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Sri Lanka : Déni de justice pour le massacre des travailleurs humanitaires

Cinq ans après les meurtres, le gouvernement n’est toujours pas disposé à poursuivre les soldats et policiers impliqués

(New York, le 3 août 2011) - Le refus du gouvernement sri-lankais de traduire en justice les responsables de l'assassinat méthodique de dix-sept travailleurs humanitaires il y a cinq ans illustre le problème général du manque de volonté de poursuivre les soldats et policiers ayant commis des violations de droits humains, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Malgré des preuves solides qui impliquent les forces de sécurité dans les meurtres des travailleurs humanitaires, les enquêtes gouvernementales ont langui et personne n'a été arrêté pour ce crime.

Le 4 août 2006, des hommes armés ont assassiné dix-sept travailleurs humanitaires sri-lankais –seize Tamouls et un musulman –employés par l'organisation humanitaire internationale Action Contre la Faim (ACF), basée à Paris, dans leur bureau situé dans la ville de Mutur, dans le district de Trincomalee. Ces meurtres ont été commis après une bataille entre les forces gouvernementales sri-lankaises et les séparatistes du mouvement des Tigres de libération de l'Îlam Tamoul (Liberation Tigers of Tamil Eelam - LTTE) visant le contrôle de la ville.

« À la veille du cinquième anniversaire de l'assassinat des dix-sept travailleurs humanitaires, le gouvernement sri-lankais ne semble toujours pas prêt à poursuivre en justice les responsables », a déclaré James Ross, directeur des Affaires juridiques et politiques à Human Rights Watch. « Le gouvernement Rajapakse est non seulement réticent à dévoiler la vérité, il semble craindre la vérité. »

Les corps de quinze travailleurs humanitaires - des hommes et des femmes - ont été découverts le 6 août, gisant par terre et face au sol. Les corps exhibaient à la tête et au cou des blessures par balles qui avaient été visiblement tirées à bout portant. Les corps de deux autres employés de l’ACF qui avait apparemment tenté de s'échapper ont été retrouvés dans un véhicule à proximité. L’ACF gérait à Mutur un programme destiné à venir en aide aux survivants du tsunami survenu dans l'océan Indien en 2004.

L’organisation non gouvernementale University Teachers for Human Rights (Jaffna) (« Professeurs d’université pour les Droits humains, Jaffna »), a publié en avril 2008 un rapport détaillé sur les meurtres des employés de l’ACF, comprenant des déclarations faites par des témoins oculaires, une analyse balistique, ainsi que des informations probantes sur l’éventuelle responsabilité de certains membres des forces de sécurité gouvernementales. Parmi les personnes qui seraient directement impliquées figurent deux agents de police et des commandos des Forces spéciales navales. Certains hauts fonctionnaires de la police et du pouvoir judiciaire auraient participé à une tentative de dissimulation des faits.

Cependant, en juillet 2009, la Commission présidentielle d'enquête, créée en novembre 2006 pour enquêter sur seize affaires importantes de violations des droits humains, a disculpé l'armée et la marine sri-lankaises dans l’affaire des meurtres des employés de l’ACF, tout en accusant les LTTE ou les milices musulmanes d’être responsables. La commission a rendu difficile l’obtention de témoignages par les témoins, et n'a fait aucun effort pour remédier aux lacunes de l’enquête policière qui avait été bâclée. Le rapport complet de la commission adressé au président Mahinda Rajapaksa n’a toujours pas été rendu public.

Human Rights Watch n'a connaissance d'aucune autre action du gouvernement sri-lankais visant à poursuivre les responsables dans l'affaire ACF. Le ministère de la Défense a publié le 1er août 2011 un rapport intitulé « Humanitarian Operation – Factual Analysis » (« Opération Humanitaire - Analyse Factuelle »), au sujet des dernières années du conflit armé au Sri Lanka ; ce rapport comprend une description des opérations militaires à Mutur et aux environs en août 2006, mais ne mentionne pas les meurtres des travailleurs humanitaires.

Le gouvernement sri-lankais a a été réticent dans le passé à enquêter sur les violations graves des droits humains, et l'impunité est un problème persistant. Malgré une accumulation de dizaines de milliers d’affaires non élucidées de disparitions forcées et d’exécutions illégales, ces affaires n’ont donné lieu qu’à un petit nombre de poursuites. Les efforts entrepris dans le passé pour remédier aux violations des droits humains au Sri Lanka en créant des mécanismes ad hoc n’ont engendré que peu de résultats concrets, qu’il s’agisse d’informations recueillies ou de poursuites judiciaires engagées.

Le 23 mai 2009, peu après la défaite des LTTE, le président Rajapaksa et le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon ont publié une déclaration conjointe du Sri Lanka dans laquelle le gouvernement a déclaré qu'il « prendra des mesures pour répondre » au manque d'un processus pour exiger des comptes des personnes responsables de violations du droit international humanitaire et des droits humains.

La Commission « Leçons Apprises et Réconciliation » (Lessons Learnt and Reconciliation Commission),composée de huit membres et créée par le gouvernement de Rajapaksa pour analyser l'échec de l'accord de cessez-le-feu de 2002, a également tenue des audiences publiques sur les violations des droits humains commises durant les dernières années du conflit. Toutefois la commission ne dispose pas d’un mandat d'enquête et n'a pas fait preuve d'indépendance ou d'impartialité dans ses travaux.

Il n’est pas prévu que la Commission présente ses conclusions et ses recommandations finales au président avant novembre au plus tôt, mais ses recommandations provisoires soumises en septembre 2010 ne contenaient pas une seule recommandation relative à la justice ou au devoir de rendre des comptes pour les abus commis au cours du conflit armé, y compris l’affaire des meurtres des employés de l'ACF.

En avril 2011, un panel d'experts mandatés par le Secrétaire général de l’ONU a publié un rapport détaillé sur ​​les violations du droit international par les deux parties durant les derniers mois du conflit avec les Tigres Tamouls. Ce panel a appelé le gouvernement sri-lankais à réaliser de véritables enquêtes et a recommandé que l'ONU crée un mécanisme international indépendant pour surveiller l'application par le gouvernement des recommandations soumises, mène une enquête indépendante, et prenne des mesures pour recueillir et sauvegarder les preuves.

Human Rights Watch a réitéré son appel pour le Secrétaire général de l'ONU, ou un autre organisme de l’ONU, ouvre une enquête internationale indépendante sur les violations des droits humains internationaux et du droit humanitaire par toutes les parties au conflit armé au Sri Lanka. Cette enquête devrait aboutir à des recommandations relatives à des poursuites judiciaires des personnes responsables de graves exactions pendant le conflit armé, y compris dans l’affaire ACF.

Les gouvernements qui sont préoccupés par l'impunité et par les violations graves des droits humains au Sri Lanka devraient soutenir publiquement un tel mécanisme indépendant international, a ajouté Human Rights Watch. Le manque habituel d’action du gouvernement sri-lankais à cet égard, même dans les affaires importantes où les éléments de preuve sont probants, devrait être une incitation à mettre en place ce mécanisme sans plus tarder.

« On a beaucoup entendu au sujet de l’enquête du gouvernement sur le massacre des employés ACF et sur quinze autres affaires importantes, mais cette enquête n’a conduit nulle part », a déclaré Jim Ross. « Il est donc difficile de comprendre pourquoi les gouvernements croiraient que l'administration Rajapaksa a réellement l'intention de poursuivre les auteurs de crimes de guerre commis durant les derniers mois du conflit l’ayant opposé aux Tigres Tamouls. »
 

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