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Burundi : Les autorités devraient cesser d'intimider les médias

Le gouvernement menace des journalistes de poursuites judiciaires

(New York, le 21 novembre 2011) – Les autorités burundaises devraient cesser d’exercer des pressions accrues sur les journalistes, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Au cours des dernières semaines, des journalistes ont été convoqués de plus en plus fréquemment pour interrogatoire par les autorités du parquet, en réaction à des émissions de radio impliquant des agents de l’État dans des atteintes présumées aux droits humains.

 

De hauts responsables gouvernementaux, dont trois ministres, ont intensifié les avertissements publics contre les médias ces derniers jours, en les menaçant de poursuites judiciaires, et laissant entendre qu'ils pourraient être accusés d'infractions pénales telles que l’incitation à la désobéissance civile et à la haine. Les menaces se sont multipliées suite aux restrictions imposées aux médias après un massacre à Gatumba le 18 septembre 2011.

 

« Nous sommes profondément préoccupés par la récente escalade dans l'intimidation des médias au Burundi », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Cette attaque contre la presse libre rend pratiquement impossible le travail des journalistes souhaitant réaliser des enquêtes et des reportages de manière indépendante. »

 

Une quarantaine de personnes ont été tuées par des assaillants armés lors d’une fusillade survenue le 18 septembre dans un bar de Gatumba, à environ 15 kilomètres de la capitale, Bujumbura. Les autorités ont imposé aux médias une interdiction pendant 30 jours de couvrir ces événements, ainsi que d'autres affaires faisant l’objet d’une enquête. Cette interdiction a été brièvement bravée par certains membres des médias, mais la plupart ont fini par s’y plier.

 

Une fois le délai de 30 jours expiré, certaines stations de radio ont commencé à diffuser des programmes sur le massacre. En particulier, la Radio publique africaine (RPA) a diffusé une interview avec l'un des accusés, Innocent Ngendakuriyo, qui a été contacté en prison et a affirmé que des agents de l’État pourraient avoir été impliqués dans les événements qui ont mené à la tuerie de Gatumba.

 

Le 8 novembre, Bob Rugurika, rédacteur en chef de RPA, et Patrick Nduwimana, rédacteur en chef de Radio Bonesha FM, ont été convoqués au parquet de la mairie de Bujumbura et ont été interrogés relativement à ces programmes.

 

Au cours de ces derniers jours, les déclarations de hauts responsables du gouvernement ont exacerbé les tensions. Le 11 novembre, le Conseil national de sécurité a publié un communiqué, lu par le ministre de la Défense, Pontien Gaciyubwenge, accusant certains membres des médias et de la société civile d’avoir manifestement enfreint l’interdiction de couvrir le massacre de Gatumba et appelant le gouvernement à appliquer rapidement des sanctions contre eux.

 

« Ces déclarations menaçantes semblent avoir été conçues non seulement pour intimider les journalistes, mais pour augmenter la pression sur eux afin qu’ils changent leur ligne éditoriale sous peine de fermeture et même d'emprisonnement », a déclaré Bekele. « Ces avertissements semblent préparer le terrain à un usage par le gouvernement de la loi afin de faire taire les journalistes. »

 

Le 10 novembre, Patrick Nduwimana de Radio Bonesha FM, Eric Manirakiza, directeur de RPA, et Vincent Nkeshimana, directeur de Radio Isanganiro, ont été convoqués par le parquet et ont été interrogés sur les sources de financement de leurs stations de radio. Le 14 novembre, RPA a reçu une lettre du ministre de l'Intérieur lui ordonnant de fournir des rapports annuels d'activité ainsi que des documents financiers dans les 10 jours.

 

La lettre du ministre accusait également RPA de s’écarter de ses objectifs initiaux. Elle affirmait que loin d’être un outil de cohésion sociale, la station de radio était utilisée « pour discréditer les institutions, délégitimer le pouvoir judiciaire, condamner gratuitement des individus, inciter la population à la haine et à la désobéissance et favoriser le culte du mensonge ».

 

Le 14 novembre, Bob Rugurika et Bonfils Niyongere, un journaliste de RPA, ont reçu une convocation du parquet. Ils ont été libérés après environ 10 heures d'interrogatoire au sujet de leurs reportages sur un incident survenu à l'Université de Bujumbura le 16 octobre, au cours duquel la police avait envahi le campus universitaire et deux étudiants avaient été tués. Niyongere avait été brièvement détenu par la police se trouvant à l'université le 6 novembre. Il a été accusé de tenir des réunions illégales à l'université, tandis que Rugurika était accusé de tapages nocturnes. C'était la huitième fois en quatre mois que Rugurika avait été convoqué pour un interrogatoire.

 

Le 15 novembre, quatre stations de radio -- Renaissance, RPA, Radio Bonesha FM et Radio Isanganiro -- ont demandé à leurs auditeurs de klaxonner pendant 15 secondes à 12h20 pour protester contre la violence politique et le musellement des journalistes. La police à Bujumbura a relevé les numéros des plaques d'immatriculation des voitures qui ont pris part à cette petite manifestation. Le lendemain, les stations de radio ont reçu une lettre de la ministre des Télécommunications, de l'information et de la communication les informant que cette action « a porté atteinte à l’ordre et la tranquillité publics. » La ministre leur a indiqué que toute personne publiant des informations relatives à des «  dossiers en phase pré-juridictionnelle » serait traitée conformément à la loi.

 

« D'abord les autorités ont rendu presque impossible la capacité des journalistes à faire leur travail », a déclaré Bekele. « Puis certaines autorités ont publiquement accusé les stations de radio d'incitation à la haine. Maintenant, même de modestes tentatives de protestation civile sont accueillies avec des menaces. Ce harcèlement constant restreint sévèrement la liberté des médias. »

 

Contexte

Depuis plusieurs années, le gouvernement du Burundi harcèle et intimide les journalistes, les accusant souvent, ainsi que les militants de la société civile, de travailler de concert avec les partis d'opposition.

 

Jean-Claude Kavumbagu a été emprisonné en juillet 2010 pour un article dans lequel il s'interrogeait sur la capacité de l'État à répondre à d'éventuelles attaques terroristes. Il a été acquitté de l'accusation initiale de trahison, mais reconnu coupable de « menacer l'économie nationale », un précédent négatif étant donné qu'aucun journaliste n’avait jamais été reconnu coupable d'un tel crime. Il a été libéré en mai. Trois autres journalistes ont été arrêtés à la mi-2010 et détenus pendant de courtes périodes.

 

En mai, Patrick Mitabaro, rédacteur en chef de Radio Isanganiro, a été accusé de « diffuser des informations pouvant affecter la sécurité de l'État » après avoir diffusé une interview avec un leader de l'opposition en exil. Il n'a pas été inculpé.

 

Des membres de la société civile ont également fait l’objet de convocations répétées en 2010 et 2011. À la fin août, le Président Pierre Nkurunziza a mis en garde certaines associations de la société civile en réaction à leurs critiques de la pression exercée par l'État sur les journalistes, les avocats et les militants de la société civile.

 

Pierre-Claver Mbonimpa, président de l'organisation de défense des droits humains Association burundaise pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH), et Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (OLUCOME), ont été interrogés par le parquet à de nombreuses reprises, mais non inculpés. En septembre, leurs interrogatoires comportaient des allusions au fait que les deux hommes seraient impliqués dans l'assassinat de l'ancien vice-président d'OLUCOME, Ernest Manirumva, en 2009.

 

Des avocats ont également été harcelés et plusieurs d’entre eux ont été arrêtés. François Nyamoya, un avocat arrêté le 28 juillet, se trouve toujours en détention.

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