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Côte d’Ivoire : La justice à l’arrêt pour les crimes postélectoraux de 2010-11

Onze organisations de défense des droits humains exhortent le président de la Côte d’Ivoire à soutenir des procès équitables et crédibles

Le président de la Côte d'ivoire, Alassane Ouattara, s'adresse aux délégués lors de la 72ème session de l'Assemblée générale des Nations Unies au siège de l'ONU à New York, le 20 septembre 2017. REUTERS/Eduardo Munoz

Le président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, devrait faire davantage pour honorer sa promesse de rendre justice pour les victimes de la crise postélectorale qui a secoué son pays en 2010 et 2011, ont déclaré aujourd’hui 11 organisations nationales et internationales de défense des droits humains dans une lettre conjointe adressée au chef d’État ivoirien.

Le président Alassane Ouattara, qui a prêté serment pour son premier mandat il y a sept ans, a affirmé à maintes reprises qu’« il n’y aura pas d’impunité en Côte d’Ivoire ». Cependant, personne n’a encore été condamné par les tribunaux ivoiriens pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité perpétrés pendant la crise.

« Sept ans après les graves crimes commis en Côte d’Ivoire, les victimes ont besoin de justice, » a déclaré Me Drissa Traoré, vice-président de la FIDH. « A mi-parcours de son second mandat, le président Alassane Ouattara doit tenir ses engagements répétés d’une justice équitable, condition d’une paix durable en Côte d’Ivoire ».

La crise de 2010-2011 a débuté lorsque le président sortant, Laurent Gbagbo, a refusé de céder le pouvoir au président élu Alassane Ouattara à la suite des élections présidentielles de novembre 2010. Au cours des cinq mois de violence et de conflit armé qui ont suivi, au moins 3 000 personnes ont été tuées et plus de 150 femmes violées. Les forces armées des deux côtés ont pris parfois pour cibles des civils sur la base de leur affiliation politique et, parfois, ethnique et religieuse.

Peu après son investiture en mai 2011, le président Alassane Ouattara s’est engagé en faveur d’une justice impartiale, déclarant que : « La justice sera la même pour tous ... Il n’y a pas d’exception, il n’y a pas de discrimination, la loi est la même pour tous. »

Dans un premier temps, il a demandé à la Cour pénale internationale (CPI) d’enquêter sur les crimes commis pendant la crise postélectorale. La CPI a inculpé en 2011 Gbagbo et Charles Blé Goudé, son ancien ministre de la Jeunesse, et tous deux sont actuellement jugés à La Haye.

Mais, en avril 2015, le président ivoirien a changé de cap, affirmant que les futurs procès se tiendraient en Côte d’Ivoire. Au même moment, il a assuré aux victimes que « Tout ceux qui ont commis les atrocités seront jugés ... Je trouve inadmissible que ces personnes qui ont tué, qui ont brûlé des gens, qui ont violé des femmes, se conduisent aujourd’hui comme s’ils étaient des anges, comme s’ils n’avaient rien fait. »

Toutefois, si la Cellule spéciale d’enquête et d’instruction (CSEI) a inculpé plusieurs dizaines de responsables militaires et civils de crimes contre l’humanité ou d’autres violations des droits de l’homme, aucun n’a été jugé jusqu’à présent.

Le seul procès pour crimes de guerre ou crimes contre l’humanité à s’être déroulé en Côte d’Ivoire est celui de l’épouse de l’ancien président, Simone Gbagbo, que le Président Alassane Ouattara a refusé de transférer à la CPI. Elle a été acquittée par un tribunal ivoirien en mars 2017 après un procès entaché d’irrégularités de procédure et en raison de la faiblesse de l’enquête menée par l’accusation.

Les victimes sont de plus en plus animées par l’idée que le gouvernement ivoirien, et le président Ouattara lui-même, n’ont pas la volonté politique de soutenir les procès, et particulièrement ceux des commandants militaires pro-Ouattara dont les troupes sont soupçonnées d’avoir commis de nombreux cas de violences sexuelles et d’assassinats ciblés pendant la crise post-électorale. En avril 2018, des rumeurs faisaient état de ce qu’un projet de loi serait à l’étude au sein de la présidence ivoirienne, et qui viserait à amnistier les auteurs d’abus commis durant la crise postélectorale.

Les organisations ont mis en garde qu’une amnistie serait contraire aux promesses répétées du Président Alassane Ouattara aux victimes et violerait les nombreux instruments juridiques internationaux qui protègent le droit des victimes à la justice, notamment la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

Elles ont donc exhorté le Président Alassane Ouattara à apporter aux juges ivoiriens le soutien dont ils ont besoin pour mener à bien leurs enquêtes et organiser des procès équitables et crédibles, notamment en menant à son terme l’exhumation des charniers, qui fourniront les preuves essentielles de certains des pires abus de la crise postélectorale.

« Après des années de promesses, la crédibilité du président Ouattara sera sérieusement compromise s’il entrave les efforts des juges ivoiriens pour demander des comptes aux auteurs des meurtres et des viols perpétrés pendant la crise postélectorale », a prévenu Mausi Segun, directrice de la division Afrique de Human Rights Watch. « Les victimes ivoiriennes, qui patientent depuis sept ans, méritent de voir les responsables des crimes commis contre eux et leurs proches enfin traduits en justice. »

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