hors ligne, les forces de sécurité et les particuliers ont pu les cibler en ligne en toute impunité.
Ce rapport ne constitue pas une enquête sur l’utilisation possible de technologies sophistiquées d’espionnage et de surveillance par les gouvernements. Il examine plutôt la surveillance manuelle des réseaux sociaux par les autorités des cinq pays étudiés, leur création de faux profils pour se faire passer pour des personnes LGBT et les piéger sur des applications de rencontre — Grindr et des plateformes de réseaux sociaux comme Facebook — et la fouille illégale des appareils personnels des personnes ciblées afin d’y recueillir des informations sur leur vie privée qui permettront de les poursuivre en justice. Si les forces de sécurité soupçonnent une personne d’homosexualité ou de variance de genre, elles fouillent ses appareils. Pour ce faire, dans les cinq pays, elles la forcent à déverrouiller son appareil sous la contrainte, c’est-à-dire en la battant ou en la menaçant de violence.
Dans la plupart des cas étudiés dans ce rapport, les forces de sécurité et les procureurs se sont appuyés sur les photos, les conversations sur WhatsApp et les applications de rencontre pour personnes de même sexe, telles que Grindr, qui se trouvaient dans les téléphones de personnes LGBT pour poursuivre ces dernières en justice et commettre des abus à leur encontre. Elles ont ciblé et persécuté des personnes en se fondant sur leur orientation sexuelle ou identité de genre présumée ou réelle.
Chaque chapitre de ce rapport présente une forme différente d’abus en ligne et décrit ses conséquences négatives sur la vie hors ligne de la victime. En effet, les préjudices ne s’arrêtent pas à la violation de la vie privée mais ont des répercussions sur tous les autres aspects de la vie, et ce, parfois pendant plusieurs années après l’abus en ligne.
Human Rights Watch a documenté 45 cas d’arrestations arbitraires de 40 personnes LGBT en Égypte, en Jordanie, au Liban et en Tunisie. Dans chaque cas, les forces de sécurité ont fouillé les téléphones des personnes, la plupart du temps en usant de force ou en les menaçant de violence. Leur but, ce faisant, était de recueillir, voire de créer, des informations personnelles numériques pour pouvoir les poursuivre en justice. Certaines personnes LGBT qui avaient été détenues ont déclaré à Human Rights Watch que lorsque les policiers ne pouvaient pas trouver les informations numériques recherchées au moment de l’arrestation, ils téléchargeaient des applications de rencontre entre personnes de même sexe, ainsi que des photos, sur leur téléphone et fabriquaient des conversations censées justifier leur détention.
Human Rights Watch a examiné les dossiers judiciaires de 23 cas de personnes LGBT poursuivies sur la base de preuves numériques en vertu de lois criminalisant les rapports entre personnes de même sexe, l’« incitation à la débauche », la « débauche », la « prostitution », et en vertu de lois sur les crimes en ligne en Égypte, en Jordanie, au Liban et en Tunisie. La plupart des personnes poursuivies ont été acquittées en appel. Dans cinq cas, les personnes ont été condamnées à des peines allant d’un à trois ans d’emprisonnement. 22 des personnes LGBT arrêtées n’ont pas été inculpées mais ont été placées en détention provisoire ; dans un cas, celle-ci s’est poursuivie pendant 52 jours dans un poste de police.
En Égypte, en particulier, Human Rights Watch a documenté 29 arrestations et poursuites, y compris à l’encontre de personnes étrangères, ce qui suppose l’existence d’une politique coordonnée de persécution des personnes LGBT, cette politique étant soit ordonnée soit autorisée par les hauts représentants du gouvernement.
Les personnes LGBT qui ont été placées en détention ont fait état de nombreuses violations des procédures, notamment la confiscation de leurs téléphones, le refus d’accès à un avocat et l’obligation de signer des aveux forcés. Si, dans les cinq pays, les conditions de détention sont déplorables pour toutes et tous, les personnes LGBT y sont discriminées et subissent de façon sélective des mauvais traitements pires que ceux infligés aux autres détenu·e·s, notamment la privation de nourriture et d’eau, le refus de visites de la famille ou d’un avocat, et l’absence de soins médicaux, outre des agressions verbales, physiques et sexuelles. Certain·e·s ont été placé·e·s à l’isolement. Les femmes transgenres étaient régulièrement placées dans des cellules réservées aux hommes où elles subissaient des agressions sexuelles et d’autres formes de mauvais traitements. Dans un cas, une femme transgenre a été détenue dans un poste de police où, selon ses déclarations, elle a subi des agressions sexuelles répétées pendant 13 mois, en raison du malaise que suscitait son identité de genre auprès des forces de sécurité.
Human Rights Watch a documenté 20 cas de pièges en ligne sur Grindr et Facebook mis en place par les forces de sécurité égyptiennes, irakiennes et jordaniennes, qui ont arrêté puis emprisonné seize des personnes piégées. Dans ces cas, elles ont apparemment ciblé des personnes LGBT en ligne dans l’intention de les arrêter. Les conséquences immédiates, hors ligne, de ces pièges vont de l’arrestation arbitraire à la torture et à d’autres mauvais traitements, notamment des agressions sexuelles, en détention.
La plupart des poursuites découlant de ces pièges ont débouché sur des acquittements. Dans l’attente d’une enquête, les autorités ont placé 16 personnes LGBT en détention provisoire d’une durée de quatre jours à trois mois, puis les ont condamnées à des peines de prison allant d’un mois à deux ans. Dans 14 cas, les cours d’appel ont annulé les condamnations et rejeté les accusations. Elles ont confirmé les condamnations de deux personnes, mais leurs peines ont été réduites.
L’extorsion est une autre forme de ciblage en ligne face auxquelles les personnes LGBT sont particulièrement vulnérables en raison du secret entourant généralement leur identité et les relations LGBT dans la région, celles-ci y étant stigmatisées et criminalisées. Dans les cinq pays, des individus piègent des personnes LGBT sur les réseaux sociaux et les applications de rencontre et menacent de les signaler aux autorités ou de les dénoncer en ligne si elles ne paient pas une certaine somme d’argent (parfois plus d’une fois).
Human Rights Watch a documenté 17 cas d’extorsion, par des particuliers, sur des applications de rencontres entre personnes de même sexe (Grindr) et les réseaux sociaux (Instagram, Facebook) en Égypte, en Irak, en Jordanie et au Liban. Les extorqueurs se font souvent passer pour des personnes LGBT afin de gagner la confiance de leur victime et d’obtenir des informations sur leur vie privée — en particulier des informations numériques relatives à leur orientation sexuelle ou à leur identité de genre — susceptibles d’être utilisées comme élément de chantage. Parmi les auteurs des extorsions figurent des bandes organisées, en Égypte, et des groupes armés, en Irak.
Dans six cas, les victimes d’extorsions ont dénoncé les auteurs aux autorités, mais ont toutes été arrêtées de ce fait. Dans un cas, en Jordanie, la victime d’une extorsion en ligne a été poursuivie en justice et condamnée à six mois de prison en vertu d’une loi sur la cybercriminalité qui condamne la « promotion de la prostitution en ligne ». La peine a été réduite à un mois de prison et une amende en appel. À la connaissance des six personnes interrogées, aucun des auteurs d’extorsion n’a été poursuivi par les autorités.
Human Rights Watch a documenté 26 cas de harcèlement en ligne, sous la forme de doxing — publication d’informations permettant d’identifier une personne sans le consentement de cette dernière — et d’outing — exposition de l’identité d’une personne LGBT sans son consentement — sur des plateformes de réseaux sociaux en Jordanie, au Liban et en Tunisie. Nous avons également documenté 32 cas de menaces de mort formulées par des groupes armés irakiens sur les réseaux sociaux.
Dans neuf des 26 cas, les victimes semblent avoir été ciblées en raison de leur activisme hors ligne en faveur des droits LGBT. Dans 17 des cas, les abus commis en ligne par les forces de sécurité ou des individus ont été suivis d’abus hors ligne, dont des arrestations arbitraires et des interrogatoires.
Selon des témoignages de personnes LGBT, le harcèlement en ligne leur a fait perdre leur emploi et subir des violences familiales, y compris la maltraitance physique, des menaces sur leur vie et des pratiques de conversion, et les a forcées à déménager et à changer de numéro de téléphone, à supprimer leurs comptes sur les réseaux sociaux et à fuir le pays sous peine de persécution, sans compter les graves conséquences que tout cela entraîne pour leur santé mentale.
Dans la plupart des cas, les personnes harcelées par la voie de publications sur des réseaux sociaux ont signalé les contenus abusifs aux plateformes concernées, mais dans tous les cas de signalement, les plateformes n’ont pas supprimé les contenus, arguant de l’absence de violation de leurs lignes directrices ou de leurs règles.
Le ciblage en ligne a un effet paralysant considérable sur l’expression des personnes LGBT. Les 90 d’entre elles interrogées par Human Rights Watch ont toutes affirmé qu’après avoir été ciblées, elles ont commencé à s’autocensurer en ligne, notamment concernant le choix et les modes d’utilisation des plateformes numériques et des réseaux sociaux. Celles qui ne peuvent ou ne souhaitent pas cacher leur identité, ou dont l’identité est révélée sans leur consentement, ont fait état de conséquences immédiates allant du harcèlement à l’arrestation arbitraire et aux poursuites en justice.
Ce rapport démontre que le ciblage en ligne des personnes LGBT s’accompagne de lourdes conséquences. En Égypte, la tactique du gouvernement en la matière a donné lieu à des arrestations arbitraires de personnes LGBT et à leur torture en détention par les forces de sécurité. En Irak, les personnes LGBT ciblées vivent dans la peur constante d’être piégées par des groupes armés et ont déclaré avoir été obligées de déménager (voire, dans certains cas, de fuir le pays), de supprimer tous leurs comptes sur les réseaux sociaux et de changer de numéro de téléphone. En Jordanie, les personnes LGBT ont le sentiment de ne pas pouvoir exprimer en toute sécurité leur orientation sexuelle ou leur identité de genre en ligne, ce qui entraîne des effets négatifs sur l’activisme en faveur des droits LGBT.
Au Liban, des personnes LGBT ont décrit les conséquences de l’outing en ligne sur leur vie réelle, notamment des violences familiales et des arrestations arbitraires de la police fondées sur des informations personnelles obtenues par la fouille illégale de leur téléphone. En Tunisie, le gouvernement s’est servi du ciblage en ligne pour réprimer les organisations LGBT et arrêter et persécuter des personnes.
Les récits documentés dans ce rapport démontrent la gravité du ciblage en ligne des personnes LGBT dans chaque pays. Les cas dont l’État est à l’initiative semblent refléter une tactique officielle de persécution de ces personnes.
Les cinq gouvernements de la région ne parviennent pas non plus à faire endosser la responsabilité du ciblage en ligne à leurs auteurs. La plupart des personnes LGBT interrogées pour ce rapport ont déclaré qu’elles ne dénonceraient pas de crime aux autorités, soit parce que des tentatives précédentes ont été rejetées, soit parce qu’aucune mesure n’a été prise ou qu’elles ont l’impression que la faute serait rejetée sur elles en raison de leur orientation sexuelle, identité de genre ou expression de genre non conformes. Comme mentionné plus haut, six personnes qui avaient porté plainte pour extorsion ont elles-mêmes été arrêtées.
L’absence de justice et de sanctions face aux abus, ainsi que les préjudices immédiats — et impunis — découlant du ciblage en ligne des personnes LGBT, ont eu des conséquences nocives à long terme sur la santé mentale des victimes. Celles-ci ont relaté l’isolement qu’elles ont subi pendant plusieurs mois ou années après ces agressions en ligne et ont fait état de peur constante, de stress post-traumatique, de dépression et d’anxiété. Nombre de personnes LGBT ont déclaré avoir des idées suicidaires découlant de leur expérience, certaines ayant même affirmé avoir tenté de passer à l’acte. La plupart des personnes LGBT ciblées en ligne ont déclaré avoir cessé d’utiliser les plateformes numériques et supprimé leurs comptes sur les réseaux sociaux, ce qui n’a fait qu’exacerber leur sentiment d’isolement.
Ces tactiques abusives mettent en lumière la place importante du ciblage en ligne et la nécessité, pour les plateformes numériques et les gouvernements, de prendre des mesures afin de garantir la sécurité des personnes LGBT en ligne.
Recommandations clés
Les plateformes numériques telles que Meta (Facebook, Instagram), Grindr et Twitter, auxquelles il incombe de faire en sorte que ces espaces ne deviennent pas les outils de répression des États, ne font pas assez pour protéger les utilisateur·rice·s vulnérables contre le ciblage en ligne. Elles devraient investir dans la modération des contenus, en particulier ceux rédigés en arabe, afin, notamment, de retirer rapidement et préventivement tout contenu abusif contraire à leurs lignes directrices ou à leurs règles en matière de discours de haine et d’incitation à la violence, ainsi que les contenus exposant les utilisateur·rice·s à des risques.
Les plateformes numériques devraient tenir compte de l’expérience des personnes les plus vulnérables, y compris les personnes LGBT vivant au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, lors de l’élaboration de leurs politiques et produits. Pour ce faire, elles devraient engager un dialogue effectif avec les organisations de défense des droits LGBT de cette région concernant l’élaboration et l’amélioration de leurs politiques et des fonctionnalités de leurs produits. Cela supposerait de solliciter leur point de vue et de prendre connaissance de leur expérience à toutes les phases du développement, de la conception à la mise en œuvre et à l’application, y compris concernant la modération des contenus et les stratégies visant à renforcer la confiance et la sécurité, qui doivent faire des préoccupations des personnes LGBT de la région MENA une priorité. Les plateformes devraient également fournir des informations contextuelles en arabe aux utilisateur·rice·s LGBT et les conseiller sur leurs droits et la loi applicable.
Enfin, sur toutes les plateformes, l’élaboration des règles de sécurité numérique devrait tenir compte des expériences réelles des personnes les plus touchées par le ciblage en ligne, y compris les personnes LGBT dans la région MENA. Ces expériences devraient alimenter le processus de conception afin de garantir une expérience numérique plus sûre pour les personnes exposées à un risque élevé, notamment pour les personnes LGBT vulnérables face à l’utilisation des plateformes numériques et des informations numériques comme des armes.
Les gouvernements devraient respecter et protéger les droits des personnes LGBT au lieu de criminaliser leur expression et de les cibler en ligne. Les gouvernements de ces cinq pays devraient adopter et mettre en œuvre des lois les protégeant de la discrimination fondée sur leur orientation sexuelle et leur identité de genre, y compris en ligne.
Les forces de sécurité, en particulier, devraient cesser de harceler et d’arrêter des personnes LGBT au motif de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur expression de genre et garantir leur protection contre la violence. Elles devraient aussi cesser de recueillir ou de fabriquer de façon inappropriée et abusive des informations numériques d’ordre privé à l’appui de poursuites contre des personnes LGBT. Enfin, les gouvernements devraient garantir que tous les auteurs de ciblage en ligne — et non les victimes LGBT elles-mêmes — rendent compte de leurs crimes.
Glossaire
Bisexuel : terme renvoyant à l’orientation sexuelle d’une personne attirée sexuellement et sentimentalement par les hommes et par les femmes.
Ciblage en ligne : utilisation de médias numériques pour sélectionner un individu ou un groupe comme objet d’une attaque. Dans ce rapport, le ciblage en ligne fait référence aux tactiques suivantes visant à cibler les personnes LGBT et, lorsqu’elles sont utilisées par des acteurs étatiques, à les poursuivre en justice : pièges sur les réseaux sociaux et les applications de rencontres, extorsion en ligne, harcèlement et outing en ligne, et utilisation d’informations numériques dans le cadre de poursuites judiciaires.
Doxxing : fait de publier des informations permettant d’identifier une personne sans son consentement, parfois dans l’intention de la rendre accessible hors ligne, l’exposant ainsi au harcèlement, à des mauvais traitements et, parfois, à des dangers.
Expression de genre : caractéristiques et comportements extérieurs que les sociétés définissent comme « masculins », « féminins » ou « autres », y compris des caractéristiques telles que la tenue vestimentaire, l’apparence, les manières, la façon de s’exprimer oralement, ainsi que les comportements et interactions sociales.
Extorsion : pratique consistant à obtenir quelque chose, en particulier de l’argent, par la coercition, la force ou les menaces.
Gay : synonyme dans de nombreuses régions du monde d’homosexuel. Dans ce rapport, ce terme fait référence à l’orientation sexuelle d’un homme dont l’attirance sexuelle et sentimentale principale est dirigée vers d’autres hommes.
Genre : codes sociaux et culturels (par opposition au sexe biologique) utilisés pour distinguer ce qu’une société considère comme un comportement « masculin », « féminin » ou « autre ».
Hétéronormativité : système qui s’efforce de normaliser les comportements et les attentes sociétales liés à la présomption d’hétérosexualité et à l’adhésion à une stricte binarité de genre.
Homophobie : peur, mépris ou discrimination à l’égard des homosexuels ou de l’homosexualité.
Homosexuel·le : personne dont les principales attirances sexuelles et sentimentales sont dirigées vers les personnes du même sexe.
Identité de genre : sensation intérieure, profondément ressentie, d’être une femme ou un homme, les deux, ou quelque chose d’autre qu’une femme ou un homme. Ce ressenti ne correspond pas nécessairement au sexe biologique qui leur a été attribué à la naissance.
Lesbienne : femme dont les principales attirances sexuelles et sentimentales sont dirigées vers d’autres femmes.
LGBT : lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels. Dans ce rapport, cet acronyme désigne aussi des groupes et des identités parfois associés comme « minorités sexuelles et de genre ».
Modération de contenus : processus consistant à s’assurer que les contenus générés par un utilisateur respectent les directives et les règles propres à la plateforme, le but étant de déterminer si ces contenus sont appropriés à des fins de publication. Les contenus inappropriés sont filtrés. Ce processus suppose d’appliquer des règles prédéfinies de contrôle des contenus. Si ceux-ci sont contraires aux directives, ils sont signalés et supprimés. Les motifs de retrait sont la violence, le caractère offensant, l’extrémisme, la nudité, les discours de haine et la violation des droits d’auteur.
Orientation sexuelle : attirance sexuelle et émotionnelle d’une personne pour des personnes du même genre, d’un genre différent ou de tout autre genre.
Outing : fait de révéler l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne lesbienne, gay, bisexuelle ou transgenre sans son consentement.
Piégeage : action consistant à inciter une personne au délit (en vertu de lois spécifiques à un pays) afin d’obtenir des poursuites judiciaires à son encontre. Dans ce rapport, le piégeage comprend l’utilisation d’une fausse identité LGBT par les forces de l’ordre sur les réseaux sociaux et les applications de rencontres afin d’y rencontrer des utilisateur·rice·s LGBT sans méfiance et de les arrêter au motif de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur expression de genre.
Preuves numériques : données créées, manipulées, stockées ou communiquées par tout appareil, ordinateur ou système informatique ou transmises par un système de communication, qui sont ensuite utilisées dans le cadre d’une procédure judiciaire.
Queer : terme générique couvrant de multiples identités, parfois utilisé de manière interchangeable avec « LGBTQ ». Également utilisé pour décrire la divergence par rapport aux normes hétérosexuelles et cisgenres sans spécifier de nouvelles catégories d’identité.
Transgenre (également « trans ») : désigne ou se rapporte aux personnes dont le sexe assigné à la naissance ne correspond pas à leur identité de genre (le genre qu’elles sont le plus à l’aise d’exprimer ou qu’elles exprimeraient si elles avaient le choix). Une personne transgenre adopte généralement, ou préférerait adopter, une expression de genre en accord avec son identité de genre, mais elle peut ou non souhaiter modifier de façon permanente ses caractéristiques corporelles pour se conformer au genre qui a sa préférence.
Travail du sexe : échange commercial de services sexuels entre adultes consentants.
Variance de genre : attitude ou apparence qui n’est pas entièrement conforme aux attentes sociales fondées sur le sexe qui a été attribué à une personne à la naissance.
Viol : toute atteinte physique de nature sexuelle, sans consentement ou dans des circonstances coercitives, au corps d’une personne par un comportement entraînant la pénétration, même légère, (1) de toute partie du corps de la victime ou de l’auteur avec un organe sexuel ou (2) de l’orifice anal ou génital de la victime avec tout objet ou toute autre partie du corps.
Violence sexuelle : tout acte sexuel, tentative d’obtenir un acte sexuel ou autre acte dirigé contre la sexualité d’une personne en utilisant la coercition, par toute personne indépendamment de sa relation avec la victime, quel que soit le contexte.
Méthodologie
Human Rights Watch a mené les recherches sur lesquelles s’appuie ce rapport entre février 2021 et janvier 2022. La chercheuse a interrogé 90 personnes LGBT qui avaient été ciblées en ligne, ainsi que 30 activistes, avocat·e·s et expert·e·s représentant des organisations de défense des droits LGBT et des droits numériques.
Human Rights Watch a également examiné les dossiers judiciaires relatifs à 40 cas de personnes LGBT poursuivies entre 2017 et 2022 en vertu de lois criminalisant les comportements homosexuels, ou de lois sur la « débauche », l’« indécence publique » ou la « prostitution ».
Les recherches ont été réalisées en collaboration avec les membres suivants de la Coalition pour les droits numériques et les droits des personnes LGBT, nos partenaires, qui nous ont apporté un soutien précieux : en Égypte, Massar et une organisation de défense des droits des personnes LGBT que nous ne nommons pas pour des raisons de sécurité ; en Irak, IraQueer et le Réseau irakien pour les réseaux sociaux (INSM) ; en Jordanie, Rainbow Street et la Jordan Open Source Association (JOSA) ; au Liban, Helem et Social Media Exchange (SMEX) ; et en Tunisie, l’association Damj. Ces organisations ont soutenu Human Rights Watch en mettant notre chercheuse en contact avec la plupart des personnes interrogées et ont révisé le rapport.
Tous les entretiens ont été menés à distance — par téléphone ou par vidéoconférence — en arabe et en anglais. Lorsqu’ils étaient en arabe, ils ont été traduits en anglais. Tous les entretiens ont été menés dans un cadre privé.
Au moment où était réalisée la recherche, 27 personnes interrogées résidaient en Égypte, 18 en Irak, 10 en Jordanie, 17 au Liban et 13 en Tunisie. Deux autres vivaient en France, deux en Suède et une à Chypre.
Les personnes LGBT victimes de ciblage en ligne que nous avons interrogées se répartissent de la façon suivante : 45 hommes gays, 27 femmes transgenres, 15 femmes lesbiennes, deux personnes non binaires et une personne bisexuelle. Les abus dont elles ont fait état se sont produits entre 2017 et 2022.
Human Rights Watch a également examiné les preuves en ligne du ciblage des personnes LGBT, à savoir, des vidéos, des images et des menaces en ligne.
Les cinq pays couverts par ce rapport — l’Égypte, l’Irak, la Jordanie, le Liban et la Tunisie — ont été choisis en fonction des abus documentés dans de précédentes publications de Human Rights Watch sur l’intersection entre violations des droits LGBT et violations des droits numériques, ainsi qu’en fonction des possibilités d’accéder aux victimes et aux groupes travaillant sur ces questions. Le rapport n’a pas vocation à fournir un compte rendu exhaustif de ces violations dans ces pays, et ne laisse pas entendre que les autres pays de cette région font mieux. Il fournit d’ailleurs des exemples de ciblage en ligne au Koweït, au Maroc et en Arabie saoudite.
Ce rapport ne constitue pas non plus une analyse comparative entre pays, mais décrit les tactiques de persécution déployées dans chacun d’entre eux afin de mettre en évidence les méthodes de maintien de l’ordre et de ciblage qui leur sont communes. Il fait ressortir les tendances alarmantes que présentent les tactiques mises en œuvre par les gouvernements pour cibler les personnes LGBT en ligne et violer leurs droits fondamentaux. Ce rapport poursuit plusieurs objectifs : fournir une analyse factuelle des conséquences négatives du ciblage en ligne sur les personnes LGBT, informer les chercheur·euse·s et les parties prenantes sur ce qui doit changer, et fournir un appui aux plateformes numériques pour qu’elles tiennent compte de ces abus et y remédient en modifiant leurs initiatives de sensibilisation et leurs politiques.
Toutes les personnes interrogées ont donné leur consentement éclairé et ont été informées qu’elles pouvaient interrompre l’entretien à tout moment ou refuser de répondre à toute question. Elles n’ont pas été rémunérées pour les entretiens.
Les noms de la plupart des personnes LGBT interrogées et les lieux où elles se trouvaient lorsque nous leur avons parlé n’ont pas été divulgués pour des raisons de sécurité. Les pseudonymes utilisés dans le rapport n’ont aucun rapport avec leur nom réel. L’âge des personnes interrogées au moment de l’entretien est indiqué.
I. Contexte
En 2021, 75 % de la population totale du Moyen-Orient utilisait Internet, un chiffre supérieur à la moyenne mondiale de 65 %.[1] Dans toute la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), les personnes LGBT et les groupes de défense des droits des LGBT utilisent les plateformes numériques pour se donner des moyens d’action, accéder à l’information, créer des mouvements et établir des réseaux.[2] Dans les contextes où les gouvernements interdisent aux groupes LGBT d’opérer[3], c’est principalement en ligne que s’organisent les activistes pour dénoncer la violence et la discrimination contre les personnes LGBT. Si les plateformes numériques offrent un moyen efficace et accessible d’interpeller l’opinion publique et de dénoncer les violations des droits[4], permettant aux personnes LGBT de s’exprimer et d’amplifier leur voix, elles sont aussi devenues des outils de répression étatique.
Les autorités égyptiennes, irakiennes, jordaniennes, libanaises et tunisiennes ont intégré la technologie dans leurs actions de maintien de l’ordre visant les personnes LGBT. Dans ces pays[5], les tactiques utilisées par les forces de sécurité pour cibler et poursuivre en justice les personnes LGBT combinent les méthodes traditionnelles de ciblage des personnes LGBT — harcèlement de rue, arrestations et répression — et le ciblage numérique — piégeage sur les réseaux sociaux et les applications de rencontre, extorsion en ligne, harcèlement et outing en ligne, et utilisation d’informations numériques privées dans le cadre de poursuites.
La nature publique des plateformes numériques fournit aux autorités de la région un accès accru à la vie privée des personnes LGBT. Les applications de rencontre et les réseaux sociaux sont devenus des sites de violence potentielle et ont permis aux gouvernements d’infiltrer des sphères privées où les personnes LGBT se rassemblent et s’organisent.
Dans les cinq pays étudiés, les autorités surveillent les réseaux sociaux et fouillent les appareils personnels des personnes LGBT pour recueillir des images, des SMS et des conversations, ainsi que d’autres informations qui sont ensuite utilisées pour les persécuter. Tout soupçon d’homosexualité ou de variance de genre peut inciter les forces de sécurité à fouiller des appareils. Dans toutes les interactions entre des personnes LGBT et les forces de sécurité qui ont été documentées, ces dernières ont fouillé les téléphones des personnes LGBT, parfois en employant la force. Dans la plupart des cas, les forces de sécurité et les procureurs se sont appuyés sur des selfies, des photos, des conversations ou la simple présence d’applications de rencontres entre personnes du même sexe, comme Grindr, pour justifier les poursuites et les abus à l’encontre des personnes LGBT au titre de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre présumée ou réelle.
Les plateformes numériques sont une bouée de sauvetage pour les personnes LGBT de la région, qui recourent à la communication en ligne pour se rencontrer, nouer des liens, se fréquenter, faire entendre leur voix, partager leurs récits d’injustice et organiser leurs actions militantes. Si le plaidoyer en ligne a contribué à faire reculer les injustices à l’encontre des personnes LGBT[6], les gouvernements utilisent eux aussi des méthodes numériques pour surveiller et cibler les personnes LGBT, tout en bénéficiant de cet avantage crucial que constituent les lois anti-LGBT.[7]
La plupart des pays de la région MENA sont en effet dotés de lois criminalisant les relations entre personnes de même sexe.[8] Même les pays où ce n’est pas le cas — comme l’Égypte, l’Irak et la Jordanie — ciblent les personnes LGBT en s’appuyant sur de vagues lois sur la « moralité », la « débauche » et la prostitution.[9] Les forces de sécurité et des particuliers exploitent donc la précarité juridique des personnes LGBT et l’absence de législation les protégeant de la discrimination en ligne et hors ligne, pour les cibler en ligne.
Le ciblage des personnes LGBT en ligne reflète leur précarité légale dans la vie réelle. Dans les cinq pays étudiés, la criminalisation des relations homosexuelles ou l’application de dispositions vagues liées à la « moralité » et à la « débauche » contre les personnes LGBT encourage leur ciblage numérique, étouffe leur expression en ligne et hors ligne et sert de base aux poursuites à leur encontre. Ces dernières années, les gouvernements ont fait du ciblage numérique une méthode privilégiée pour réprimer la liberté d’expression et faire taire les opposants. Parallèlement, l’application des lois anti-LGBT s’est étendue aux espaces en ligne — que l’interaction en ligne débouche ou non sur des relations homosexuelles — ce qui a eu pour effet de paralyser le débat en ligne sur les questions LGBT.[10]
Les personnes LGBT les plus visibles, notamment les activistes et les transgenres, ou les plus vulnérables du fait de formes croisées de marginalisation — fondées sur la classe sociale, le statut juridique, la pression subie pour se conformer aux normes sociales, l’état de santé et l’absence de protection de l’État, par exemple — sont plus susceptibles d’être ciblées. Les conclusions des recherches de Human Rights Watch indiquent qu’au Liban, par exemple, les réfugié·e·s LGBT en provenance de Syrie en particulier, qui sont confronté·e·s à au moins deux formes de vulnérabilité lors de leurs interactions avec les forces de sécurité — leur identité LGBT et leur statut de réfugié — sont davantage exposé·e·s au ciblage numérique.
Les 90 personnes LGBT interrogées par Human Rights Watch ont toutes déclaré pratiquer l’autocensure en ligne, notamment sur la manière dont elles utilisent les plateformes numériques et les réseaux sociaux. Celles qui ne peuvent ou ne souhaitent pas cacher leur identité, ou dont l’identité est révélée sans leur consentement, ont fait état de conséquences allant du harcèlement en ligne à l’arrestation arbitraire et aux poursuites en justice.
Les cas documentés dans ce rapport illustrent les lourdes conséquences que le ciblage en ligne pratiqué par les gouvernements des cinq pays engendre sur la vie réelle des personnes LGBT.
En Égypte, il a entraîné des arrestations et des poursuites arbitraires à l’encontre de personnes LGBT, ainsi que de la torture et des mauvais traitements en détention.
Au Liban, cette pratique du gouvernement a donné lieu à des arrestations arbitraires, à l’utilisation d’informations numériques personnelles obtenues de manière abusive dans le cadre de poursuites judiciaires et à du chantage à l’encontre de personnes LGBT. En Tunisie, outre des conséquences similaires à celles du Liban, le ciblage en ligne a entraîné des mesures de répression gouvernementales contre les organisations LGBT. En Irak, l’utilisation du ciblage en ligne par des groupes armés a contraint les personnes LGBT visées à déménager, à supprimer tous leurs comptes sur les réseaux sociaux, à changer de numéro de téléphone, et parfois à fuir le pays de peur d’être traquées, de faire l’objet de chantage et d’être piégées par les groupes armés. Enfin, en Jordanie, les forces de sécurité utilisent le ciblage en ligne pour piéger des personnes LGBT, censurer leurs contenus liés au genre et à la sexualité en ligne, et intimider les activistes des droits LGBT.
Les récits détaillés documentés dans ce rapport montrent qu’il ne s’agit pas d’incidents isolés dans chaque pays. Lorsqu’ils sont dirigés par l’État, ils reflètent souvent les tactiques adoptées par le gouvernement pour donner une dimension numérique à leurs attaques contre les personnes LGBT et justifier leurs actions en justice.[11]
Ce rapport a été conçu et réalisé pendant la pandémie de Covid-19. Si dans la région MENA, le ciblage et le harcèlement en ligne existaient déjà avant la pandémie, leurs conséquences ont atteint leur paroxysme pour les personnes LGBT au moment où les mesures de confinement ont rendu impossible toute rencontre en personne, réduit l’accès aux groupes qui leur avaient offert un refuge sûr, amenuisé les filets de sécurité communautaires existants, menacé l’accès, déjà difficile, à l’emploi[12] et aux soins de santé[13], et forcé les individus à vivre dans des environnements souvent violents. L’augmentation du harcèlement en ligne s’est accompagnée d’une augmentation du nombre de cas d’outing de personnes LGBT, entraînant leur expulsion de leur domicile, de leur emploi et de leur école.[14] Lorsque la communication est passée entièrement au mode numérique, les gouvernements de la région ont utilisé le ciblage en ligne pour contrôler la liberté d’expression et arrêter arbitrairement des personnes LGBT.[15]
Les cas documentés dans ce rapport démontrent que les plateformes numériques telles que Meta (Facebook, Instagram), Grindr et Twitter, auxquelles il incombe de faire en sorte que ces espaces ne deviennent pas les outils de la répression des États, ne parviennent pas à protéger les utilisateur·rice·s vulnérables contre le ciblage en ligne. Elles devraient investir dans la modération des contenus, en particulier ceux rédigés en arabe, notamment en retirant rapidement et préventivement tout contenu abusif contraire à leurs lignes directrices ou à leurs règles en matière de discours de haine et d’incitation à la violence, ainsi que les contenus qui exposent les utilisateur.rice.s à des risques.
Sur toutes les plateformes, l’élaboration des règles de sécurité numérique devrait se fonder au premier chef sur les réalités des personnes les plus touchées par le ciblage en ligne, à savoir, les personnes LGBT dans la région MENA. Comprendre le contexte dans lequel les personnes LGBT sont ciblées en ligne et la façon dont les informations numériques sont utilisées comme des armes à leur encontre devrait permettre aux plateformes de concevoir une expérience numérique plus sûre. Pour ce faire, les entreprises produisant ces technologies doivent nouer un dialogue utile avec les organisations de défense des droits LGBT et des droits numériques de la région, ainsi qu’avec les personnes LGBT, aux fins de l’élaboration de leurs politiques et de leurs fonctionnalités, notamment en intégrant ces acteurs dans leurs équipes (ingénierie et politiques), et ce, de la conception à la mise en œuvre de leurs projets.
Cette responsabilité n’incombe pas seulement aux entreprises de médias sociaux. Tant que les gouvernements de la région ne cesseront pas de cibler les personnes LGBT en ligne, l’action des plateformes numériques restera limitée. Cependant, l’absence marquée de protection gouvernementale, l’impunité dont jouissent les auteurs de ciblage numérique et le manque cruel d’accès à des voies de recours mettent en lumière les conséquences hors ligne omniprésentes du ciblage en ligne et la nécessité pour les plateformes d’atténuer ces risques en sécurisant mieux l’expérience numérique des personnes LGBT.
Les tactiques de ciblage en ligne : aperçu de la situation dans la région MENA
Les méthodes de ciblage en ligne couramment utilisées dans la région MENA sont le piégeage sur les réseaux sociaux et les applications de rencontres, l’extorsion en ligne, le harcèlement en ligne, l’outing et le doxxing, ainsi que l’utilisation, dans le cadre de poursuites, d’informations numériques privées obtenues de manière inappropriée.[16]
Le piégeage
Dans la région MENA, le piégeage en ligne[17] a commencé au début des années 2000.[18]
La plupart des personnes LGBT piégées en ligne sont arrêtées et inculpées en vertu de lois qui criminalisent les relations homosexuelles (articles 534 et 230 des codes pénaux respectifs du Liban et de la Tunisie), la « débauche » et l’« incitation à la débauche » (articles 9 et 14 de la loi 10/1961 sur la lutte contre la prostitution en Égypte), et la « sollicitation de la prostitution en ligne » (article 9 de la loi sur la cybercriminalité en Jordanie). Les cas de piégeage en Irak documentés dans ce rapport n’avaient pas de base juridique claire.
En Égypte, les forces de sécurité, notamment les agents de la police de la moralité et de l’Agence de sécurité nationale, sont les principales responsables du piégeage des personnes LGBT, en particulier depuis septembre 2017, période marquée par la publication sur Facebook d’une photo de Sarah Hegazy, féministe lesbienne égyptienne, arborant un drapeau arc-en-ciel lors d’un concert de Mashrou' Leila[19] au Caire[20]. Cette photo a été partagée des milliers de fois, accompagnée de commentaires haineux et de contre-messages de soutien et est à l’origine du débat en ligne qui a suivi.
Après quelques jours de surveillance de l’activité en ligne, le gouvernement égyptien a lancé une opération de répression au cours de laquelle Sarah Hegazy a été arrêtée, ainsi que des dizaines d’autres spectateur·rice·s, pour avoir « rejoint un groupe interdit visant à interférer avec la constitution ».[21] Dans le cadre d’une vaste campagne d’arrestation de personnes perçues comme homosexuelles ou transgenres, les autorités égyptiennes ont créé de faux profils sur des applications de rencontres entre personnes du même sexe afin de piéger des personnes LGBT et ont examiné des vidéos en ligne du concert. Elles ont également arrêté des centaines de personnes dans la rue en se basant sur leur apparence.[22]
Sarah Hegazy, qui a été gardée en détention provisoire pendant trois mois, a parlé du stress post-traumatique qu’elle a subi après avoir été torturée par la police, notamment à l’aide de décharges électriques, et placée à l’isolement.[23] Elle a déclaré à ses avocats que la police incitait les autres détenus à l’agresser sexuellement et verbalement.[24] Elle s’est donné la mort le 14 juin 2020 alors qu’elle était en exil à Toronto.[25]
Le harcèlement en ligne
Au Maroc, une campagne d’outing a débuté au plus fort de la pandémie de Covid-19, en avril 2020.[26] Des personnes ont créé de faux comptes sur des applications de rencontres entre personnes du même sexe et ont mis en danger des utilisateur·rice·s en faisant circuler leurs informations à caractère personnel sur les réseaux sociaux, notamment des photos d’hommes utilisateurs de ces applications, légendées par des insultes et des menaces fondées sur leur orientation sexuelle supposée.[27] À la suite de ces révélations, de nombreuses personnes LGBT ont été expulsées de leur domicile et, le pays entier étant alors confiné, elles n’avaient nulle part où aller.[28] Les activistes LGBT marocain·e·s ont informé Human Rights Watch de cette pratique de l’outing et de la panique qu’elle sème chez les personnes LGBT, pour qui la protection de la vie privée est une nécessité dans ce contexte de stigmatisation sociale de l’homosexualité et d’interdiction légale des relations entre personnes de même sexe.
Un étudiant homosexuel de 23 ans a raconté à Human Rights Watch que son frère l’avait mis à la porte après avoir appris son orientation sexuelle à la suite de l’outing dont il avait fait l’objet. « Cela fait trois jours que je dors dans la rue et je n’ai nulle part où aller », a-t-il déclaré en avril 2020. « À cause de la pandémie de Covid-19, même mes amis proches ne sont pas en mesure de m’accueillir ». Il craignait pour sa sécurité s’il essayait de retourner dans la maison de son frère.[29]
La campagne d’outing au Maroc n’est qu’un exemple des actions similaires déployées dans la région MENA durant la pandémie, notamment en Égypte, en Arabie saoudite et en Tunisie.
En juin 2022, une campagne anti-LGBT baptisée « Fetrah » (mot arabe signifiant « instinct »), devenue virale sur Facebook et Twitter,[30] luttait contre « la promotion de l’homosexualité et de ses symboles ». Les utilisateur·rice·s des réseaux sociaux étaient encouragé·e·s à afficher un drapeau rose et bleu, symboles de l’identité sexuelle normative, en signe de soutien.[31] Si Meta, société mère de Facebook et d’Instagram, a suspendu la page de la campagne peu après son lancement, celle-ci est restée active sur Twitter, où elle affichait plus de 75 000 abonné·e·s jusqu’à sa suspension, en décembre 2022.[32] Les activistes LGBT de la région ont fait part à Human Rights Watch des dangers de cette campagne, qui a débouché sur du harcèlement en ligne contre des personnes LGBT.[33]
Le 30 novembre 2022, Moqtada al-Sadr, leader chiite influent en Irak, a publié une déclaration sur Twitter appelant « les hommes et les femmes à s’unir dans tout le monde [arabe] pour combattre les personnes LGBT ».[34] Il ajoutait que cela devait se faire « non pas par la violence, des meurtres ou des menaces, mais par l’éducation et la sensibilisation, avec des méthodes logiques et éthiques ». Malgré son appel à la non-violence, la déclaration d’al-Sadr a alimenté le harcèlement en ligne à l’encontre des personnes LGBT, suscitant une campagne de discours haineux en ligne qui a gagné du terrain partout en Irak.[35] Twitter n’a pas supprimé le message, même après que celui-ci et la campagne qu’il promouvait ont attiré l’attention des médias.
Les organisations activistes de la région, qui jouent un rôle important pour éviter ces menaces et répondre aux besoins des personnes LGBT, demandent régulièrement aux plateformes numériques de supprimer les contenus incitant à la violence et de protéger les utilisateur·rice·s. Cependant, dans la majeure partie de la région, ces organisations et ces activistes sont confrontés à des actes d’intimidation et aux interférences des gouvernements.[36]
Mohamad Al-Bokari, blogueur yéménite de 31 ans, a fui à pied du Yémen vers l’Arabie saoudite après que des groupes armés yéménites ont menacé de le tuer en raison de son activisme en ligne et de sa non-conformité de genre.[37] En 2020, alors qu’il vivait à Riyad en tant que migrant sans-papiers, il a publié sur Twitter une vidéo déclarant son soutien aux droits des LGBT,[38] ce qui a suscité l’indignation homophobe en ligne des autorités saoudiennes et du public sur Twitter, conduisant les forces de sécurité à l’arrêter.[39]
Il a été accusé de promouvoir l’homosexualité en ligne et d’« imiter les femmes ». En juillet 2020, il a été condamné à 10 mois de prison, à une amende de 10 000 riyals (2 700 dollars américains) et à l’expulsion vers le Yémen à sa libération.[40] Des agents de sécurité saoudiens l’ont maintenu en isolement pendant des semaines, l’ont soumis à un examen anal forcé et l’ont battu à plusieurs reprises pour l’obliger à « avouer » son homosexualité.[41] Bien qu’il ait depuis été réinstallé en toute sécurité avec une aide extérieure, il reste isolé de sa communauté et ne peut pas rentrer chez lui en toute sécurité.[42]
En octobre 2021, Maha al-Mutairi, une Koweïtienne transsexuelle de 40 ans, a été condamnée à deux ans de prison et à une amende de 1 000 dinars (3 315 dollars) pour son « usage abusif des communications téléphoniques » et son « imitation du sexe opposé » en ligne, en vertu des articles 70 et 198 du code pénal.[43]
Selon l’avocat de Maha al-Mutairi, le tribunal s’est servi de vidéos publiées par al-Mutairi sur les réseaux sociaux pour la condamner aux motifs qu’elle portait du maquillage, qu’elle parlait de son identité transgenre, qu’elle aurait fait des « avances sexuelles » et qu’elle aurait critiqué le gouvernement koweïtien.[44] Maha Al-Mutairi été libérée en appel sans inculpation.[45]
Ce n’était pas la première fois qu’elle se retrouvait devant un tribunal. Le 5 juin 2020, les autorités l’avaient convoquée au motif de son « imitation des femmes » — c’était la quatrième fois qu’elle était visée par ce chef d’accusation. Elle venait alors de publier une vidéo où elle affirmait que la police l’avait violée et battue lors de sa détention, pendant sept mois en 2019, dans une prison pour hommes au motif, déjà, de son « imitation du sexe opposé ».[46] La police l’a de nouveau agressée pendant ses trois jours de détention, notamment en lui crachant dessus et en l’agressant verbalement, mais aussi sexuellement, en lui touchant les seins.[47]
Les autorités ont libéré al-Mutairi avec caution le 8 juin 2020, sans inculpation.
Utilisation de « preuves » numériques
En juin 2021, la police de la région du Kurdistan irakien (KRI) a émis des mandats d’arrêt à l’encontre de onze activistes des droits des LGBT qui sont des employés actuels ou anciens de la Rasan Organization, un groupe de défense des droits humains basé à Sulaymaniyah. Les mandats d’arrêt font suite à une action en justice intentée contre Rasan par Barzan Akram Mantiq, chef du département des organisations non gouvernementales du KRI, un organisme public chargé d’enregistrer, d’organiser et de contrôler toutes les organisations non gouvernementales du KRI.[48]
Les activistes concernés par le procès ont déclaré à Human Rights Watch que lorsque leur avocat s’est rendu au poste de police pour s’enquérir des charges, les policiers ont fait référence au procès-verbal, qui indiquait des charges fondées sur des informations numériques en vertu de l’article 401 du Code pénal irakien, qui punit l’« indécence publique » d’une peine pouvant aller jusqu’à 6 mois d’emprisonnement et/ou d’une amende pouvant aller jusqu’à 50 dinars (0,03 dollar américain).[49]
Le 28 juin 2021, deux des activistes ont déclaré s’être rendus au poste de police de Sarchnar, à Sulaymaniyah, pour y être interrogés. Là, les policiers se sont renseignés sur les activités de l’organisation, en se référant à leur page Facebook, qui contenait des déclarations et des images pro-LGBT, ont indiqué les activistes. Selon leurs dires, les policiers leur ont demandé : « Si vous êtes enregistré comme une organisation de défense des droits des femmes, pourquoi avez-vous du contenu lié aux LGBT sur votre site Internet et votre page Facebook ? » Avant de les laisser quitter le poste de police, les policiers leur ont fait signer des engagements selon lesquels ils ne publieraient pas de contenu similaire à l’avenir, ont indiqué les activistes.[50] Des activistes ont déclaré à Human Rights Watch que la police les avait forcés à retirer les contenus liés aux LGBT de leurs pages publiques en ligne.
En août 2020, l’Agence nationale de sécurité égyptienne a arrêté quatre témoins d’un viol collectif très médiatisé survenu en 2014 à l’hôtel Fairmont du Caire (l’« affaire Fairmont »),[51] ainsi que deux de leurs connaissances.[52] Les autorités ont soumis deux des hommes arrêtés, qu’elles soupçonnaient d’être homosexuels, à des tests de dépistage de drogues et à des examens anaux forcés.[53] Elles ont également forcé les hommes à déverrouiller leurs téléphones et, sur la seule base de leurs photos privées, les ont placés en détention au motif de leurs supposées relations homosexuelles.[54]
Dans un rapport d’octobre 2020, Human Rights Watch a dévoilé un modèle de ciblage sans équivoque des personnes LGBT en Égypte :[55] les autorités se sont appuyées sur des informations numériques personnelles pour traquer, arrêter et poursuivre des personnes LGBT. Des personnes détenues ont déclaré que les policiers, incapables de trouver de telles informations en fouillant leurs téléphones au moment de l’arrestation, avaient téléchargé des applications de rencontres entre personnes du même sexe sur les téléphones des détenus et téléchargé des photos pornographiques pour justifier leur maintien en détention.[56] Les cas documentés par Human Rights Watch donnent à penser qu’il existe une politique coordonnée par le gouvernement égyptien, en ligne et hors ligne, pour persécuter les personnes LGBT.[57]
Afsaneh Rigot, chercheuse principale couvrant les questions des technologies et des droits humains à Article 19, a également documenté le recours aux informations numériques dans les poursuites contre les personnes LGBT en Égypte, au Liban et en Tunisie.[58]
Elle a déclaré à Human Rights Watch :
La documentation et les recherches mettent en lumière le fait que, de plus en plus, les preuves numériques deviennent la pierre angulaire des poursuites contre les personnes LGBT [dans la région MENA]. Dans un contexte où quelque chose d’aussi intime, complexe et privé que l’identité de genre et l’orientation sexuelle est essentiellement criminalisé, nous voyons les preuves numériques devenir le principal ingrédient de ces poursuites discriminatoires. Les preuves numériques — en particulier [sur] les appareils mobiles des gens — constituent désormais la scène du crime. Pourtant, si l’on examine de plus près les poursuites et les condamnations, il n’y a pas de définition de ce qui est considéré comme trop éloigné des normes pour être légal.[59]
II. « C’était une embuscade » : le piégeage
Je chattais avec un homme sur Grindr, assis dans un café. Nous avons convenu de nous retrouver au café, mais au lieu de l’homme que j’attendais, cinq policiers en tenue civile sont entrés vers 21 heures [...]. Ils [les policiers] avaient une corde dans la voiture [de police] et ont menacé de me pendre si je ne déverrouillais pas mon téléphone. Ils ont trouvé des photos privées de moi avec des cheveux longs et d’autres photos avec un homme et ont fait de mon cas une affaire de débauche et d’indécence.
– Ayman, homosexuel égyptien de 23 ans, le 8 décembre 2021
Human Rights Watch a documenté 20 cas de piégeage en ligne par les forces de sécurité sur Grindr et Facebook en Égypte, en Irak et en Jordanie, pays qui ne criminalisent pas explicitement les relations homosexuelles. Les conséquences hors ligne du piégeage sont les arrestations arbitraires, les agressions sexuelles et d’autres formes de mauvais traitements telles que la torture en détention.
Human Rights Watch a examiné les dossiers judiciaires de 16 cas de personnes LGBT interrogées, dont celui d’une jeune fille transgenre de 17 ans poursuivie en vertu de lois criminalisant la « débauche », l’« indécence publique » et la « prostitution », ainsi que de lois sur la cybercriminalité. Il en ressort que les autorités ont arrêté arbitrairement 16 personnes en les piégeant sur Grindr et Facebook. Les quatre autres personnes piégées ont été menacées d’arrestation.
Après avoir été piégées, les personnes arrêtées, détenues et poursuivies ont toutes déclaré que leurs téléphones avaient été confisqués et fouillés illégalement par les forces de sécurité. Les policiers se sont servi des photos privées, des conversations et d’autres informations provenant de leurs téléphones pour les arrêter et les placer en détention. Dans certains cas, les personnes interrogées ont déclaré que lorsque les policiers n’avaient pas trouvé de preuves numériques, ils en avaient fabriqué pour monter un dossier juridique contre elles. Les procureurs se sont ensuite appuyés sur ces contenus numériques pour les arrêter et les inculper. La quasi-totalité des 16 cas de piégeage dont Human Rights Watch a pu examiner les dossiers judiciaires se sont soldés par des acquittements. Les 16 personnes LGBT (y compris la fille transgenre de 17 ans) ont été placées en détention provisoire pour une durée de quatre jours à trois mois, puis ont été condamnées à des peines de prison allant d’un mois à deux ans. En appel, 14 d’entre elles ont vu leurs condamnations et les accusations portées contre elles annulées. Seules deux personnes ont vu leur condamnation confirmée, mais leur peine a été réduite.
Outre le fait d’avoir été piégées, les personnes interrogées ont déclaré avoir été forcées de signer des aveux sous la contrainte, s’être vu refuser l’accès à un avocat, avoir été placées à l’isolement, privées de nourriture et d’eau, privées de visites familiales, privées de médicaments, harcelées verbalement, agressées sexuellement et soumises à d’autres violences physiques. Les femmes transgenres ont été détenues dans des cellules d’hommes.
Les autorités égyptiennes ont soumis la jeune fille transgenre de 17 ans à un examen anal forcé. Les tests anaux forcés constituent une agression sexuelle et un manquement à l’interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels, dégradants et inhumains.[60] Ils sont contraires à l’éthique médicale et sont discrédités au niveau international, leur validité scientifique pour « prouver » le comportement homosexuel n’étant pas établie.[61] Le syndicat médical égyptien n’a pris aucune mesure pour empêcher les médecins de procéder à ces examens dégradants et abusifs.
Les cas documentés laissent entrevoir l’existence d’une tactique consistant, pour les forces de sécurité, à traquer les personnes LGBT en ligne, puis à les arrêter, les placer en détention et leur infliger des actes de torture ou d’autres mauvais traitements.
Arrestations arbitraires, fouilles illégales de téléphones, violation des procédures
Maamoun, homme gay égyptien de 24 ans, a décrit une situation survenue en février 2021 dans laquelle il soupçonne des policiers d’avoir utilisé Grindr pour le piéger :
Vers 14 h, je suis allé dans un café du centre du Caire. Un certain Al-Khalidi m’a envoyé un texto sur Grindr. Il disait qu’il venait du Golfe. Ce n’est que plus tard que j’ai compris que c’était une embuscade. J’aurais dû m’en douter car son accent était faux et forcé. J’ai aussi essayé de lui parler en anglais mais je n’ai reçu aucune réponse. Il a refusé d’envoyer d’autres photos et d’avoir un appel vidéo avec moi. Il a également insisté pour que je lui donne mon numéro afin que nous puissions discuter sur WhatsApp. Il m’a immédiatement demandé de convenir d’un prix en échange d’une relation sexuelle. J’ai dit que je m’en fichais, du moment qu’on passerait un bon moment. Nous avons bavardé sur WhatsApp, et il m’a envoyé sa localisation, qui se trouvait à environ cinq minutes à pied. J’ai senti qu’il y avait quelque chose bizarre en y allant. Je l’ai appelé quand je suis arrivé, et il a dit qu’il me retrouverait en bas. J’ai répondu que je préférais aller chez lui pour ne pas nous retrouver ensemble dans la rue, mais il a refusé. J’ai immédiatement appelé un Uber pour pouvoir partir.[62]
Selon un avocat égyptien, les forces de sécurité égyptiennes qui piègent les personnes LGBT font souvent pression sur elles pour qu’elles acceptent une somme d’argent en échange de relations sexuelles afin de monter un dossier contre elles.[63]
Alors que Maamoun traversait la rue, a-t-il raconté, un policier lui a attrapé le bras, puis quatre hommes en tenue civile l’ont coincé et menotté.
L’un d’eux a pris mon téléphone et m’a demandé si je priais. J’ai dit oui. Ils m’ont fait monter dans un minibus où se trouvaient six autres policiers et ont fouillé mon sac. Ils ont trouvé mes médicaments contre le VIH, car je vis avec le VIH. Ils n’ont pas compris de quoi je parlais quand je leur ai dit qu’il s’agissait d’un médicament contre le VIH, jusqu’à ce que l’un d’entre eux explique que c’était le SIDA. Ils ont commencé à s’asperger les mains de désinfectant et ne m’ont pas touché. J’ai été soulagé que cela les ait fait s’éloigner, sinon j’aurais pu souffrir davantage.[64]
Maamoun a déclaré que les policiers l’ont ensuite emmené au poste de police d’Abbasiya, où il a attendu jusqu’à 1 h du matin, à même le sol, dans une pièce sale et sans ventilation. Selon ses dires, durant tout ce temps, les policiers l’ont agressé verbalement et l’ont insulté en raison de son orientation sexuelle. Il n’a pas été autorisé à téléphoner à un avocat ou à un membre de sa famille et n’a pas reçu de nourriture ni d’eau. En outre, bien qu’un agent l’ait autorisé à prendre son traitement contre le VIH ce soir-là, la police l’en a empêché pendant le reste de sa détention. Les policiers ont également pris son téléphone, son portefeuille et ses effets personnels. Finalement, ils l’ont obligé à signer un rapport de police en utilisant son empreinte digitale, sans lui donner la possibilité de le lire.[65]
Human Rights Watch a consulté le rapport de police concernant Maamoun. Sur la base des chats Grindr et des messages WhatsApp trouvés dans son téléphone, la police y indique qu’il « se [livrait] régulièrement à des relations homosexuelles en échange d’argent ».
À 1 h 30 du matin, Maamoun a été transféré au poste de police de Qasr El-Nil, où il a été placé à l’isolement en raison de sa séropositivité, a-t-il déclaré. À 8 h, la police l’a emmené au tribunal d’Abdeen, où il affirme avoir été détenu dans des conditions insalubres jusqu’à son interrogatoire :
Le procureur m’a demandé si j’avais un avocat. Comme je n’en avais pas, ils en ont désigné un, qui était présent pendant l’interrogatoire. [L’avocat] m’a dit de ne pas m’inquiéter et m’a demandé quelles applications j’avais sur mon téléphone. J’ai dit Grindr et Facebook. Il m’a demandé mon mot de passe Facebook, et je le lui ai donné pour qu’il puisse accéder à mon compte et supprimer les contenus qui pourraient être utilisés contre moi. Il m’a demandé si j’avais de l’argent, et je lui ai donné le numéro de mon employeur. Il a aussi voulu avoir le numéro de mes parents. J’ai d’abord refusé, mais il m’a assuré qu’il ne leur parlerait pas de l’incident. L’avocat m’a alors dit qu’il avait appelé mon employeur et que celui-ci avait affirmé ne pas me connaître. J’avais l’impression que ma vie était terminée, que tout ce que j’avais construit était détruit. Je n’arrivais pas à croire que toute cette dégradation et cette haine que je subissais étaient uniquement dues au fait que je suis gay.[66]
Selon Maamoun, au parquet, le procureur l’a interrogé au sujet des discussions trouvées dans son téléphone, notamment sur Grindr et WhatsApp. Il a affirmé que son téléphone avait été piraté, mais le procureur ne l’a pas cru. Maamoun a également déclaré que lorsqu’il a demandé à son avocat commis d’office de récupérer le numéro d’un ami dans son téléphone, l’avocat lui a donné un faux numéro. Il a découvert plus tard que l’avocat avait également contacté ses parents et leur avait dit : « Votre fils est détenu pour débauche et activité immorale ». Le père de Maamoun ne lui parle toujours pas à cause de cet incident.
Il a poursuivi :
Le lundi, je me suis à nouveau rendu au tribunal d’Abdeen pour l’enquête, et on m’a emmené dans cette même pièce horrible. De retour au poste de police de Qasr El-Nil, ils m’ont changé de cellule et placé avec des criminels notoires. J’étais terrifié et j’ai demandé à retourner dans mon ancienne cellule, mais le gardien de la prison a exigé 500 livres égyptiennes (32 dollars) et une carte téléphonique en guise de pot-de-vin. J’ai vécu une agression sexuelle continue. L’un des détenus qui se trouvait avec moi dans la cellule m’a forcé à avouer que j’étais homosexuel, et il m’a agressé sexuellement en échange de sa protection. Cela a duré une semaine, et d’autres détenus m’ont également harcelé sexuellement pendant que je dormais, puis lorsque je me douchais. Nous étions 45 personnes dans une minuscule cellule, et ils se droguaient tout le temps.[67]
Après 10 jours passés en détention provisoire sans inculpation, le juge a ordonné sa libération, a conclu Maamoun.
Ayman, homosexuel égyptien de 23 ans, a déclaré avoir été piégé sur Grindr et arrêté par la police alors qu’il était sorti avec trois de ses amis dans un café du Caire, le 17 novembre 2020.
Je chattais avec un homme sur Grindr, assis dans un café. Nous avions convenu de nous retrouver au café, mais au lieu de l’homme que j’attendais, cinq policiers en tenue civile sont entrés vers 21 heures. Ils nous ont menottés [tous les quatre] et nous ont emmenés au commissariat de Smouha (unité de moralité) dans leur voiture de police. Là, ils nous ont battus en nous traitant de « pédés », de « putes » » et de « fils de pute ».
Ils [les policiers] avaient une corde dans la voiture [de police] et ont menacé de l’utiliser pour me pendre si je ne déverrouillais pas mon téléphone. Ils ont trouvé des photos privées de moi avec des cheveux longs et d’autres photos avec un homme et ont fait de mon cas une affaire de débauche et d’indécence. Ils ont trouvé des conversations dans mon téléphone en accédant à mes comptes Grindr, WhatsApp, et Facebook Messenger. Ils nous ont accusés de gérer un commerce sexuel en ligne à des fins lucratives, transformant l’affaire en un procès relevant d’un tribunal économique. Ils nous ont menacés, disant qu’ils ajouteraient des photos dans nos téléphones pour nous incriminer davantage, mais je ne sais pas s’ils l’ont fait, car nous n’avons pas revu nos téléphones depuis.[68]
Les tribunaux économiques sont compétents pour traiter les violations de la loi sur les télécommunications de 2003 et de la loi sur la cybercriminalité de 2018, qui restreint les contenus en ligne considérés comme portant atteinte à la « morale publique » ou aux « valeurs familiales » et criminalise l’utilisation d’Internet pour « commettre toute autre infraction criminalisée ».[69] Afsaneh Rigot a fait des recherches sur la tendance, en Égypte, à renvoyer les affaires LGBT devant des tribunaux économiques.[70] Elle a déclaré à Human Rights Watch : « Ce changement marque le début d’une nouvelle ère sombre dans les poursuites contre les personnes LGBT [en Égypte]. Elles [les autorités] utilisent des lois sur la cybercriminalité définies de manière très large pour augmenter les chances de condamnation, ce qui entraîne davantage d’inculpations [contre les personnes LGBT] avec des peines plus lourdes ».[71]
Ayman et ses amis ont passé cinq heures au poste de police de Smouha puis la police les a transférés au centre de détention de Bab Sharqi, où ils sont restés un mois. « C’était un endroit terrible », a raconté Ayman. « Tout le monde dormait sur le sol dans une minuscule pièce surpeuplée. On ne nous a proposé que de la nourriture épouvantable et impossible à digérer ». [72]
Ayman dit avoir subi de nouveaux mauvais traitements et des insultes deux jours plus tard, au bureau du procureur général.
On nous a dit qu’on ne sortirait jamais de prison. Le procureur a écrit des choses fausses dans le rapport. Il a de nouveau fouillé nos téléphones, en particulier WhatsApp, Facebook et Instagram, et a insisté sur le fait que nous gérions un commerce de sexe en ligne. J’avais un avocat avec moi, et le procureur lui a demandé : « Vous n’avez pas honte de défendre des pédés ? ». Et l’avocat est parti.[73]
Au bout de quatre jours de détention à Bab Sharqi, Ayman et ses amis ont été amenés devant un juge, qui a prolongé leur détention provisoire de 15 jours. Après que leur nouvel avocat, désigné par leurs familles, a fait appel, le juge a réduit leur détention provisoire à sept jours. Lorsqu’ils sont revenus au tribunal une semaine plus tard, un autre juge les a condamnés à deux ans de prison pour « débauche » et « indécence ».
Ayman a déclaré avoir été testé positif au Covid-19 après 15 jours passés au centre de détention de Bab Sharqi. On lui a refusé les soins médicaux et l’accès aux médicaments fournis par ses parents. La police n’a pas essayé de contenir la propagation du virus, et les détenus, qui étaient enfermés dans des cellules sans ventilation, sont tous tombés très malades, a ajouté Ayman. [74]
En appel, Ayman et ses amis ont été reconnus innocents, mais leur affaire a été transférée au tribunal économique. Selon le rapport de police examiné par Human Rights Watch, les chefs d’inculpation retenus par ce tribunal étaient la « sollicitation de débauche » et la « conduite d’affaires sexuelles en ligne ».
Le 27 décembre 2021, Ayman et ses amis ont été acquittés.[75]
Yazid, homosexuel égyptien de 27 ans, a déclaré qu’en septembre 2019, dans le centre-ville de Gizeh, alors qu’il était en train de faire la connaissance d’un homme rencontré sur Grindr, des policiers se sont approchés d’eux, les ont accusés de « vendre de l’alcool » et les ont arrêtés. Alors qu’il était détenu au sein du « service de moralité », il a découvert que l’homme qu’il avait rencontré sur Grindr était un officier de police, a-t-il dit. Les agents l’ont battu et agressé verbalement jusqu’à ce qu’il avoue « pratiquer la débauche » et l’annoncer publiquement pour satisfaire ses « désirs sexuels contre nature », a-t-il ajouté.[76]
Yazid a déclaré que le lendemain, des policiers l’ont emmené au bureau du procureur à Dokki, un quartier de la ville de Gizeh. Selon Yazid, le procureur l’a insulté : « Tu es le pédé bon marché qu’ils ont attrapé, fils de pute dégoûtant, tu baises ou tu te fais baiser ? » avant de prolonger sa détention de Yazid de quatre jours.
Ils m’ont ramené au poste de police de Dokki, m’ont battu si fort que j’ai perdu connaissance, puis m’ont jeté dans une cellule avec d’autres détenus. Ils leur ont dit : « C’est un pédé », et à moi : « Fais attention à ne pas tomber enceinte ». Je suis resté une semaine dans cette cellule, et entre les coups des policiers et les agressions sexuelles des autres détenus, j’ai cru que je ne survivrais pas.[77]
Au bout d’une semaine, des policiers l’ont emmené à la prison centrale de Gizeh, qui se trouve à l’intérieur du camp central des forces de sécurité de Gizeh :
Ils ont annoncé mes chefs d’accusation dès que je suis entré, ils se sont relayés pour me frapper et m’ont crié des blasphèmes odieux. Ils m’ont mis à l’isolement. Quand j’ai demandé pourquoi, le responsable a répondu : « Parce que tu es un pédé. Si je te laisse avec eux [les agents de sécurité], ils vont te baiser ou tu vas leur transmettre [ton homosexualité], espèce d’enculé ». J’ai dû soudoyer des soldats pour qu’ils cessent de me torturer et de m’humilier.[78]
Le 30 septembre, Yazid a eu sa première audience au tribunal correctionnel de Dokki, à Gizeh, qui l’a acquitté. Chaker a raconté :
Lorsque je suis retourné chercher les documents au commissariat, j’ai été surpris de constater que le ministère public avait fait appel de la décision. J’ai fini par trouver un avocat qui a lui aussi fait appel, et le verdict a été le même que la première fois : « innocent ».[79]
Amar, femme transgenre jordanienne de 25 ans, a été piégée par des policiers à Amman le 4 avril 2019. Elle a raconté à Human Rights Watch :
J’ai reçu un appel de mon ami [qui est gay]. Il m’a demandé de « passer le prendre chez un ami ». Sa voix ne sonnait pas juste. Il m’a envoyé l’itinéraire par SMS. L’appartement se trouvait dans le centre d’Amman. Par bonne volonté, j’y suis allée, et mon ami m’a ouvert la porte. Il avait le visage meurtri par les coups, et il y avait un autre homme derrière lui. Quand je suis entrée, j’ai vu qu’il y avait quatre hommes en civil en plus de mon ami. Ils ont dit : « C’est une bonne surprise, non ? » Un homme a dit : « Nous sommes du département de la lutte contre la drogue. N’aie pas peur, on veut juste vérifier que tu ne prends pas de drogues ». Ils ont pris mon portefeuille, mon sac et mon téléphone et m’ont mis dans une des chambres. Je pouvais entendre mon ami crier de l’autre pièce à cause des coups de poing et des gifles. Ils m’ont insultée et injuriée à cause de mon apparence, disant que je faisais honte à ma famille parce que j’étais, à leurs yeux, un homme gay. Ma langue était paralysée. J’avais l’impression que mon corps était là, mais que mon esprit était ailleurs.[80]
Selon le récit d’Amar, par la suite, l’ami qui l’avait appelée lui a expliqué avoir été piégé sur Grindr par un policier. Celui-ci s’étant fait passer pour un homosexuel, il l’avait invité dans l’appartement en question pour un « rendez-vous ». Une fois qu’il est tombé dans le piège, les policiers l’ont forcé à déverrouiller son téléphone en usant de violence, ont fouillé le téléphone et l’ont obligé à révéler les coordonnées d’autres personnes LGBT qu’il connaissait, notamment celles d’Amar. Les policiers ont ensuite obligé l’ami d’Amar à l’appeler et à l’inviter à l’appartement pour la piéger elle aussi.
Amar a déclaré que lorsqu’elle se trouvait dans l’appartement, elle a été témoin d’un piège tendu à une autre femme transgenre jordanienne par les policiers. « L’un des policiers s’est fait passer pour un Émirati et portait même une tenue traditionnelle émiratie. J’ai les entendus parler de la façon dont ils allaient la piéger [la femme trans] sur Grindr », a déclaré Amar avant d’expliquer que vers 21 h, l’autre femme transgenre est arrivée à l’appartement où elle pensait rencontrer un homme émirati pour un rendez-vous, mais au lieu de cela, elle s’est retrouvée avec Amar et son ami.
Les policiers ont ensuite forcé Amar et l’autre femme transgenre à déverrouiller leurs téléphones, sous la menace de la violence, et ont commencé à recueillir et à créer des informations numériques pour monter un dossier contre elles.
Ils ont pris mon téléphone et l’ont utilisé pour s’envoyer des messages les uns aux autres, ensuite ils ont fait des captures d’écran de ces conversations et de photos qui se trouvaient dans mon téléphone. Ils ont aussi récupéré des photos et des vidéos où je portais du maquillage ou une robe et les ont utilisées comme preuves contre moi. Ils ont fouillé mes conversations sur WhatsApp et ont récupéré mes contacts pour pouvoir aussi piéger mes amis. Ils m’ont fait porter une perruque et ont pris des photos de moi.
À 1 h 30 du matin, les officiers nous ont tous emmenés [Amar, son ami et l’autre femme trans] dans un [véhicule de police], dans le parking, un van Volkswagen Transporter [T5], et nous ont conduits à l’unité de cybercriminalité d’Amman [...] Ils [les policiers] nous ont menottés, ont pris nos téléphones et toutes nos affaires, même nos lacets de chaussures. Lorsque nous sommes arrivés à l’unité de lutte contre la cybercriminalité, j’ai découvert que d’après le rapport de police qu’ils m’ont forcée à signer, nous avions été arrêtés au motif que nous utilisions des plateformes de réseaux sociaux à des fins de prostitution. Lorsque nous sommes arrivés tous les trois, aucun policier de l’unité entière ne nous a épargnés : ils nous ont couverts d’insultes et nous ont giflés pendant que nous marchions. Tout le monde nous regardait de la manière la plus humiliante qui soit. Parfois, des gens ouvraient la porte pour nous regarder et rire pendant que nous étions assis là, la tête contre le sol, incapables de répondre.[81]
Amar a comparé la pièce dans laquelle elle avait été placée au sein de l’unité de lutte contre la cybercriminalité d’Amman à une « cage dans un zoo ». De plus, cette pièce étant surpeuplée, elle s’est évanouie. Lorsqu’elle est revenue à elle, l’un des policiers présents dans l’appartement lui a dit d’aller aux toilettes et de s’assurer que personne ne regardait. Elle a déclaré que dans la salle de bains, qu’il l’avait forcée à se déshabiller, l’avait violée, puis lui avait dit de n’en parler à personne. Après cela, les policiers l’ont forcée à signer un rapport de police sans lui permettre de le lire. Le rapport de police d’Amar, tel qu’examiné par Human Rights Watch, indique qu’elle a été accusée de « pratiquer la sodomie en échange d’argent » et de « solliciter la prostitution » sur les réseaux sociaux.[82]
Le lendemain, des policiers l’ont emmenée, ainsi que son ami et l’autre femme transgenre, au tribunal d’Amman Nord, à al-Jubeiha. « Il n’a fallu que quelques secondes à la juge pour nous envoyer en prison », a déclaré Amar. « Elle ne nous a même pas regardés. Tout était basé uniquement sur le rapport de police. »[83]
Les policiers ont ensuite emmené les trois personnes dans un centre de détention provisoire :
Avant de nous faire entrer, la police a mis toutes nos affaires dans une boîte qu’elle a gardée. Il n’y avait absolument rien dans la cellule, pas de matelas, rien pour s’asseoir, mais la pièce était remplie de personnes qui dormaient les unes sur les autres. Pendant notre interrogatoire, les policiers ont invité leurs amis [d’autres policiers] à venir écouter pour se divertir, car, disaient-ils, « ils s’ennuyaient ». Ils m’appelaient par mon deadname [le nom qu’Amar avait reçu à la naissance] et s’adressaient à moi avec des pronoms masculins. Nous avons vécu une expérience dégoûtante et dégradante, chargée de haine.[84]
Ensuite, les policiers les ont emmenés tous les trois dans une autre prison d’Amman, où le directeur a refusé de les recevoir en raison du motif de leur arrestation. Amar se souvient : il a crié « Je n’accueillerai pas ces pédés ». En conséquence, les policiers les ont emmenés à la prison de Juweideh à Amman.
Amar a décrit la cellule souterraine de la prison de Juweideh, où elle a été détenue pendant quatre jours :
Lorsque nous sommes entrés dans la pièce, j’ai vu une femme transgenre et un homme gay qui avaient été arrêtés pour les mêmes motifs que moi 21 jours auparavant. Je connaissais personnellement une de ces personnes. Tous les comportements qui conduisent à la prison continuent en prison — la drogue, le sexe, le vol. Il y avait des protocoles obligatoires dans la cellule concernant les heures de sommeil et de repas. Il y avait aussi un marché noir dans la cellule même. Nous n’étions pas du tout autorisés à quitter nos chambres. Mon ami et moi dormions sur le même lit lorsque nous sommes arrivés là-bas, mais lui a été libéré le jour même parce qu’un de ses parents était dans l’armée et avait des relations. Mais moi, personne ne savait que j’étais en prison. Pour passer un appel téléphonique, je devais acheter une carte qui me permettait d’entrer dans la cabine téléphonique et de téléphoner pendant cinq minutes au maximum. Rien n’était gratuit. J’ai dû payer pour la nourriture et les appels.[85]
Amar a été libéré sous caution au bout de quatre jours. Après huit audiences au tribunal, les charges contre Amar ont été abandonnées :
Mon avocat m’a dit qu’ils [les agents du département de la lutte contre les stupéfiants] avaient créé de faux comptes sur des réseaux sociaux, pour attirer des gens avec l’aide d’un informateur que la police payait 20 dinars jordaniens (28 dollars américains) par personne piégée. Le rôle des informateurs est d’attirer des personnes dans un lieu prédéterminé ; là, ils reçoivent leur argent puis repartent sans encombre. Ils utilisent de faux numéros, de faux passeport, de fausses plaques d’immatriculation pour cacher leur identité. Il leur faudrait plusieurs mois de conversations très normales avec quelqu’un pour les remettre.[86]
Amr, homosexuel égyptien de 33 ans, a été piégé par la police sur Facebook en avril 2018.
J’ai été contacté par cette personne sur Facebook qui prétendait être un ami que je connaissais bien et me demandait de le rencontrer. J’y suis allé dans l’après-midi, et j’ai commencé à être sceptique quand il m’a demandé ce que je portais. J’ai essayé de faire demi-tour, mais quatre policiers en tenue civile sont alors apparus et m’ont arrêté. Ils m’ont menotté et m’ont dit : « Viens avec nous et ferme-la ». Ils m’ont arraché mon téléphone des mains et m’ont emmené au poste de police d’Agouza.[87]
Au poste du gouvernorat de Gizeh, les policiers ont forcé Amr, sous la menace de la violence, à déverrouiller son téléphone. Il n’était pas inquiet car il n’avait pas d’applications de rencontres ou de conversations compromettantes dans son téléphone. N’ayant trouvé aucune information de ce type, ils ont téléchargé Grindr et fabriqué des chats qu’ils ont téléchargés sur son téléphone, a expliqué Amr. Amr n’a pas été autorisé à appeler un avocat. Il a été accusé d’« incitation à la débauche » et placé en détention pendant deux mois. Il a décrit les mauvais traitements qu’il a subis durant cette période :
Ils [les policiers] m’ont agressé verbalement en me traitant de « pédé » et en m’insultant ainsi que ma famille. Ils se sont également relayés pour éteindre leurs cigarettes sur mes bras. Ils m’ont poussé et giflé. Pendant mon interrogatoire, au cours duquel ils ne m’ont pas laissé la possibilité de parler, ils m’ont forcé à leur donner les contacts de mes amis LGBT. J’ai signé le rapport de police sans avoir pu le lire. Ils m’ont dit qu’ils allaient me mettre en prison pour que je devienne un homme et que je sois guéri de ma « maladie ».[88]
Amr a passé deux semaines au poste de police d’Agouza. Ensuite il a été emmené à la prison d’Al-Saf pendant une semaine, avant d’être ramené au poste de police d’Agouza. À propos d’une audience au tribunal d’Al-Giza, après une semaine de détention, il a déclaré :
Le juge ne m’a pas parlé, il a juste lu le rapport et m’a condamné à un mois de prison et un mois de probation, puis il leur a dit [aux policiers] de me faire disparaître de sa vue. Je n’ai jamais récupéré mon téléphone non plus.[89]
Hanan, femme transgenre égyptienne de 22 ans, affirme qu’en septembre 2017, alors qu’elle avait 17 ans, avoir été piégée sur Facebook et arrêtée arbitrairement par les forces de sécurité égyptiennes dans un restaurant du Caire.
J’avais parlé à un homme sur Facebook, et il a demandé à me voir. Nous nous sommes rencontrés dans un restaurant trois jours avant le concert de Mashrou' Leila au Caire. J’avais un ticket pour le concert dans mon sac à dos. Quand je suis arrivée, quatre hommes en civil m’attendaient. Je savais que j’étais en état d’arrestation.[90]
Les policiers ont fouillé son téléphone après l’avoir forcée, sous la menace de la violence, à le déverrouiller, se sont connectés à Grindr via son compte Facebook et ont créé un faux chat pour télécharger des photos d’elle en tant que femme. Ils ne l’ont pas informée des accusations portées contre elle. Ils l’ont également fait se déshabiller au poste de police, ont examiné son corps et lui ont posé des questions privées, comme : « Est-ce que tu te rases ? », « Comment te sont venus tes seins ? », « Pourquoi as-tu les cheveux longs » et « Pourquoi as-tu un billet pour le concert de Mashrou' Leila ? »[91]
Après plusieurs heures de violence verbale, Hanan a cessé de répondre. Puis, les officiers ont commencé à la frapper :
Ils m’ont giflée, m’ont donné des coups de pied avec leurs bottes, m’ont traînée par mes vêtements jusqu’à ce qu’ils se déchirent. Je sanglotais et ne pouvais pas parler. Les officiers m’ont giflée et tailladée avec leurs stylos pour me forcer à parler. Ils ont menacé de me faire subir un examen anal forcé. Je leur ai dit de ne pas se gêner, je n’avais rien à cacher. Ils ont ensuite ordonné à un médecin légiste de me soumettre à cet examen.[92]
Au bureau du procureur, Hanan a été interrogée sur les photos trouvées dans son téléphone. Elle a nié que c’était elle, mais elle se souvient que le procureur lui a dit : « Même les photos où tu es habillé en homme t’incriminent. Soit tu avoues maintenant, soit tu ne partiras jamais ». Malgré les injures et les cris du procureur, elle a refusé d’avouer, et le procureur lui a alors dit qu’il la garderait en détention pendant trois jours, le temps qu’elle se décide à parler.[93]
Hanan a raconté :
J’ai été détenue dans une cage sous un escalier [au bureau du procureur], ce n’était même pas une cellule de prison, [mais simplement] une minuscule pièce de 3 mètres sur 2, avec 25 personnes homosexuelles et transgenres. Ils ont refusé de me laisser appeler quelqu’un ou engager un avocat. Je ne pouvais pas dormir. Je délirais, j’étais en état de choc, je sentais que je devais rester alerte sinon ils me tueraient. Je suis coupé les cheveux avec des ciseaux pour avoir l’air « normal » lors de l’interrogatoire suivant.[94]
Au bout de trois jours, Hanan a été transférée dans une cellule avec plusieurs hommes.
J’ai été harcelée, agressée sexuellement et verbalement, moquée. Ils m’ont touchée pendant que je dormais. J’ai arrêté de dormir. Les officiers m’ont battue et m’ont dit : « On va t’apprendre à être un homme ». Ils m’ont arrosée avec un tuyau quand j’ai résisté à leurs agressions.[95]
Hanan a été maintenue en détention provisoire pendant deux mois et demi au total, les procureurs ayant constamment repoussé son procès.
En fin de compte, un tribunal l’a condamnée à un mois de prison supplémentaire pour « incitation à la débauche ». Bien qu’elle ait été libérée pour avoir purgé sa peine, l’accusation est restée dans son dossier pendant trois ans.
Quand on m’a relâchée, le policier m’a demandé : « Vous êtes un haut ou un bas ? ». Comme je ne comprenais pas ce qu’il voulait dire, il m’a gardée en détention une nuit de plus, alors que ma libération avait été ordonnée. Le lendemain, il m’a reposé la question. J’ai dit « haut ». Il a répondu : « C’est bien ».[96]
Asaad, homosexuel égyptien de 29 ans, a été piégé par la police sur Facebook en mai 2017. Chaker a raconté :
J’ai rencontré un gars sur Grindr. Il m’a demandé de le rencontrer près de la place Tahrir. Il était 20 h 30. Lorsque je lui ai dit que j’étais arrivé, deux hommes se sont approchés de moi et m’ont demandé leur chemin, puis trois autres sont arrivés par derrière et l’un d’eux a prononcé mon nom. Avant même que je puisse répondre, ils avaient pris mon téléphone et m’avaient menotté. Ils m’ont dit que leurs caméras m’avaient filmé en train de jeter une bombe dans la benne et que je devais les accompagner au poste de police de Qasr El-Nil pour un interrogatoire. Je n’avais jamais été dans un poste de police auparavant. Quand on est entrés, un policier m’a dit : « Je t’ai enfin eu ! » Ils ont fouillé mon sac et ont tout pris. Ils m’ont pris en photo et ont pris mes empreintes digitales. Ils m’ont fait signer un rapport de police sans me laisser le lire.[97]
Le lendemain matin, les policiers l’ont emmené au bureau du procureur général à Abdeen, dans le centre du Caire. « Quand j’ai essayé de parler, [le procureur] m’a dit : “Tais-toi”. Tu n’as pas le droit de parler ici, espèce de pédale », a raconté Asaad. Ensuite, Asaad a été ramené au commissariat de Qasr El-Nil. Sa détention provisoire a été renouvelée pour 45 jours, qu’il a passés dans ce poste de police.[98]
Asaad a décrit les conditions de sa détention à Human Rights Watch :
Je ne pouvais pas du tout dormir. J’ai été placé dans une pièce minuscule avec d’autres hommes [pendant quatre jours]. Nous ne pouvions même pas nous asseoir sur le sol, et nous devions nous tenir sur un pied car il n’y avait pas de place. Lorsque ma détention a été prolongée de 45 jours, ils m’ont transféré dans une cellule plus grande. Je partageais ma cellule avec une bande de voyous. L’un d’eux a planté une aiguille dans ma cuisse pendant que je dormais. Je n’ai pas osé en parler à qui que ce soit car il aurait pu me tuer. Je n’ai pas pu marcher pendant des semaines. Les policiers et les gardiens de prison m’ont battu et ils me giflaient dès qu’ils le pouvaient. Ils m’ont menacé d’insérer des bouteilles dans mon anus pour me torturer. Ils m’ont harcelé verbalement en permanence.[99]
Human Rights Watch a examiné le rapport de police et les dossiers judiciaires liés à l’arrestation d’Asaad. Le rapport mentionne l’application de rencontres WhosHere, et non Grindr, et il contient également des captures d’écran de conversations entre Asaad et d’autres hommes, ainsi que des photos de nus. Asaad a déclaré à Human Rights Watch qu’il n’avait jamais téléchargé WhosHere sur son téléphone ni envoyé ce genre de photos à quiconque. Après avoir entendu son histoire, le juge du tribunal d’Abdeen a ordonné sa libération le 6 juin 2017.[100]
En septembre 2017, le procureur a fait appel, et Asaad a été condamné par contumace à un an de prison le 6 janvier 2018. Asaad a déclaré que son avocat lui avait conseillé de se cacher pendant trois ans pour échapper à la détention. Il a finalement fui l’Égypte le 9 juillet 2018. Le 6 mars 2021, Asaad a été acquitté après avoir soudoyé la police.[101]
Abus de pouvoir : violences sexuelles et menaces d’arrestation
Zoran, homosexuel de 25 ans originaire de Sulaymaniyah, dans la région du Kurdistan irakien, a déclaré avoir rencontré un homme sur Grindr le 26 octobre 2021. Le 4 novembre 2021, ils ont décidé de se rencontrer dans un lieu public. Chaker a raconté :
Nous nous sommes rencontrés dans un café, puis nous sommes allés nous promener dans le bazar. Il m’a dit : « Je suis acteur, tu vas voir que je suis très bon ». J’ai trouvé cela étrange mais je n’ai pas relevé. Il a ensuite pris une photo de moi sur Snapchat et a ajouté un filtre qui me faisait paraître chauve. Il m’a montré la photo et m’a dit : « Bientôt, ta tête sera rasée comme ça ». Je détestais cette photo et je lui ai demandé de la supprimer.[102]
Cependant, le rendez-vous s’est poursuivi et l’homme a exprimé le désir de serrer Zoran dans ses bras et de l’embrasser.
Il a insisté pour qu’on aille aux toilettes pour s’embrasser. J’avais peur que quelqu’un nous voie, mais je lui faisais confiance, alors j’ai accepté. Au moment où nous sommes entrés dans les toilettes et où il a commencé à m’embrasser, deux agents des Asayish [forces de sécurité] ont frappé à la porte puis l’ont cassée et sont entrés. Ils ont commencé à me frapper avec une matraque, sur les jambes, la poitrine, le dos, le visage, sur tout le corps. Ils n’ont pas battu l’homme qui m’accompagnait, qui s’est révélé être l’un d’entre eux. Ils m’ont maudit et traité de « pédé ». L’un d’eux a dit : « Tu as l’air d’un homme, pas d’un gay, pourquoi fais-tu ça ? ».[103]
Zoran a déclaré que les policiers l’ont menacé de l’arrêter, d’appeler sa famille et de l’emprisonner pendant 15 ans. Lorsqu’il a tenté de s’expliquer, un policier l’a emmené dans une voiture de police et lui a demandé de télécharger Grindr sur son téléphone, ce qu’il a fait. Puis le policier l’a agressé sexuellement.
Il m’a dit : « Tu es très beau, tu as besoin d’être avec quelqu’un de plus âgé que toi. Tu devrais être à moi ». Il m’a touché la poitrine, les mains, le corps et le pénis. Il se caressait le pénis pendant qu’il touchait le mien. Tout en faisant cela, il m’a demandé : « Quel genre de pénis aimes-tu ? Grand ? Petit ? » Quand il a terminé, il m’a conduit à ma voiture et m’a laissé partir.[104]
« J’aurais dû savoir qu’il [l’homme avec qui j’avais rendez-vous] m’envoyait des signaux indiquant que je serais arrêté, mais je n’ai compris que plus tard qu’il s’agissait d’un piège et qu’il travaillait pour la police », a déclaré Zoran.[105]
En mars 2018, Nour, une personne non binaire de 31 ans originaire de Zagazig, en Égypte, qui demande qu’on utilise à son sujet les pronoms them/they en anglais (« iel » en français), a rencontré un homme sur Grindr qui l’a piégé·e. Après s’être échangé des messages pendant quelques semaines, ils se sont parlé sur WhatsApp et l’homme a demandé à rencontrer Nour. Le 4 avril 2018, iel est allé·e le voir à Masr Al-Jadidah, une banlieue à l’extérieur du Caire. Nour a décrit ce qui s’est passé à leur arrivée :
Il m’a convaincu·e de monter dans un Uber avec lui malgré mes hésitations. J’ai aussi commencé à discuter avec le chauffeur d’Uber, qui m’a dit qu’il venait d’une famille aisée et qu’il avait étudié à l’institut allemand. J’ai commencé à parler d’Angela Merkel et il a dit : « Ce n’est pas cette Américaine ? » C’est à ce moment-là que j’ai compris que j’étais dans le pétrin [...].[106]
J’ai commencé à m’inquiéter fortement lorsque l’homme avec qui j’étais a semblé ne plus savoir comment rentrer chez lui. Le conducteur s’est alors arrêté pour demander son chemin à un policier qui conduisait une Jeep du gouvernement. Dès que nous nous sommes arrêtés, cinq hommes munis de crosses de hockey sont sortis d’une voiture qui fonçait sur nous. L’un d’eux m’a fait sortir en m’attrapant par mon écharpe et en m’étranglant, puis il m’a battu·e.[107]
Nour a repoussé l’homme et a couru aussi vite que possible, se cachant dans la cour d’une villa, puis dans un chantier de construction. Iel a appelé à l’aide via les réseaux sociaux :
J’ai publié un post sur Facebook expliquant que j’avais été kidnappé·e dans la zone de Tagamo. Le post a été largement partagé, et mes amis ont fini par venir me chercher. L’homme avec qui j’étais, qui a reconnu être policier et m’a dit qu’il allait m’arrêter, n’arrêtait pas de m’envoyer des messages très agressifs tels que : « Comment t’es-tu échappé, espèce de pédé ? », « J’allais te détruire, espèce de khawal (terme égyptien pour “pédé”) anti-gouvernemental et anti-armée ! ».[108]
III. « C’était un cauchemar » : l’extorsion
Ils [les extorqueurs] ont dit qu’ils voulaient 30 000 dollars et qu’ils savaient que j’avais cette somme. Je n’arrivais pas à parler. Je leur ai dit : « Si je vous donne l’argent, comment est-ce que je serai certain que vous ne me menacerez pas à nouveau ? » Malgré mes supplications constantes, ils m’ont répondu que j’avais deux à trois jours pour obtenir l’argent. La menace était qu’ils publieraient tout sur moi en ligne.
– Salam, homosexuel irakien, 26 ans, le 27 octobre 2021
Human Rights Watch a documenté 17 cas d’extorsion, par des particuliers, sur des applications de rencontres entre personnes de même sexe (Grindr) et les réseaux sociaux (Instagram, Facebook) en Égypte, en Irak, en Jordanie et au Liban. Nous n’avons pas documenté de cas en Tunisie. Dans six cas, les cibles de l’extorsion ont dénoncé les auteurs aux autorités, mais ont ensuite elles-mêmes été placées en détention (voir chapitre IV).
La nature essentiellement cachée des identités et des relations LGBT dans la région, due à la stigmatisation sociale et à la criminalisation des relations homosexuelles, a créé un climat dans lequel les personnes LGBT sont vulnérables face aux actes d’extorsion perpétrés tant par des particuliers que par les forces de sécurité. Ces dernières années, le recours à l’extorsion en ligne en tant que méthode de ciblage numérique des personnes LGBT a augmenté. Des individus piègent des personnes LGBT sur les réseaux sociaux et les applications de rencontres, puis menacent de les dénoncer aux autorités ou de révéler leur homosexualité en ligne si elles ne paient pas une somme d’argent (parfois plus d’une fois).
En Égypte, des personnes LGBT ont signalé avoir fait l’objet d’extorsion en ligne par des membres de gangs se faisant passer pour des personnes LGBT. Après de longues périodes de chat en ligne vient un premier rendez-vous, qui se transforme rapidement en séance d’intimidation et de passage à tabac, souvent sous la menace d’un couteau, visant à soutirer de l’argent aux victimes. Dans plusieurs cas que nous avons documentés, les extorqueurs ont également violé des personnes LGBT en faisant usage de la force ou en les manipulant pour qu’elles aient des rapports sexuels tout en enregistrant subrepticement l’acte sur leur téléphone pour l’utiliser contre elles.
En Irak, des personnes LGBT ont décrit en détail les menaces d’outing et d’arrestations proférées contre elles par des particuliers et des groupes armés. Les extorqueurs se faisaient passer pour des personnes homosexuelles, rencontraient leurs victimes en ligne, prenaient leurs informations personnelles sur leur famille, leur domicile et leur emploi, par exemple, puis exigeaient des sommes exorbitantes pour garder ces informations confidentielles.
En Jordanie, des hommes homosexuels ont raconté s’être adonnés à des actes de cybersexe après avoir été piégés, puis avoir été menacés au moyen d’enregistrements vidéo de ces actes et harcelés à plusieurs reprises s’ils n’acceptaient pas les conditions des extorqueurs. Human Rights Watch a enregistré un cas dans lequel les extorqueurs ont prétendu être des agents du renseignement.
Au Liban, des personnes LGBT ont déclaré avoir été extorquées en ligne par des particuliers et menacées d’être dénoncées à leur famille et aux autorités si elles ne payaient pas.
Les personnes LGBT victimes d’extorsion en ligne ont déclaré avoir été menacées de mort et d’outing à leur famille, à leur employeur, à tout leur quartier et aux autorités, ce qui a entraîné des conséquences hors ligne, puisqu’elles ont perdu leur emploi et ont été contraintes de quitter leur quartier, de déménager, de changer de numéro de téléphone et de supprimer leurs comptes sur les réseaux sociaux. Les personnes LGBT ont également fait état des graves conséquences de l’extorsion sur leur santé mentale, qui vont de l’isolement et de la peur à l’anxiété aiguë et à la dépression, en passant par les idées suicidaires.
Sélection de cas
Le 13 septembre 2021, Mahdy, un homosexuel de 28 ans originaire du Caire, a déclaré avoir été extorqué par un homme rencontré sur Instagram, avec lequel il avait discuté pendant deux mois avant d’accepter de le rencontrer et d’avoir des relations sexuelles. Chaker a raconté :
Nous sommes allés chez lui la nuit et avons fait l’amour. Après avoir terminé, il m’a dit qu’il savait tout de moi : mon travail, ma maison et mon père. Il vivait aussi dans mon quartier. Il a dit qu’il ne me laisserait pas tranquille tant que je ne lui aurais pas payé 10 000 livres égyptiennes [636 dollars]. Il a arraché mon téléphone et a refusé de partir si je ne le payais pas. J’ai dû payer la somme pour pouvoir lui échapper. Il m’a appelé deux jours plus tard pour me demander un nouveau téléphone portable. Il m’a dit que si je refusais, il parlerait à mon père, et il m’a envoyé une vidéo de notre relation sexuelle, qu’il a prise sans que j’y prête attention. Je n’ai pas répondu, car je ne savais pas quoi faire. J’ai consulté un avocat, et il m’a dit qu’il y avait 50 % de chances qu’il aille en prison, mais aussi qu’il y aurait un procès contre moi pour conduite immorale. C’est pourquoi je ne peux pas me tourner vers la loi pour obtenir de l’aide.[109]
Malgré le paiement de Mahdy, l’extorqueur a partagé la vidéo avec ses collègues de travail et les habitants du quartier où il vivait. Mahdy a démissionné et a cessé de sortir en public dans sa région en raison de « la stigmatisation et de la honte publique », a-t-il déclaré. L’extorqueur, accompagné d’autres personnes, s’est ensuite rendu au domicile de Mahdy pour le menacer. « Je les ai entendus détailler les façons dont ils allaient me torturer », a déclaré Mahdy. « C’était une menace flagrante pour ma vie. Si mon père voyait la vidéo, ce serait la fin pour moi ».[110]
Mortada, un homosexuel de 21 ans originaire du Akkar, dans le nord du Liban, a déclaré avoir été victime d’un chantage de la part de l’ami d’un ancien patient de l’hôpital où il travaillait :
J’avais un patient que je voulais interroger pour une recherche que je menais, et nous avons échangé nos numéros. On a commencé à flirter quand je suis retourné le voir. Quand je suis revenu le lendemain, il avait avec lui quelqu’un que son père avait envoyé pour le surveiller. Il m’a demandé d’aller dans la salle de bains avec lui pour faire l’amour, puis son ami est entré avec son téléphone et nous a filmés. Nous nous sommes disputés et l’autre homme m’a demandé de l’argent et a menacé de me dénoncer aux autorités, de diffuser la vidéo sur les réseaux sociaux et de le dire à mes parents. J’ai refusé de payer, mais il avait mon numéro de téléphone, et il a commencé à m’appeler pendant mon service. J’étais terrifié à l’idée de le dire à mes parents, car ils me soupçonnaient déjà et avaient menacé de me tuer s’ils découvraient que j’étais gay. Je n’ai appelé la police à aucun moment car cela m’aurait incriminé.[111]
Salam, un homosexuel de 26 ans de Bagdad, a déclaré qu’en juillet 2021, il avait rencontré en ligne un homme qui souhaitait une rencontre en personne. Il a raconté à Human Rights Watch :
J’avais besoin de voir quelqu’un, et nos conversations [sur Grindr] étaient agréables, donc j’étais prêt à le rencontrer. Nous avons continué à nous rencontrer chez moi, et il m’a posé des questions très détaillées sur ma famille, le travail de ma mère et mon passé. Je lui ai bêtement tout dit. Il voulait avoir des relations sexuelles avec moi, et j’ai refusé, car je ne voulais pas le faire avant d’être dans une relation engagée. Il était très costaud et a fait usage de sa force pour me forcer à avoir des rapports sexuels. Cela a déclenché mes cris et il a eu très peur, puis il a rassemblé ses affaires et est parti.[112]
Deux jours plus tard, un homme qui disait appartenir à Asa'ib Ahl al-Haqq, un groupe armé relevant des Forces de mobilisation populaire (FMP) en Irak, a contacté Salam sur Telegram. L’homme lui a dit qu’il savait tout de lui, de sa mère et de son travail, et Salam a réalisé qu’il avait très certainement obtenu ces informations de l’homme qui avait essayé de le contraindre à avoir des relations sexuelles. L’homme a exigé un rendez-vous dans un centre commercial d’Erbil. En cas de refus, il exposerait Salam.
J’ai rencontré deux hommes au centre commercial Majidi. Ils ont dit qu’ils voulaient 30 000 dollars et qu’ils savaient que j’avais cette somme. Je n’arrivais pas à parler. Je leur ai dit : « Si je vous donne l’argent, comment est-ce que je serai certain que vous ne me menacerez pas à nouveau ? » Malgré mes supplications constantes, ils m’ont répondu que j’avais deux à trois jours pour obtenir l’argent. La menace était qu’ils publieraient tout sur moi en ligne. J’étais horrifié.[113]
Salam n’avait que 20 000 dollars, il a donc contracté un prêt, avec intérêts, de 10 000 dollars pour payer aux extorqueurs la totalité de la somme exigée. Par la suite, il a déclaré : « Je me suis retrouvé complètement ruiné et j’ai déménagé à Bagdad pour faire tout ce que je pouvais, y compris des prêts bancaires, pour rembourser l’argent que j’avais emprunté. J’ai tout perdu ».[114]
Nour, la personne non binaire de 31 ans originaire de Zagazig, en Égypte et qui demande qu’on utilise les pronoms they/them en anglais (« iel » en français), a déclaré avoir été extorquée en janvier 2021 par un homme rencontré sur Grindr. Iel a raconté :
Il m’a emmené·e chez lui. Après quelques bavardages, il s’est transformé en monstre. Il a sorti un couteau et m’a dit de lui donner tout ce que j’avais. Puis il a pris mon téléphone, tout mon argent, a désigné une porte fermée et m’a dit que derrière cette porte se trouvaient des individus qui attendaient son signal pour sortir et me tabasser. Il m’a dit que personne ne m’entendrait si je criais. Il m’a dit que son propriétaire savait qu’il amenait des « pédés » pour les battre et les voler. Il y a eu deux heures de cris et de comportement hystérique de sa part, puis il m’a forcé·e à me déshabiller et m’a violé·e. Il m’a filmé·e et a dit qu’il allait publier la vidéo sur les réseaux sociaux et me dénoncer à la police. Au début, j’ai essayé de résister, mais je n’ai rien pu faire car il a pointé son couteau sur moi pendant qu’il me pénétrait. Il m’a violé·e pendant environ une heure alors que je tremblais. J’avais l’impression que c’était un cauchemar. Je ne pouvais pas porter plainte, car c’est moi qui en subirais les conséquences. Comment aurais-je pu dénoncer ce crime, puisque la police agit de la même manière que mon agresseur ? Je sais qu’il y a des milliers de cas comme le mien dont personne n’a connaissance.[115]
En janvier 2021, au Liban, Hassan, un homme bisexuel libanais de 27 ans, a été victime d’un chantage exercé par un homme rencontré sur Grindr :
Il était très sympathique et chaleureux. La troisième fois que je l’ai vu, on faisait l’amour et il a prétendu que son téléphone sonnait, alors qu’en fait, il m’enregistrait. Le lendemain, il m’a demandé 1 000 dollars en me menaçant de publier la vidéo en ligne et de me dénoncer aux autorités si je ne le payais pas. J’ai décidé de le bloquer sur WhatsApp et j’ai changé de téléphone.[116]
En janvier 2021, Yasser, un homosexuel de 21 ans originaire de Bagdad, a été victime d’un chantage exercé par un homme rencontré sur Facebook. Chaker a raconté :
Nous avons commencé à avoir des relations sexuelles […]. Je ne savais pas du tout qu’il filmait. Après un certain temps, il a commencé à demander de l’argent. Je n’ai rien à part les vêtements que je porte sur le dos. Il a commencé à menacer d’aller sur les comptes Facebook de mes amis, de ma famille et de ma mère. Je me suis effondré. Mon corps ressemblait à une peau de serpent. Je tremblais de façon incontrôlable. Je ne pouvais même pas décrocher mon téléphone. Au début, je ne l’ai pas cru, mais il m’a envoyé la vidéo entière.[117]
L’auteur du chantage a également dévoilé l’homosexualité de Yasser à son ami, à qui il a dit : « C’est ton ami, le pédé qui se fait baiser ». Yasser a affirmé que son ami lui a envoyé la capture d’écran du message. Chaker a raconté : « Lorsque je l’ai ouvert, j’ai cru que j’étais en train de mourir. Je savais que mon père ne me laisserait pas en vie. J’ai tenté de me suicider en avalant des médicaments, mais j’ai survécu ». Ensuite, l’homme a commencé à créer de faux comptes et à menacer Yasser.[118]
Afran, un homosexuel de 30 ans originaire de Sulaymaniyah, a déclaré que deux soldats avaient tenté de lui soutirer de l’argent le 11 février 2020 sur Grindr :
J’étais censé aller à un rendez-vous avec quelqu’un que j’avais rencontré sur Grindr. Il a dit : « Il faut qu’on se voie la nuit, et tu dois être seul ». Il m’a envoyé une adresse sur WhatsApp. C’était un quartier général militaire près de l’ancien tribunal de Sulaymaniyah, juste au-dessus de la Grande Mosquée. Quand je suis arrivé, il m’a dit de monter dans la BMW noire qu’il conduisait. Je suis monté, et j’ai vu qu’il portait un uniforme militaire et qu’il y avait un autre soldat sur la banquette arrière. Ils ont immédiatement commencé à exiger des relations sexuelles. Comme je refusais, ils m’ont demandé de leur remettre mon téléphone et 2 000 dollars, sinon ils m’arrêteraient. J’ai commencé à crier à pleins poumons et je me suis jeté hors de la voiture.[119]
Abbad, un homosexuel de 27 ans originaire de Najaf, en Irak, a déclaré avoir fait l’objet d’une extorsion en 2019 :
J’ai rencontré un type sur Grindr, et il semblait légitime. Il m’a demandé mes photos, et je lui en ai envoyé plusieurs. Immédiatement après, il a commencé à me menacer. Il a dit qu’il publierait mes photos et qu’il savait tout sur moi, et il a demandé 1 000 dollars. Il a dit que si je ne les lui donnais pas, le groupe armé auquel il appartenait viendrait me trouver pour me tuer. Je l’ai seulement bloqué et j’ai supprimé l’application.[120]
Hadi, un homosexuel de 26 ans originaire de Zarqa, en Jordanie, a déclaré avoir été victime d’une extorsion de fonds de la part d’un homme rencontré sur Facebook avec lequel il avait chatté pendant des mois :
En 2020, nous nous sommes rencontrés en personne, et il m’a dit qu’il aimait dominer [sexuellement], et j’ai poliment refusé. Il était très insistant, mais je ne voulais pas lui donner satisfaction. Ça a dégénéré et il s’est mis à proférer de nombreuses menaces, me disant par exemple qu’il viendrait chez moi si je ne réagissais pas, et a menacé de me frapper. Il m’a dit qu’il travaillait pour les services de renseignement et a menacé de m’arrêter si je ne lui donnais pas d’argent. En avril 2020, je l’ai trouvé devant chez moi alors que je ne lui avais jamais donné mon adresse. Je me suis caché et je ne lui ai pas répondu. Le lendemain, la brigade des stupéfiants est venue chez moi. Ils ne sont pas entrés ; ils m’ont seulement fouillé à l’extérieur. Ma sœur se trouvait à l’intérieur, ce qui a aidé mon cas. Ils n’ont pas usé de violence physique, mais ils ont abusé verbalement de moi parce que je suis gay.[121]
Hadi a pris peur et a immédiatement changé sa carte SIM, ensuite il est parti installer à Amman.
IV. « Ils se sont retournés contre moi » : interrogatoires et détention des victimes d’extorsion de fonds
Je pensais que recourir à la loi me protégerait, mais j’ai été manipulé […]. Désormais, je ne peux plus me tourner vers l’État pour quoi que ce soit, car je n’ai aucune confiance en eux […] après ce qui m’est arrivé.
– Yamen, homosexuel jordanien de 25 ans, le 9 décembre 2021
La section précédente décrit 17 cas d’extorsion, par des particuliers, sur des applications de rencontres entre personnes de même sexe et les réseaux sociaux en Égypte, en Irak, en Jordanie et au Liban.
Dans six cas, les cibles de l’extorsion ont été interrogées et placées en détention soit après que l’extorqueur les a dénoncées au motif de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, soit après que la victime a signalé l’extorsion aux autorités, ce qui a entraîné sa détention à la place de l’auteur de l’extorsion. Dans un des six cas, la victime a été condamnée à six mois de prison en vertu d’une loi sur la cybercriminalité qui condamne la « promotion de la prostitution en ligne ». La peine a été réduite à un mois de prison et une amende en appel.
Les autorités égyptiennes ont soumis un jeune homosexuel de 16 ans qui avait dénoncé l’extorsion et l’agression sexuelle dont il avait été victime à un examen anal pour « lui permettre d’échapper à la détention ». À la connaissance des six personnes interrogées, aucun des auteurs d’extorsion n’a été poursuivi par les autorités.
Absence d’accès aux voies de recours
Yamen, un homosexuel de 25 ans originaire d’Amman, en Jordanie, a déclaré avoir rencontré un homme sur Grindr en septembre 2021, et après avoir discuté pendant quelques semaines, ils ont échangé leurs numéros et ont décidé de faire du cybersexe. Lorsque Yamen a cessé de répondre à l’homme, celui-ci lui a envoyé une vidéo qu’il avait enregistrée de leur cybersexe, dans laquelle le visage de Yamen était exposé, et l’a menacé de la publier en ligne. Yamen a déclaré qu’il était terrifié. Il a immédiatement consulté un policier avec qui il avait eu une relation auparavant et celui-ci lui a conseillé de faire une déposition pour chantage. Il s’est donc rendu à l’unité chargée des cybercrimes à Amman, où les policiers ont pris sa déposition.
Le chef de service m’a demandé si j’étais gay, et je n’ai pas répondu. Il s’est mis à me crier dessus : « Est-ce que tu es gay ? ». Par peur, j’ai répondu : « Parfois ». Un policier a dit : « Oh, il fait ça dans les deux sens », et tout le monde a ri. Le chef de service m’a alors demandé de partir et a refusé ma déposition. Il voulait transférer l’affaire au poste de police de Tariq [un autre poste à Amman]. J’étais en train d’attendre à l’extérieur quand un autre policier est venu me trouver et m’a demandé de l’accompagner pour témoigner. Pendant que je racontais ce qu’il m’était arrivé, le chef de service est entré et a reproché à son collègue d’avoir pris ma déposition malgré son refus. Ils ont discuté un moment avant d’accepter que je témoigne, et c’est le policier qui a pris note de ma déposition. Je leur ai tout raconté et j’ai déclaré que je ne voulais pas porter plainte, que je voulais seulement empêcher la diffusion de cette vidéo et me sentir protégé si elle venait à être diffusée.[122]
Un mois plus tard, Yamen a reçu un appel d’un policier du commissariat de Tariq, qui lui a annoncé qu’il avait une audience au tribunal et devait se rendre au commissariat le lendemain à 8 heures :
Lorsque je suis arrivé au poste de police de Tariq, ils étaient très agressifs et peu professionnels. J’ai supposé qu’ils avaient vu la vidéo. Un officier m’a emmené au tribunal d’Amman Est et m’a dit de l’attendre avant d’entrer. Pendant que j’attendais, j’ai reçu un appel de la personne qui avait enregistré la vidéo pour me faire chanter. Je lui ai dit que je ne porterais pas plainte et que je voulais seulement un contrat stipulant qu’il ne diffuserait pas la vidéo.
Je suis arrivé au tribunal vers 9 heures et j’ai vu le procureur général à 13 heures. Mon extorqueur était accompagné d’une autre personne, dont il a utilisé le numéro pour m’envoyer la vidéo. Nous sommes entrés tous les trois dans le bureau du procureur et j’ai parlé le premier, j’ai expliqué ce qui s’était passé et j’ai dit que j’essayais de séduire le gars en ligne. Les policiers présents dans la salle se sont mis à rire, et le procureur a dit d’un ton moqueur : « Pour le séduire, dites-vous […] et avez-vous réussi à le séduire ? » Puis il m’a demandé si j’étais gay, et j’ai répondu de la même façon [que la première fois] : « Parfois ». Il a dit : « Il n’y a de force qu’en Allah », et a commencé à secouer la tête en signe de désapprobation. Le procureur m’a demandé qui d’autre avait participé à cette « affaire » avec moi, et j’ai dit qu’il n’y avait pas d’affaire.[123]
Le procureur général a ensuite présenté à Yamen un rapport l’incriminant pour « sollicitation de prostitution » en vertu de la loi sur la cybercriminalité.[124]
Lors d’une audience dans un tribunal d’Amman, Yamen a déclaré que le juge lui avait dit : « Vous êtes clairement coupable, il s’agit de prostitution ». Il a ajouté que le juge avait écrit que Yamen était coupable, mais qu’il ne comprenait pas en quoi ses actions étaient contraires à la loi. Il a ensuite énuméré les chefs d’accusation retenus contre lui, notamment la « sollicitation de prostitution en ligne », qui relève de l’article 9 de la loi sur la cybercriminalité. Yamen a confié à Human Rights Watch combien il avait été horrifié de la façon dont la loi avait été utilisée contre lui : « Je pensais que recourir à la loi me protégerait, mais j’ai été manipulé […] Le juge m’a dit : “Dois-je t’emprisonner maintenant ? Ou on attend ?” et tout le monde a ri. »[125]
Ayant perdu confiance dans la capacité des forces de l’ordre à le protéger, Yamen a fait appel à un avocat. Le 17 octobre 2021, celui-ci a assisté en son nom à une deuxième audience au tribunal, où il a persuadé le juge de réduire la peine de Yamen à un mois et à une amende de 100 dinars (141 dollars). Il a décrit son sentiment d’être discriminé et traité injustement par le système judiciaire :
Mon avocat m’a conseillé de ne pas faire appel, car cela aurait provoqué le juge qui a fait une faveur à mon avocat en réduisant ma peine. J’ai également ressenti de la part des fonctionnaires de la discrimination liée à leurs attentes en matière de genre. Je me trouvais à l’extrémité négative du spectre parce que j’étais celui qui voulait séduire le gars et qui avait une allure féminine ; j’étais donc surveillé de près. Désormais, je ne peux plus me tourner vers l’État pour quoi que ce soit, car je n’ai aucune confiance en eux […] après ce qui m’est arrivé.[126]
Majd, un homosexuel égyptien de 38 ans, et Ismail, un homosexuel égyptien de 23 ans, ont déclaré à Human Rights Watch qu’un gang leur a extorqué des fonds sur Grindr en août 2021. Ismail a commencé :
Nous avons rencontré un gars sur Grindr. Nous avons discuté avec lui pendant quatre jours avant de le rencontrer. Il était très gentil et n’arrêtait pas de nous dire qu’il avait peur de rencontrer des étrangers, alors nous l’avons rassuré. Il nous a raconté des histoires très personnelles et voulait qu’on lui raconte des choses précises sur nous aussi. Son attitude nous a inspiré confiance et nous lui avons tout dit, y compris sur nos emplois respectifs, les personnes avec lesquelles nous vivions et notre adresse. Il est venu et on a fait l’amour.
Une heure après son départ, il nous a rappelés pour nous dire qu’il voulait revenir et amener un ami avec lui. Quand ils sont arrivés, son comportement avait complètement changé et le gars qui l’accompagnait était un voyou aux yeux vides. Ils ont commencé à se déplacer dans l’appartement et à nous interroger. Nous leur avons demandé de partir, mais ils ont refusé et nous ont dit qu’ils n’étaient pas là pour avoir des relations sexuelles, mais pour nous dénoncer à la police. Ils ont dit qu’ils étaient tous les deux dans l’armée. Ils nous ont dit que soit nous leur payions 70 000 livres égyptiennes (4 451 dollars), soit ils nous dénonçaient à la police. Ils ont également exigé que nous signions un contrat avec eux. Ils ont battu Ismail. Nous étions terrifiés.[127]
Ismail pleurait en parlant, alors c’est Majd qui a continué :
J’ai réussi à ouvrir la porte de notre appartement et à crier à l’aide, alors ils ont pris peur et sont partis par la porte de derrière en emportant seulement le téléphone d’Ismail. Nos cris ont attiré la police. Ils nous ont demandé ce qu’il s’était passé, nous avons répondu que c’était une tentative de cambriolage. La police nous a dit de porter plainte, mais nous ne l’avons pas fait et je pensais que l’incident était clos. Mais quelques jours plus tard, [les deux hommes qui avaient essayé de nous faire chanter] m’attendaient devant chez moi. Ils voulaient faire un scandale, alors ils m’ont traîné sur une place peuplée du Caire, ont commencé à me traiter de « pédé » tout en me frappant devant tout le monde, et ont détruit mon téléphone.[128]
Lorsque les policiers sont arrivés, l’homme qu’ils avaient rencontré sur Grindr leur a dit que Majd était gay et leur a montré leurs discussions WhatsApp, qui contenaient des messages sur le sexe gay et des autocollants (une fonctionnalité de WhatsApp) qui montraient des images d’hommes ayant des rapports sexuels. Les policiers ont lancé des injures homophobes à Majd et Ismail, les ont menottés et les ont emmenés au commissariat d’Helwan, au Caire, où ils ont été détenus pendant quatre jours.[129]
Ismail et Majd ne savaient pas ce qu’étaient devenus leurs deux extorqueurs présumés. Ils ont essayé de porter plainte, mais les policiers ont refusé d’enregistrer leur déposition, ont-ils raconté. Ismail et Majd ont été obligés de déménager, leur homosexualité ayant été révélée aux habitants de leur quartier. Ils ont également cessé d’utiliser les réseaux sociaux et les applications de rencontres, car selon eux, les mesures de sécurité n’étaient pas suffisantes pour garantir leur protection en ligne. Après leur extorsion, ils ont tous deux cherché un soutien psychologique et ont commencé à prendre des médicaments pour lutter contre leur extrême anxiété. Majd a décrit la peur qu’ils ressentent :
Nous ne nous sentons en sécurité nulle part, surtout parce que nous savons que ces voyous peuvent nous atteindre à tout moment, et que le gouvernement ne nous protégera pas. Nous avons su par des amis que les hommes qui nous avaient extorqués faisaient partie d’une bande organisée dont un membre gay attirait les victimes. Ils ont gagné beaucoup d’argent en faisant chanter des hommes gays.[130]
Yasin, un homosexuel égyptien de 18 ans, a été extorqué et violé par un gang le 28 décembre 2020, alors qu’il avait 16 ans, après avoir rencontré un membre du gang sur Grindr. Il a appris plus tard que ces hommes avaient déjà commis des extorsions et des viols de manière similaire auparavant. Chaker a raconté :
Nous avons discuté de façon très informelle, puis il m’a invité à venir chez lui pour faire connaissance en tant qu’amis. Quand je suis arrivé, il a fermé la porte derrière moi, et deux autres hommes sont apparus. L’un d’eux avait un grand couteau et l’autre un cutter. Ils m’ont dit que j’étais en captivité et ont exigé que je leur verse 100 000 livres égyptiennes [6 360 dollars] si je voulais partir.
Ils m’ont violé tous les trois en filmant sur leurs téléphones, puis ils ont pris mon téléphone et mon portefeuille, dans lesquels ils ont récupéré des informations sur ma famille, et ont menacé d’envoyer la vidéo à mon père. Je leur ai dit que je m’en fichais. Alors, ils m’ont dit qu’ils allaient publier la vidéo sur mon profil Facebook et la diffuser à mes contacts WhatsApp. Je leur ai dit que j’avais un téléphone d’une valeur de 7 000 livres égyptiennes (445 dollars) et 3 000 autres livres égyptiennes (190 dollars) à la banque. Ils n’étaient visiblement pas eux-mêmes et semblaient avoir pris de la drogue. Je leur ai laissé mon téléphone et mon mot de passe. Ils m’ont laissé partir et m’ont dit qu’ils m’appelleraient le lendemain pour que je les rencontre et leur donne l’argent.[131]
Après son départ, Yasin a trouvé un endroit non loin de là où il a appelé son père, lui a dit qu’il avait été enlevé et lui a demandé de venir immédiatement. Son père l’a emmené au commissariat de Kattameya, au Nouveau Caire, pour qu’il porte plainte. Yasin a déclaré :
J’ai raconté au policier ce qu’il s’était passé, mais sans parler de Grindr. J’ai dit que les voyous m’avaient accosté dans la rue, emmené chez eux, puis violé. Il ne m’a pas cru et il a commencé à me crier dessus. Alors, mon père lui a demandé de nous emmener voir le chef de service, ce qu’il a fait. Le chef de service a dit qu’il allait m’aider, puis a demandé que j’emmène un autre policier à l’appartement où j’avais été détenu. Nous y sommes allés, et deux des hommes qui m’avaient attaqué étaient là, mais pas celui qui avait le grand couteau. Ils ont commencé à crier et la police les a arrêtés. [Les policiers] ont pris les trois téléphones (y compris le mien), les drogues et les armes qui se trouvaient dans l’appartement. Ils ont refusé d’avouer quoi que ce soit au poste de police, tandis que je faisais ma déposition.[132]
Le lendemain, Yasin s’est rendu au bureau du procureur général, qui lui a assuré qu’il ne serait pas placé en détention et lui a demandé d’expliquer ce qui s’était passé :
J’ai encore une fois laissé de côté la partie concernant Grindr, mais lorsque les hommes qui m’ont attaqué sont venus pour être interrogés, l’un d’entre eux a tout avoué et a montré au procureur la conversation sur Grindr. Lorsqu’il a fouillé leurs téléphones, il a vu une vidéo détaillant un autre incident similaire au mien, fait exactement de la même manière. Le procureur m’a montré cette vidéo et celle qu’ils ont enregistrée sur moi. Nous sommes restés dans le bureau du procureur de 9 heures du matin à 2 heures du matin le lendemain.
Quatre jours plus tard, Yasin a été convoqué par la police pour un examen anal : ils voulaient « vérifier son orientation sexuelle ».[133] L’examen « a montré qu’il n’était pas gay », ce qui lui a permis d’échapper à la détention.[134] Yasin ne sait pas ce qu’il était advenu des hommes qu’il a accusés de viol et d’extorsion.
Baha’, un homosexuel de 24 ans originaire d’Alexandrie, en Égypte, a été dévalisé par un homme rencontré sur Facebook, qui l’a ensuite agressé un soir de février 2021 alors qu’ils étaient ensemble. Il a expliqué :
Alors que nous nous tenions devant l’immeuble [de mon partenaire du moment], trois hommes m’ont agressé avec une hache et des canifs. Ils m’ont battu et ont pris mon téléphone et mon argent [1 000 livres égyptiennes, soit 63,67 dollars]. Ils ont pointé leurs couteaux sur mon corps et l’un d’eux a placé la hache contre mon cou. J’ai essayé de garder mon calme alors qu’ils commençaient à attraper mes vêtements et à me bousculer, tout en assénant des insultes homophobes. L’un d’eux a dit : « Je sais que tu es un pédé et que tu viens ici pour te faire baiser ». Le gars avec qui j’étais supposé avoir un rendez-vous s’est joint à eux pour me frapper. Ils m’ont fouillé de la tête aux pieds et ont pris toutes mes affaires. Ils m’ont menacé et m’ont dit : « Si on te voit ou si on entend encore parler de toi, on te tue ». Puis ils se sont enfuis.[135]
Après cette attaque, Baha’ a immédiatement bloqué l’homme rencontré sur Facebook et s’est rendu au poste de police le plus proche, près de la place Al-Namous au Caire, pour porter plainte.
J’ai dit à la police qu’un groupe d’hommes m’avait agressé et volé alors que j’étais en train de marcher. Des policiers m’ont accompagné sur les lieux de l’agression. Je me suis éloigné d’eux et j’ai ouvert mon compte Facebook à partir du téléphone d’un piéton pour essayer d’obtenir les identifiants du compte des attaquants. L’un des policiers m’a vu, m’a arraché le téléphone des mains et a découvert que j’étais gay grâce à mes groupes Facebook privés. Ils m’ont ramené au poste et ont commencé à m’interroger. L’un d’eux a dit : « Je sais que tu es un pédé, alors arrête de mentir et parle-moi de ta relation avec l’agresseur ». Je lui ai raconté toute l’histoire. Ils m’ont demandé : « Tu baises ou tu te fais baiser ? ». « Qu’est-ce que tu as fait avec ce type ? ». Ils ont brandi la menace d’un examen anal et de l’intervention du tribunal militaire, car je suis dans l’armée.[136]
Les policiers ont interrogé Baha’ de 19 heures à 1 heure du matin et l’ont forcé à ouvrir ses deux comptes Facebook, son vrai compte et un compte factice qu’il utilisait pour des rencontres. Il a décrit le processus de l’interrogatoire :
Je n’avais pas le droit d’appeler qui que ce soit ou d’utiliser les toilettes. Le rapport de police indique que je marchais dans la rue et que mon téléphone est tombé. Le policier n’a pas rédigé d’autre rapport parce que cela aurait été pénible, a-t-il dit, alors ils m’ont menacé de [porter l’affaire devant] le tribunal militaire pour que j’accepte le rapport tel qu’il était. J’ai fourni des informations sur l’identité de mes agresseurs, mais la police n’a absolument rien fait pour m’aider. Au lieu de cela, ils m’ont menacé et insulté. Je suis parti de là complètement sous le choc et comme je n’avais pas d’argent, j’ai dû marcher une longue distance.[137]
V. « Je ne me sens en sécurité nulle part » : harcèlement en ligne, doxxing, outing et menaces de mort
J’ai arrêté de sortir, c’était très dur pour moi, et j’ai pensé à me tuer. Ma mère m’a mis dehors à cause de la photo publiée sur Facebook [montrant mon apparence non conforme]. Je suis allé vivre chez un ami pendant environ un mois et demi, je pouvais à peine me permettre de manger, et j’ai eu faim pendant de nombreux jours. J’ai signalé la publication sur Facebook [me dénonçant], mais elle n’a pas été supprimée. Je n’ai pas signalé l’incident à la police puisque c’est elle qui me jugeait. Après ça, je n’ai pas pu trouver de travail à cause de la viralité de cette photo.
– Rindala, femme transgenre jordanienne de 22 ans, le 23 septembre 2021
Human Rights Watch a documenté 26 cas de harcèlement en ligne, notamment des cas d’outing[138] et de doxxing,[139] sur des plateformes publiques de réseaux sociaux en Jordanie, au Liban et en Tunisie. Nous avons également documenté 32 cas de menaces de mort formulées par des groupes armés irakiens sur les réseaux sociaux.
Neuf de ces cas démontrent que l’activisme LGBT hors ligne fait l’objet de représailles de la part des forces de sécurité, sous la forme de harcèlement en ligne. Dans 17 des cas, le harcèlement en ligne, commis par les forces de sécurité ou par des individus, a été suivi de violences réelles, dont des arrestations arbitraires et des interrogatoires par les autorités.
Selon les témoignages de personnes LGBT, le harcèlement en ligne leur a fait perdre leur emploi et subir des violences familiales, y compris la maltraitance physique, des menaces sur leur vie et des pratiques de conversion, et les a forcées à déménager et à changer de numéro de téléphone, à supprimer leurs comptes sur les réseaux sociaux et à fuir le pays sous peine de persécution, sans compter les graves conséquences que tout cela a entraîné sur leur santé mentale.
Dans la plupart des cas, les personnes harcelées par la voie de publications sur des réseaux sociaux ont signalé les contenus abusifs aux plateformes concernées, mais les plateformes n’en ont supprimé aucun, arguant de l’absence de violation de leurs lignes directrices ou de leurs règles.
Harcèlement en ligne, doxxing et outing par les forces de sécurité
En Tunisie, Human Rights Watch a documenté des cas datant de janvier et février 2021 dans lesquels des messages ont été publiés sur les réseaux sociaux — principalement Facebook —, entre autres par des policiers présumés, pour harceler publiquement des activistes LGBT. Parmi les pratiques de harcèlement utilisées figuraient le doxxing d’activistes LGBT ayant pris part à des manifestations — révélant leurs informations personnelles, notamment leur adresse et leur numéro de téléphone — et leur outing, ainsi que des calomnies fondées sur leur orientation sexuelle ou leur identité de genre et la publication de photos accompagnées de messages incitant à la violence à leur encontre. Le ciblage en ligne a été suivi d’arrestations arbitraires, d’agressions physiques et de menaces de viol et de mort. La police et les autres unités des forces de sécurité concernées leur ont également refusé l’accès à un avocat.[140]
Sélection de cas
Rania Amdouni, une lesbienne de 28 ans et activiste des droits des personnes LGBT en Tunisie, a déclaré à Human Rights Watch qu’entre janvier et juin 2021, elle avait été victime de harcèlement en ligne, d’intimidation et de menaces de violence, y compris de viol et de mort.[141]
Human Rights Watch a examiné plusieurs des centaines de messages de harcèlement envoyés à Rania Amnoudi sur Facebook — notamment par des individus s’identifiant comme des policiers — en raison de la non-conformité de son expression de genre (sa coiffure, sa façon de s’habiller) et de son orientation sexuelle présumée. Un ancien membre du Parlement, Seif Eddine Makhlouf, a moqué son apparence non conforme au genre sur sa page Facebook personnelle. Un homme lui a envoyé ce message : « Nous allons te trouver, et nous te terroriserons ».
Selon Rania, ses comptes Facebook et Instagram ont été piratés plusieurs fois avant qu’elle ne les supprime. Elle a décrit les abus hors ligne qui ont découlé de son expérience du harcèlement en ligne :
Ma vie est menacée. Je ne me sens en sécurité nulle part, même pas dans mon appartement. La police est venue me chercher dans mon quartier. Ma sécurité physique est menacée et ma santé mentale se détériore. Les gens me dévisagent dans la rue et me harcèlent en ligne.[142]
Elle a déclaré que le 11 janvier 2021, la police est venue dans sa résidence pour la chercher, ce qui l’a incitée à quitter son quartier et à se cacher. Selon Rania, le harcèlement en ligne auquel elle a été confrontée s’est étendu à la rue et aux lieux publics qu’elle fréquentait, ce qui a entraîné de graves conséquences sur sa santé mentale et l’a fait craquer. Rania a déclaré avoir tenté de se suicider à trois reprises, l’une de ces tentatives l’ayant plongé dans le coma pendant 48 heures.[143]
Lorsqu’elle a tenté de porter plainte pour le harcèlement subi en permanence en ligne et dans la rue, en février 2021, elle a été arrêtée pour avoir crié, a-t-elle affirmé. Le 4 mars 2021, le tribunal cantonal de Montfleury, au sud-ouest de Tunis, a déclaré Rania coupable d’« outrage à un fonctionnaire public dans l’exercice de ses fonctions », délit passible d’un an d’emprisonnement en vertu de l’article 125 du code pénal, d’« incommodité et perturbation » et d’« ivresse apparente », et l’a condamnée à six mois d’emprisonnement et à une amende de 18 dinars tunisiens (6,50 dollars). En appel, le 17 mars 2021, la Cour d’appel de Tunis a ordonné sa libération, le juge d’appel ayant confirmé sa condamnation mais suspendu sa peine d’emprisonnement de six mois. Son amende de 18 dinars (6,50 dollars) a été portée à 218 dinars (78 dollars).[144]
Makram, un homosexuel tunisien de 24 ans, a déclaré que le 30 janvier 2021, des utilisateurs de réseaux sociaux s’identifiant comme des policiers ont publié sa photo et ses coordonnées sur Facebook. Selon Makram, la publication a été suivie d’un torrent de discours haineux et d’incitations à la violence, y compris des menaces de mort, d’autres utilisateur·rice·s de Facebook. Makram, qui avait déjà été poursuivi pour relations homosexuelles au titre de l’article 230 du code pénal tunisien, a déclaré qu’il avait immédiatement supprimé ses comptes sur les réseaux sociaux et fui la Tunisie par peur d’être pris pour cible et maltraité par les forces de sécurité.[145]
Saraa', une lesbienne tunisienne de 19 ans, a déclaré qu’au début du mois de janvier 2021, des policiers l’ont photographiée lors d’une manifestation et ont publié la photo sur Facebook, accompagnée de contenus diffamatoires, de son adresse personnelle et de son numéro de téléphone. Elle a ajouté que suite à cela, elle avait reçu des menaces directes sur Facebook, notamment de la part de fonctionnaires :
Ces menaces ont commencé le 6 janvier [2021] […] sur des plateformes publiques en ligne [principalement Facebook]. J’ai même été harcelée dans des espaces publics et menacée de meurtre. J’ai été suivie plusieurs fois dans la rue par des policiers.[146]
Saraa’ a relaté un autre incident, une semaine plus tard, au cours duquel elle a été retenue dans une voiture de police par trois policiers :
Ils [les policiers] ont fouillé mon téléphone, m’ont battue et insultée. Ils ont décrit en détail certains des activistes avec lesquels je suis habituellement en contact : leurs adresses, leurs noms et leurs déplacements. Je suis restée dans cette voiture pendant deux heures [pendant qu’ils m’interrogeaient pour] savoir où et quand nous nous réunissons. Ils ont fini par me jeter hors de la voiture et ont lancé mon téléphone par la fenêtre. J’ai dû déménager parce que j’étais harcelée.[147]
Rindala, une lesbienne tunisienne de 22 ans, a déclaré que le 6 février 2021, lors d’une manifestation, un policier avait pris une photo d’elle montrant ses piercings et ses cheveux colorés, et l’avait postée sur Facebook, accompagnée de commentaires haineux liés à son orientation sexuelle présumée. Elle a raconté à Human Rights Watch :
Un policier en uniforme a pris une photo de moi lors de cette manifestation et l’a publiée sur Facebook en utilisant son compte personnel, accompagnée d’un commentaire incitant les gens à regarder mon apparence, qualifiée d’« anormale ». Il m’a arrêtée en me disant que mon apparence était « satanique » et me traitant de « sodomite ». Elle [la photo] a été diffusée dans mon réseau Facebook, chez moi et sur mon lieu de travail. J’ai été détruite en l’espace de deux mois. J’ai même reçu des messages menaçant de me tuer dans la rue, et d’autres de m’égorger. [Des internautes] ont envoyé à mon frère des messages lui disant que nous étions une « famille de pédés ». J’ai perdu mon emploi à cause de cette photo.[148]
Human Rights Watch a examiné des dizaines de messages et de commentaires que Rindala a reçus sur Facebook, qui comprenaient des menaces de viol et de mort et des insultes liées à son orientation sexuelle présumée. En larmes, Rindala a raconté qu’elle avait été mise à la porte par sa mère, qu’elle n’avait pas pu retrouver de travail et qu’elle avait envisagé de se suicider.[149]
La pratique de l’outing par des particuliers
Au Liban, Human Rights Watch a documenté des cas de révélation de l’orientation sexuelle de personnes LGBT à leur famille par des particuliers. Suite à ces faits d’outing, les personnes LGBT concernées ont subi des violences familiales allant de coups à des menaces de mort, en passant par l’enfermement à domicile et les pratiques de conversion visant à « guérir leur maladie ». Dans deux cas, les agresseurs ont révélé l’orientation sexuelle de victimes LGBT d’agressions sexuelles à leur famille et ont menacé de les dénoncer publiquement si elles portaient plainte.
Certaines personnes LGBT ont été dénoncées aux autorités au motif de leur orientation sexuelle et parce qu’elles n’avaient pas de statut de résident. Le harcèlement en ligne a été particulièrement préjudiciable aux réfugié·e·s syrien·ne·s LGBT, dont la double vulnérabilité — due à la fois à leur orientation sexuelle ou identité de genre et à leur statut de résident — a été instrumentalisée par les harceleurs. Ces réfugié·e·s ont déclaré vivre dans la peur (de leur famille et des autorités) et dans un isolement total après les révélations en ligne les concernant. Les réfugié·e·s, qui n’ont ni famille, ni relations sociales, ni protection au Liban, sont déjà marginalisé·e·s, et ces révélations ne font qu’exacerber leur situation, d’autant plus que l’État ne leur offre aucune protection ou aucun abri.
Sélection de cas
Yaaqoub, un homosexuel syrien de 31 ans résidant au Liban sans statut légal, a déclaré qu’en mars 2020, il avait rencontré sur Facebook un homme qui l’a « outé » en ligne. Chaker a raconté :
On a commencé à chatter sur Facebook, puis on a entamé une relation. J’avais l’habitude de dormir chez lui, et il devenait violent, faisait l’amour avec moi en pointant un couteau sur moi et prenait des vidéos sur son téléphone. Quand j’ai rompu cette relation, il a publié une des vidéos de moi sur Facebook et a tagué mon frère. Maintenant mon frère menace de me tuer et je suis constamment en fuite.[150]
Yaaqoub a dû quitter son appartement et rester chez des amis pour ne pas que son frère le retrouve. Il a déclaré qu’en octobre 2021, la police avait fait une descente chez ces amis, les voisins les ayant dénoncés comme étant un groupe d’homosexuels syriens sans papiers. Il a raconté à Human Rights Watch :
[La police] a fouillé mon téléphone et a trouvé des photos et des vidéos de moi habillé en femme. Ils m’ont dit que je serais convoqué pour un interrogatoire, mais j’ai changé de numéro de téléphone, j’ai quitté cette maison et je n’ai pas eu de nouvelles d’eux.[151]
Hassan, un homme bisexuel de 27 ans originaire du Liban, a déclaré que ses parents l’avaient empêché d’aller faire son doctorat en France après la dénonciation de son colocataire sur Facebook en 2019. Il a expliqué :
J’étais en train de terminer mon master en neurosciences en France, et je me suis disputé avec mon colocataire concernant nos conditions de vie. J’avais ouvert un compte Grindr. Grindr m’a demandé un accès à Facebook et ma photo de profil Facebook a immédiatement été remplacée par ma photo d’affichage Grindr. J’ai remarqué que ma photo avait changé, et je l’ai retirée une dizaine de minutes plus tard, aussi vite que possible. Le lendemain, un ami m’a appelé pour me dire d’aller voir mon profil Facebook. C’est ainsi que j’ai constaté qu’une capture d’écran de mon compte Grindr avait été publiée. J’ai découvert que c’était mon colocataire qui avait fait cette capture d’écran et l’avait publiée par vengeance. Lorsque je suis rentré au Liban l’été, avant de repartir en France pour faire mon doctorat, mon père m’a dit qu’il savait que j’étais gay ; il a immédiatement confisqué mon passeport et ne m’a pas autorisé à quitter la maison pendant des mois. Il m’a forcé à aller voir un psychiatre pour soigner ma « maladie ».[152]
Maataz, un homosexuel syrien de 30 ans résidant au Liban, a déclaré qu’en 2018, il avait rencontré sur Facebook un homme qui a révélé son orientation sexuelle à ses parents.
Nous avons chatté pendant un an. Lorsque j’ai décidé d’arrêter de lui parler parce qu’il devenait agressif, il a envoyé des captures d’écran de nos conversations à mes parents par le biais d’un faux compte, et les a également publiées sur Facebook en me taguant. Mes parents ont découvert la vérité, alors j’ai disparu et je ne leur ai plus jamais parlé car je ne pouvais plus leur faire face. Je ne parle qu’à ma sœur et c’est elle qui me donne de leurs nouvelles. Lors de l’explosion du port du 4 août, ma mère a appelé mon ami pour lui demander si je faisais partie des victimes. Comme ce n’était pas le cas, ma mère a conclu : « J’espérais que oui ». J’ai supprimé mes comptes Facebook et Instagram.[153]
Les victimes de violences sexuelles menacées d’exclusion
Human Rights Watch a également parlé à deux femmes transgenres syriennes réfugiées au Liban : Mala, 19 ans, et Nawal, 26 ans.
Mala a déclaré que lorsqu’elle vivait dans le sud du Liban, elle était constamment harcelée en raison de son apparence féminine, ce qui a fini par aboutir à un viol collectif. Les agresseurs ayant filmé le viol et envoyé la vidéo à son oncle, elle a dû fuir à Beyrouth, a-t-elle raconté :
En août 2021, quatre hommes que j’avais vus à un poste de contrôle m’ont enlevée dans la rue, m’ont violée collectivement et ont filmé l’agression sur leurs téléphones. Ils ont ensuite envoyé les vidéos à mon oncle, qui est toujours à ma recherche. Ils ont aussi menacé de publier la vidéo sur Facebook si je me plaignais. J’ai dû déménager à Beyrouth pour être en sécurité. Je m’enferme chez moi et ne sors que lorsque c’est nécessaire.[154]
Nawal a décrit une expérience similaire : elle a été violée, filmée et dénoncée.
J’ai rencontré un homme sur Facebook en août 2019, et nous avons chatté pendant un moment. Je me suis ensuite rendue à Halba [au nord du Liban] pour le voir. Il m’a dit qu’il conduisait un minivan et m’a demandé d’y monter. À l’intérieur, je n’ai pas vu le type rencontré sur Facebook, mais un étranger. Il m’a dit qu’il allait me conduire à l’homme avec qui j’avais discuté, mais je voulais partir. Il a alors sorti une arme et m’a menacée, puis il m’a emmenée dans un appartement et m’a violée en me filmant. Il a envoyé la vidéo à mon frère sur Facebook. Il a menacé de publier la vidéo en ligne [publiquement] si j’essayais de le dénoncer. J’ai réalisé que lui et l’autre homme travaillaient ensemble. Mon violeur m’envoie encore des messages à partir d’autres numéros de téléphone, mais je le bloque et ne réponds pas.[155]
Des victimes de discours haineux en ligne interrogées par les autorités
En Jordanie, Human Rights Watch a documenté cinq cas d’activistes LGBT confrontés à des discours de haine en ligne en raison de leur activisme, ce qui a incité les autorités à les convoquer pour un interrogatoire.
Sélection de cas
Ammar, un homosexuel de 31 ans originaire d’Amman, en Jordanie, a déclaré qu’en mai 2017, il avait participé à l’organisation d’un événement sur l’activisme LGBT à Amman, qui avait été partagé sur Facebook, de même qu’un article en arabe et le drapeau arc-en-ciel, ce qui a suscité une avalanche de discours haineux en ligne. Cela a débouché sur des appels téléphoniques anonymes. Ammar a fini par décrocher un appel d’un numéro privé, qui était en fait le numéro d’une administration publique. Il affirme que le fonctionnaire a demandé à le voir le lendemain matin, sans préciser le motif de cette convocation. Ammar a déclaré que lorsqu’il s’est rendu au lieu de rendez-vous, il a été accueilli par deux agents des services de renseignement qui l’ont emmené pour l’interroger. Chaker a raconté :
Ils [les agents de renseignement] ont pris mon téléphone, l’ont éteint et m’ont montré des copies imprimées de tous les articles et de toutes les données [accessibles au public] qu’ils avaient recueillis à mon sujet.
L’interrogatoire a commencé vers 20 heures et s’est terminé vers 4 heures du matin. Ils m’ont demandé : « Est-ce que tu te fais baiser ? Tu la prends dans le cul ? Qui te baise ? » J’avais peur parce que j’avais beaucoup de photos non conformes au genre sur mon téléphone. Ils m’ont interrogé sur le financement de notre événement. J’ai nié la plupart du contenu de l’article, affirmant qu’il avait été fabriqué. Ils ont découvert que j’avais un oncle puissant et religieux, que j’essaie d’éviter autant que possible parce qu’il rejette mon existence et est violent à mon égard. Ils m’ont dit qu’ils lui avaient parlé et lui avaient dit que j’étais un homme gay qui parle publiquement des questions et des droits des personnes homosexuelles. Ils m’ont libéré et m’ont dit de revenir à 7 heures du matin [le lendemain].[156]
Ammar a déclaré qu’il était retourné sur le lieu de l’interrogatoire le lendemain, en emportant un autre téléphone que son téléphone habituel. Chaker a raconté :
Pendant plusieurs heures, j’ai dû m’asseoir sur une chaise face à un mur, après avoir remis toutes mes affaires au contrôle de sécurité. Je n’étais même pas autorisé à bouger la tête. Un agent m’a averti : « Si tu bouges, on te gifle ». Ils n’arrêtaient pas de me crier dessus en me menaçant de violence si je regardais ailleurs que sur le mur. Je ne pouvais même pas aller aux toilettes. C’était comme une torture.[157]
L’après-midi, Ammar a été emmené dans le bureau d’un agent du renseignement de haut rang :
« Tu es gay ! » a-t-il crié de colère en tapant sur la table. C’était très intimidant. Il a demandé mon téléphone, et quand [les agents] le lui ont donné, il m’a demandé où était mon vrai téléphone. Ils m’ont ramené de force chez mes parents pour le récupérer.[158]
Ammar a déclaré que les agents l’ont forcé à déverrouiller son téléphone en le menaçant de violence. Il s’est ensuite assis face au même mur pendant cinq autres heures, sans pouvoir bouger, pendant que les agents fouillaient son téléphone et répondaient à ses appels, a-t-il précisé. Les agents lui ont ensuite rendu son téléphone et l’ont relâché. Deux semaines plus tard, Ammar a été contacté par le gouverneur d’Amman, qui a demandé à le rencontrer. Chaker a raconté :
Il [le gouverneur] était gentil et m’a demandé si je voulais boire quelque chose, puis il m’a demandé de lui raconter l’histoire. J’ai tout nié. Ma famille attendait dehors parce qu’ils savaient que je pouvais être emmené en prison. Nous avons discuté pendant 30 minutes puis il m’a remercié pour mon temps. Je n’ai pas demandé d’avocat tout au long de cette procédure parce que je n’en ai pas eu l’occasion et que je ne voulais pas que les choses s’enveniment.[159]
Khansa, un activiste des droits des personnes LGBT et homosexuel jordanien de 30 ans, a déclaré qu’il était fréquemment la cible de discours haineux en ligne et d’incitations à la violence en raison de son activisme en ligne. Il a également déclaré qu’il était contacté par l’agence de renseignement chaque fois qu’un contenu relatif aux droits des LGBT était partagé sur les réseaux sociaux en Jordanie. Il a décrit sa situation difficile :
Un jour, mon téléphone n’arrêtait pas de sonner et j’ai fini par décrocher. L’agent au téléphone a prononcé mon nom complet et le nom de mon père, et a évoqué mon lieu de travail. Il a dit que j’étais convoqué à un interrogatoire.
Je les ai rencontrés [les agents du renseignement] à 9 heures le lendemain, et ils m’ont conduit dans un minibus au département, sans [m’informer] de l’endroit où ils m’emmenaient. J’ai nié être gay, et ils m’ont demandé pourquoi je créais du contenu sur [les gays] et les défendais [sur Facebook], et j’ai répondu que je défendais tous les droits. Ils m’ont aussi posé des questions indécentes comme : « Tu as déjà baisé une femme enceinte ? » « Tu as déjà baisé une fille dans ta vie ? » Je répondrais que j’attendais de me marier. Ils ont ri parce qu’ils savaient que je suis gay. J’ai été interrogé pendant trois jours sur mon activisme [pour les droits des LGBT], j’ai donc dû partir et revenir trois jours de suite.[160]
Menaces de mort en ligne : le cas de l’Irak
Bien que les personnes LGBT des cinq pays étudiés dans le cadre de ce rapport aient reçu des menaces de mort en ligne, en Irak, ces menaces étaient particulièrement courantes et lourdes de conséquences.[161] En mars 2022, Human Rights Watch a publié un rapport documentant les meurtres, les enlèvements, les violences sexuelles et autres tortures dont sont victimes les personnes LGBT de la part de groupes armés en Irak.[162] Les conclusions ont montré que dans de nombreux cas, les abus hors ligne ont été précédés de menaces en ligne.[163]
Human Rights Watch a documenté 32 cas de menaces de mort en ligne en Irak et, dans chaque cas, les victimes sont devenues profondément craintives, parfois suicidaires, disant qu’elles avaient dû déménager, supprimer tous leurs comptes sur les réseaux sociaux, changer de numéro de téléphone et, dans certains cas, fuir le pays par crainte d’être surveillées, de faire l’objet de chantage et d’être piégées par des groupes armés, dont beaucoup sont affiliés aux Forces de mobilisation populaire (FMP) soutenues par l’État.
Sélection de cas
En février 2020, Laith, un homosexuel irakien de 27 ans, et son petit ami ont reçu sept menaces de mort consécutives sur Grindr, provenant de deux comptes différents. Selon Laith, l’un des messages disait : « Salut pédé. Nous savons où tu travailles et où tu vis. On va te baiser et te tuer ».[164] Laith a ajouté :
Ils m’ont envoyé une photo de Moqtada al-Sadr [un religieux chiite influent qui a fait des déclarations anti-LGBT] et m’ont dit : « Nous nettoyons la ville des gens comme toi depuis des années ». Je ne pensais pas qu’il se passerait quelque chose, car tout le monde reçoit des menaces en ligne et la plupart du temps, c’est sans conséquence. Après avoir reçu ces menaces, mon petit ami a dit qu’il avait l’impression d’être suivi. Quelques mois plus tard [en mai 2020], il a été assassiné.[165]
Après le meurtre de son petit ami, Laith a déménagé dans une autre ville, changé de numéro de téléphone et supprimé tous ses comptes sur les réseaux sociaux. Il a déclaré à Human Rights Watch qu’il avait peur d’être la prochaine cible, car en 2020, il avait entendu de nombreuses histoires de personnes menacées en ligne puis tuées.[166]
Laith a décrit le chagrin qu’il a ressenti après la mort de son petit ami : « Ma vie est finie. Je suis mort à l’intérieur. Seul mon corps est encore là, mais je suis parti. La douleur et la terreur que je porte ne disparaîtront jamais. J’espère simplement que la génération future n’aura pas à souffrir comme nous ».[167]
Yasser, 21 ans, a reçu une menace de mort le 15 septembre 2021, sur Facebook, de la part d’individus qui se sont présentés comme appartenant à Asa'ib Ahl al-Haqq, un groupe armé relevant des FMP. Le message, que Human Rights Watch a consulté, disait :
Préserve l’honneur de ta famille et de ta tribu, et celui de ton père, [nom supprimé]. Repens-toi devant Allah [, Yasser,] de pratiquer la sodomie et la pédérastie. Nous savons tout sur toi et ton gang. Ceci est le dernier avertissement qui t’est adressé, ou nous te tuerons comme nous avons tué ton ami [nom de la victime caché]. Nous te tuerons chez toi pour que tu deviennes un exemple pour toutes les âmes faibles comme toi. Ceci est un dernier avertissement, considère que c’est notre dernier mot, nous ne t’épargnerons pas et n’aurons pas de pitié, et qu’Allah soit notre témoin.[168]
Le 20 octobre 2021, Yasser a déclaré avoir tenté de se suicider en avalant des pilules non prescrites, mais il a été emmené à l’hôpital et a survécu. « Je ne veux plus vivre. Pour quoi faire ? Tout le monde veut ma mort », a confié Yasser à Human Rights Watch.[169]
Fares, un homosexuel de 23 ans originaire de Bassora, a décrit les menaces en ligne qu’il a reçues en mai 2020 sur Instagram :
Sur Grindr, j’ai rencontré quelqu’un qui s’est présenté comme un homme de mon âge et disait qu’il vivait dans la même province que moi. Il a voulu que je lui donne mes identifiants sur les réseaux sociaux et mon adresse, puis m’a envoyé des photos de moi et de ma mère qu’il a trouvées sur Instagram, ainsi que des messages et des versets du Coran. Puis il m’a menacé de mort. Un autre profil avec une photo différente m’a menacé en disant : « Nous te tenons à l’œil, nous savons qui tu es, qui sont tes parents et où tu vis — nous attendons ta punition ».[170]
Human Rights Watch a examiné les messages publiés sur Instagram, qui accompagnaient des photos de Fares et de sa mère, marquées d’un « X » rouge sur leur visage, ainsi que des photos d’hommes abattus dans la rue. L’un des messages disait :
Au nom de Dieu. Ceci est un avertissement. Nous sommes le Comité pour la promotion de la vertu et la prévention du vice. Nous mettons en garde toute personne qui propage l’homosexualité, que Dieu dans sa gloire a mentionnée en ces termes : « Au nom de Dieu le miséricordieux, le compatissant, “les hommes dont le désir n’est pas pour les femmes subiront une torture douloureuse”, Dieu tout puissant dit la vérité ». Nous savons que tu aimes les hommes et que tu as du désir pour eux. Nous te traînerons vers eux et nous serons obligés de vous tuer l’un après l’autre.[171]
À cause de ces menaces, Fares ne se sentait pas en sécurité : « J’ai dû quitter mon domicile pendant environ cinq mois, jusqu’à ce que je sente que je pouvais y retourner en toute sécurité », a-t-il déclaré. Après être rentré chez lui, il a arrêté d’utiliser Grindr.
Mariam, une lesbienne de 21 ans originaire de Bagdad, a reçu des menaces récurrentes sur Instagram en raison de son orientation sexuelle, de la part d’individus qui s’identifiaient comme appartenant à des groupes armés. Elle a décrit l’anxiété et la peur qu’elle a ressenties en conséquence :
L’une des menaces les plus graves que j’ai reçues m’a angoissée pendant une semaine. Ça a commencé par un message sur Instagram, puis il y a eu des appels téléphoniques continus sur mon numéro, provenant de plusieurs numéros non enregistrés. Lors des appels, ils récitaient toutes les informations me concernant, sur ma famille, chez moi, mon âge, ma région. Après cela, ils m’ont menacée de mort pour obtenir plus d’informations. Mais dès qu’ils prononçaient ces menaces, je bloquais le numéro, car si je m’entamais la discussion, cela m’incriminerait. Ils disaient : « Méfie-toi des endroits où tu vas, de la façon dont tu t’habilles et de ce que tu publies sur les réseaux sociaux ». Ils décrivaient également en détail ce que je portais et mon entourage. C’était terrifiant.[172]
Masa, une femme transgenre de 19 ans originaire de Nadjaf, a déclaré avoir été menacée sur son compte Instagram par des agents de sécurité et des membres de groupes armés, la plupart ayant affirmé leur appartenance à Saraya al-Salam, un groupe armé sous les ordres des FMP. Elle a raconté :
J’ai utilisé mes vraies photos et mon vrai nom en ligne, car j’utilise mon profil comme un journal personnel. J’ai reçu des menaces sur diverses plateformes de réseaux sociaux de la part de groupes armés et d’officiers de haut rang de l’armée. Ils ciblent spécifiquement les gens comme nous, pour nous traquer et nous tuer. Lorsque je refuse de dialoguer avec eux, ils me disent qu’ils ont des armes qu’ils utiliseront contre moi […] C’est à cause de cela que j’ai supprimé tous mes comptes. Je vis maintenant dans un isolement complet. Les menaces que j’ai reçues proviennent de personnes affiliées à Saraya al-Salam. J’avais entendu parler de personnes [LGBT] assassinées par eux, et j’en connaissais beaucoup d’entre elles.[173]
VI. « J’avais Grindr sur mon téléphone » : l’utilisation de « preuves » numériques dans le cadre d’arrestations et de poursuites judiciaires
Au commissariat de Metn, ils ont fouillé nos téléphones [en nous forçant physiquement à les déverrouiller], y compris nos chats et notre galerie de photos. Ils [les policiers] m’ont obligée à répondre à toutes les personnes qui m’envoyaient des SMS et à leur demander de l’argent en échange de relations sexuelles. Je n’ai jamais pratiqué le commerce du sexe, mais ils ont utilisé ces chats comme preuves contre moi. [Mon amie et moi] avons été détenues pendant 2 mois et 20 jours dans une cellule pour hommes […].
– Amar, femme transgenre libanaise de 30 ans, le 10 janvier 2022
Human Rights Watch a documenté 45 cas d’arrestations arbitraires de 40 personnes LGBT (certaines ont été arrêtées plusieurs fois) en Égypte, en Jordanie, au Liban et en Tunisie. Durant l’instruction, les autorités ont placé des personnes LGBT en détention provisoire pendant des périodes allant de 45 jours à cinq mois.
Dans les 45 cas, nous avons parlé avec les victimes et toutes ont déclaré que les policiers avaient fouillé leurs téléphones, le plus souvent en usant de force ou sous la menace de la violence. Dans tous les cas, pour justifier leur détention, les forces de sécurité et parfois les procureurs se sont uniquement fondés sur les selfies, d’autres photos et les chats trouvés dans ces téléphones, ainsi que sur la simple présence d’applications de rencontres entre personnes de même sexe, telles que Grindr. Les forces de sécurité ont également utilisé ces informations pour justifier les violences commises à leur encontre en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, présumées ou réelles.
Human Rights Watch a examiné les dossiers judiciaires de 23 cas de personnes LGBT poursuivies sur la base de preuves numériques en vertu de lois criminalisant les rapports entre personnes de même sexe, la « débauche », l’« incitation à la débauche », la « prostitution », en Égypte, en Jordanie, au Liban et en Tunisie. La plupart des personnes poursuivies ont été acquittées en appel. Dans cinq cas, des personnes ont été condamnées à des peines allant d’un à trois ans d’emprisonnement. Les 22 autres personnes LGBT arrêtées ont été détenues sans inculpation, dans un cas pendant 52 jours dans un commissariat de police.
Des femmes transgenres ont rapporté avoir été détenues dans des cellules d’hommes. L’une d’elles a été détenue dans un poste de police pendant 13 mois en raison du malaise que suscitaient son identité et son expression de genre auprès des forces de sécurité.
Les poursuites fondées sur des « preuves » numériques
Sélection de cas
Le 15 janvier 2020, Tina, une travailleuse du sexe transgenre de 34 ans originaire de Chypre, se trouvait en Égypte pour son travail lorsqu’elle a été arrêtée après que son client a dit à la police qu’il l’avait trouvée sur Internet. Elle a été détenue pendant 13 mois au poste de police de Nasr City et condamnée pour « incitation à la débauche » sur la base de photos et de chats que la police a trouvés en fouillant son téléphone.[174] L’examen par Human Rights Watch du rapport de police et du dossier judiciaire de Tina a confirmé que ces informations privées étaient les seules preuves présentées dans son cas. Tina a raconté :
À 22 h 30, le dernier soir avant mon vol de retour à Chypre, j’avais rendez-vous avec un diplomate qui était mon client. Il est arrivé avec son chauffeur à l’hôtel. La police postée à l’extérieur de l’hôtel nous a arrêtés à cause des vitres teintées de la voiture. Ils ont demandé nos passeports et le diplomate a refusé. J’ai dû leur donner le mien, un passeport que je n’utilise pas actuellement, car il indique que je suis un homme. La police a demandé au diplomate si j’étais sa petite amie ou sa femme. Il a dit qu’il m’avait trouvé sur Internet. Alors, ils nous ont mis tous les deux dans un minibus et nous ont emmenés au poste de police de Gizeh.[175]
Tina a décrit le traitement qui lui a été réservé au poste de police :
[Les policiers] ne m’ont pas donné les motifs de ma détention. Ils ont pris mes empreintes digitales, fouillé mon téléphone et fait des captures d’écran de mes messages avec les clients ainsi que des photos de moi qu’ils ont trouvées dans mon téléphone. Ils ne m’ont pas non plus permis d’appeler un avocat, mon ambassade, ni même ma mère.[176]
La détention provisoire de Tina a été prolongée trois fois, de 15 jours à chaque fois, soit un total de 45 jours. Elle a déclaré : « Durant cette période, ils m’ont donné de la nourriture et de l’eau en échange de sexe », sinon elle ne recevait ni nourriture ni eau. Comme son identité sexuelle semait la confusion chez les agents, qui ne savaient pas s’il fallait la placer dans une prison pour hommes ou pour femmes, elle n’a jamais été transférée dans une prison. Lorsqu’elle a enfin eu son audience au tribunal, celle-ci « a duré huit secondes. Le juge ne m’a même pas regardée ». Le juge a abandonné une des accusations, celle de « prostitution », mais l’a condamnée à trois ans de prison pour « incitation à la débauche » sur la base de ses photos dénudées. Elle a été détenue pendant 13 mois supplémentaires.[177]
Tina a déclaré que vers la fin du mois de septembre 2020, elle a reçu la notification de son transfert à Chypre, dont les formalités administratives ont duré plus de quatre mois. Elle est arrivée le 19 janvier 2021 à Nicosie, à Chypre, où elle a été détenue à la prison centrale de Nicosie jusqu’au 21 mai 2021, date à laquelle elle a été libérée en étant assignée à résidence. Son assignation à résidence a été levée en mai 2022.
Martin, un homosexuel chilien de 39 ans, travaillait en Égypte comme professeur d’espagnol lorsqu’il a été arrêté en février 2020.
Mon seul problème est que j’avais Grindr sur mon téléphone. C’était un dimanche, et j’étais au supermarché de Dokki, où je vivais. Soudain, un homme que je ne connaissais pas s’est approché de moi, m’a appelé par mon nom et m’a dit : « Nous allons au poste de police ». Il a pris de force mon téléphone et a exigé que je le déverrouille. Il m’a demandé mon passeport, que je n’avais pas, alors ils m’ont menotté, m’ont mis dans un minibus et m’ont conduit à mon appartement. Je suis allé chercher mon passeport, et [en revenant,] j’ai été surpris de voir que les policiers avaient pris tout ce qui avait de la valeur dans mon appartement : iPad, télévision et ordinateur portable. Ils ne m’ont jamais rendu mon téléphone.[178]
Au poste de police de Dokki, Martin a déclaré que personne ne parlait anglais et qu’il ne connaissait pas le motif de son arrestation. Il y est resté toute la nuit, jusqu’à son audience au tribunal le lendemain matin, au cours de laquelle il a été reconnu coupable d’« incitation à la débauche » et condamné à une amende de 400 livres (25 dollars) et à l’expulsion vers le Chili.
Human Rights Watch a examiné le rapport de police et les dossiers judiciaires de Martin, qui indiquent que sa condamnation était fondée sur la présence de l’application Grindr dans son téléphone. Le rapport de police souligne également que l’agence de renseignement égyptienne avait reçu des informations selon lesquelles Martin rencontrait des hommes sur Grindr pour avoir des relations sexuelles avec eux, ce que l’intéressé a nié. Martin a déclaré à Human Rights Watch que selon lui, l’intervention de l’ambassade du Chili est la seule raison pour laquelle il a été libéré.[179]
En août 2020, l’Agence nationale de sécurité égyptienne a arrêté quatre témoins d’un viol collectif très médiatisé survenu en 2014 à l’hôtel Fairmont du Caire (l’« affaire Fairmont »), ainsi que deux de leurs connaissances, quelques semaines après que des activistes des droits des femmes ont parlé de l’affaire en ligne. Deux des témoins, Seif Bedour et Ahmed Ganzoury, ont été accusés de relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe et d’« incitation à la débauche », uniquement sur la base de photos privées qui se trouvaient dans leurs téléphones.[180]
Les autorités ont soumis ces deux témoins à des tests de dépistage de drogue et à des examens anaux forcés.[181] La police a fouillé illégalement leurs téléphones après les avoir forcés à les déverrouiller et, s’appuyant sur des photos privées qui s’y trouvaient, elle les a placés en détention au motif de leurs relations homosexuelles supposées.[182] Les médias pro-gouvernementaux les ont pris pour cible dans le cadre d’une campagne de diffamation coordonnée en ligne, publiant leurs noms, des photos et des informations privées, et ce, en raison de leur perception de l’orientation sexuelle de ces hommes.[183] Les deux hommes ont été placés en détention provisoire pendant cinq mois, puis libérés dans l’attente d’une enquête en janvier 2021.[184]
Maria, une réfugiée syrienne transgenre de 30 ans résidant au Liban, a été arrêtée à son domicile par des membres de la police libanaise le 6 juillet 2020 et emmenée dans un poste de police du district de Metn, dans le gouvernorat du Mont-Liban. Elle a raconté à Human Rights Watch son arrestation et a déclaré que la police avait usé de violence physique pour la forcer à déverrouiller son téléphone :
La police a fait une descente chez nous et m’a arrêtée, ainsi que mon petit ami et mon amie, une femme transgenre, comme moi, qui se trouvait là par hasard. Ils ont arrêté mon petit ami pour des motifs liés à la drogue et mon amie et moi pour « prostitution », simplement parce que nous sommes trans. Au poste de police de Metn, ils ont fouillé [de force] nos téléphones, y compris nos chats et notre galerie de photos. Ils [les policiers] m’ont obligée à répondre à toutes les personnes qui m’envoyaient des SMS et à leur demander de l’argent en échange de relations sexuelles. Je n’ai jamais pratiqué le commerce du sexe, mais ils ont utilisé ces chats comme preuves contre moi. [Mon amie et moi] avons été détenues pendant 2 mois et 20 jours dans une cellule pour hommes […] Au moment où nous devions être libérées, nous avons passé 20 jours supplémentaires au Bureau de la sécurité générale parce qu’ils voulaient nous expulser. Je suis toujours [au moment de la rédaction du rapport] en train d’assister aux audiences du tribunal de Jounieh [ville au nord de Beyrouth].[185]
Maria a déclaré qu’elle n’a appris les charges retenues contre elle qu’un mois et demi après sa détention. Alors qu’elle et son amie ont été libérées le 23 septembre 2020, au moment de la rédaction de ce rapport, elle déclarait être toujours poursuivie pour « prostitution » sur la seule base de ses photos et de ses chats.[186]
En août 2018, Adham, un homosexuel égyptien de 24 ans, rencontrait son ami au Caire lorsqu’il a été acculé par deux hommes en civil :
Ils ont dit qu’ils étaient de la police d’investigation, m’ont attrapé les bras, ont pris ma carte d’identité et ont fouillé mon téléphone à la recherche d’applications de rencontres entre personnes de même sexe. Ils m’ont battu et maudit, puis ils ont voulu me forcer à montrer mes photos personnelles.[187]
Les policiers ont trouvé une capture d’écran d’une conversation entre Adham et un ami et l’ont enregistrée dans leur carnet de notes en tant que « conversation sexuelle inappropriée ». Lorsqu’il a tenté de s’expliquer, un policier l’a saisi et l’a étranglé, tandis que l’autre agent le battait brutalement et lui adressait les « blasphèmes les plus horribles », a-t-il rapporté. Ils l’ont ensuite traîné et jeté dans un bus et l’ont emmené au poste de police d’Abdeen. Il a raconté à Human Rights Watch :
Ils [les policiers] ont dit qu’ils me laisseraient partir après avoir vérifié ma carte d’identité, mais ils m’ont ensuite gardé pendant deux heures dans une pièce horrible. Ils m’ont battu si violemment que je suis tombé à terre, et [ils] m’ont humilié. Un officier de police a vu que je portais une croix, m’a ordonné de l’enlever et a pris une photo de moi portant une feuille [de papier] avec mon nom complet et, en dessous, le mot « débauche ».[188]
Adham a déclaré que les policiers avaient essayé de lui faire signer de force une déclaration qu’il n’avait pas écrite et qui comprenait des aveux d’« immoralité et d’incitation à la débauche », de « commerce sexuel » et de « tentative de satisfaire des désirs sexuels interdits avec des hommes en échange d’argent ». Comme il refusait, plusieurs policiers l’ont attaqué par-derrière et ont commencé à lui donner des coups de poing, des gifles et à lui piétiner le corps avec leurs bottes, a-t-il déclaré. Il a expliqué :
Ils m’ont traîné par mes vêtements dans une cellule avec d’autres détenus, et m’ont dit : « Je vais les obliger à te baiser, espèce d’ordure de pédé ». Les autres détenus m’ont agressé verbalement et sexuellement.[189]
Le lendemain, des policiers ont emmené Adham au bureau du procureur à Qasr El-Nil, au Caire, et sa libération a été ordonnée. Cependant, la police n’a pas respecté le verdict et l’a ramené au poste de police d’Abdeen. « Quand je suis retourné dans la cellule, un policier m’a agressé sexuellement et comme je le repoussais, il a menacé de télécharger de fausses photos dans mon téléphone pour m’inculper ».[190]
Human Rights Watch a examiné le rapport de police et les dossiers judiciaires liés à l’arrestation d’Adham. Le 23 septembre 2018, un tribunal du Caire a condamné Adham à six mois de prison et six mois de probation pour « débauche », sur la base de discussions privées et d’autres informations que la police a trouvées sur son téléphone. Une cour d’appel a rejeté les accusations portées contre lui, mais elles sont restées inscrites sur son casier judiciaire jusqu’en avril 2019, ce qui l’a empêché de voyager ou de trouver un emploi.
En 2017, alors que Murad, un homosexuel égyptien de 30 ans, se rendait à pied à son université à Alexandrie à 10 heures du matin, un policier, scrutant son apparence, lui a dit : « Tu veux me donner ton téléphone ou venir avec moi au poste ? ». L’officier a alors fouillé son téléphone et a trouvé des photos privées de lui habillé en femme. Murad se souvient que l’officier lui a dit : « Tu es un pédé. Tes parents n’ont pas su t’inculquer la discipline, mais moi je vais te montrer à quoi ça ressemble ».[191]
Au poste de police, les policiers l’ont battu, agressé verbalement et contraint à avouer qu’il avait eu des relations sexuelles avec un homme. Ils l’ont accusé d’« imiter les femmes » et se sont adressés à lui en utilisant des pronoms féminins.
Par la suite, Murad a été détenu à la prison de Burj al-Arab, près d’Alexandrie, dans une cellule surpeuplée et insalubre, a-t-il déclaré. Les gardiens de prison l’ont battu et menacé de le tuer, et des détenus l’ont violé collectivement, et les agents de sécurité n’ont rien fait pour le protéger, a-t-il ajouté.
Human Rights Watch a examiné le rapport de police et les dossiers judiciaires liés à l’arrestation de Murad, condamné à un an de prison pour « incitation à la débauche » sur la seule base de ses photos privées. Ce casier judiciaire l’a empêché de trouver un emploi ou de voyager.[192]
Chaker, un homosexuel de 31 ans, réfugié syrien au Liban, a déclaré avoir été arrêté par des membres de la Sûreté générale, l’organe chargé de l’entrée et de la sortie des étrangers, en avril 2017 alors qu’il tentait de renouveler son titre de séjour. Les policiers ont dit qu’ils soupçonnaient que sa carte d’identité était fausse, ont fouillé son téléphone et ont trouvé des photos de lui embrassant un homme. Ils ont utilisé les contacts de Chaker pour identifier et localiser l’homme sur la photo, qu’ils ont également arrêté. Ils les ont ensuite transférés tous les deux de la Sécurité générale vers un poste de police. Chaker a raconté :
Nous avons passé une semaine au poste de police de Hobeish. Ils nous ont mis chacun dans une cellule et ont fait des commentaires humiliants sur la façon dont nous la « prenons dans le cul ». Les policiers qui m’obligeaient à faire le ménage de temps en temps m’appelaient souvent « le pédé ».[193]
Au bout d’une semaine, Chaker a été transféré à la prison de Roumieh où il est resté quatre mois, sous l’inculpation d’homosexualité en vertu de l’article 534 du code pénal libanais, qui criminalise les rapports sexuels « contraires à l’ordre de la nature » et est utilisé pour criminaliser les relations homosexuelles consenties, malgré plusieurs décisions de justice réfutant le caractère « contre nature » de l’homosexualité.[194] Chaker a raconté :
À mon arrivée, on m’a demandé quelles charges pesaient sur moi et j’ai bêtement mentionné qu’elles concernaient l’homosexualité, ce qui m’a valu des ennuis. On m’a mis dans une cellule avec un détenu condamné à perpétuité qui m’a agressé sexuellement pendant la nuit. Le premier juge que nous avons vu avant que le verdict ne soit rendu n’arrêtait pas de nous dire qu’il n’était pas d’accord avec ma sexualité. Après le procès, j’ai été obligé de payer une amende de 500 000 livres [329 dollars].[195]
Arrestations arbitraires sans chef d’inculpation, fondées sur des « preuves » numériques
Sélection de cas
Joanna, une femme transgenre libanaise de 27 ans, a déclaré avoir été arrêtée deux fois par des policiers à Beyrouth en raison de son expression de genre. Le 31 décembre 2021, alors qu’elle se rendait à une fête du Nouvel An, trois agents en uniforme des Forces de sécurité intérieure (FSI) de la police libanaise l’ont agressée dans la rue Bourj Hammoud, à Beyrouth.
[Les policiers] m’ont donné des coups de pied dans les genoux et m’ont traînée dans leur voiture, puis ils m’ont giflée sans arrêt et m’ont craché dessus. Ils m’ont tous insultée, en disant des choses comme : « Tu t’es fait refaire les lèvres, espèce de pédé ? On va te montrer ce qu’on fait aux pédés comme toi dans ce pays ». Dès qu’ils m’ont fait monter dans la voiture, ils ont pris mon téléphone et m’ont forcé à le déverrouiller. Ils sont allés directement dans ma galerie de photos, ont fait des captures d’écran de mes photos habillée en femme puis se sont envoyé les captures d’écran à eux-mêmes. Ils m’ont emmenée au poste de police et ont pris des vidéos de moi menottée à la porte, tout en faisant des bruits d’animaux pour m’humilier. Ils m’ont fait signer un rapport de police qui disait que « j’imitais » des femmes en se basant sur les photos trouvées dans mon téléphone. Ils m’ont libérée le lendemain matin sans inculpation.[196]
Cet épisode était la deuxième rencontre de Joanna avec la police, qui s’est déroulée de la même façon que la première. Selon ses déclarations, en août 2021, quatre policiers l’avaient arrêtée dans la rue, dans le quartier de Raouche à Beyrouth, au motif de son expression de genre. Ils ont fouillé son téléphone, ont trouvé des photos d’elle maquillée, l’ont battue et l’ont emmenée au poste de police de Ramlet al-Baida. Au poste de police, les policiers ont menacé de la violer, l’ont agressée verbalement, l’ont giflée et lui ont donné des coups de pied, et l’ont détenue toute la nuit. Joanna a dû signer un rapport de police, que Human Rights Watch a examiné, indiquant qu’elle « imitait les femmes », cette accusation se fondant sur les contenus numériques que la police a trouvés dans son téléphone.[197]
Shirine, une femme transgenre libanaise de 35 ans, a été arrêtée par des membres de la police libanaise le 15 novembre 2021, après avoir été harcelée en ligne par un Jordanien rencontré sur TikTok. Shirine a déclaré qu’au moment de son arrestation, un officier de police lui avait dit que le Jordanien l’avait accusée d’extorsion et l’avait dénoncée à la police.
[Nous] avons discuté en ligne pendant huit mois, puis il a dit qu’il voulait que je lui rende visite [en Jordanie] et m’a envoyé 150 dollars. Je lui ai donné mes profils Snapchat et Facebook parce qu’il me les avait demandés. Il m’a dit qu’il avait encore de l’argent et que je devais lui envoyer un message vocal sur WhatsApp pour l’insulter. J’ai suivi ses instructions et trois semaines plus tard, huit policiers ont fait irruption dans mon appartement, m’ont menottée et m’ont traînée dehors à moitié nue, comme un chien. J’avais un ami, un homme gay, qui me rendait visite. Mon ami m’a dit qu’après m’avoir emmenée, ils ont déchiré tous mes vêtements, y compris mes soutiens-gorge et mes sous-vêtements, juste pour montrer qu’ils n’approuvaient pas ma transsexualité. Ils ont également détruit ma télévision et mes produits de beauté.[198]
Shirine a raconté à Human Rights Watch que les policiers l’avaient emmenée au poste de police de Joseph Daher, également connu sous le nom de Bureau des cybercrimes, où elle a été détenue pendant 52 jours. À son arrivée, les policiers l’ont menacée de la frapper pour l’obliger à déverrouiller son téléphone et à passer un appel WhatsApp vidéo avec le Jordanien, au cours duquel ils lui ont montré qu’elle était menottée et en garde à vue :
Ils ont fouillé mon téléphone et ont trouvé une vidéo de moi en train de faire l’amour avec mon petit ami. Ils qualifiaient mon cas de « prostitution » alors qu’il s’agissait simplement d’une vidéo privée de moi et de mon partenaire. Ils ont également vu des vidéos que je possède de mes amis, et ont supprimé certains contacts de ma liste de contacts au hasard. Ils partageaient même ces vidéos entre eux à la caserne de police, et on se moquait constamment de moi […] J’ai souhaité mourir.[199]
Shirine, qui a déclaré n’avoir jamais été renvoyée devant le parquet, a dû signer un rapport de police, que Human Rights Watch a examiné, indiquant qu’elle « pratiquait la prostitution », accusation fondée sur la vidéo et d’autres informations que la police a trouvées dans son téléphone.
Nour, la personne non binaire de 31 ans de Zagazig, en Égypte, mentionnée ci-dessus, qui souhaite être désignée en anglais par les pronoms « they/them », ou « iel » en français, a été arrêtée par la police dans la rue en raison de son expression de genre, le 18 septembre 2021. Au poste de police d’Abdeen, les agents ont fouillé son téléphone, ont trouvé une photo d’iel portant des vêtements féminins et du maquillage, et l’ont placé·e en détention pendant 10 jours à cause de cette photo. « Toute cette terreur à cause d’une photo qu’ils ont trouvée dans mon téléphone », a-t-iel déploré.[200]
Abbas, un homme gay tunisien de 25 ans et activiste LGBT, a raconté à Human Rights Watch les conditions dans lesquelles lui et son petit ami ont été convoqués par la police le 14 juin 2020 pour un interrogatoire :
Je vivais avec mon petit ami libyen. Nous accueillions deux activistes libyennes qui avaient fui leur pays pour être ensemble et n’avaient nulle part où rester. [Les femmes] se connectaient à leurs comptes sur les réseaux sociaux en utilisant mon adresse IP [Internet Protocol]. Elles ont été localisées par la police qui les recherchait, leurs parents en Libye ayant découvert leur fuite en Tunisie. Ils nous ont interrogés, mon petit ami et moi, sur ces deux femmes et nous ont demandé d’ouvrir nos comptes Facebook et nos téléphones, mais nous avons refusé.[201]
Cependant, à la surprise d’Abbas, les policiers ont déclaré qu’ils avaient déjà accédé à son compte Facebook personnel et ont commencé à l’interroger sur son activisme LGBT en ligne :
[Les policiers] ont orienté l’interrogatoire dans une autre direction — ils ont commencé à me poser des questions sur l’organisation [LGBT] avec laquelle je travaille, ses activités, ses employés, ses financements, ses opérations et ses bénéficiaires. Ils ont dit qu’ils avaient accédé à ma page Facebook personnelle et qu’ils y avaient vu un plaidoyer en faveur des personnes LGBT. J’ai été choqué parce que mon compte est privé et que mes messages le sont aussi. J’ai découvert plus tard que mon propriétaire, qui possède le WiFi de notre appartement, avait autorisé les policiers à accéder à mon compte Internet. Ils ont piraté mon compte, mon téléphone, le téléphone de mon petit ami et deux ordinateurs portables qui se trouvaient chez moi, et c’est à partir de là qu’ils ont pu obtenir toutes ces informations nous concernant. Ils nous ont montré des publications de l’une des femmes que nous avions accueillies sur les réseaux sociaux et nous ont dit qu’elles avaient été mises en ligne depuis notre secteur.[202]
Avec l’aide d’un ami travaillant dans le secteur des télécommunications, Abbas a déclaré avoir découvert par la suite que les autorités avaient mis son téléphone et celui de son petit ami sur écoute. « J’ai dû acheter différentes cartes SIM afin de pouvoir discuter en toute sécurité », a-t-il déclaré. « J’étais traqué dans les rues et harcelé partout où j’allais. J’ai été obligé de déménager ».[203]
Le 4 février 2021, des policiers ont fait une descente sans mandat au domicile d’Abbas et l’ont arrêté, ainsi que son petit ami et son colocataire, lui aussi homosexuel. Human Rights Watch a interrogé séparément les trois hommes, qui ont décrit leur arrestation de la même façon. Abbas a dit :
L’une des femmes [libyennes] est partie, et l’autre est restée vivre avec nous [elle était absente au moment de l’arrestation]. [La police] a trouvé la femme qui était partie et l’a arrêtée. Elle leur a dit [sous la contrainte] que nous l’avions kidnappée. Des policiers ont alors fait une descente dans notre domicile sans mandat. Ils ont tout fouillé et ont pris des objets qui n’avaient rien à voir avec l’affaire, comme des sous-vêtements, des préservatifs, un tube de lubrifiant, des vêtements féminins et des perruques. Ils ont également pris certains de mes documents personnels comme des factures, des documents de travail et des documents bancaires. Ils ont pris nos téléphones et nous ont forcés [sous la menace de la violence] à les déverrouiller.[204]
Lorsque les trois hommes ont été emmenés au poste de police, ils ont rencontré les mêmes policiers que ceux qu’ils avaient rencontrés en juin. Il a décrit la façon dont ils avaient été traités :
Un policier a dit : « Cette fois, nous allons utiliser la violence ». Ils nous ont attrapés par nos vêtements, nous ont secoués et nous ont poussés. Ils nous humiliaient constamment en disant : « Vous n’avez pas honte ? Regardez ces vêtements, vous dirigez un bordel ? » Chaque fois que quelqu’un arrivait, ils nous « outaient » et disaient que nous étions des « pédés » soupçonnés de pratiquer des actes homosexuels.[205]
Manquant de preuves, la police a abandonné les accusations d’enlèvement, mais elle a poursuivi les accusations d’homosexualité en utilisant des photos trouvées sur les téléphones et les comptes sur les réseaux sociaux des trois hommes comme preuves de relations homosexuelles.
Après avoir rencontré le procureur général, ils ont été libérés. À son retour chez lui, Abbas a appris par un voisin que deux policiers avaient volé ses pièces rares, ses montres, ses vêtements et ses lunettes de soleil. En outre, la police n’a jamais rendu les vêtements ou les téléphones des hommes, affirmant qu’elle le ferait lorsque l’affaire serait close.[206]
L’audience des trois hommes était prévue le 2 juin 2021, mais ils ont tous quitté la Tunisie en mai 2021 à cause de cette expérience, ont-ils déclaré.
VII. « Bienvenue en enfer » : mauvais traitements, violences sexuelles et conditions inhumaines en détention
Quand je suis arrivée au poste de police [de Nasr City], le policier [en Égypte] m’a dit : « Bienvenue en enfer ». […] La première nuit, cinq d’entre eux [policiers] m’ont violée alors que j’avais les yeux bandés. J’ai senti qu’ils étaient cinq et je les ai entendus rire derrière moi. Le lendemain, je suis retournée au tribunal (…). Un militaire est venu et m’a dit : « Fais vite pour que je puisse te violer dehors ». Ensuite, deux jeunes hommes sont arrivés et ils m’ont violée aussi. Je n’avais personne avec moi, même pas mon avocat.
– Tina, femme transgenre de 34 ans, le 15 septembre 2021
Le chapitre précédent documentait 45 cas d’arrestations arbitraires ayant touché 40 personnes LGBT. Une fois en détention, les personnes LGBT que nous avons interrogées ont déclaré avoir vécu une combinaison des expériences suivantes : placement à l’isolement, privation de nourriture et d’eau, de contact avec la famille et de services médicaux, agression sexuelle et autres violences physiques.
Violence sexuelle
Tina, une travailleuse du sexe transgenre chypriote de 34 ans, dont il a été question dans la section précédente, a déclaré avoir été violée plus de 100 fois au cours des 290 jours qu’elle a passés en détention, dont 22 fois au cours des 15 premiers jours, ce qu’elle a consigné dans son journal. Elle a raconté son calvaire à Human Rights Watch :
Le chef de la police, qui s’est présenté comme tel, m’a dit que si j’avais été plus jeune, il m’aurait épousée. Il m’a dit que c’était lui le patron et que si je voulais sortir de là, je devais avoir des relations sexuelles avec lui. J’ai évalué la situation et j’ai décidé d’accepter pour pouvoir rentrer chez moi. Pendant que nous le faisions, toutes les quelques minutes, quelqu’un frappait à la porte. Lorsqu’il a terminé, j’ai été obligée d’avoir des relations sexuelles avec deux autres policiers qui étaient également présents au tribunal. Je suis une travailleuse du sexe, et j’ai l’habitude du sexe pour le travail et pour le plaisir, mais là, c’était un viol.[207]
Tina a déclaré que les policiers l’ont ensuite emmenée au poste de police de Nasr City, où l’un d’entre eux lui a dit : « Bienvenue en enfer ». Elle pense que cinq hommes l’ont violée lors de la première nuit passée au poste, et elle a également été violée par deux hommes lorsqu’elle s’est rendue au tribunal. À son retour, elle était détenue près de l’entrée du poste de police.
Vers 5 heures du matin, huit hommes sont entrés dans ma chambre et m’ont obligée à me déshabiller pour pouvoir me fouiller. Une fois que j’ai été nue, ils ont sorti leurs téléphones et ont pris des vidéos de moi. C’était la pire nuit de ma vie, j’avais l’impression que mon âme avait été violée.[208]
Pendant les 15 jours où j’attendais mon audience au tribunal, j’ai été violée 22 fois ; je le sais parce que j’ai tout écrit dans mon journal. Je suis retournée au tribunal, et ma détention provisoire a été prolongée de 15 jours. Pendant cette période, j’ai signé un papier le premier jour de l’audience. C’était peut-être une confession, mais comme je n’avais pas d’avocat, je n’étais pas sûre, et ils ne m’ont pas permis d’appeler un avocat. Je savais que j’avais des droits, mais en Égypte il n’y avait rien à faire, surtout pour [une personne transgenre] comme moi.[209]
La torture et les abus sexuels ont continué pour elle :
En avril 2020, des policiers ont fait irruption avec une grosse corde qu’ils ont introduite de force dans mon anus. Mon anus était tellement endommagé que j’ai dû être opérée à mon arrivée à Chypre. La raison pour laquelle j’ai attendu d’arriver à Chypre pour me faire opérer est que je ne savais pas que cette zone était endommagée car je souffrais de malnutrition lorsque j’étais au poste de police. J’ai fini par constater les dégâts lorsque je suis arrivé à Chypre et que j’ai commencé à mieux manger — j’ai saigné de l’anus pendant neuf mois. [Neuf mois après le verdict,] je pesais 42 kilos.
[Pendant ma détention provisoire] je n’avais pas l’énergie de faire quoi que ce soit, je ne pouvais même pas me lever. Je n’avais pas de lit. J’utilisais une bouteille d’eau pour uriner, car je ne pouvais plus marcher jusqu’aux toilettes. Je n’avais pas d’eau, pas de nourriture. Une fois par mois, les policiers commandaient de la nourriture et me demandaient si je voulais quelque chose, mais je refusais parce que j’avais peur que cela ait des conséquences négatives. J’ai choisi la famine plutôt que d’être à nouveau violée. Un policier m’a dit que les femmes incarcérées étaient violées en guise de punition.[210]
La santé physique de Tina n’a cessé de se détériorer en détention en raison de la malnutrition et des abus sexuels.
Les seules fois où j’ai mangé, c’est quand d’autres détenus m’ont donné de la nourriture qu’ils avaient. J’ai essayé de me suicider plusieurs fois là-bas parce que j’étais épuisée par toute la douleur et l’état de saleté extrême de ma chambre. Le chef de service a alors appelé mon ambassade et leur a demandé d’envoyer un représentant pour me voir ou me transférer à l’hôpital, car j’étais dans un état critique. Le diplomate est arrivé 20 jours plus tard, il [était furieux et bouleversé] quand il m’a vue, et j’ai été immédiatement transférée à l’hôpital public d’Héliopolis le 27 septembre. Une femme est entrée pour m’examiner, mais comme je suis trans, un autre médecin est venu et m’a demandé d’enlever mes vêtements. Je lui ai demandé pourquoi et il a dit que c’était pour voir mes tatouages. J’ai rassemblé toute l’énergie qu’il me restait et je suis sortie en courant de la pièce. Je voulais retourner dans ma chambre au poste de police — je préférais être avec ces policiers plutôt que d’être violée par le personnel médical.[211]
Conditions inhumaines
Shirine, une femme transgenre libanaise de 35 ans, qui a été arrêtée et détenue par des membres des forces de police libanaises, a décrit les conditions dégradantes de sa détention :
J’ai été menottée pendant 38 jours au poste de police, et ils m’ont traité de façon abjecte (…). Ils n’arrêtaient pas de me traiter de « pédé » et de me dire des choses comme « espèce d’enculé ! » ou « Baise ta mère dans sa tombe, espèce de pédé ». Ils faisaient irruption pendant que j’étais dans la salle de bain pour me faire peur. J’ai passé tout ce temps dans une détresse, un inconfort et une douleur extrêmes à cause des menottes.
J’ai dormi sur le sol pendant tout ce temps, gelant à mort, me faisant insulter nuit et jour. Ils disaient aux visiteurs qui passait par hasard au poste de police : « Regardez ce pédé, il s’est donné des seins […], regardez comme il est moche. » Ils ont pris mon argent, mes données et ma carte mémoire, qui contenait des vidéos de ma mère avant sa mort, puis ont prétendu qu’elle avait été volée. J’ai même déféqué dans mon pantalon, pas par peur, mais à cause de tous ces abus psychologiques. Une fois, j’ai cassé un verre en faisant le ménage et j’ai essayé d’avaler les éclats, en espérant mourir.[212]
Nour, la personne non binaire de 31 ans de Zagazig, en Égypte, déjà mentionnée plus haut et pour laquelle nous utilisons le pronom « iel », a décrit les abus physiques et sexuels dont iel a été victime, ainsi que les mauvaises conditions dans lesquelles iel a été détenu·e.
[Le policier] m’a traité de khawal [terme égyptien pour « pédé »] et m’a dit qu’il ne me laisserait pas partir sans me donner ce que je méritais. Il m’a battu·e et frappé·e à la tête et aux oreilles. Je ne peux toujours pas entendre correctement à cause de cela. Un autre officier m’a harcelé·e sexuellement. C’était la nuit et tout le monde dormait. Il me touchait les parties intimes, puis il a frotté sa bite sur mon cul et a mis sa main sur ma bouche pour que je ne fasse pas de bruit. Sur les ordres des policiers, trois détenus m’ont également menacé·e avec une lame à mousse et m’ont amené·e dans les toilettes, m’ont déshabillé·e et m’ont fait un test anal. Ils m’ont ensuite frappé à l’entre-jambes, aux parties intimes, au crâne et aux fesses. Je dormais dans une pièce minuscule où se trouvaient une centaine de détenus et où il n’y avait pas de place pour s’allonger, et encore moins pour s’endormir. C’était également mal ventilé et infesté d’insectes. C’est là que j’ai attrapé une maladie de peau.[213]
Violations de la procédure régulière
Abbas, un homosexuel tunisien de 25 ans et activiste LGBT, qui a été arrêté avec son petit ami ainsi que son colocataire homosexuel, a déclaré à Human Rights Watch :
Nous avons été détenus et interrogés pendant quatre jours. Ils [les policiers] nous interrogeaient par intermittence pour pouvoir nous garder plus longtemps. Comme ils n’ont informé le représentant de l’État que le lendemain, nous avons été placés en détention pendant 48 heures à compter du moment auquel il a été informé. Ils nous ont donné des documents à signer sans la présence de l’avocat.
Le rapport de police indique qu’ils ont trouvé mon ami gay [le colocataire] en train de se livrer à une « activité homosexuelle criminelle ». Il a refusé de signer le rapport, et ils l’ont menacé d’un coup de poing dans la bouche, l’ont injurié et lui ont dit que la détention était une meilleure solution pour lui parce qu’il est trop gay et sale pour le monde extérieur. Ils lui ont également dit que cela n’avait aucune importance qu’il signe ou non le rapport, car ils avaient des preuves à charge contre lui. Ils ont menacé de fabriquer des preuves afin d’alourdir les charges contre nous.[214]
Par la suite, les policiers ont emmené les trois hommes au centre de détention d’Al Gorjani, où ils ont été détenus pendant deux jours avant d’être présentés au tribunal. Abbas a décrit les mauvais traitements qu’ils ont subis :
La première nuit en détention était terrifiante. Nous étions enfermés avec des personnes détenues pour viol, meurtre et terrorisme. Nous étions 45 dans une cellule censée accueillir 10 à 15 détenus pendant le Covid-19 et 20 à 25 en temps normal. On ne nous a jamais donné d’eau ou de nourriture. On nous a également menacés d’un examen anal. Comme nous refusions de nous soumettre à cet examen, les policiers nous ont accusés d’être coupables de relations homosexuelles.[215]
VIII. « C’est toujours traumatisant » : les conséquences à long terme dans la vie réelle du ciblage en ligne
Comme le montrent les témoignages de personnes LGBT que Human Rights Watch a recueillis, les conséquences du ciblage en ligne dans la vie réelle, quelle que soit la tactique utilisée, sont durables. Dans les cinq pays étudiés, les cas sont loin d’être éphémères et s’arrêtent rarement à l’abus en ligne. Leurs conséquences se répercutent dans tous les aspects de la vie des victimes, parfois pendant des années, elles compromettent souvent leur avenir, et gâchent parfois leur vie.
Toutes les personnes LGBT interrogées ont indiqué que leur santé mentale était gravement atteinte. Elles ont notamment fait état de situations d’isolement qui ont duré plusieurs mois ou années après ces agressions en ligne, ainsi que de peur constante, de stress post-traumatique, de dépression et d’anxiété.
Nombre de personnes LGBT ont déclaré avoir des idées suicidaires en raison de ce qu’elles avaient vécu, certaines ayant même affirmé avoir tenté de passer à l’acte.
La plupart des personnes LGBT ciblées en ligne ont déclaré avoir cessé d’utiliser les plateformes numériques et supprimé leurs comptes sur les réseaux sociaux, ce qui n’a fait qu’exacerber leur sentiment d’isolement.
Exclu·e·s des plateformes numériques et vivant dans la peur
Ammar, un homosexuel jordanien de 31 ans, qui a été visé par des discours de haine en ligne en raison de son activisme LGBT, puis interrogé par les autorités en 2017, a déclaré :
J’ai eu très peur et j’ai été angoissé pendant de nombreuses années. J’évitais les fonctionnaires et réfléchissais souvent à deux fois avant d’aller dans des espaces publics. Je n’ai apprécié aucune sortie. J’ai arrêté de parler à tous mes amis activistes, et nos groupes et réseaux de solidarité se sont dissous et ont disparu. Certains d’entre eux étaient même des amis proches. Je suis encore traumatisé. Mon partenaire a également souffert d’anxiété à cause de l’incident. Il craint les fonctionnaires et les espaces publics. À l’époque, nous n’avons pas suivi de thérapie, car ce n’était pas abordable, mais maintenant, je vois un thérapeute. J’ai cessé d’utiliser tous les réseaux sociaux alors qu’avant, j’y étais très actif. Il y a de la peur et une lourdeur dans mon cœur face à ces espaces numériques, et elle est plus diffuse que celle liée aux espaces physiques. Je peux me débrouiller et sous-peser les risques lorsque je me trouve à proximité physique d’un danger, mais je ne peux pas appréhender ni calculer les risques qui existent dans les espaces numériques.[216]
Yasser, un homosexuel irakien de 21 ans, a décrit à Human Rights Watch les effets qu’avait eus sur lui la réception d’une menace de mort publiée en ligne par un groupe armé en 2021 :
Je ne sors jamais de chez moi. Je suis terrifié à l’idée qu’ils [les groupes armés des FMP] ne s’introduisent chez mon père et me tuent. Si mon père apprend que je suis visé, c’est lui qui me tuera. J’ai gardé cette menace pour moi, mais elle me hante chaque jour.[217]
Bien qu’elle n’ait été détenue que pendant quatre jours, Amar, une femme transgenre jordanienne de 25 ans, a déclaré que les conséquences du piège en ligne dont elle a été victime en 2019 ont gâché sa vie :
Je n’avais pas parlé à mes parents pendant des années avant d’être détenue. Quand mon père a découvert mon procès, il a juré de me tuer. J’ai dû quitter l’appartement où je logeais car il connaissait l’adresse. J’ai changé de numéro de téléphone et supprimé toutes les applications de réseaux sociaux de mon téléphone. Un ami a réussi à m’héberger pendant trois mois, en secret, dans un entrepôt appartenant à sa famille, qui se trouvait dans le sous-sol d’un marché aux animaux. Les conditions étaient épouvantables, mais je n’avais nulle part ailleurs où aller.[218]
Bahaa’, un homosexuel égyptien de 24 ans victime d’une extorsion en ligne en 2021, a déclaré :
J’ai arrêté toutes les activités en ligne, j’ai laissé tomber les personnes avec lesquelles je traînais et j’ai cessé de voir qui que ce soit en général. Je souffrais de dépression, et j’ai essayé de me faire soigner. Je suis actuellement sous traitement, mais les médicaments ne m’aident pas beaucoup. Je n’utilise plus d’applications de rencontres et j’ai supprimé Facebook.[219]
Mahdy, un homosexuel de 28 ans originaire du Caire, extorqué par un homme rencontré sur Instagram en 2021, a déclaré :
J’ai tout perdu. J’essaie actuellement de déménager et de quitter la région avant que la nouvelle ne parvienne à mon père. Je cherche un nouvel emploi dans un autre gouvernorat. Je fais cela avec l’aide de quelques amis qui vivent à Alexandrie. Tout cela m’a coûté mon emploi durement obtenu et ma réputation.[220]
Maamoun, un homosexuel égyptien de 24 ans, extorqué par les forces de sécurité sur Grindr en 2021 puis placé en détention, a déclaré :
J’étais à peine reconnaissable lorsque j’ai quitté [la prison], j’avais perdu tellement de poids parce que je ne mangeais qu’un morceau de pain sale par jour et on m’a refusé mes médicaments contre le VIH. J’ai perdu mon emploi à cause de mon arrestation, et je suis toujours au chômage. Je n’arrête pas de faire des cauchemars sur ce qui m’est arrivé. Je ne sors plus du tout de chez moi.[221]
Ayman, un homosexuel égyptien de 23 ans, a décrit les conséquences du piège dont il a été victime et de la détention qui s’est ensuivie en 2020 :
Après ma sortie, je me suis isolé pendant six mois. Mon état mental était au plus bas et je ne savais pas comment m’y prendre avec mes parents car après l’incident ils éprouvaient de la honte. L’idée d’avoir une vie à l’extérieur m’angoissait beaucoup, car je craignais d’être à nouveau arrêté. Je suis également plus prudent en ligne ; je supprime mes discussions et mes photos, même si le contenu est banal.[222]
Nassim, un homosexuel égyptien de 25 ans, victime d’une extorsion en ligne en 2021 puis d’une agression, a déclaré :
J’ai arrêté d’utiliser tous les réseaux sociaux et les applications de rencontre. J’ai commencé à suivre une thérapie après cet incident, et je prends des médicaments sur ordonnance. J’avais commencé à me crisper quand je me trouvais dans un lieu public parce que je voyais des visages qui ressemblaient à ceux de mes agresseurs. J’avais même commencé à voir leurs visages à travers celui d’inconnus. Je suis aussi très prudent quand je dois rencontrer des personnes que je ne connais pas pour quelque raison que ce soit.[223]
Nour, la personne non binaire de 31 ans de Zagazig, en Égypte, qui a été piégée, extorquée, arrêtée et maltraitée en détention en 2021, a déclaré : « Maintenant, je ne sors plus du tout, et j’ai arrêté d’utiliser toutes les applications de rencontres, car je sais que la plupart des pièges tendus par l’État passent par Grindr ».[224]
Chaker, un homosexuel de 31 ans originaire de Syrie et résidant au Liban, détenu en 2017 pendant quatre mois pour homosexualité sur la base d’informations extraites de son téléphone, a déclaré :
Je vis actuellement seul, et je n’ai personne. J’ai souffert mentalement et psychologiquement de cet incident et je ressens du désespoir et de l’angoisse. Je n’utilise pas les applications de rencontres car j’ai peur des voyous et autres personnes mal intentionnées qui s’y trouvent. Un de mes amis a été poignardé après avoir rencontré quelqu’un sur Grindr. J’ai parlé de l’incident de Hobeish [centre de détention] à mes parents parce que j’avais besoin d’aide, et ils ont alors découvert ma sexualité. Ma famille a exercé une pression extrême sur moi, et le seul moyen d’y échapper était de partir. Ils ont utilisé la violence et je reçois encore des menaces de leur part.[225]
Shirine, une femme transgenre libanaise de 35 ans, a été placée en détention après la dénonciation d’un homme rencontré en ligne en 2021 :
J’ai tenté de me suicider six fois. Je souffre aussi mentalement, et je prends des médicaments sur ordonnance pour cela. Je reçois encore des appels de numéros privés, je n’en connais pas l’origine, mais ils me disent que mon jour est bientôt venu. J’ai peur de sortir, et j’ai peur des gens. Je préfère être seule.[226]
Yazid, un homosexuel égyptien de 27 ans piégé par la police en ligne, arrêté et détenu en 2019, a déclaré :
Ma famille ne me parle plus, mon frère a menacé de me tuer et j’avais trop peur de marcher dans la rue. J’ai tout perdu. Je n’avais même pas d’argent pour quitter le pays.[227]
Amr, un homosexuel égyptien de 33 ans, a décrit les conséquences du piège dont il a été victime et de la détention qui s’est ensuivie en 2018 :
Je souffre toujours du syndrome de stress post-traumatique, et je n’ai pas les moyens de suivre une thérapie. J’ai des accès soudains de froid et de colère. Je m’isole et je crains les postes de contrôle et les fonctionnaires rencontrés en public. Je suis toujours harcelé aux postes de contrôle et mon téléphone est fouillé avec une humiliation verbale excessive. J’ai même reçu des brimades de la part du personnel de sécurité de l’aéroport en décembre 2020, quand ils ont vu l’affaire sur mon dossier, ils m’ont dit : « Tu es un pédé et tu vas à l’étranger pour te faire baiser ».[228]
IX. Le contexte légal
La plupart des pays de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) sont dotés de lois criminalisant les relations entre personnes de même sexe.[229] Si en Égypte, en Irak et en Jordanie, les relations homosexuelles ne sont pas explicitement criminalisées, les personnes LGBT sont cependant ciblées au travers de lois abusives relatives à la « moralité », à la « débauche » et à la « prostitution ». L’article 534 du code pénal libanais, qui criminalise les rapports sexuels « contraires à l’ordre de la nature », est utilisé pour criminaliser les relations homosexuelles consenties, malgré plusieurs décisions de justice réfutant le caractère « contre nature » de l’homosexualité. Aucun des pays présentés dans ce rapport n’interdit la discrimination en ligne ou hors ligne fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.
Ces dernières années, de nombreux gouvernements de la région MENA, notamment ceux de l’Égypte, de la Jordanie et de la Tunisie, ont adopté des lois sur la cybercriminalité qui ciblent la dissidence et portent atteinte aux droits à la liberté d’expression et à la vie privée. Les lois sur la cybercriminalité donnent souvent naissance à de nouveaux pouvoirs d’enquête, notamment celui de permettre aux autorités d’intercepter et de conserver les données des personnes et d’y accéder. L’obtention de données auprès des fournisseurs d’accès à Internet et d’autres services en ligne tels que les plateformes de réseaux sociaux ou les services de stockage sur le cloud peut être essentielle pour poursuivre les actes de cybercriminalité en justice. Mais certaines lois exigent une collecte et une conservation disproportionnées des données, et ce, sans contrôle judiciaire et sans les protections essentielles que garantit une procédure régulière.
Ces lois, combinées aux lois existantes qui criminalisent les comportements homosexuels, aux clauses de « moralité » ou aux lois sur la prostitution, ont créé un climat dangereux dans lequel les personnes LGBT peuvent être poursuivies simplement pour s’être exprimées en ligne, même dans les pays qui ne criminalisent pas les relations homosexuelles.
Égypte
L’Égypte ne criminalise pas explicitement les relations homosexuelles. Cependant, plusieurs lois égyptiennes restreignent les droits à la liberté d’expression et à la vie privée. Ces lois utilisées à l’excès, qui visent les personnes LGBT de manière discriminatoire et disproportionnée, renvoient à plusieurs dispositions du code pénal criminalisant les actes d’« indécence publique » et d’« incitation à la débauche », ainsi que la possession ou la distribution de documents jugés contraires à la « décence publique », sans définir les termes de « décence publique » ou de « débauche » ni préciser quels actes sont punissables.[230]
Les dispositions du Code pénal couramment utilisées pour cibler les personnes LGBT et leurs sympathisants sont les suivantes :
· l’article 178, qui punit de deux ans de prison et d’une amende pouvant aller jusqu’à 10 000 livres égyptiennes (566 dollars) toute personne qui vend ou distribue des contenus, y compris des photos, portant atteinte à la « moralité publique » ;[231]
· l’article 269 bis, qui punit d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un mois, ces peines pouvant être plus sévères en cas de récidive, quiconque incite un passant, par des « signaux ou des paroles, à commettre des actes indécents » ;[232]
· l’article 278, qui punit toute personne qui commet publiquement « un acte scandaleux contre la vertu » d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an ou d’une amende pouvant atteindre 300 livres (17 dollars).[233]
L’article 9 de la loi 10/1961 sur la lutte contre la prostitution punit toute personne « se livrant habituellement à la débauche ou à la prostitution » ou offrant, possédant ou gérant des établissements aux fins de telles activités, d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans et d’une amende pouvant atteindre 300 livres (17 dollars). L’article 14 de cette même loi punit l’« incitation à la débauche » d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison et d’une amende de 100 livres (5 dollars).[234] Depuis la fin des années 1990, les autorités chargées de l’application de la loi et les tribunaux interprètent généralement de manière large la loi sur la « débauche », de façon à l’appliquer aux relations homosexuelles consenties entre hommes.[235]
La loi sur la cybercriminalité de 2018 (loi n° 175/2018)[236] restreint les contenus en ligne jugés comme portant atteinte aux « valeurs familiales » (article 25) ou à la « morale publique » (article 26). L’article 27 criminalise l’utilisation d’Internet pour « commettre toute autre infraction criminalisée », y compris celles prévues par le Code pénal.[237] Les contenus qui entrent en conflit avec les principes ou les valeurs familiales de la société égyptienne ou avec le caractère sacré de la vie privée sont criminalisés et passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement et d’une amende comprise entre 50 000 (1 600 dollars) et 100 000 livres (3 200 dollars).[238] Les tribunaux économiques, qui ont été créés en Égypte en 2008 et où siègent des juges de cours d’appel, sont compétents pour les violations de la loi sur la cybercriminalité de 2018.[239]
La loi égyptienne sur la cybercriminalité oblige les fournisseurs de services Internet à recueillir et à conserver les données d’utilisation de leurs clients pendant 180 jours. Cela inclut les données permettant d’identifier l’utilisateur, ainsi que les données liées à toutes ses activités, à savoir, ses appels téléphoniques et les SMS échangés, les sites web consultés et les applications utilisées sur les smartphones et les ordinateurs. L’Autorité nationale de régulation des télécommunications peut également prendre une décision administrative obligeant les entreprises de télécommunications à sauvegarder d’« autres données », sans préciser des données de quel type.[240]
Quant à la constitution égyptienne, elle protège plusieurs droits fondamentaux, notamment ceux liés à l’application régulière de la loi.[241] Elle interdit les arrestations sans mandat sauf en cas de flagrant délit, impose la présence d’un avocat pendant les interrogatoires et garantit aux suspect·e·s le droit de garder le silence, d’être informé·e·s par écrit du motif de leur arrestation dans les 12 heures, d’être présenté·e·s à un procureur dans les 24 heures et de contacter un avocat et un membre de leur famille.[242]
La constitution interdit la torture, l’intimidation, la coercition et les « atteintes physiques ou morales » aux détenu·e·s et précise également que la torture est imprescriptible. Enfin, elle dispose qu’un tribunal ne peut tenir compte des déclarations faites sous la torture ou la menace de la torture.[243]
Irak
L’Irak ne criminalise pas explicitement les relations homosexuelles et sa constitution protège les droits à la non-discrimination (article 14) et à la vie privée (article 17). Cependant, les personnes LGBT peuvent être arrêtées, et le sont souvent, en vertu d’une série de dispositions vagues du code pénal de 1969 visant à contrôler la moralité, l’« indécence publique » et la liberté d’expression.[244] Nombre de ces dispositions sont des vestiges de l’époque coloniale qui ont été maintenus dans le code juridique dans le prolongement du code britannique.[245]
Le paragraphe 401 dispose que toute personne qui commet un « acte impudique » en public peut être emprisonnée jusqu’à six mois, une disposition vague qui a été utilisée pour cibler les minorités sexuelles et de genre, notamment les couples de même sexe se réunissant dans des lieux publics et les activistes des droits des personnes LGBT.[246]
D’autres dispositions restreignent la liberté d’expression, d’association et de réunion sur des questions dites impopulaires, ce qui peut être utilisé pour censurer et punir les défenseurs des droits de l’homme qui travaillent sur les droits des LGBT. Le paragraphe 210 interdit la diffusion de toute information ou idée qui « perturbe la paix publique », et les paragraphes 403 et 404 punissent toute « publication ou discours obscène ou indécent » d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans de prison au titre du paragraphe 403 et jusqu’à un an au titre du paragraphe 404.[247] L’article 200(2) punit toute personne promouvant un « mouvement » — le terme n’étant pas défini — visant à « changer les principes fondamentaux de la constitution ou les lois fondamentales de la société » d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à sept ans.[248]
L’article 394(1) punit toute personne qui, en dehors du mariage, a des rapports sexuels avec une femme avec son consentement ou qui commet un acte de « sodomie » avec le consentement de l’autre personne. Ces actes sont passibles d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 7 ans si l’autre personne est âgée de 15 à 18 ans, et jusqu’à 10 ans si elle a moins de 15 ans.[249]
L’article 402(1) punit « toute personne qui fait des avances indécentes à un autre homme ou à une autre femme » d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 3 mois et/ou d’une amende pouvant aller jusqu’à 30 dinars.[250] L’article 502 punit « toute personne qui flâne dans un lieu public ou observe un tel lieu avec une intention indécente ou dans un but indécent » d’une peine pouvant aller jusqu’à dix jours de détention ou d’une amende.[251] Ces dispositions ont été utilisées pour cibler les couples de même sexe se rencontrant en public ainsi que les personnes LGBT sur la base de leur expression de genre ou de leurs actions en public.
Il n’existe pas de loi sur la cybercriminalité, mais les autorités utilisent les dispositions du code pénal pour poursuivre des personnes pour leur activité en ligne.
Dans la région du Kurdistan irakien, l’article 2 de la « loi visant à prévenir l’utilisation abusive des équipements de télécommunications » prévoit jusqu’à cinq ans d’emprisonnement en cas d’« utilisation abusive d’un téléphone portable ou de tout autre équipement de communication, de courrier électronique ou d’Internet, cette utilisation abusive consistant à diffuser des menaces, des calomnies, des insultes ou de fausses informations, à divulguer des conversations privées, à diffuser des images contraires aux bonnes mœurs ou à commettre toute autre action susceptible de porter atteinte à l’intégrité ou à l’honneur ou d’inciter à un crime ou à un acte immoral ».[252]
Le 4 septembre 2022, des membres du gouvernement régional du Kurdistan en Irak ont proposé au Parlement un projet de loi qui, s’il était adopté, punirait tout individu ou groupe qui défend les droits des personnes LGBT.[253] Selon ce « projet de loi sur l’interdiction de la promotion de l’homosexualité », toute personne défendant les droits des LGBT ou « promouvant l’homosexualité » est passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an et d’une amende pouvant atteindre cinq millions de dinars (3 430 dollars). Le projet de loi prévoit également de suspendre, pour une durée maximale d’un mois, les licences des entreprises de médias et des organisations de la société civile qui « encouragent l’homosexualité ». Selon les organisations locales, le projet de loi a été déposé et le débat le concernant reporté.
L’article 19 de la constitution irakienne protège le droit à une procédure régulière, notamment l’accès à une représentation juridique, la protection contre la détention illégale et la présentation de l’accusé devant un juge dans les 24 heures suivant son arrestation, délai qui peut être prolongé une fois pour 24 heures supplémentaires.[254]
Jordanie
La Jordanie ne criminalise pas explicitement les relations entre personnes de même sexe.[255] Cependant, le code pénal comprend de vagues dispositions relatives à la « moralité » qui sont utilisées de manière abusive pour cibler les relations homosexuelles, même si la constitution jordanienne protège les droits à la non-discrimination (article 6), à la liberté personnelle (article 7) et à la liberté d’expression et d’opinion (article 15).[256]
L’article 319 du code pénal punit toute personne qui vend, expose, fait de la publicité ou participe à une entreprise distribuant « tout imprimé ou écrit obscène, ou toute image, photographie, modèle ou tout autre objet obscène tendant à corrompre les mœurs » d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois mois ou d’une amende pouvant atteindre 50 dinars jordaniens (70 dollars).[257] L’article 320 punit toute personne commettant un « acte indécent » en public d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à six mois ou d’une amende pouvant atteindre 50 dinars.[258]
En vertu de la loi sur la presse et les publications, les publications en ligne doivent faire l’objet d’une inscription et d’une licence auprès de la Commission jordanienne des médias.[259] La loi définit les publications en ligne soumises à l’obligation de licence comme celles qui « s’engagent dans la publication d’actualités, d’enquêtes, d’articles ou de commentaires ayant trait aux affaires intérieures ou extérieures du royaume ». Ces dispositions vagues permettent aux autorités d’utiliser arbitrairement la loi pour limiter la liberté d’expression.[260] De plus, soumettre les blogueur·euse·s, les activistes des droits humains publiant sur leurs sites web ou d’autres personnes diffusant des informations en ligne à l’obligation de détenir une licence fait peser des contraintes excessives sur leur liberté d’expression.[261]
L’article 75a de la loi sur les télécommunications (n° 13 de 1995, modifiée par la loi n° 21 de 2011) dispose : « Toute personne qui, par tout moyen de communication, envoie des messages menaçants, insultants ou immoraux ou transmet des nouvelles fabriquées en vue de provoquer la panique sera punie d’une peine d’emprisonnement d’une durée pouvant aller d’un mois à un an, d’une amende pouvant aller de 300 dinars (422 dollars) à 2 000 dinars (2 800 dollars), ou de ces deux peines ».
La Jordanie a adopté la loi provisoire n° 30 de 2010 relative aux crimes liés aux systèmes d’information, dont les dispositions ont ensuite été rendues permanentes par la loi n° 27 de 2015 sur la cybercriminalité.[262] Cette loi, qui est utilisée pour cibler les personnes LGBT, criminalise l’accès illégal à un réseau d’information (article 3), la modification ou la suppression du contenu d’un site web (article 4), la publication ou l’envoi de matériel pornographique (article 8) et la promotion de la prostitution (article 9). En outre, les articles 11 et 13, qui ont été critiqués par les organisations et les personnes défendant les droits humains, disposent :
Article 11 : Toute personne qui envoie ou partage intentionnellement des informations ou des messages contenant des calomnies et des dénigrements sera punie d’une peine d’emprisonnement de trois mois minimum et d’une amende de 300 à 2 000 dinars maximum.[263]
Article 13 : Les employés des autorités judiciaires, après avoir reçu l’autorisation d’un procureur ou d’un tribunal spécialisé, peuvent pénétrer dans tout lieu suspecté d’être utilisé pour commettre l’un des crimes énoncés dans cette loi. Ils sont également autorisés à fouiller les appareils, les outils, les programmes, les systèmes d’exploitation et le web (serveurs) soupçonnés d’être utilisés pour commettre l’un de ces crimes.[264]
La constitution jordanienne protège le droit à une procédure régulière, notamment l’accès à une représentation juridique, la protection contre les arrestations arbitraires et les détentions illégales, et la présentation rapide de l’accusé devant un juge. Elle exige que la police informe les autorités dans les 24 heures suivant une arrestation et que les autorités déposent des accusations formelles dans les 15 jours suivant une arrestation.[265]
Liban
La constitution libanaise protège explicitement la liberté d’expression. L’article 13 dispose que « la liberté d’exprimer son opinion oralement ou par écrit, la liberté de la presse, la liberté de réunion et la liberté d’association sont garanties dans les limites fixées par la loi ».[266]
Cependant, le code pénal et d’autres lois nationales empêchent les personnes LGBT de bénéficier du droit constitutionnel à la liberté d’expression. Ces lois sont également contraires à leur droit à la vie privée.
L’article 534 du code pénal punit « tout rapport sexuel contraire à l’ordre de la nature » d’une peine pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement.[267] Cette disposition est principalement utilisée pour poursuivre les personnes soupçonnées d’homosexualité, même si la loi ne précise pas quels actes sont « contraires à l’ordre de la nature », laissant une grande marge d’interprétation aux juges. Une évolution positive est cependant à noter : dans plusieurs décisions rendues ces dernières années, différents juges et un procureur militaire de haut rang ont refusé de condamner des personnes homosexuelles et transgenres en vertu de l’article 534, et en 2018, une cour d’appel de district a jugé que les relations homosexuelles consenties n’étaient pas illégales.[268]
L’article 521 du code pénal punit « tout homme se faisant passer pour une femme pour pénétrer dans les espaces réservés aux femmes » d’une peine pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement.[269] Les Forces de sécurité intérieure (FSI) (police libanaise) utilisent parfois cette disposition pour cibler les femmes transgenres, qui peuvent être accusées de « se faire passer pour des femmes » en raison de l’inadéquation entre leurs documents officiels et leur identité et expression de genre.[270]
Les articles 531, 532 et 533 du code pénal sur « l’atteinte à la moralité et à l’éthique publiques » punissent l’« atteinte à la moralité publique » d’un mois à un an d’emprisonnement et d’une amende.[271] Ces lois vagues sur la « moralité » font des personnes LGBT des cibles faciles et les forces de sécurité les utilisent pour museler les conférences sur les droits des LGBT[272] et interrompre les manifestations sur le genre et la sexualité.[273]
L’article 523 du code pénal punit « toute personne pratiquant secrètement la prostitution ou la facilitant » d’une peine pouvant aller d’un mois à un an d’emprisonnement.[274] Bien qu’il existe en théorie une loi réglementant le travail du sexe, le gouvernement n’a pas délivré de permis aux travailleurs du sexe depuis les années 1970, ce qui les rend vulnérables aux arrestations.[275]
Il n’existe pas de loi sur la cybercriminalité, et le Liban ne dispose pas actuellement de lois régissant les publications sur Internet, y compris sur les blogs et les réseaux sociaux.[276] En vertu de la loi 81 sur les transactions électroniques et les données personnelles (loi sur les e-transactions), les crimes contre la personne et la moralité publique ont été modifiés par la voie du décret n° 340 du 01/03/1943 (code pénal).[277]
Alors que l’article 47 du Code de procédure pénale libanais limite la détention sans inculpation à 48 heures, renouvelable une fois avec l’autorisation du procureur général, dans la pratique, cette limite n’est souvent pas respectée. L’article 47 accorde également aux personnes le droit de contacter les membres de leur famille au moment de l’arrestation et de bénéficier de la présence d’un avocat pendant l’interrogatoire, mais les forces de sécurité violent fréquemment ces dispositions.
Tunisie
Les droits à la vie privée et à la non-discrimination sont inscrits dans la constitution tunisienne de 2022.[278] L’article 30 oblige le gouvernement à protéger les droits à la vie privée et à l’inviolabilité du domicile.[279] L’article 23 dispose que « Tous les citoyens, hommes et femmes, ont des droits et des devoirs égaux et sont égaux devant la loi sans aucune discrimination ».[280]
Cependant, l’article 230 du code pénal punit les relations homosexuelles entre femmes et entre hommes d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement. La version arabe officielle fait référence aux relations homosexuelles entre hommes (liwat) et entre femmes (Mousahaqa).[281] L’article 226 du code pénal punit l’« indécence publique » d’une peine pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement et d’une amende de 48 dinars (16 dollars). L’article 226 bis punit l’« indécence publique » ou l’« immoralité publique » d’une peine d’emprisonnement de six mois et d’une amende de 1 000 dinars (416 dollars).[282]
Les autorités utilisent les lois sur la diffamation criminelle, la « diffusion de fausses informations » et « l’atteinte à autrui via les réseaux de télécommunications publics » pour poursuivre des personnes au motif de leurs commentaires en ligne.[283] Ces lois restreignent l’expression sur tous les moyens de communication publique. Lorsque des personnes s’expriment au travers des réseaux sociaux, l’accusation de « nuire volontairement ou sciemment à autrui via les réseaux de télécommunications publics », formulée au titre de l’article 86 du Code des télécommunications de 2001, est systématiquement ajoutée aux autres accusations. La condamnation au titre du seul article 86 est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement.[284] Cet article est utilisé pour cibler la dissidence et pourrait également l’être pour cibler les personnes LGBT.[285]
De plus, le décret-loi présidentiel n° 54 vise à lutter contre les cybercrimes liés aux « fausses informations » et aux systèmes de communication.[286] Il comprend des dispositions vagues imposant de larges restrictions à la liberté d’expression en Tunisie. Son article 24 dispose que « quiconque utilise délibérément les réseaux et systèmes d’information et de communication pour produire, promouvoir, publier, transmettre ou préparer de fausses nouvelles, des déclarations, des rumeurs ou des documents artificiels, faussement attribués à autrui dans le but de porter atteinte aux droits d’autrui, de nuire à la sécurité publique ou à la défense nationale, ou de semer la terreur au sein de la population, est puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 50 000 dinars (15 000 dollars) ».[287]
La constitution autorise la présence d’un avocat pendant les interrogatoires et exige que les détenu·e·s soient immédiatement informé·e·s du motif de leur arrestation, qu’ils puissent contacter un avocat et un membre de leur famille et qu’ils ou elles soient présenté·e·s à un procureur dans les 48 heures suivant leur arrestation.[288] Enfin, une loi tunisienne de 2016 accorde aux suspects le droit à un avocat dès le début de la détention, et raccourcit la période maximale autorisée pour la détention avant inculpation de 72 heures à 48 pour les crimes, renouvelable une fois. Malgré un impact global positif de la loi, Human Rights Watch a documenté plusieurs lacunes dans la loi elle-même et sa mise en œuvre.[289]
X. Obligations juridiques internationales
L’Égypte, l’Irak, la Jordanie, le Liban et la Tunisie ont tous l’obligation, en vertu du droit international et régional relatif aux droits humains, de lutter contre les violations décrites dans ce rapport. Ces cinq pays sont des États parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)[290] et à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention contre la torture)[291].
L’Égypte, l’Irak, la Jordanie et le Liban sont des États parties à la Charte arabe des droits de l’homme, adoptée en 1994 par le Conseil de la Ligue des États arabes.[292] Enfin, étant les seuls des cinq pays à se trouver sur le continent africain, l’Égypte et la Tunisie sont également des États parties à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.[293] La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples appelle explicitement les États membres, dont l’Égypte et la Tunisie, à protéger les minorités sexuelles et de genre conformément à la Charte africaine.[294]
En dépit de leurs obligations juridiques internationales et régionales, les autorités égyptiennes, irakiennes, jordaniennes, libanaises et tunisiennes violent de multiples droits fondamentaux des personnes LGBT, notamment leurs droits à la non-discrimination, à la liberté d’expression (y compris sur Internet), à la vie privée, à la protection contre la torture et d’autres mauvais traitements, et à l’égalité de protection par la loi.
Le droit à la non-discrimination
L’article 2 du PIDCP exige des États parties qu’ils « garantissent à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, sans distinction aucune ».[295] L’article 26 garantit spécifiquement que « toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit, sans aucune discrimination, à une égale protection de la loi ». L’orientation sexuelle est un statut protégé contre la discrimination en vertu de ces dispositions, comme l’a précisé à plusieurs reprises le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, qui veille au respect du PIDCP.[296] De même, le Comité contre la torture, qui veille au respect de la Convention contre la torture, indique explicitement que « le recours discriminatoire à la violence ou aux abus mentaux ou physiques » fondés sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre « constitue un facteur important pour déterminer si un acte constitue une torture ».[297]
Les droits à l’égalité devant la loi et à la non-discrimination dans la jouissance des droits à la sécurité de la personne,[298] à la vie privée,[299] et à la liberté d’expression, de réunion et d’association[300] signifient que chacun doit être libre de mener sa vie intime de manière pacifique, de s’exprimer librement, de se déplacer et de se réunir en public sans craindre d’être harcelé ou agressé. Comme le montre ce rapport, les personnes LGBT de la région MENA ne bénéficient pas de ces libertés alors même que, selon le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, les arrestations pour relations homosexuelles entre adultes consentants sont, par définition, arbitraires.[301] Les droits fondamentaux des personnes LGBT à la non-discrimination, ainsi qu’au respect de la vie privée, sont également violés par des poursuites pour relations sexuelles consenties en privé entre adultes.[302]
Les États ont l’obligation de prévenir, de poursuivre et de punir ces violations et d’autres violations des droits de l’homme.[303]
Le droit à la liberté d’expression
L’article 19 du PIDCP dispose :
« Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ».[304]
En 2012, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a adopté une résolution historique qui « affirme que les droits dont les personnes jouissent hors ligne doivent également être protégés en ligne, y compris le droit à la liberté d’expression », conformément aux articles 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.[305]
L’article 32 de la Charte arabe des droits de l’homme garantit « le droit à l’information et la liberté d’opinion et d’expression et le droit de rechercher, de recevoir et de répandre des informations par tout moyen, sans considération de frontières géographiques ».[306]
Le droit à la liberté d’expression, ainsi que les droits à la liberté de réunion et d’association, ne sont pas absolus. Des limitations sont possibles si elles sont nécessaires et proportionnées à la protection de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé publique, de la morale ou des droits et libertés d’autrui. Les limitations à ces fins doivent être fixées par la loi, ne pas porter atteinte à l’essence de ces droits et être compatibles avec le droit à un recours effectif.[307] Les restrictions pour la protection de la « morale » doivent être imposées à titre exceptionnel : le Comité des droits de l’homme a rappelé que les restrictions pour ce motif doivent être fondées sur « des principes de la moralité qui ne procèdent pas d’une seule tradition [sociale, philosophique ou religieuse] » et « ne peuvent pas être imposées, par exemple, pour empêcher l’expression de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre ».[308]
Le droit à la vie privée
L’article 17 du PIDCP dispose : « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation ». L’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme indique explicitement que « toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ».[309]
L’article 21 de la Charte arabe des droits de l’homme dispose que « nul ne fera l’objet d’immixtion arbitraire ou illégale dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteinte à son honneur ou à sa réputation ».[310] L’article 16 protège également le droit à la vie privée de toute personne accusée d’une infraction au cours de l’instruction et du procès.[311]
Comme pour le droit à la liberté d’expression, le droit à la vie privée peut être restreint, mais les restrictions ne doivent pas être « arbitraires ».[312] Le Comité des droits de l’homme a rappelé que les ingérences dans le droit à la vie privée doivent « être prévues par la loi, être conformes aux dispositions, buts et objectifs du Pacte et être raisonnables dans les circonstances particulières de l’espèce ».[313]
Le droit de ne pas être soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
La Convention contre la torture, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Charte arabe des droits de l’homme et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples figurent parmi les traités qui interdisent la torture et les autres mauvais traitements.[314] En outre, l’interdiction de la torture est une norme du droit international coutumier.[315]
L’interdiction de la torture et des autres mauvais traitements est absolue et ne souffre aucune dérogation.[316] Les aveux obtenus par la torture ne peuvent être admis comme preuves, sauf contre le tortionnaire.[317]
Les États ont l’obligation de prévenir, d’enquêter, de poursuivre, de punir et d’offrir d’autres recours efficaces pour les actes de torture et autres mauvais traitements.[318] L’obligation de protéger les personnes contre les mauvais traitements s’étend non seulement aux actes commis par des agents de l’État, mais aussi aux actes infligés par des personnes à titre privé, y compris les violences commises par des acteurs non étatiques tels que des groupes armés et par des membres de la famille.[319]
Le Comité contre la torture a précisé que « les États parties devraient […] garantir la protection des membres de groupes particulièrement exposés à la torture, en poursuivant et en punissant les auteurs de tous les actes de violence ou mauvais traitements à l’encontre de ces personnes et en veillant à la mise en œuvre d’autres mesures positives de prévention et de protection ». [320] De même, les principes de Jogjakarta sur l’application du droit international des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre invitent tous les États à :
prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres nécessaires pour prévenir la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants perpétrés pour des motifs liés à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre de la victime, ainsi que l’incitation à de tels actes, et assurer une protection contre ces actes. [321]
Les droits à la vie et à la sécurité de la personne
L’article 6(1) du PIDCP affirme que « le droit à la vie est inhérent à la personne humaine » et doit être protégé par la loi.[322] L’article 9 dispose que « tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne »[323]. De même, la Charte arabe des droits de l’homme dispose que tout individu a « droit à la vie » et que « la loi protège ce droit » (article 5), et que tout individu a « droit à la liberté et à la sécurité de sa personne » (article 14).[324]
Les États ont l’obligation de protéger ces droits, notamment en prenant « des mesures appropriées [… et en protégeant] les individus contre les menaces prévisibles pesant sur leur vie ou leur intégrité corporelle, et qui proviennent d’agents du Gouvernement ou de personnes privées ».[325] Les États doivent « réagir avec diligence aux violences systématiques qui visent certaines catégories de personnes […] en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre ».[326] Les autorités étatiques doivent également enquêter rapidement et efficacement sur les délits constituant des menaces contre la vie ou la sécurité des personnes, et identifier leurs auteurs et les poursuivre en justice.
Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies estime que les États ne respectent pas les obligations qui leur incombent en vertu de l’article 9 s’ils ne prennent pas les mesures nécessaires pour protéger les personnes contre des menaces de mort répétées.[327] Il critique également l’incapacité des États à protéger les personnes contre la violence fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.[328]
XI. Les responsabilités des plateformes numériques
Les droits humains s’appliquent en ligne de la même façon qu’ils s’appliquent hors ligne, et les entreprises ont la responsabilité de respecter ces droits, notamment les droits à la non-discrimination, à la vie privée et à la liberté d’expression, conformément aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits humains.[329] Les principes directeurs exigent des entreprises qu’elles « évitent d’avoir des incidences négatives sur les droits de l’homme ou d’y contribuer » et qu’elles « s’efforcent de prévenir ou d’atténuer les incidences négatives sur les droits de l’homme qui sont directement liées à leurs activités, produits ou services ».[330] Les principes directeurs imposent en outre aux entreprises de faire preuve de transparence concernant leurs politiques, leurs pratiques et les mesures qu’elles prennent pour identifier, prévenir et atténuer les violations des droits humains.[331]
Le droit international autorise des restrictions légitimes à la liberté d’expression, entre autres pour veiller à ce que l’exercice de cette liberté ne porte pas atteinte aux droits d’autrui.[332] Dans le contexte de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, et sur la base de l’analyse présentée dans ce rapport, l’application de ces principes relatifs aux droits humains devrait se traduire, pour les entreprises, par une obligation d’investir dans la modération des contenus. Sous-investir dans ce domaine est particulièrement préjudiciable aux personnes marginalisées, notamment les personnes LGBT, qui sont touchées de manière disproportionnée par les risques et les préjudices liés à la modération des contenus.
Les principes de Santa Clara sur la transparence et la responsabilité dans la modération des contenus[333], auxquels Twitter et Meta (Facebook, Instagram et WhatsApp) ont souscrit, fournissent des orientations utiles. Les entreprises doivent les respecter, notamment en formant des modérateurs et des modératrices de contenus aux droits humains et aux incidences négatives de ces plateformes sur les utilisateur·rice·s, en particulier les incidences qui touchent de manière disproportionnée les personnes LGBT.
Les plateformes numériques devraient nouer un dialogue utile avec les organisations de défense des droits des personnes LGBT et des droits numériques dans la région MENA concernant l’élaboration de politiques et de fonctionnalités, de la conception à la mise en œuvre et à l’application des règles, et plus particulièrement la modération des contenus et les stratégies visant à renforcer la confiance et la sécurité, qui doivent faire des préoccupations des personnes LGBT de la région MENA une priorité. Dans le même ordre d’idées, les plateformes numériques devraient rapidement supprimer les contenus abusifs susceptibles de mettre en danger les personnes LGBT et, le cas échéant, suspendre ou bannir les utilisateurs qui publient des contenus abusifs de manière répétée. À cette fin, les plateformes devraient également fournir des informations contextuelles en arabe aux utilisateur.rice.s et les conseiller quant à leurs droits et à la loi applicable.
Compte tenu des dangers que comporte la présence en ligne pour les personnes LGBT dans la région MENA, l’absence de mécanismes de recours efficaces, comme le montre ce rapport, les éloigne encore davantage des plateformes numériques. En raison de l’incapacité des entreprises à s’acquitter de leur responsabilité de respecter les droits fondamentaux des personnes LGBT — par exemple en prévenant et en atténuant toute incidence négative leur portant préjudice, notamment les actes de piégeage et d’extorsion, le harcèlement en ligne et l’utilisation d’informations numériques personnelles dans le cadre de poursuites judiciaires —, de nombreuses personnes LGBT ne sont plus en mesure de s’exprimer librement en ligne. Ce ciblage et ce harcèlement les empêchent d’utiliser les réseaux sociaux et de s’intégrer dans la communauté mondiale.
Les décisions qui portent sur la conception des plateformes — des algorithmes recommandés aux décisions concernant la manière dont les contenus peuvent être partagés et amplifiés — influencent inévitablement ce qui peut ou ne peut pas être dit, ainsi que ce qui retient l’attention. Lorsque les plateformes retirent un contenu, elles doivent en informer l’utilisateur·rice qui l’a publié et lui en donner la raison. Les utilisateur·rice·s devraient pouvoir demander un réexamen d’une décision dans leur langue ou dialecte s’ils ou elles pensent que l’entreprise a retiré leur contenu à tort.
Enfin, la modération de contenu exige des compétences en matière de droits humains et de diversité linguistique. En 2021, dans le cadre d’un projet de collaboration, les activistes LGBT de dix-sept pays de la région MENA ont élaboré le Lexique arabe du discours de haine envers les personnes queer,[334] qui recense et contextualise les termes propres au discours de haine. Ce lexique reprend les termes du discours haineux dans de nombreux dialectes arabes, que les algorithmes des plateformes de réseaux sociaux peuvent — et doivent — intégrer.[335] Rédigé en arabe et en anglais, il est évolutif et sera révisé chaque année. Pour mieux détecter les discours de haine anti-LGBT en arabe et remédier à leurs conséquences négatives sur les droits humains, les entreprises devraient dialoguer activement avec les activistes des droits LGBT et des droits numériques dans la région MENA en vue de trouver des solutions efficaces.
Les personnes les plus marginalisées doivent occuper une place centrale dans la conception des plateformes
Sur toutes les plateformes, l’élaboration des règles de sécurité numérique devrait se fonder au premier chef sur les réalités des personnes les plus touchées, à savoir, les personnes LGBT dans la région MENA. Comprendre le contexte dans lequel les personnes LGBT sont ciblées en ligne et la façon dont les informations numériques peuvent se retourner contre elles devrait permettre aux plateformes de concevoir une expérience numérique plus sûre. Comme le démontre une étude, les avertissements de sécurité ne suffisent pas.[336]
Dans un rapport de 2022, Afsaneh Rigot, membre du Technology and Public Purpose Project (projet sur la technologie et l’intérêt public) au Belfer Center et chercheuse principale sur la technologie et les droits humains à Article 19, a présenté un cadre intitulé « Design from the Margins » (DFM).[337] S’appuyant sur ce cadre, Afsaneh Rigot affirme qu’« en comprenant et en déterminant qui sont les personnes les plus touchées par les cadres sociaux, politiques et juridiques, nous pouvons également comprendre quelles sont celles qui sont les plus susceptible de voir certaines technologies être utilisées contre elles et de pâtir des lacunes [existantes] en matière de sécurité ». Le cadre montre qu’il est impératif de placer les utilisateur·rice·s les plus touché·e·s et les plus marginalisé·e·s — notamment les personnes LGBT de la région MENA — au centre de ces processus, de la conception à la production.[338]
Au-delà de ce cadre, Afsaneh Rigot a déclaré à Human Rights Watch :
Nous avons besoin d’un changement radical dans la manière dont nous modifions et concevons notre technologie. Il est vital de rendre plus sûres les technologies numériques dont dépendent ces groupes à risque [les personnes LGBT dans la région MENA] et qui font l’objet de publicité à leur intention. Il est de la responsabilité des entreprises [de réseaux sociaux] d’atténuer les préjudices contre les utilisateur·rice·s les plus touché·e·s et de les protéger, car nous savons que lorsque les personnes les plus marginalisées sont prises en compte, tout le monde est pris en compte.[339]
Il demeure important de souligner que cette responsabilité n’incombe pas uniquement aux entreprises de réseaux sociaux. Tant que les autorités de la région ne cesseront pas de cibler les personnes LGBT en ligne, l’action des plateformes numériques restera limitée. Cependant, l’absence marquée de protection gouvernementale, l’impunité dont jouissent les auteurs de ciblage numérique et le manque cruel d’accès à des voies de recours accentuent les conséquences hors ligne omniprésentes du ciblage en ligne et la nécessité, pour les plateformes, d’atténuer ces risques en sécurisant l’expérience numérique des personnes LGBT.
XII. Recommandations
Aux plateformes numériques, dont Facebook, Instagram, Grindr et Twitter
- Faire preuve d'une transparence totale en ce qui concerne les ressources consacrées à la sécurité des utilisateur·rice·s et à la modération des contenus dans la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA), notamment en publiant des données sur le nombre d'employé·e·s ou de contractant·e·s chargé·e·s de modérer les contenus provenant de la région MENA, et sur le nombre de modérateur·rice·s de contenus maîtrisant tous les dialectes de la langue arabe.
- Accorder une place centrale aux expériences en ligne des personnes les plus vulnérables face aux abus, notamment les personnes LGBT de la région du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA), lors de la conception des politiques et des produits, et veiller à ce que les solutions aux problèmes de politique et de conception tiennent compte de toute la diversité des utilisateurs.
- Dialoguer efficacement avec les organisations de défense des droits LGBT et des droits numériques dans la région MENA concernant l’élaboration de politiques et de fonctionnalités, de la conception à la mise en œuvre et à l’application des règles, notamment concernant la modération des contenus et les stratégies visant à renforcer la confiance et la sécurité, qui doivent faire des préoccupations des personnes LGBT une priorité.
- Mettre en place des lignes de communication directes entre les utilisateur·rice·s et les groupes de soutien et de sensibilisation locaux ou régionaux en vue de réactions rapides en cas de menace de ciblage en ligne.
- Veiller à ce que les plateformes disposent d’un personnel adéquat pour pouvoir élaborer et faire appliquer une politique qui répond aux besoins des personnes LGBT dans la région MENA et renforce la confiance avec les groupes défendant leurs droits, notamment en embauchant du personnel ayant les compétences linguistiques requises et qui soutient les droits LGBT.
- Faire preuve, à tous les niveaux, de plus de clarté, de cohérence et de transparence afin d’évaluer les politiques et les mesures prises par les plateformes pour s’acquitter de leurs responsabilités en matière de droits humains.
- En consultation avec les groupes de la société civile, créer une option permettant aux utilisateur·rice·s d’activer une série de contrôles de sécurité en un seul clic (à tout moment ou spécifiquement en cas d’urgence).
- En consultation avec les groupes de la société civile, proposer une option de suppression à distance des applications sur les appareils, ou de suppression automatique en cas d’échec des tentatives de connexion, qui permettent de supprimer automatiquement l’application et ses contenus lorsqu’un·e utilisateur·rice est en danger.
Investir dans la modération des contenus
- Modérer de façon efficace les contenus publiés sur des plateformes ouvertes au public et contenant des discours haineux, d’incitation à la violence, de discrimination ou d’hostilité à l’encontre des personnes LGBT dans la région MENA. À cet effet, recruter des effectifs en nombre suffisant qui représentent la diversité, sont originaires de la région et maîtrisent tous les dialectes de la langue arabe, et les former aux conséquences sur les droits humains du ciblage en ligne contre les groupes vulnérables tels que les personnes LGBT dans la région MENA.
- Supprimer rapidement et préventivement les contenus abusifs contraires aux lignes directrices ou aux règles de la plateforme en matière de discours haineux, d’incitation à la violence, de discrimination ou d’hostilité, ainsi que les contenus susceptibles d’exposer les utilisateur·rice·s à des risques, tout en protégeant la liberté d’expression conformément au droit international.
Améliorer les mécanismes de signalement
- Améliorer les mécanismes de réponse au signalement de comptes abusifs en les axant sur les survivant·e ·s.
- Offrir aux personnes la possibilité de suivre et de gérer leurs plaintes.
- Proposer aux personnes qui signalent des contenus un journal des contenus qu’ils ont signalés et l’issue du processus de modération.
- Créer des voies supplémentaires permettant à tous les utilisateur·rice·s, y compris les personnes LGBT, d’obtenir de l’aide et un soutien au cours du processus de signalement.
- Créer une voie permettant aux personnes de fournir des retours d’expérience anonymes concernant l’expérience de signalement et son issue.
- Donner aux utilisateur·rice·s la possibilité de fournir des éléments supplémentaires de contexte lorsqu’ils signalent des comptes ou des contenus.
- Permettre aux utilisateur·rice·s d’indiquer si leur signalement est formulé dans la même langue que celle de l’abus et, dans le cas contraire, proposer de solides options de traduction.
Fournir des consignes claires
- Fournir des consignes facilement accessibles, détaillées et transparentes aux utilisateur·rice·s concernant le type de contenu interdit, en incluant des exemples de contenus autorisés et non autorisés et en indiquant les lignes directrices utilisées par les examinateurs pour déterminer si un contenu est interdit ; décrire également le mode de détection automatique utilisé pour chaque catégorie de contenu.
- Veiller à ce que les politiques et les lignes directrices soient rédigées de façon accessible et éviter tout langage trop dense, technique ou impersonnel, en particulier parce que ce type de langage pourrait ne pas être facilement adaptable dans d’autres langues ou contextes.
- Expliquer en toute transparence pourquoi les restrictions à l’expression sont nécessaires, proportionnées à un objectif légitime et justes d’un point de vue procédural ; pour la modération de contenus en arabe, prendre des mesures pour éviter toute décision arbitraire, orientée ou sélective, en se basant sur des processus clairs, bien établis et transparents.
- Fournir une notification adéquate aux utilisateur·rice·s dont une publication a été supprimée ou dont le compte a été suspendu, notification qui doit être accessible même si le compte est suspendu ou supprimé.
S’acquitter du devoir de diligence en matière de droits humains
- Mener une diligence raisonnable en matière de droits humains, notamment en réalisant des évaluations périodiques d’impact sur les droits humains. Ces évaluations devraient saisir toute l’étendue des conséquences négatives du ciblage en ligne sur les droits humains ; elles devraient également couvrir le recensement et la prévention desdites conséquences, les mesures prises pour y mettre un terme, les atténuer et y remédier, ainsi que la comptabilisation des conséquences négatives potentielles et réelles de cette pratique sur les droits humains, notamment les droits des personnes LGBT dans la région MENA.
- Limiter les évaluations des conséquences sur les droits humains à un pays ou à un contexte régional en particulier et consacrer du temps et des ressources adéquates pour y associer les personnes dont les droits sont violés, y compris les personnes LGBT.
Conserver les éléments de preuve de violation de droits humains
- Conserver et archiver les contenus illustrant des violations et des abus de droits humains susceptibles d’avoir valeur de preuve tout en protégeant la vie privée et la sécurité des utilisateur·rice·s vulnérables, y compris les personnes LGBT.
Accès aux données
- Fournir un accès aux données aux chercheur·euse·s indépendant·e·s — notamment celles et ceux qui étudient le discours de haine envers les droits humains, l’incitation à la violence, la discrimination ou l’hostilité — tout en protégeant la vie privée des utilisateur·rice·s, et ce, afin de permettre aux chercheur·euse·s d’évaluer pleinement la mise en place, par la plateforme étudiée, de mesures de due diligence en matière de droits humains.
Égypte
Au gouvernement
- Mettre un terme au ciblage de personnes par la police en raison de leurs relations supposées avec des personnes de même sexe ou de leur orientation sexuelle.
- Garantir la libération immédiate et inconditionnelle de tous les adultes incarcérés en raison de relations consenties avec des adultes de même sexe, ainsi que de toute personne qui, au moment de ses relations avec des partenaires de même sexe adultes ou mineurs du même âge, avait moins de 18 ans.
- Protéger la liberté d’expression et la confidentialité des communications sur Internet
- Former les agents de police, les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, les juges et les procureurs aux normes internationales relatives aux droits humains, ainsi qu’à la non-discrimination, en particulier aux questions d’orientation sexuelle et d’identité de genre, afin d’éliminer la stigmatisation, qui alimente les injustices face aux crimes contre les personnes LGBT.
- Cesser la pratique des examens anaux forensiques des hommes et des femmes transgenres accusés de « débauche » (fujur) ou de tout autre crime.
- Faire appliquer les mesures de protection existantes contre la torture et les mauvais traitements en enquêtant, en prenant des mesures disciplinaires et, le cas échéant, en poursuivant les fonctionnaires qui se livrent à des abus ou les tolèrent, y compris les procureurs qui ne s’acquittent pas de leur obligation de surveiller régulièrement les lieux de détention et d’ouvrir des enquêtes sur les détentions arbitraires et les cas de torture et de mauvais traitement, ainsi que les personnes qui maltraitent elles-mêmes les détenu·e·s.
- Ordonner à l’Agence nationale de sécurité de mettre fin à la pratique consistant à détenir des suspects dans ses bureaux, et de transférer immédiatement tou.te.s les détenu·e·s dont elle a la charge vers des sites de détention légaux et enregistrés.
- Veiller à ce que les victimes de torture aient un accès direct et rapide à des examens médico-légaux consentis, sans passer par des autorités supérieures.
- Veiller à ce que les médecins légistes du ministère de la Justice reçoivent une formation spécialisée sur la reconnaissance et la documentation des blessures physiologiques et psychologiques infligées par la torture et les mauvais traitements, notamment sur les normes internationales relatives aux droits humains en matière de torture et de mauvais traitements et de non-discrimination, en particulier les questions de genre et de sexualité qui suscitent la torture et des mauvais traitements.
- Assurer la sécurité des plaignant·e·s et des témoins contre les représailles ou le harcèlement pendant les enquêtes sur la torture ou d’autres formes d’abus commis par des représentant·e·s de l’État.
- Émettre des réglementations claires qui précisent (1) les devoirs des agents pénitentiaires en matière de protection des prisonnier·ère·s LGBT contre les abus fondés sur leur comportement sexuel avec des parties consentantes ou leur orientation sexuelle et leur identité sexuelle et (2) les mesures disciplinaires appropriées, y compris le renvoi au ministère public pour enquête, afin de punir les agents pénitentiaires et les détenu·e·s qui se livrent, encouragent ou tolèrent les mauvais traitements ou la discrimination à l’encontre de ces prisonnier·ère·s.
- Enquêter sur les personnes faisant des déclarations en ligne ou hors ligne incitant à la violence ou menaçant de violence les personnes LGBT et leur faire rendre des comptes.
Au Parlement
- Modifier la loi 10/1961 relative à « la lutte contre la prostitution » afin d’y éliminer toutes les références à la « débauche » (« fujur »).
- Éliminer de toutes les lois tout langage vague, ambigu ou général susceptible d’être utilisé pour cibler des personnes sur la base de relations homosexuelles avec des adultes consentants ou de l’expression de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.
- Adopter une législation exhaustive de lutte contre la discrimination qui interdit la discrimination, y compris en ligne, fondée sur le sexe, le genre, l’identité de genre et l’orientation sexuelle et qui prévoit des mesures efficaces pour détecter et combattre cette discrimination.
- Modifier la définition de la torture dans l’article 126 du code pénal pour la mettre en conformité avec la Convention contre la torture.
Aux forces de sécurité
- Mettre fin aux arrestations d’adultes pour des comportements homosexuels consentis entre adultes. Les enfants ne doivent pas être arrêtés en raison de relations sexuelles avec des adultes, ou de rapports sexuels avec des enfants consentants du même âge.
- Cesser de piéger les personnes LGBT en ligne en raison de leur orientation sexuelle, de leurs relations homosexuelles ou de l’exercice de leur liberté d’expression.
- Durant l’enquête, s’abstenir de porter atteinte à la vie privée des défendeur·euse·s, à savoir, de leur demander leurs téléphones, leurs comptes de médias sociaux ou leurs mots de passe.
- Cesser de recueillir ou de fabriquer illégalement des informations numériques à l’appui de poursuites contre des personnes LGBT.
- Veiller à ce que les personnes arrêtées aient accès à une représentation légale pendant les interrogatoires en garde à vue, notamment en les informant de leur droit à être assistées par un avocat et en leur en fournissant un sur demande.
- Veiller à ce que les prisonnier·ère·s transgenres soient détenu·e·s dans des installations conformes à leur identité de genre.
- Préserver le droit des minorités sexuelles et de genre de signaler des crimes sans risquer d’être arrêtées, et veiller à ce qu’aucune victime de crime LGBT ne se voie refuser une assistance, ou ne soit arrêtée ou harcelée en raison de son orientation sexuelle ou de son identité de genre.
- S’abstenir de demander l’orientation sexuelle ou l’identité de genre des personnes qui signalent des violations et des abus.
Irak
Aux autorités fédérales irakiennes et aux autorités régionales du Kurdistan
- Enquêter sur tous les rapports faisant état de violences commises par des groupes armés ou d’autres violences à l’encontre de personnes ciblées en raison de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur expression de genre, réelles ou supposées, et sanctionner de manière appropriée les responsables.
- Enquêter sur la complicité des forces de sécurité dans les violences commises contre des personnes LGBT en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité et expression de genre, et nouer un dialogue direct avec les forces armées pour faire cesser ces violences.
- Condamner publiquement toutes ces violences, y compris les incidents dans lesquels des membres de groupes armés relevant des Forces de mobilisation populaire sont directement impliqués.
- Mettre en place des mécanismes de protection pour les victimes de ces violences, y compris des mesures visant à garantir que les mécanismes sont confidentiels et rapides, et que les personnes savent comment y accéder.
- Former les forces de sécurité aux normes internationales en matière de droits humains et de non-discrimination, notamment concernant les questions de genre et de sexualité.
- Préserver le droit des minorités sexuelles et de genre de signaler des crimes sans risquer d’être arrêtées, et veiller à ce qu’aucune victime de crime LGBT ne se voie refuser une assistance, ou ne soit arrêtée ou harcelée en raison de son orientation sexuelle ou de son identité de genre.
- Enquêter sur les personnes faisant des déclarations en ligne ou hors ligne incitant à la violence ou menaçant de violence les personnes LGBT et leur faire rendre des comptes.
Au gouvernement de l’Irak et aux autorités législatives du gouvernement régional du Kurdistan
- Adopter une législation exhaustive de lutte contre la discrimination qui interdit la discrimination, y compris en ligne, fondée sur le sexe, le genre, l’identité de genre et l’orientation sexuelle et qui prévoit des mesures efficaces pour détecter et combattre cette discrimination.
- Examiner les dispositions vagues du code pénal, notamment les articles 200(2), 401, 402, 501 et 502, qui permettent de justifier l’arrestation arbitraire ou le harcèlement de personnes en raison de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur expression de genre réelle ou perçue, ou qui peuvent être utilisées pour empêcher la société civile d’aborder des questions taboues ou stigmatisées, et abroger ou modifier ces articles, ou garantir qu’ils ne soient pas appliqués de manière contraire au droit international relatif aux droits humains.
Au ministère de l’Intérieur irakien
- Veiller à ce que les détenu·e·s, y compris les personnes LGBT, connaissent les mécanismes de plainte existants, qu’ils ou elles puissent porter plainte sans crainte de représailles et que les plaintes soient traitées de manière confidentielle et rapide, selon une procédure claire.
- Enquêter et, le cas échéant, poursuivre les responsables de la sécurité qui violent les lois relatives à la surveillance, aux fouilles arbitraires et aux atteintes illégales à la vie privée.
- Interdire aux forces de sécurité de demander l’orientation sexuelle ou l’identité de genre des personnes qui signalent des violations et des abus.
Jordanie
Au gouvernement
- Mettre un terme au ciblage de personnes par la police en raison de leurs relations supposées avec des personnes de même sexe ou de leur orientation sexuelle.
- Cesser de piéger des individus sur Internet en raison de leur orientation sexuelle, de leurs relations homosexuelles ou de l’exercice de leur liberté d’expression.
- Protéger la liberté d’expression et la confidentialité des communications sur Internet.
- Former les juges et les procureurs aux normes relatives aux droits humains et à la non-discrimination. Afin d’éliminer la stigmatisation, propice à l’injustice, cette formation devrait inclure les questions de genre et de sexualité.
- Former les fonctionnaires de police et les agents pénitentiaires aux normes internationales en matière de droits humains et de non-discrimination, en couvrant notamment les questions de genre et de sexualité afin d’éliminer la stigmatisation, qui contribue aux abus.
- Enquêter sur les personnes faisant des déclarations en ligne ou hors ligne incitant à la violence ou menaçant de violence les personnes LGBT et leur faire rendre des comptes.
Au Parlement
- Adopter une législation exhaustive de lutte contre la discrimination qui interdit la discrimination, y compris en ligne, fondée sur le sexe, le genre, l’identité de genre et l’orientation sexuelle et qui prévoit des mesures efficaces pour détecter et combattre cette discrimination.
- Examiner les dispositions vagues du code pénal relatives à la « moralité », qui permettent de justifier l’arrestation arbitraire ou le harcèlement de personnes en raison de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur expression de genre réelle ou perçue, ou qui peuvent être utilisées pour empêcher la société civile d’aborder des questions taboues ou stigmatisées, et abroger ou modifier ces dispositions, ou garantir qu’elles ne soient pas appliquées de manière contraire au droit international relatif aux droits humains.
Aux forces de sécurité
- Durant l’enquête, s’abstenir de porter atteinte à la vie privée des défendeur.euse.s, à savoir, de leur demander leurs téléphones, leurs comptes de médias sociaux ou leurs mots de passe.
- Cesser de recueillir ou de fabriquer illégalement des informations numériques pour soutenir des poursuites contre des personnes LGBT.
- Veiller à ce que les personnes arrêtées aient accès à une représentation légale pendant les interrogatoires en garde à vue, notamment en les informant de leur droit à être assistées par un avocat et en leur en fournissant un sur demande.
- Veiller à ce que les prisonnier.ère.s transgenres soient détenu·e·s dans des installations conformes à leur identité de genre.
- Préserver le droit des personnes LGBT de signaler des crimes sans risquer d’être arrêtées, et veiller à ce qu’aucune victime de crime ne se voie refuser une assistance, ne soit arrêtée ou harcelée en raison de son orientation sexuelle ou de son identité de genre.
- S’abstenir de demander l’orientation sexuelle ou l’identité de genre des personnes qui signalent des violations et des abus.
Au ministère de l’Intérieur
- Poursuivre les responsables de la sécurité qui violent les lois relatives à la surveillance, aux fouilles arbitraires et aux atteintes illégales à la vie privée.
Liban
Au Parlement
- Abroger l’article 534 du code pénal libanais, qui criminalise les « rapports sexuels contraires à l’ordre de la nature ».
- Abroger l’article 523 du code pénal libanais, qui criminalise la « prostitution secrète ».
- Adopter une législation exhaustive de lutte contre la discrimination qui interdit la discrimination, y compris en ligne, fondée sur le sexe, le genre, l’identité de genre et l’orientation sexuelle et qui prévoit des mesures efficaces pour détecter et combattre cette discrimination.
Au Bureau du Procureur Général
- S’abstenir d’engager des poursuites pénales contre les femmes transgenres fondées sur leur « imitation des femmes », et des poursuites contre les personnes LGBT fondées sur leurs rapports homosexuels avec des personnes consentantes.
- Donner aux agences de sécurité chargées de l’enquête la consigne de respecter les droits des accusé·e·s pendant la convocation et pendant l’enquête, notamment en les informant de leur droit de parler à un avocat, à un membre de leur famille ou à une connaissance ; de leur droit à la présence d’un avocat pendant les interrogatoires ; de leur droit d’être déféré·e·s rapidement devant un juge ; et de leur droit de garder le silence.
- Poursuivre les responsables de la sécurité qui violent les lois relatives à la surveillance, aux fouilles arbitraires, aux atteintes illégales à la vie privée et à la torture et aux mauvais traitements.
Au ministère de l’Intérieur
- Émettre des directives claires sur le traitement des détenu·e·s LGBT, notamment en veillant à ce que les forces de sécurité ne pratiquent pas de discrimination à leur encontre.
- Veiller à ce que les détenu·e·s connaissent les mécanismes de plainte existants, à ce qu’ils ou elles puissent porter plainte sans crainte de représailles et à ce que les plaintes soient traitées de manière confidentielle et rapide, selon une procédure claire.
- Interdire aux forces de sécurité de demander le statut résidentiel officiel, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre des personnes qui signalent des violations et des abus.
Aux forces de sécurité, y compris les Forces de sécurité intérieure (FSI) et la Direction générale de la sûreté générale (DGSG)
- Cesser d’arrêter et de détenir des personnes LGBT sur la base de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, notamment en vertu de l’article 534, relatif aux « délits contre nature », ou des « lois sur la moralité » décrites aux articles 209, 526, 531, 532 et 533.
- Durant une enquête, s’abstenir de porter atteinte à la vie privée des défendeur.euse.s, à savoir, de leur demander leurs téléphones, leurs comptes de médias sociaux ou leurs mots de passe sans disposer d’une ordonnance du tribunal.
- Cesser de recueillir illégalement des informations numériques à l’appui de poursuites contre des personnes LGBT.
- Préserver le droit des minorités sexuelles et de genre de signaler des crimes sans risquer d’être arrêtées, et veiller à ce qu’aucune victime de crime ne se voie refuser une assistance ou ne soit arrêtée ou harcelée en raison de son orientation sexuelle ou de son identité de genre ou de son statut de résident légal.
- Veiller à ce que les prisonnier.ère.s transgenres soient détenu·e·s dans des installations conformes à leur identité de genre.
- Mettre fin à la pratique consistant à détenir des réfugié·e·s simplement parce que leurs documents de résidence ont expiré ou parce qu’ils n’ont pas de statut légal, et permettre aux Syrien.ne.s qui n’ont pas actuellement de résidence légale de régulariser leur statut.
Tunisie
Au gouvernement
- Protéger la liberté d’expression et la confidentialité des communications sur Internet.
- Former les juges et les procureurs aux normes relatives aux droits humains et à la non-discrimination. Afin d’éliminer la stigmatisation, propice à l’injustice, cette formation devrait inclure les questions de genre et de sexualité.
- Former les fonctionnaires de police et les agents pénitentiaires aux normes internationales en matière de droits humains et de non-discrimination, en couvrant notamment les questions de genre et de sexualité afin d’éliminer la stigmatisation, propice aux abus.
- Enquêter sur les personnes faisant des déclarations en ligne ou hors ligne incitant à la violence ou menaçant de violence les personnes LGBT et leur faire rendre des comptes.
Au Parlement nouvellement élu
- Abroger l’article 230 du code pénal, qui punit les relations homosexuelles féminines et masculines d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement.
- Adopter une législation exhaustive de lutte contre la discrimination qui interdit la discrimination, y compris en ligne, fondée sur le sexe, le genre, l’identité de genre et l’orientation sexuelle et qui prévoit des mesures efficaces pour détecter et combattre cette discrimination.
- Abroger le décret-loi présidentiel n° 54, qui vise à lutter contre les cybercrimes liés aux « fausses informations » et aux systèmes de communication.
- Abroger l’article 86 du code des télécommunications de 2001, qui criminalise le fait de « nuire à autrui par le biais des réseaux de télécommunications publics » et qui a été utilisé pour cibler la dissidence.
Aux forces de sécurité
- Cesser d’arrêter et de détenir des personnes LGBT au motif de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, notamment en vertu de l’article 230, relatif à la « sodomie », ou en vertu de « lois sur la moralité » décrites aux articles 226 et 226 bis.
- Durant une enquête, s’abstenir de porter atteinte à la vie privée des défendeur·euse·s, à savoir, de leur demander leurs téléphones, leurs identifiants sur les réseaux sociaux ou leurs mots de passe.
- Cesser de recueillir illégalement des informations numériques à l’appui de poursuites contre des personnes LGBT.
- Veiller à ce que les personnes arrêtées aient accès à une représentation légale pendant les interrogatoires en garde à vue, notamment en les informant de leur droit à être assistées par un avocat et en leur en fournissant un sur demande.
- Préserver le droit des personnes LGBT de signaler des crimes sans risquer d’être arrêtées, et veiller à ce qu’aucune victime de crime ne se voie refuser une assistance, ou ne soit arrêtée ou harcelée en raison de son orientation sexuelle, de son identité de genre ou de son expression de genre.
- Veiller à ce que les prisonnier·ère·s transgenres soient détenu·e·s dans des installations conformes à leur identité de genre.
- Respecter les droits et les identités des personnes LGBT dans les postes de police et s’abstenir de les harceler en raison de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur expression de genre.
Remerciements
Ce rapport est le fruit des recherches de Rasha Younes, chercheuse principale au sein du programme sur les droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) de Human Rights Watch, qui l’a également rédigé.
Il a été révisé par Graeme Reid, directeur, et Mauricio Albarracín-Caballero, directeur adjoint, de la division Droits LGBT ; Joseph Saunders, directeur adjoint de la division Programmes ; un rédacteur principal du programme des droits LGBT ; Lama Fakih, directrice, division Moyen-Orient et Afrique du Nord ; Rothna Begum, chercheuse senior, division Droits des femmes ; Bill Van-Esveld, directeur adjoint de la division Droits des enfants ; Frederike Kaltheuner, directrice de la division Technologie et Droits humains ; Abir Ghattas, directrice de la sécurité de l’information ; et Michael Garcia Bochenek, conseiller juridique senior.
Hiba Zayadin, chercheuse Senior en Jordanie, Salsabil Chellali, chercheuse en Tunisie, Amr Magdi, chercheur senior en Égypte, Aya Majzoub, ancienne chercheuse au Liban, et l’équipe de recherche en Irak ont également apporté leur contribution. Nora Noralla et Ahmed El-Salawy, anciens stagiaires du Programme sur les droits des personnes LGBT, ont fourni les informations relatives au contexte général.
Liliana Patterson, rédactrice en cheffe de la division Multimédias, a produit les vidéos accompagnant le rapport. Amr Kokash, vidéaste externe, a accompagné la chercheuse et filmé les vidéos.
Yasemin Smallens, coordinatrice du programme sur les droits LGBT, a assuré la coordination éditoriale et de la production et a mis en forme le rapport. Grace Choi, directrice des publications, et Travis Carr, coordinateur senior des publications, ont apporté un soutien supplémentaire à la production. Le rapport a été préparé pour publication par Fitzroy Hepkins, responsable administratif. Il a été traduit en français par Cathia Zeoli.
Human Rights Watch remercie les membres de la Coalition pour les droits numériques et les droits des personnes LGBT, nos partenaires, qui ont apporté un éclairage d’experts aux recherches et nous ont mis en contact avec les personnes interrogées : une organisation de défenses des droits des personnes LGBT au Caire (nom non divulgué pour des raisons de sécurité) et Massar en Égypte ; IraQueer et le Réseau irakien pour les réseaux sociaux (INSM) en Irak ; Rainbow Street et la Jordan Open Source Association (JOSA) en Jordanie ; Helem et Social Media Exchange (SMEX) au Liban ; et l’association Damj en Tunisie.
Nous remercions les organisations de défense des droits humains, les chercheur·euse·s et les juristes qui ont contribué à cette recherche, notamment Afsaneh Rigot, chercheuse principale à Article19 ; le Center for Democracy and Technology ; Glitch Charity ; HateAid Organization ; Feminist Internet ; NOYB - European Center for Digital Rights ; et Esther Onfroy.
Ce rapport est dédié à toutes les personnes LGBT qui nous ont confié leur histoire.