(Beyrouth) - Des responsables gouvernementaux à travers la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord prennent pour cible des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) en exploitant leurs activités sur les réseaux sociaux, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport rendu public aujourd’hui. Les forces de sécurité ont ainsi piégé des personnes LGBT sur les réseaux sociaux et les applications de rencontre, en se livrant à du chantage, à du harcèlement et à des outings, s’appuyant sur des photos, des conversations et des informations similaires obtenues illégalement dans le cadre de poursuites, en violation du droit à la vie privée et d’autres droits humains.
Le rapport de 149 pages, intitulé « ‘‘Toute cette terreur à cause d’une photo’’: Le ciblage en ligne et ses conséquences hors ligne pour les personnes LGBT au Moyen-Orient et en Afrique du Nord » (version complète en anglais - résumé et recommandations en français), examine la pratique du ciblage en ligne par les forces de sécurité et ses conséquences considérables dans la vie réelle – notamment la détention arbitraire et la torture – dans cinq pays : l’Égypte, l’Irak, la Jordanie, le Liban et la Tunisie. Le rapport montre comment des forces de sécurité utilisent le ciblage en ligne pour recueillir, voire créer des preuves en vue d’ouvrir des poursuites.
« Les autorités égyptiennes, irakiennes, jordaniennes, libanaises et tunisiennes ont intégré des outils technologiques dans leurs techniques policières visant les personnes LGBT », a déclaré Rasha Younes, chercheuse auprès du programme Droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) à Human Rights Watch. « Si les plateformes numériques ont permis aux personnes LGBT de s’exprimer et d’amplifier leur voix, elles sont aussi devenues des outils de répression étatique. »
Human Rights Watch a mené des entretiens avec 90 personnes LGBT victimes du ciblage en ligne et 30 experts, dont des avocats et des professionnels des droits numériques. Human Rights Watch a également examiné des preuves du ciblage en ligne de personnes LGBT, notamment des vidéos, des images et des menaces numériques. La recherche a bénéficié du soutien des membres de la Coalition pour les droits numériques et les droits LGBT (Coalition for Digital and LGBT Rights) : en Égypte, Masaar et une organisation de défense des droits LGBT au Caire dont le nom n’a pas été divulgué pour des raisons de sécurité ; en Irak, Raquer et le Réseau irakien pour les réseaux sociaux (INSM) ; en Jordanie, Rainbow Street et la Jordan Open Source Association (JOSA) ; au Liban, Helem et Social Media Exchange (SMEX) ; et en Tunisie, l’association Damj.
Human Rights Watch a documenté 45 cas d’arrestation arbitraire impliquant 40 personnes LGBT prises pour cible en ligne en Égypte, en Jordanie, au Liban et en Tunisie. Dans chaque cas d’arrestation, les forces de sécurité ont fouillé les téléphones, de force ou sous la menace de la force, afin de collecter – voire de fabriquer de toutes pièces – des informations numériques personnelles pour ouvrir des poursuites judiciaires, a constaté Human Rights Watch.
En examinant les dossiers judiciaires de 23 cas de personnes LGBT poursuivies sur la base de preuves numériques en vertu de lois criminalisant les comportements homosexuels, l’« incitation à la débauche », la « débauche », la « prostitution » et la cybercriminalité en Égypte, en Jordanie, au Liban et en Tunisie, Human Rights Watch a constaté que la plupart des accusés ont été acquittés en appel. Dans cinq cas, des personnes ont été reconnues coupables et condamnées à une peine d’un à trois ans de prison. Vingt-deux personnes n’ont jamais été inculpées mais placées en détention provisoire, dans un cas pendant 52 jours dans un poste de police au Liban.
Les personnes LGBT placées en détention ont déclaré avoir été confrontées à de nombreuses violations des droits de la défense, notamment des fonctionnaires qui ont confisqué leurs téléphones, leur ont refusé l’accès à un avocat et les ont forcés à signer des aveux extorqués. Les détenus LGBT ont déclaré avoir été privés de nourriture et d’eau, de représentation familiale et juridique et de services médicaux, et avoir subi des agressions verbales, physiques et sexuelles. Certains ont été placés à l’isolement. Les femmes transgenres détenues étaient régulièrement placées dans des cellules pour hommes, où elles subissaient des agressions sexuelles et d’autres mauvais traitements. Dans un cas, une femme transgenre détenue dans un poste de police en Égypte a déclaré avoir subi des agressions sexuelles répétées pendant 13 mois.
Human Rights Watch a documenté 20 cas de personnes piégées sur Grindr et Facebook par les forces de sécurité, qui ont créé de faux profils pour se faire passer pour des personnes LGBT, en Égypte, en Irak et en Jordanie ; et 17 cas d’extorsion en ligne par des particuliers sur Grindr, Instagram et Facebook en Égypte, en Irak, en Jordanie et au Liban, y compris par des bandes organisées en Égypte et des groupes armés en Irak. Les six personnes qui ont signalé l’extorsion aux autorités ont elles-mêmes été arrêtées.
Human Rights Watch a documenté 26 cas de harcèlement en ligne, y compris de doxxing et d’outing, sur Facebook et Instagram en Jordanie, au Liban et en Tunisie. Les personnes LGBT concernées ont déclaré avoir perdu leur emploi, subi des violences familiales, avoir été contraintes de changer de résidence et de numéro de téléphone, et avoir supprimé leurs comptes de réseaux sociaux, avoir fui le pays et subi de graves traumatismes psychologiques. La plupart ont signalé les abus à la plateforme numérique concernée, mais aucune n’a retiré les contenus incriminés.
Le ciblage des personnes LGBT en ligne est favorisé par la fragilité de leur statut juridique, a observé Human Rights Watch. En l’absence de protections légales ou de réglementation suffisante par les plateformes numériques, tant les forces de sécurité que les particuliers ont pu s’en prendre à eux en toute impunité.
Selon les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, les réseaux sociaux ont la responsabilité de respecter les droits humains, notamment ceux à la non-discrimination, à la vie privée et à la liberté d’expression. Les plateformes numériques, telles que Meta (Facebook, Instagram), et Grindr, sont insuffisamment proactives pour protéger les utilisateurs vulnérables au ciblage en ligne, a déclaré Human Rights Watch.
Les plateformes numériques devraient investir dans la modération de contenus, en particulier en langue arabe, en supprimant rapidement ceux qui sont abusifs ainsi que ceux qui pourraient mettre les utilisateurs en danger. Elles devraient exercer une diligence raisonnable en matière de droits humains pour identifier, prévenir, atténuer et comptabiliser les impacts négatifs potentiels et réels de ces pratiques sur les droits humains, et y remédier.
L’Égypte, l’Irak, la Jordanie, le Liban et la Tunisie ont chacun l’obligation, en vertu des droits international et régional des droits humains, de lutter contre les violations commises à l’encontre des personnes LGBT. Leurs gouvernements devraient respecter et protéger les droits des personnes LGBT au lieu de criminaliser leur expression et de les cibler en ligne, a déclaré Human Rights Watch. Ils devraient introduire et appliquer des lois protégeant les personnes de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, y compris en ligne.
« Les abus en ligne visant les personnes LGBT ont des conséquences dans la vie réelle qui se répercutent tout au long de leur existence et peuvent être préjudiciables à leurs moyens de subsistance, à leur santé mentale et à leur sécurité personnelle », a conclu Rasha Younes. « Les autorités du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord devraient cesser de s’en prendre aux personnes LGBT, en ligne et hors ligne, et les réseaux sociaux devraient atténuer les effets néfastes de ces pratiques en renforçant la protection en ligne des personnes LGBT. »
..........