Skip to main content

Égypte : Les forces de sécurité infligent abus et tortures aux personnes LGBT

Les membres de la communauté LGBT font face au risque d’arrestations arbitraires, à la discrimination, aux pièges tendus par la police et à la violation de leur vie privée

 

Lire le script de cette vidéo

Ahmed Alaa
C'était le 1er octobre 2017, le jour de mon 21ème anniversaire.

J'étais assis dans la voiture en attendant un ami quand dix hommes sont soudain apparus et ont commencé à frapper la voiture et me frapper à l'épaule en demandant ma carte d'identité, sans même s'identifier.

Dix jours auparavant, j'avais brandi le drapeau arc-en-ciel lors d’un concert de Mashrou’ Leila.

Ce groupe évoque souvent l'oppression des personnes LGBT au Moyen-Orient et son chanteur principal, Hamed Sinno, est ouvertement gay.

Mon amie Sarah Hegazy était aussi là-bas et a aussi brandi le drapeau arc-en-ciel.

Le fait de brandir des drapeaux arc-en-ciel  sous le ciel du Caire devant 35 000 personnes sans aucune crainte est peut-être la meilleure chose à laquelle je puisse penser.

Mais après cela, le gouvernement égyptien a lancé une vague de répression contre la communauté LGBT.

Cela a abouti à l'arrestation de 75 personnes LGBT à leurs domiciles ou via des applications de rencontres.

J'ai été interrogé à trois reprises au siège de l’agence de sécurité nationale.

Ils m'ont posé des questions comme : « Es-tu un pédé? »

« Es-tu un communiste, es-tu un socialiste révolutionnaire ? »

 

L'homosexualité n'est pas explicitement criminalisée par la loi égyptienne, mais j'ai été accusé de rejoindre des groupes interdits et de promouvoir la débauche.

J'ai passé près de 80 jours à l'isolement. Les cellules d'isolement étaient souterraines. Il n'y avait rien dans la cellule, pas de ventilation, pas de lumière, pas de lit.

Ils m'ont apporté une couverture sale, de l’eau du robinet et du pain sale.

Ils ont refermé la porte de la cellule, et j'ai pleuré jusqu'à ce que je m’endorme, en souhaitant ne pas me réveiller le lendemain matin.

J'ai été harcelé verbalement et humilié par les agents. Un agent m'a harcelé sexuellement, et un jour, [les agents] m'ont saisi et m'ont rasé la tête. Les agents ont dit aux autres détenus que j’ai été accusé dans l’affaire Mashrou’ Leila, et que je suis l’homme gay en isolement cellulaire. Alors, j'ai commencé à subir des menaces de viol.

 

J'ai rencontré Sarah pendant le procès lié à la « sécurité de l'État ». Ils nous ont menottés ensemble.

Sarah m'a dit : « Je veux tenir ta main. » Nous nous sommes assis par terre et avons chanté. Nous avons chanté la chanson de Mashrou’ Leila « Wa Nueid ». C'était la seule chanson que je connaisse par cœur, et elle convenait à la situation.

Trois mois plus tard, les avocats ont fait appel de ma condamnation à la prison. J'ai finalement été libéré avec Sarah, sous caution de 1 000 livres égyptiennes dans chacun des deux cas.

L'affaire reste en suspens. Je ne peux pas retourner en Égypte parce que si je le faisais, je serais de nouveau arrêté à l'aéroport.

En mai 2018, j'ai quitté l'Égypte et je me suis rendu au Canada où j'ai retrouvé Sarah qui m’a accueilli à l'aéroport. Elle a pris soin de moi comme si j'étais son fils. Elle m'a aidé à m'installer, et à demander l'asile. Elle m'a aidé à trouver un logement, m'a présenté à des gens.

Mais le traumatisme de notre expérience a continué de peser lourdement sur Sarah.

En juin 2020, Sarah a décidé de mettre fin à ses jours.

Aujourd’hui, je dis au gouvernement égyptien que je continuerai à brandir le drapeau arc-en-ciel. Je continuerai à défendre les droits des personnes LGBT et de ceux qui opprimés ou qui n'ont pas de voix, en hommage à la mémoire de Sarah et à sa propre lutte pour revendiquer ces droits.

 

_____________
Le gouvernement égyptien devrait immédiatement mettre fin à la persécution des personnes LGBT.

Les personnes LGBT en Égypte devraient pouvoir s'exprimer librement, sans risquer d’être punies pour exercer ce droit.

(Beyrouth) – Les agents de la police et de l’Agence de sécurité nationale égyptiennes arrêtent arbitrairement des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT), les détiennent dans des conditions inhumaines, leur font systématiquement subir des mauvais traitements, y compris la torture, et incitent souvent leurs codétenus à les violenter, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les forces de sécurité arrêtent régulièrement les gens dans la rue en se basant simplement sur leur expression de genre, les piègent via certains sites de réseaux sociaux ou des applications de rencontres, et fouillent illégalement le contenu de leurs téléphones. Les procureurs utilisent ces éléments pour justifier des détentions prolongées, sans jamais mettre en doute la véracité des rapports de police et lançant des poursuites judiciaires injustifiées à l’encontre de ces personnes.

Human Rights Watch a documenté des cas de torture lors de la garde à vue, y compris des passages à tabac graves et répétés ainsi que des violences sexuelles, souvent commises sous le prétexte d’effectuer des examens anaux forcés ou des « tests de virginité ». Par ailleurs les policiers et procureurs agressent verbalement les détenus, leur arrachent des aveux forcés et leur refusent l’accès à un avocat et aux soins médicaux. Ces récits détaillés, qui n’avaient jamais été publiés ailleurs, notamment de la part d’une fille de 17 ans, ont été recueillis sur fond d’intensification des poursuites judiciaires pour relations homosexuelles supposées, dans le cadre de la vague de répression anti-LGBT qui a débuté après un concert de Mashrou’ Leila ayant eu lieu au Caire en 2017.

Sarah Hegazy, qui avait été placée en détention en 2017 après avoir brandi un drapeau arc-en-ciel lors de ce concert, avait déclaré que les policiers l’avaient torturée et avaient incité ses codétenues à la frapper et à la harceler sexuellement. Elle s’est suicidée en juin 2020 au Canada, où elle vivait en exil. Les cas décrits dans ce rapport – le plus récent date d’août 2020 – démontrent que les mauvais traitements qu’elle a subis font partie d’une tendance plus générale et systématique d’abus à l’égard des personnes LGBT en Égypte.

« Les autorités égyptiennes semblent être en lice pour battre le record régional des pires atteintes aux droits des personnes LGBT, tandis que la communauté internationale garde un silence affligeant », a déclaré Rasha Younes, chercheuse auprès du programme Droits LGBT à Human Rights Watch. « La mort tragique de Sarah Hegazy aurait dû déclencher une onde de choc et de solidarité mondiale, mais l’Égypte a continué sans ciller à cibler et violenter des personnes LGBT, simplement en raison de qui elles sont. »

Fin août, des agents des forces de sécurité égyptiennes, appartenant probablement à l’Agence de sécurité nationale, ont arrêté deux hommes qui avaient été témoins d’un viol collectif très médiatisé au Fairmont Nile City Hotel en 2014 et qui devaient apporter des éléments de preuve dans cette affaire. Les agents ont illégalement fouillé le contenu des téléphones de ces hommes, alors qu’ils les détenaient au secret pendant plusieurs jours au poste de police principal d’el-Tagamoa, à l’est du Caire, et utilisé les photos qu’ils y ont trouvées pour affirmer qu’ils avaient eu des relations homosexuelles et les maintenir en détention. Les juges ont renouvelé plusieurs fois leur placement en détention et les procureurs leur ont fait subir des examens anaux forcés, une pratique systématiquement utilisée par les autorités égyptiennes pour trouver des « preuves » de relations homosexuelles, alors qu’elle est dénoncée comme abusive et contraire au droit international. Les deux hommes risquent d’être poursuivis en vertu des lois égyptiennes sur la « débauche ».

Sous la présidence d’Abdel Fattah al-Sissi, les autorités mènent depuis longtemps une campagne d’arrestations et de poursuites contre ceux dont l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, réelle ou supposée, ne se conforme pas aux valeurs hétéronormées et à une conception binaire du genre. Des groupes de défense des droits humains ont décrit les abus commis à grande échelle au lendemain d’un concert de septembre 2017 du groupe libanais Mashrou’ Leila, dont le chanteur principal est ouvertement gay et dont les chansons s’expriment en faveur de la diversité sexuelle et de genre. Au concert, des activistes, dont Sarah Hegazy et Ahmed Alaa, ont brandi un drapeau arc-en-ciel, symbole de la fierté LGBT. Plusieurs Égyptiens LGBT nous ont confié qu’après les arrestations d’août, liées à l’affaire du Fairmont, ils craignaient que la répression n’aille en s’intensifiant ; certains ont quitté le pays.

Avec l’aide d’une organisation de défense des droits des personnes LGBT du Caire – dont le nom n’est pas cité pour des raisons de sécurité –, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 15 personnes, dont des personnes LGBT poursuivies entre 2017 et 2020 en vertu des lois vagues et discriminatoires portant sur la « débauche » et la « prostitution », ainsi qu’avec deux avocats qui représentaient les victimes dans ces affaires et deux activistes des droits des personnes LGBT. Parmi les victimes figure une fille de 17 ans.

Toutes les personnes interrogées ont témoigné que les policiers leur avaient infligé un harcèlement verbal et des violences physiques allant des claques à la torture au moyen d’un tuyau d’arrosage ou en les attachant pendant des jours. Neuf d’entre elles ont déclaré que les agents de police avaient incité les autres détenus à les violenter. Huit ont été victimes de violence sexuelle et quatre ont témoigné qu’on leur avait refusé des soins médicaux. Enfin huit personnes ont déclaré que la police les avait forcées à signer des aveux. Toutes les victimes ont été placées en détention provisoire pendant de longues périodes – dans un cas jusqu’à quatre mois –, souvent sans accès à un avocat.

Un homme a témoigné qu’après l’avoir arrêté en 2019 dans le quartier Ramsès du Caire, les policiers l’avaient frappé jusqu’à ce qu’il perde connaissance, puis obligé à rester debout pendant trois jours dans une pièce sombre et mal aérée, les mains et les pieds attachés par une corde : « Ils ne me laissaient pas aller aux toilettes. J’ai dû mouiller mes vêtements et même déféquer dedans. Je n’avais toujours aucune idée du pourquoi de mon arrestation. »

Une femme a déclaré qu’après l’avoir arbitrairement arrêtée lors d’une manifestation au Caire en 2018, les policiers lui avaient subir trois tests de « virginité », à différents moments de sa détention : « Une policière m’a attrapé et pressé les seins, elle m’a saisi le sexe, regardant à l’intérieur de mon vagin, puis a ouvert mon anus et y a inséré sa main si profondément que j’ai senti qu’elle en sortait quelque chose. J’ai saigné pendant trois jours et j’ai eu du mal à marcher pendant des semaines. Je ne pouvais plus aller aux toilettes et j’ai commencé à avoir des problèmes médicaux dont je souffre jusqu’à aujourd’hui. »

La police a forcé trois hommes ainsi qu’une fille et une femme transgenres à subir des examens anaux. Lorsqu’un de ces hommes a présenté sa carte de personne handicapée, les policiers la lui ont insérée dans l’anus.

À propos de l’impunité avec laquelle les forces de sécurité perpétuent les abus à l’égard des personnes LGBT, un activiste faisait remarquer : « Les agents de police sont des individus. Chacun d’entre eux a une idée de torture qu’il met en œuvre impunément. Les seules différences en matière de techniques de torture et d’agression découlent de leurs préférences personnelles. »

Malak el-Kashif, 20 ans, une femme transgenre et défenseure des droits humains, a été
arbitrairement détenue pendant quatre mois, harcelée et agressée sexuellement dans une prison pour hommes en 2019. Un tribunal administratif a rejeté la requête en appel déposée par son avocat, qui demandait au ministère de l’Intérieur de prévoir des lieux de détention séparés pour les détenus transgenres, en fonction de leur identité de genre.

Pour les personnes transgenres, les conditions de détention peuvent porter atteinte à leur santé physique et mentale. Human Rights Watch a déjà montré que lorsqu’elles sont placées dans des cellules d’hommes, il est probable que les femmes transgenres subissent des agressions sexuelles et d’autres formes de mauvais traitements.

L’Égypte a rejeté de façon répétée les recommandations de plusieurs pays lui demandant de mettre fin aux arrestations et à la discrimination se fondant sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Tout récemment, au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en mars, l’Égypte a refusé de reconnaître l’existence des personnes LGBT, faisant fi de son obligation de protéger les droits de tous sur son territoire, sans discrimination.

Les forces de sécurité égyptiennes devraient cesser d’arrêter et de poursuivre les gens pour des relations sexuelles consensuelles entre adultes, y compris homosexuelles, ou en se fondant sur leur expression de genre, et libérer immédiatement les personnes LGBT qui sont toujours détenues arbitrairement, a déclaré Human Rights Watch. Le président Abdel Fattah al-Sissi devrait ordonner à son gouvernement de mettre fin aux pratiques de torture et de mauvais traitements des forces de sécurité, notamment en interdisant l’utilisation des « tests de virginité » et les examens anaux forcés.

L’Égypte devrait adresser une invitation ouverte aux experts des droits humains des Nations Unies afin d’examiner ses protections contre la torture et les autres formes d’abus, et coopérer pleinement avec leurs missions.

À chaque fois que des personnes transgenres sont détenues, les autorités devraient veiller à ce qu’elles puissent choisir d’être placées dans un lieu de détention conforme à leur identité de genre ou dans une unité distincte réservée exclusivement aux personnes transgenres. Les personnes transgenres ne devraient en aucun cas être confinées à l’isolement par manque d’alternatives, a déclaré Human Rights Watch.

« Lorsque les forces de sécurité arrêtent arbitrairement les gens et leur font subir des abus susceptibles de les marquer à vie, la moralité et l’ordre public ne sont pas protégés, mais détournés », a conclu Rasha Younes. « Les partenaires de l’Égypte devraient suspendre leur appui à ses forces de sécurité abusives jusqu’à ce que le pays prenne des mesures efficaces pour mettre fin à ce cycle d’abus, afin que les personnes LGBT puissent vivre librement dans leur pays. »

Informations complémentaires

Abus, torture et violence sexuelle en garde à vue

La nature des arrestations et poursuites judiciaires documentées par Human Rights Watch, ainsi que les déclarations officielles de l’Égypte niant les droits des personnes LGBT, suggèrent qu’il s’agit d’une politique coordonnée – à laquelle les hauts responsables du gouvernement ont au minimum consenti, s’ils ne l’ont pas ordonnée eux-mêmes – visant à persécuter les personnes LGBT. Comme un policier l’a dit à un homme arrêté début 2019, son arrestation faisait partie d’une opération pour « nettoyer les rues de tous les pédés ». Ces récits de torture et d’abus apportent de nouvelles preuves de l’usage de la torture omniprésent, profondément enraciné, par le ministère de l’Intérieur, ainsi que du degré d’impunité accordé à ses agents. Dans un rapport de 2017, Human Rights Watch a constaté que les crimes de torture généralisés et systématiques commis en Égypte constituaient sans doute des crimes contre l’humanité.

En analysant les dossiers judiciaires de 13 personnes poursuivies pour « débauche » et « prostitution » entre 2017 et 2020, Human Rights Watch a constaté que les autorités égyptiennes avaient arbitrairement arrêté sept hommes en les piégeant sur des applications de rencontres (Grindr) et des médias sociaux (Facebook et WhatsApp). Les policiers ont arrêté au hasard cinq hommes à cause de ce que les autorités décrivent comme des « gestes efféminés, gays » et une femme transgenre à cause de son « apparence anormale ».

Les autorités ont placé onze hommes en détention provisoire en attendant les résultats de l’enquête, parfois pendant des mois, puis les ont condamnés à des peines de prison allant de trois mois à six ans. Les cours d’appel ont rejeté les accusations contre huit de ces hommes et annulé leurs condamnations ; et maintenu les condamnations contre deux hommes, mais en réduisant leur peine. Dans le dernier cas, un homme a passé un an en prison, reconnu coupable de « débauche », parce qu’il n’était pas en mesure de payer un avocat pour faire appel de sa condamnation.

Une femme a passé trois « tests de virginité » pendant sa détention et les autorités ont forcé trois hommes ainsi qu’une fille et une femme transgenres à subir des examens anaux. Les tests anaux et de « virginité » constituent des traitements cruels, dégradants et inhumains qui peuvent atteindre le seuil de la torture et de l’agression sexuelle en vertu du droit international relatif aux droits humains. Ils violent la déontologie médicale, sont discrédités par la communauté internationale et ne sont pas valides scientifiquement pour « prouver » les relations homosexuelles ou la « virginité ». L’ordre des médecins égyptiens n’a pris aucune mesure pour empêcher les médecins d’effectuer ces examens dégradants et abusifs.

Dans les récits qui suivent, certaines victimes sont identifiées par des pseudonymes pour les protéger, indiqués par l’emploi de guillemets dans le prénom figurant en intertitre.

« Yasser », 27 ans

En septembre 2019, a rapporté Yasser, il a rencontré un autre homme dans le centre de Gizeh après avoir chatté avec lui sur Grindr, une application de rencontres homosexuelles. Des policiers se sont approchés, les ont accusés de « vendre de l’alcool » et les ont arrêtés :

Ils m’ont emmené à la « section des mœurs » et gardé jusqu’à 4 heures du matin dans une pièce minuscule sans eau ni nourriture. Ils ont confisqué mon téléphone et mes effets personnels. Lorsqu’ils sont revenus avec un procès-verbal de police, j’ai eu la surprise de voir que le type que j’avais rencontré sur Grindr était un des agents. Ils m’ont frappé et injurié jusqu’à ce que je signe des papiers qui disaient que je me « livrais à la débauche » et que je l’annonçais publiquement afin de « satisfaire mes désirs sexuels contre nature ».

Le lendemain, témoigne Yasser, les agents l’ont emmené au Parquet de Dokki, un district de Gizeh.  Le procureur s’est adressé à lui en ces termes : « C’est toi le sale pédé qu’ils ont attrapé, alors, fils de pute, tu es actif ou passif ? » Puis il a renouvelé la détention de Yasser pendant quatre jours :

Ils m’ont emmené au poste de police de Dokki, m’ont frappé si fort que j’ai perdu conscience, puis m’ont jeté dans une cellule avec d’autres prisonniers. Ils leur ont dit : « C’est un pédé » ; et à moi : « Attention à ne pas tomber enceinte ». Je suis resté une semaine dans cette cellule et, entre les coups des agents et les agressions des détenus, j’ai cru que je n’y survivrais pas.

Au bout d’une semaine, a expliqué Yasser, ils l’ont emmené à la prison centrale de Gizeh, située à l’intérieur du camp central de Gizeh des forces de sécurité :

Ils ont annoncé les charges contre moi dès que je suis entré, se relayaient pour me frapper et me hurlaient d’affreuses obscénités. Ils m’ont mis en isolement. J’ai demandé pourquoi, et le policier m’a répondu : « Parce que tu es un sale pédé ! Je vais te laisser là pour que ces gars puissent te baiser autant qu’ils le veulent. » J’ai dû soudoyer les soldats pour qu’ils arrêtent de me torturer et de m’humilier.

Le 30 septembre, Yasser a eu sa première audience au tribunal correctionnel de Dokki à Gizeh. Le juge l’a acquitté :

Lorsque je suis revenu pour récupérer les papiers au poste, j’ai eu la surprise de constater que l’accusation avait fait appel de la décision. J’ai fini par trouver un avocat qui m’a défendu en appel et, encore une fois, le verdict a été « non coupable ». Ma famille a cessé de me parler, mon frère a menacé de me tuer, j’avais trop peur pour marcher dans la rue. J’ai tout perdu. Je n’avais même pas d’argent pour quitter le pays.

« Salim », 25 ans

Salim a été détenu de façon arbitraire à deux reprises. Un soir de début 2019, a témoigné Salim, il retrouvait un ami à Ramsès, au Caire, lorsque des agents de police se sont approchés de lui et ont demandé à voir sa carte d’identité. Les policiers ont dit à Salim qu’ils « nettoyaient les rues de tous les pédés » et se sont mis à le frapper « de toutes leurs forces », a-t-il déclaré, puis l’ont menotté et jeté dans un fourgon de police. Ils l’ont emmené au poste de police d’Azbakeya et ont confisqué son téléphone, son argent et ses effets personnels :

Une dizaine de policiers ont commencé à me frapper de tous côtés, à tel point que je ne savais plus lesquels me battaient et lesquels m’insultaient. Ils m’ont emmené dans une pièce minuscule et m’ont obligé à rester debout dans le noir, mains et pieds attachés par une corde. Ils m’ont forcé à me tenir debout comme ça pendant trois jours. Ils ne me laissaient pas aller aux toilettes. J’ai dû mouiller mes vêtements et même déféquer dedans. Je ne savais toujours pas pourquoi j’étais détenu. À ce moment-là, j’ai prié pour qu’ils recommencent à me battre au lieu de m’attacher de cette façon.

Après le troisième jour, a rapporté Salim, un policier l’a emmené dans une autre pièce et lui a fait signer une feuille de papier sans la lire. Lorsqu’il a demandé ce qu’il signait, l’agent l’a menacé de viol et lui a dit : « Si tu veux sortir, signe les papiers. » Une fois qu’il a signé, a témoigné Salim, les policiers l’ont jeté dans une cellule surpeuplée. Le lendemain, les mêmes policiers l’ont emmené au Parquet d’Azbakeya. Ils ont dit : « Si tu racontes quoi que ce soit sur ce qu’il s’est passé, tu ne verras plus jamais le jour. »

Salim a poursuivi :

J’ai dit au procureur que je ne savais pas de quoi j’étais accusé, ni pourquoi j’étais là. Ils m’ont ramené au poste, jeté dans une cage pendant trois heures et là encore m’ont frappé.   Puis ils m’ont ordonné de quitter le poste. J’ai réclamé mon téléphone et mon argent, mais ils m’ont frappé et jeté dehors.

Un mois plus tard, Salim a été à nouveau arrêté au hasard dans la rue, fouillé et détenu jusqu’au lendemain matin.

En décembre 2019, un juge du tribunal d’Abbasiya l’a acquitté des charges de « débauche » dont on l’avait accusé lorsqu’on l’avait arrêté pour la deuxième fois.

Malak el-Kashif, 20 ans

Le 6 mars 2019, les forces de sécurité ont arrêté Malak el-Kashif, une militante politique et femme transgenre, six jours après qu’elle avait participé à une manifestation au Caire. Elle a déclaré que la police l’avait arrêtée chez elle au Caire à 2 heures du matin, traînée dans la rue par les vêtements et frappée. On l’a emmenée au poste de police d’al-Haram :

En attendant l’enquête, ils m’ont mise dans une cellule en forme de cage. Je chantais pour parvenir à me calmer. Lors de l’enquête de police, ils m’ont posé des questions sur ma vie privée, ma chirurgie de réassignation sexuelle, mon identité transgenre et mes liens avec [les activistes LGBT] Sarah Hegazy, Ahmed Alaa, ainsi qu’avec Mashrou’ Leila ! Ils m’ont fait signer un procès-verbal sans me laisser lire ce qu’ils avaient écrit.

Les procureurs ont ordonné la détention d’el-Kashif pendant 15 jours en attendant les résultats d’une enquête sur la charge de « détournement des médias sociaux », un chef d’accusation utilisé largement en Égypte contre les dissidents pacifiques.

J’ai été détenue pendant 15 jours au poste de police d’al-Haram, dans une cellule de la taille d’un frigo. J’ai été agressée verbalement de la pire manière que j’aie connue de la part d’agents de police et ils m’ont interdit d’aller aux toilettes pendant deux jours. Ils m’ont forcée à subir un examen anal. Ils m’ont agressée sexuellement.

Puis elle a été placée à l’isolement dans la prison pour hommes de Mazr’a Tora pendant 135 jours :

Lorsque j’ai su que j’allais dans une prison pour hommes, j’ai eu l’impression que c’était la fin du monde. J’ai dû me déshabiller à trois reprises devant des hommes. Pendant 120 jours, je n’ai pas vu la lumière du jour et n’ai eu droit à aucune visite, à part mes parents, que j’avais quittés sept ans auparavant et que je ne voulais pas voir. J’ai raté mes examens universitaires parce que je n’ai pas été autorisée à les passer jusqu’à la dernière minute. L’isolement, c’est la pire chose qui me soit jamais arrivée, cela a vraiment affecté ma santé mentale. J’ai toujours un trouble de stress post-traumatique (TSPT) et une phobie sociale, je ne suis plus la personne que j’étais.

La police a refusé les requêtes de ses avocats qui demandaient qu’elle puisse continuer son traitement hormonal et subir de nouvelles interventions chirurgicales de réassignation sexuelle. Elle a expliqué que suite à une précédente opération, elle avait une pièce métallique dans le bras, qui s’est infectée pendant sa détention : « C’était une douleur atroce, mais ils ont refusé de me fournir un traitement médical. » Et el-Kashif de conclure :

Malgré tout cela, je ne veux pas quitter l’Égypte. Le décès subit de Sarah Hegazy a secoué toute notre communauté en Égypte. C’était une personne comme il y en a peu. Très peu de gens ont pu transformer leur vie et la région toute entière comme elle l’a fait. Elle a inscrit les droits LGBT à l’ordre du jour du mouvement de gauche. Son expérience me rappelle qu’on a besoin de ma voix dans ma société, que j’ai un rôle à jouer et que je ne cesserai pas de me battre.

Hossam Ahmed, 27 ans

Hossam Ahmed, un homme transgenre, a été arrêté dans un café du Caire le 28 février 2019 et détenu dans un lieu non divulgué pendant quatre jours avant d’être présenté devant le procureur le 4 mars. Il a été accusé d’« appartenance à un groupe terroriste et détournement des médias sociaux pour commettre un crime puni par la loi ». Alors qu’un tribunal avait ordonné de libérer Ahmed le 15 septembre 2020, il est demeuré en détention provisoire pendant une semaine de plus, avant d’être finalement libéré le 22 septembre.

Bien qu’Ahmed ait subi des interventions médicales de réassignation sexuelle et qu’il s’identifie lui-même comme un homme transgenre, sur sa carte d’identité figure « sexe féminin ». Alors qu’il était détenu dans la prison pour femmes d’Abdeen au Caire, a-t-il rapporté, il a subi des examens physiques et on lui a interdit de continuer son traitement hormonal et ses interventions chirurgicales de réassignation sexuelle.

À travers une organisation de défense des droits des personnes LGBT basée en France, Human Rights Watch a obtenu un texte qu’il avait écrit en prison le 21 février 2020 :

Chaque journée paraît une année. Tous ceux qui entrent ici ont peur de mon [identité trans] et me harcèlent sur le plan physique et émotionnel. Les agents de police prennent plaisir à me harceler. Ils m’appellent par le prénom qui figure sur ma carte d’identité. Les femmes qui sont détenues ici avec moi disent aux policiers : « Il s’appelle Hossam. » Les policiers frappent et torturent ces femmes pour leur faire dire que j’ai fait des choses qui n’ont jamais eu lieu. Nous dormons sur un matelas pourri et puant, sans couvertures. L’État ne nous envoie que du pain. Toute la nourriture provient des visiteurs. Si je n’ai pas de visites pendant trois jours, je ne mange pas pendant trois jours.

Tout ce que je demande, c’est qu’on me traite comme un être humain et qu’on m’appelle Hossam. Je suis tellement las d’être amené à l’hôpital à intervalles réguliers pour qu’ils puissent examiner mes parties génitales. J’ai des douleurs aux os, mes genoux sont fichus, j’ai des taches bizarres sur le corps et des marques de morsures, des puces, des bestioles et des poux partout. J’ai l’impression que ça fait un siècle que je suis ici.

« Aya », 28 ans

Aya, activiste LGBT, a été arrêtée par les forces de sécurité en mai 2018, alors qu’elle manifestait contre l’inflation. Elle a témoigné :

Je venais juste d’arriver à la manifestation, et avant que j’aie pu lever ma bannière, un groupe d’agents de la Sécurité nationale a commencé à me frapper avec leurs matraques, à me donner des coups de pied et de poing. Même lorsque je suis tombée à terre, ils m’ont frappée jusqu’à déchirer mes vêtements.

D’après le témoignage d’Aya, on l’a amenée dans six postes de police pour interrogatoire et placée une journée entière dans un entrepôt mobile métallique, dans une chaleur torride : « J’aurais pu mourir asphyxiée », a-t-elle commenté.

Puis elle a été détenue dans la prison pour femmes d’al-Qanater au Caire. Les policiers l’ont interrogée pendant 12 heures, a-t-elle témoigné, lui demandant sans relâche si elle était vierge. Les autorités l’ont accusée d’« appartenance à un groupe terroriste cherchant à interférer avec la constitution » et détenue dans une cellule de 2 mètres sur 3 avec 45 autres femmes. « Les femmes devaient se battre et se menacer pour obtenir un espace où dormir », a-t-elle déclaré. 

Aya a témoigné qu’elle avait subi trois tests de « virginité » :

Un policier m’a obligé à me déshabiller devant ses collègues, moi je sanglotais, mais il m’a obligée à écarter les jambes et a regardé à l’intérieur de mon vagin, puis de mon anus. Il m’a forcée à prendre une douche devant lui. Une policière m’a fait me déshabiller, m’a attrapé et pressé les seins, puis m’a attrapée par le vagin, m’a ouvert l’anus et y a inséré sa main si profondément que j’ai senti qu’elle en sortait quelque chose. J’ai saigné pendant trois jours et j’avais du mal à marcher pendant des semaines. Je ne pouvais pas aller aux toilettes et j’ai commencé à avoir des problèmes médicaux dont je souffre toujours aujourd’hui. Elle a aussi jeté ma nourriture aux toilettes.

Après deux mois, un tribunal a ordonné la libération d’Aya, mais avec deux ans de liberté conditionnelle, durant lesquels elle doit se présenter au bureau de la Sécurité nationale trois fois par semaine. Dans les bureaux où elle se présente comme le tribunal l’a ordonné, elle a été frappée, agressée sexuellement de façon répétée, humiliée et harcelée, a-t-elle déclaré :

On continue à me surveiller. Une fois que vous avez un dossier judiciaire, en Égypte, ça vous suit à jamais. Ils nous jugent devant un tribunal pénal parce que nous sommes une « menace pour la société ». J’ai vu ce qu’ils faisaient aux femmes transgenres là-bas, ils les enferment dans un entrepôt sans aération, les frappent et les harcèlent sexuellement.

« Adham », 22 ans

En août 2018, a relaté Adham, il attendait un ami au Caire, lorsque deux hommes en civil se sont approchés de lui :

Ils m'ont dit qu’ils faisaient partie de la police judiciaire, puis m’ont attrapé par les bras, ont pris ma carte d’identité et ont fouillé mon téléphone à la recherche d’applications de rencontres homosexuelles. Ils m’ont frappé et injurié, puis ont fait pression sur moi pour voir mes photos personnelles. 

Trouvant une capture d’écran d’une conversation entre Adham et un ami, les policiers l’ont notée dans leur carnet en la qualifiant de « conversation sexuelle inappropriée ». Lorsqu’il a tenté de s’expliquer, un des agents l’a saisi à la gorge, a-t-il déclaré, tandis que l’autre le frappait très fort en lui adressant « les pires insultes imaginables ». Puis ils l’ont traîné et jeté dans un bus :

Ils m’ont emmené au poste de police d’Abdeen en me disant qu’ils me laisseraient partir dès qu’ils auraient vérifié ma carte d’identité, mais ensuite ils m’ont gardé deux heures dans une pièce inhumaine. Ils m’ont battu si violemment que je suis tombé par terre et [ils] m’ont humilié. Un policier a vu que je portais une croix, m’a ordonné de l’enlever puis a pris une photo de moi tenant une feuille avec mon nom, mon prénom et en dessous le mot « débauché ».

D’après le témoignage d’Adham, les agents de police ont tenté de lui faire signer une déclaration qui ne provenait pas de lui, contenant des aveux d’« immoralité et incitation à la débauche », de « commerce sexuel » et de « tentative de satisfaire des désirs sexuels prohibés avec des hommes en échange de paiement ». Lorsqu’il a refusé, plusieurs policiers l’ont attaqué par derrière et ont commencé à lui donner des coups de poings, à le gifler et à lui piétiner tout le corps de leurs bottes. Il a témoigné :

Ils m’ont traîné par les vêtements dans une cellule où se trouvaient d’autres détenus, et l’un d’eux a dit : « Je vais les obliger à te baiser, sale pédé. » Les autres détenus m’ont agressé verbalement et sexuellement.

Le lendemain, les agents de police ont emmené Adham au Parquet de Qasr el-Nil, au centre du Caire, où on a ordonné sa libération. Or la police a refusé d’obtempérer et l’a ramené au poste de police d’Abdeen :

Quand je suis revenu dans la cellule, un policier m’a agressé sexuellement, et lorsque je l’ai repoussé, il a menacé de mettre des fausses photos sur mon téléphone pour me faire inculper.

Le 23 septembre 2018, un tribunal du Caire a condamné Adham à six mois de prison et six mois de liberté conditionnelle pour « débauche ». En appel, un tribunal a rejeté les charges contre lui, mais elles sont restées inscrites dans son casier judiciaire jusqu’en avril 2019, l’empêchant de travailler ou de chercher un emploi.

« Alaa », 37 ans

En avril 2018, a rapporté Alaa, lui et son ami ont été approchés par la police alors qu’ils attendaient dans une banque cairote. Alaa a présenté sa carte d’identité et les policiers, après une recherche, ont constaté qu’il avait déjà été arrêté en 2007. D’après Alaa, cette première arrestation semblait avoir été faite au hasard, la police n’ayant trouvé aucune preuve contre lui, pourtant un juge l’avait condamné à trois ans de prison pour « débauche ». C’est finalement à l’hôpital de la prison 440 de Wadi al-Natroun, au nord-ouest du Caire, qu’il avait purgé cette peine, après qu’il avait dit au procureur qu’il était séropositif pour le VIH.

Lors de sa détention de 2007, a témoigné Alaa, il n’avait reçu aucun traitement anti-VIH jusqu’aux six derniers mois, lorsque son cas avait attiré l’attention du public ; et même à ce moment-là, on ne lui avait fourni que des médicaments expirés. D’après lui, il doit jusqu’à aujourd’hui marcher avec une béquille à cause des blessures résultant des passages à tabac et des viols en série infligés par d’autres détenus de l’hôpital.

En 2018, lorsque les policiers l’ont à nouveau arrêté, ils n’ont pas dit pourquoi, a-t-il déclaré, et au poste de police de Bulaq Abu al-Ala, l’ont battu jusqu’à ce qu’il perde connaissance et se sont moqués de son handicap. Il a sorti sa carte de personne handicapée pour la montrer à l’officier, qui lui a alors rétorqué de « se la mettre dans le cul ». « J’ai pensé que c’était de l’humour », a expliqué Alaa, « mais ensuite il a réellement ordonné à un autre policier d’insérer la carte dans mon anus, ce qu’il a fait. Je priais pour que Dieu m’emporte. Je voulais mourir. Je voulais juste que la terre m’engloutisse. »

Alaa a déclaré que le procureur avait refusé d’écouter son témoignage et s’était mis à le harceler verbalement et à le menacer d’examens anaux forcés. Le procureur l’a questionné en se fondant sur le procès-verbal de police, qu’Alaa dit avoir signé sous l’effet de pressions. On pouvait y lire qu’Alaa et son ami – également arrêté – « avaient des relations sexuelles l’un avec l’autre et se disputaient en public à propos d’argent, en lien avec leur activité de travailleurs sexuels ».

L’accusation a ordonné qu’Alaa et son ami subissent un examen anal forcé : « Le médecin légiste a inséré de force ses doigts dans mon anus, ainsi qu’un autre objet. Je me suis senti humilié de façon inexprimable. »

Alaa décrit avoir été frappé, humilié et agressé sexuellement par des policiers et des détenus au centre de détention de Bulaq Abu al-Ala. Selon lui, « l’officier imposait son autorité comme s’il était un dieu punissant ses serviteurs ».

Les deux hommes ont été détenus pendant 26 jours en attendant leur procès. Au tribunal, a témoigné Alaa, le juge lui a dit : « Vous êtes la ruine de l’Égypte. Trouvez quelqu’un d’autre pour élever vos enfants, car je le jure, je vais vous mettre en prison jusqu’à ce que vous ayez 36 ans, je vais vous gâcher la vie. » Le juge a condamné Alaa et son ami à six ans de prison et six ans supplémentaires de liberté conditionnelle.

En appel, le juge a réduit les peines à six mois de prison et six mois de liberté conditionnelle. Les deux hommes ont passé en tout six mois et 26 jours en prison :

Jusqu’à aujourd’hui, je ne sais pas quel est le fondement de ma détention. J’ai tout perdu. J’ai essayé de déposer plainte contre la police, puis je me suis rendu compte que pour eux, nous étions des cafards, pas des êtres humains. Je savais que je devais quitter l’Égypte. Tout ce que je veux, c’est me sentir en sécurité le matin au réveil.

« Hamed », 25 ans

Hamed a été détenu de façon arbitraire à trois reprises, en 2014, 2015 et 2017.

En 2017, il était dans la rue avec un ami au Caire, a-t-il témoigné, lorsque des policiers ont demandé leurs cartes d’identité et leurs téléphones. Lorsque les policiers ont découvert les inculpations précédentes pour « débauche » et « prostitution », a déclaré Hamed, ils les ont frappés pour les forcer à déverrouiller leurs téléphones.

Au poste de police, le policier m’a dit : « Je vais te jeter en pâture aux soldats, ils vont te violer l’un après l’autre. » J’avais une chaîne autour du cou et il l’a attrapée et m’a étranglé avec jusqu’à ce qu’elle se détache. Il m’a menotté et m’a fait m’agenouiller à terre. Puis il m’a battu avec la crosse de son fusil, a pointé un couteau sur moi et un sachet rempli de drogue. Il m’a dit : « Je vais dire qu’on a trouvé ça sur toi. » J’ai déverrouillé le téléphone. Alors le policier a téléchargé plusieurs applications de rencontres homosexuelles puis y a chargé des images pornographiques prises au hasard sur Internet, avant de me forcer à signer un procès-verbal de police.

Le lendemain, Hamed a vu le procureur, qui a ordonné à un médecin légiste de lui faire subir un examen anal forcé : « On m’a déshabillé. Le médecin légiste m’a inséré un objet dans l’anus. Ça m’a fait tellement mal que je ne pouvais pas m’arrêter de hurler. » Hamed a confié qu’il avait menti aux policiers, prétendant être malade du SIDA pour qu’ils ne le touchent pas.

Hamed a été placé en détention provisoire dans une prison du centre de Nasr, à l’est du Caire, pendant trois mois. D’après son témoignage, les agents de police le frappaient chaque jour, l’agressaient sexuellement et l’insultaient en permanence. Au procès, le tribunal a condamné Hamed à six ans de prison. Une cour d’appel a réduit sa peine à six mois, après lesquels il a été libéré, mais de façon conditionnelle pendant encore six mois :

Je ne suis toujours pas en sécurité car les policiers ont fait fuiter mon cas à la presse et l’ont publié sur Internet. Je ne peux pas trouver d’emploi, même si les charges contre moi ont été abandonnées. Je n’ai aucune liberté dans mon pays. Mon rêve est de quitter l’Égypte, mais tant que mes condamnations apparaissent sur mon casier, je ne peux pas ; et je n’ai pas d’argent pour les pots-de-vin.

Ahmed Alaa, 24 ans

Ahmed Alaa a été arrêté le 1er octobre 2017, jour de son 21ème anniversaire, soit quelques jours après le concert de Mashrou’ Laila, dans la ville de Damietta située dans le nord du pays. Dix policiers en civil l’ont attaqué dans la rue, l’ont frappé et ont pris son téléphone alors qu’il attendait un ami dans une voiture. Ils ne se sont pas identifiés. « Au début, je pensais que c’était une blague », a-t-il déclaré. « Je ne comprenais pas ce qu’ils me voulaient. »

Après l’avoir frappé, certains des policiers l’ont emmené de force à la prison de Damietta, a-t-il rapporté. Dans la voiture de police, les agents le giflaient. Ils ne l’ont pas informé de la raison de son arrestation, et lors du premier interrogatoire par des agents de la Sécurité nationale dans la prison, qui a duré sept heures, il n’avait pas d’avocat.

D’après le récit d’Alaa, ils l’ont placé pour la nuit dans une cellule en forme de cage. Il a dormi sur une planche, menotté, n’a pu ni manger ni boire et a été escorté aux toilettes sans avoir le droit de fermer la porte.

D’après son témoignage, lors de l’interrogatoire de police, l’officier lui a demandé : « Est-ce que tu es pédé ? », « Pourquoi tu t’es infligé une chose pareille ? », « Est-ce que tu as lu le Coran ? », « Est-ce que tu as déjà pratiqué la sodomie ? ».

Ils lui ont aussi demandé s’il avait brandi un drapeau arc-en-ciel au concert. Il a répondu que oui, ajoutant qu’il était favorable au droit de chacun à s’exprimer. Le policier a rétorqué : « La démocratie, c’est péché » et « Tu ne sortiras pas de prison de sitôt ».

Il a été transféré à la prison pour hommes d’al-Qanater, au Caire, où il a encore été interrogé par d’autres policiers.

J’ai été questionné par trois agents dans cette prison, qui m’ont insulté et injurié. Ils m’ont dit que j’étais un pédé et un drogué. Ils m’ont menacé d’inciter les prisonniers à me violer si je n’avouais pas que j’avais des relations sexuelles avec des hommes, mais je ne l’ai pas fait. Je voulais juste m’en aller dans la cellule et pleurer.

Quatre agents l’ont alors regardé se déshabiller tout en lui jetant des insultes homophobes, a-t-il déclaré. Ils l’ont placé à l’isolement, affirmant que c’était pour sa protection.

La cellule était souterraine, dépourvue de fenêtres, de lumière, de lit et d’aération, avec une couverture sale, deux bouteilles d’eau et une miche de pain. Je n’ai pas pu quitter cette cellule pendant dix jours. Je pleurais jusqu’à ce que je m’endorme, je chantais pour me calmer, et je ne voulais pas me réveiller le jour suivant.

Le cinquième jour de son confinement en isolement, les agents l’ont fait venir pour un autre interrogatoire, cette fois avec Sarah Hegazy, qui elle aussi était détenue pour avoir brandi un drapeau arc-en-ciel au même concert de Mashrou’ Leila et faisait face aux mêmes chefs d’accusation : « appartenance à un groupe terroriste cherchant à interférer avec la constitution » et « incitation à la débauche ».

Je me suis senti réconforté par sa présence, elle m’a souri et m’a dit de rester fort. Nous avons chanté des chansons de Mashrou’ Leila ensemble. Sarah parlait aux islamistes, leur posant des questions et les écoutant attentivement. Elle traitait tout le monde avec humanité.

Après l’interrogatoire, a témoigné Alaa, un agent l’a maintenu pendant qu’un autre lui rasait la tête. Alors qu’on le ramenait à la cellule, des prisonniers lui ont dit : « S’ils te laissent sortir, je te retrouverai et je te violerai » et « Ça fait cinq ans que je n’ai touché personne, tu vas sucer ma grosse bite ». D’après Alaa, un des agents l’a forcé à lui toucher les parties génitales.

Il a ensuite été transféré à la section des mœurs d’une autre prison et placé dans une cellule où il y avait sept détenus. « Nous dormions chacun à notre tour. Quatre dormaient et trois restaient debout, sinon on ne rentrait pas », a-t-il expliqué.

Après trois mois de détention provisoire, le 1er janvier 2018, un juge a ordonné qu’Alaa et Hegazy soient libérés sur caution. En dépit de l’ordonnance judiciaire de mise en liberté, a déclaré Alaa, les agents de la Sécurité nationale l’ont retenu en détention pendant dix jours supplémentaires dans un lieu non divulgué, sans fondement légal, afin de le « terroriser » :

On m’a dit que si je voulais être libéré, je devais « faire le mort » et me rendre très malade. J’ai fait une grève de la faim les deux derniers jours. Je voulais perdre conscience pour qu’ils me libèrent. J’étais prêt à perdre la vie s’ils prolongeaient encore ma détention. Si j’étais mort à ce moment-là, personne n’en aurait été tenu responsable.

« Mourad », 28 ans

En 2017, alors que Mourad se rendait à pied à son université d’Alexandrie à 10 heures du matin, un policier, scrutant son apparence, lui a demandé : « Tu veux me donner ton téléphone ou tu viens au poste avec moi ? » D’après le récit de Mourad, l’agent a alors « fouillé mon téléphone et trouvé des photos privées de moi habillé en femme. Il a dit : ‘Tu es un pédé. Tes parents n’ont pas su te discipliner, alors moi je vais te montrer à quoi ressemble la discipline.’ »

Mourad a témoigné que les policiers l’avaient battu, agressé verbalement et qu’ils l’avaient forcé à avouer qu’il avait eu des relations sexuelles avec un homme. L’accusant d’« imiter les femmes », ils s’adressaient à lui en employant des prénoms féminins de façon péjorative.

Mourad a été détenu dans la prison de Burj al-Arab, près d’Alexandrie, dans une cellule surpeuplée et insalubre. « C’était impossible de trouver un espace pour dormir », a-t-il précisé. Les gardiens de prison l’ont frappé, menacé de mort, a-t-il déclaré, et les détenus l’ont violé à tour de rôle dans sa cellule, tandis que les gardiens ne faisaient rien pour le protéger.

Un tribunal a condamné Mourad à un an de prison pour « incitation à la débauche ».

Je ne peux toujours pas trouver de travail. Je ne peux pas voyager. Mon unique souhait est d’être comme mes frères et sœurs, libre, de vivre sans casier judiciaire.

« Hanan », 20 ans

En septembre 2017, alors que Hanan, une femme transgenre, était une fille de 17 ans, les forces de sécurité égyptiennes l’ont piégée à travers les médias sociaux et arrêtée arbitrairement dans un restaurant cairote, a-t-elle rapporté :

J’avais discuté avec un homme sur Facebook et il m’a dit qu’il voulait me voir. Nous nous sommes rencontrés dans un restaurant trois jours avant le concert de Mashrou’ Leila au Caire. J’avais une entrée pour le concert dans mon sac à dos. En arrivant, j’ai trouvé quatre hommes en civil qui m’attendaient. Je savais que c’était pour m’arrêter.

Selon Hanan, les agents de police ont fouillé son téléphone, consulté Grindr via son compte Facebook et créé une fausse conversation afin de charger des photos d’elle en tant que femme. Elle n’a pas été mise au courant de ce dont on l’accusait. Elle a déclaré qu’on l’avait fait se déshabiller au poste de police, en face d’agents qui examinaient son corps et lui posaient des questions d’ordre privé, comme : « Est-ce que tu te rases ? », « Comment as-tu fait pour avoir des seins ? », « Pourquoi as-tu les cheveux longs ? », « Pourquoi as-tu une entrée pour le concert de Mashrou’ Leila ? ».

Après des heures d’agressions verbales, a expliqué Hanan, elle a cessé de répondre aux questions. Alors les policiers ont commencé à la frapper :

Ils m’ont giflée, donné des coups de botte, traînée par terre par les vêtements jusqu’à ce qu’ils se déchirent. Je sanglotais et ne pouvais pas parler. Les policiers me giflaient et me poignardaient de leurs stylos pour me forcer à parler. Ils me menaçaient de me faire subir un examen anal. Je leur ai dit qu’ils pouvaient bien le faire, que je n’avais rien à cacher. Alors ils ont ordonné à un médecin légiste de me faire l’examen anal.

Devant le procureur, Hanan s’est vu interroger sur les photos dans son téléphone. Elle a nié que ce soit elle, mais le procureur a déclaré, selon son récit : « Même les photos de toi habillé en homme t’incriminent. Soit tu avoues maintenant, soit tu ne pars jamais d’ici. » « Il m’injuriait et me hurlait dessus, mais j’ai refusé d’avouer », a-t-elle témoigné. Alors le procureur a déclaré : « Je vais te laisser en détention pendant trois jours, ça te fera réfléchir. »

Hanan a poursuivi :

J’ai été détenue dans une cage sous un escalier [au sein du Parquet]. Ce n’était même pas une cellule de prison, [mais juste] une pièce minuscule, 3 mètres sur 2, avec dedans 25 personnes gays et transgenres. Ils ont refusé de me laisser appeler qui que ce soit ou engager un avocat.  Je ne pouvais pas dormir, je délirais, j’étais en état de choc, je me disais que je devais rester sur le qui-vive, sinon ils me tueraient. Je me suis coupé les cheveux moi-même pour avoir l’air normal lorsque je serais interrogée à nouveau.

Trois jours après, a témoigné Hanan, elle a été transférée dans une cellule d’hommes :

On m’a harcelée, agressée sexuellement et verbalement, on s’est moqué de moi. On m’a touchée dans mon sommeil. J’ai cessé de dormir. Les policiers me frappaient en me disant : « On va t’apprendre à être un homme. » Lorsque je résistais à leurs abus, ils me torturaient au moyen d’un tuyau d’arrosage.

« [Les procureurs] continuaient à retarder mon procès, d’abord de 15 jours, puis deux mois. J’avais l’impression que je ne partirais jamais », a confié Hanan. Au total, Hanan a été maintenue en détention provisoire pendant deux mois et 15 jours.

Un tribunal l’a condamnée à un mois de prison supplémentaire pour « incitation à la débauche ». Même si elle a été libérée une fois sa peine purgée, le chef d’inculpation est resté dans le casier de Hanan pendant trois ans.

Quand on m’a libérée, l’agent m’a demandé : « Tu es actif ou passif ? » Je ne comprenais pas ce qu’il voulait dire, alors il m’a gardée en détention encore une nuit, alors qu’il y avait une ordonnance de libération. Le lendemain, il m’a demandé à nouveau. J’ai dit : « Actif. » Il a répondu : « C’est bien, mon gars. »

Obligations légales de l’Égypte

Les abus des autorités égyptiennes à l’encontre les personnes LGBT qui ont été décrits ici violent de multiples droits fondamentaux, comme leur droit à la vie privée, à l’intégrité corporelle et à la protection contre les traitements inhumains et dégradants et la torture, leur liberté de déplacement, d’expression, de réunion et d’association, ainsi que leur droit à ne pas être discriminées et protégées par la loi.

Ces abus violent non seulement les obligations de l’Égypte en vertu des traités internationaux auxquels elle est partie, mais aussi les droits garantis par la constitution du pays elle-même.

En effet, la constitution égyptienne établit un certain nombre de droits à un procès en bonne et due forme. Elle interdit les arrestations sans mandat, à moins que la personne ne soit prise en flagrant délit, exige la présence d’un avocat lors des interrogatoires et garantit aux suspects le droit de garder le silence, d’être informés par écrit de la raison de leur arrestation dans les 12 heures, d’être présentés à un procureur dans les 24 heures et de contacter un avocat et un membre de leur famille.

La constitution prohibe la torture, l’intimidation, la coercition et les « atteintes physiques ou morales » à l’égard des détenus. Elle précise qu’il n’existe aucun délai de prescription pour le crime de torture. Elle prévoit qu’un tribunal devrait écarter toute déclaration faite sous la torture ou la menace de la torture.

L’Égypte est partie à plusieurs traités internationaux relatifs aux droits humains, notamment au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CCT) et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Tous ces traités interdisent strictement et absolument la torture, ce qui implique l’interdiction d’utiliser les preuves obtenues sous la torture. De façon similaire à la constitution, le PIDCP et la Charte africaine établissent également le droit fondamental de toute personne détenue ou accusée d’un crime à bénéficier d’une procédure en bonne et due forme.

En vertu du droit international relatif aux droits humains, les autorités égyptiennes sont tenues de protéger les femmes de toute forme de violence, ayant des obligations spécifiques à cet égard en tant que partie à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. La constitution égyptienne exige elle aussi de protéger les femmes de la violence.

Les Principes de Jogjakarta sur l’application du droit international relatif aux droits humains en ce qui concerne l’orientation sexuelle et l’identité de genre exigent notamment que tous les États « pren[nent] toutes les dispositions législatives et administratives, ainsi que toute autre mesure, nécessaires pour empêcher et fournir une protection contre la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, perpétrés pour des raisons liées à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre de la victime, ainsi que contre toute incitation à ces actes ».

Les poursuites judiciaires pour des relations sexuelles consensuelles en privé et entre adultes violent le droit à la vie privée et à la non-discrimination garanti par le droit international, notamment le PIDCP. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, qui observe le respect du PIDCP, a clairement exprimé qu’il était interdit de discriminer les personnes en se fondant sur leur orientation sexuelle eu égard au respect de tous les droits protégés par ce traité. Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a conclu que les arrestations pour relations homosexuelles entre adultes consentants étaient, par définition, arbitraires. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples appelle explicitement ses États membres, dont l’Égypte, à protéger les minorités sexuelles et de genre conformément à la Charte africaine.

---------------

Articles

OLJ/AFP     France Culture     Times of Israel (FR)   

Tetu.com      Washington Post     Urban Fusions

Tweets

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.

Thème