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Ce document reprend les questions cruciales soulevées par Human Rights Watch concernant le respect par le Turkménistan de ses engagements internationaux dans trois domaines qui ont fait l'objet d'une étude approfondie par Human Rights Watch au cours des dernières années : prisonniers politiques, restrictions gouvernementales des déplacements à l'étranger, et restrictions de la liberté d'action des organisations non gouvernementales (ONG) et des médias indépendants. 1 Nous pensons que l'Examen périodique universel (EPU) auquel le Turkménistan sera soumis offre l'opportunité d'analyser le profil du gouvernement turkmène dans ces domaines. Nous espérons que les renseignements fournis ci-après seront utiles à cette étude et qu'ils contribueront aux recommandations qui en découleront pour le renforcement des droits humains au Turkménistan.

Pendant le mandat de Saparmurat Niazov, président à vie du Turkménistan décédé en décembre 2006, le pays était soumis à l'une des pires tyrannies au monde. Aujourd'hui encore, un an et demi après l'accès au pouvoir du président Gurbanguly Berdymukhamedov, le Turkménistan reste l'un des pays les plus autoritaires et répressifs de la planète.

Niazov terrorisait le gouvernement et la société : son administration n'acceptait pas la dissidence, la liberté politique ou la liberté des médias. Les figures de l'opposition politique, les défenseurs des droits humains et les journalistes indépendants étaient condamnés à l'exil ou à l'emprisonnement. Niazov procédait régulièrement à des purges au sein de son gouvernement, qui se terminaient par des peines d'emprisonnement prolongé pour des officiels. Le gouvernement de Niazov a détruit le développement social et économique du Turkménistan. Le pays est riche en gaz naturel, mais la majorité de la population vit dans une misère noire.

Le nouveau gouvernement met progressivement un terme à l'isolement de la scène internationale imposé par l'ère Niazov et a même commencé à faire marche arrière sur quelques-unes des politiques sociales les plus coûteuses. Les retraites et les allocations sociales ont été rétablies, tout comme la dixième année d'enseignement secondaire et le cursus universitaire de cinq ans, et le nombre d'inscriptions à l'université a augmenté. Ces mesures sont certes bienvenues, mais elles n'ont rien changé au dossier déplorable du Turkménistan en matière de droits humains.

Ainsi, rien n'indique que le gouvernement ait proposé le genre de réforme globale nécessaire au rétablissement des systèmes de santé publique, de protection sociale et d'enseignement à des niveaux permettant à chacun d'accéder à des services de base dans les domaines de la santé, de la nourriture, du logement et de l'éducation. Rien n'indique non plus que la pleine jouissance de tels droits sera réalisée de manière progressive.

Alors qu'une profonde réforme institutionnelle de chacune des pratiques concernant chaque aspect des droits humains au Turkménistan est nécessaire, la libération des prisonniers politiques, l'abolition des restrictions gouvernementales quant aux voyages à l'étranger et la liberté d'action des ONG et des médias indépendants peuvent et doivent être appliquées rapidement.

Prisonniers politiques de ces dernières années
Après 20 ans de répression de la dissidence et de violation généralisée du système pénal dans le cadre des purges gouvernementales, des centaines voire des milliers de personnes ont subi ou continuent de subir de longues peines d'emprisonnement à l'issue des procès inéquitables tenus à huis clos. Le gouvernement de Berdymukhamedov a remis en liberté environ une vingtaine de prisonniers qui auraient été condamnés pour des raisons politiques, sans avoir avancé une procédure de révision de toutes les affaires de ce type. Tant qu'une telle procédure ne sera pas mise en place, et tant que l'observation indépendante des droits humains au Turkménistan ne sera pas possible, il restera extrêmement difficile d'évaluer le nombre de prisonniers politiques, dans le passé ou à l'heure actuelle. Cependant, les trois cas décrits ci-après peuvent et doivent être considérés dans les plus courts délais.

Les défenseurs des droits humains
En août 2006, Annakurban Amanklychev, Sapardurdy Khajiev et Ogulsapar Muradova, membres de la Fondation Helsinki du Turkménistan, ont été condamnés à l'issue d'un procès à huis clos à des peines d'emprisonnement de six à sept ans sur la base de fausses accusations de « possession illégale d'armes ». Les services de sécurité ont accusé Amanklychev d'avoir participé à des formations aux droits humains en Pologne et en Ukraine et d'avoir travaillé avec des journalistes britanniques et français en visite au Turkménistan pour justifier son arrestation. Ogulsapar Muradova est décédée en détention en septembre 2006 dans des circonstances suspectes, et aucune enquête fiable n'a été menée sur sa mort.

Prisonnier politique écroué le plus longtemps
Toujours derrière les barreaux, Mukhametkuli Aymuradov est le prisonnier qui compte le plus d'années d'emprisonnement au Turkménistan. Il a été arrêté en 1995 sur la base d'accusations fallacieuses de crimes contre l'État, dont « tentative d'acte terroriste » et condamné à 12 ans d'emprisonnement. En 1998, 18 années supplémentaires ont été rajoutées à sa peine après une prétendue tentative d'évasion. Aymuradov n'a qu'un contact très limité avec sa famille, et serait en très mauvaise santé.

Prisonniers politiques depuis Berdymukhamedov
Valery Pal, militant social
Valery Pal, un ingénieur informaticien qui a aidé d'autres militants à utiliser les technologies de l'information pour transmettre des renseignements sur le Turkménistan au monde extérieur et qui a pris part à plusieurs projets relatifs aux droits humains, a été arrêté en février 2008. Les charges retenues contre lui concernaient un vol présumé de cartouches d'imprimante et d'autres objets dans la raffinerie où il travaillait, datant de 2004. La pression générale exercée sur les militants au Turkménistan, le fait que les accusations retenues contre Pal ont été présentées seulement quatre ans après le vol présumé et les nombreuses violations de procédure dont il a été victime sont autant de signes d'une motivation politique sous-jacente à son emprisonnement. Le 13 mai 2008, il a été condamné à 12 années d'emprisonnement pour escroquerie.

Gulgeldy Annaniazov, dissident
Gulgeldy Annaniazov est un ancien prisonnier politique qui a vécu en exil entre 2002 et 2008 en Norvège, où il avait reçu le statut de réfugié politique. Au printemps 2008 Annaniazov avait fait part de sa décision de retourner au Turkménistan afin « d'aider sa patrie à améliorer son système éducatif et de santé publique ». Il est arrivé au Turkménistan le 23 juin et a été arrêté sans mandat le jour suivant. Selon son fils, Annaniazov a été accusé d'avoir franchi illégalement la frontière (pour retourner dans son propre pays), acte passible d'une peine d'emprisonnement pouvant atteindre 10 ans.

Victimes de torture et de disparition forcée
Human Rights Watch a connaissance de plusieurs cas d'individus emprisonnés au Turkménistan qui ont déclaré avoir été victimes de torture et de traitements cruels, sans qu'aucune enquête basée sur ces allégations n'ait été menée.

Sazak Durdymuradov, collaborateur de Radio Free Europe/Radio Liberty
Sazak Durdymuradov, professeur d'histoire et collaborateur bénévole de Radio Free Europe/Radio Liberty (financée par le gouvernement américain) a été arrêté chez lui le 20 juin 2008. Comme l'a rapporté Radio Free Europe, il a été emprisonné puis transféré dans un hôpital psychiatrique surnommé le « goulag turkmène » par de nombreux Turkmènes. Il y est resté pendant deux semaines, durement battu et soumis à des pressions psychologiques avant d'être relâché le 4 juillet. On a fait pression Durdymuradov pour qu'il signe une déclaration assurant qu'il cesserait d'écrire pour Radio Free Europe, mais une fois libre on lui a demandé de simplement fournir des « informations correctes ».

Boris Shikhmuradov et d'autres suspects dans la tentative présumée d'assassinat de 2002
Le sort d'environ 50 prisonniers condamnés pour des faits liés à la tentative présumée d'assassinat de novembre 2002 contre Niazov (parmi lesquels l'ancien ministre des Affaires étrangères Boris Shikhmuradov et l'ancien ambassadeur auprès de l'OSCE Batyr Berdiev) reste inconnu, le lieu où ils se trouvent n'ayant pas été divulgué, pas même à leur famille.2 Human Rights Watch a connaissance de rapports non confirmés faisant état de la mort en détention de 8 accusés dans l'affaire du complot de 2002.

Les enquêtes qui ont suivi la tentative d'assassinat de 2002 et les procès qui en ont découlé se sont caractérisés par un mépris flagrant du respect des procédures en bonne et due forme et des normes de procès impartiaux. Les procès se sont déroulés à huis clos et les accusés ont été isolés, sans avoir accès aux avocats qu'ils souhaitaient consulter. Human Rights Watch a reçu des témoignages crédibles de sévices corporels et de torture à l'encontre de suspects. Amanmukhamet Yklymov a fait une déclaration publique en plein procès en décrivant la manière dont il avait été torturé, mais la cour n'en a pas tenu compte. Les membres de familles de plusieurs suspects ont également été arrêtés, torturés et soumis à des pressions psychologiques afin de les forcer à incriminer leurs proches. Plusieurs d'entre eux sont encore détenus aujourd'hui.

Liberté de déplacement
Même si certains individus ont été autorisés à voyager à l'étranger, le système de restriction des déplacements à l'étranger hérité de l'ère Niazov reste en place et certaines personnes se voient encore interdire tout déplacement de manière arbitraire. Ainsi, après avoir passé plusieurs mois à tenter de clarifier son statut, Andrei Zatoka, un militant écologiste connu, a reçu le 4 juillet 2008 une lettre provenant du bureau du procureur général l'informant que tout déplacement à l'étranger lui restait interdit. Aucune explication n'a été fournie.

Un autre cas récent est celui de Rashid Ruzimatov et d'Irina Kakabaeva, proches d'un ancien membre du gouvernement aujourd'hui en exil, à qui les déplacements à l'étranger ont été interdits depuis 2003. Pendant les six dernières années, ils ont régulièrement écrit aux membres du gouvernement afin de comprendre pourquoi il leur était interdit de voyager et pour demander à y être autorisés. Aucune justification relative à cette décision n'a été fournie, et voyager à l'étranger leur est encore interdit aujourd'hui.

Svetlana Orazova, la sœur du chef de l'opposition exilé Khudaiberdy Orazov, a essayé à plusieurs reprises de contester son interdiction de voyager devant un tribunal. La dernière décision de la cour, rendue le 14 avril 2008, confirme l'interdiction en citant uniquement la loi turkmène sur l'immigration sans donner de justification quant à sa mise en place initiale. En juin 2008, son mari Ovez Annaev est venu lui rendre visite de Moscou, où il était soigné pour une maladie cardiaque, et s'est vu empêché de prendre son vol retour le 15 juin sans aucune explication.

Restriction des activités des ONG et de l'observation des droits humains
Observation par les organisations internationales
L'ère post-Niazov a vu arriver un nombre sans précédent de visites de délégations internationales au Turkménistan, dont certaines ont inclus des discussions politiques avec le gouvernement en matière de droits humains. Cependant, aucune organisation indépendante n'a été autorisée à mener des recherches sur les abus des droits humains à l'intérieur du pays et aucune agence (gouvernementale ou non) n'a pu avoir accès aux centres de détention. (L'organisation Human Rights Watch a été interdite d'entrée au Turkménistan en 1999 et il lui est donc toujours impossible de se rendre dans ce pays afin de mener des recherches sur place.)

Cette restriction de la possibilité d'observation des droits humains au Turkménistan a été mise en lumière par la Cour européenne des droits de l'homme dans une décision du 19 juin 2008 (Ryabikin vs Russie), qui a empêché l'extradition d'un homme d'affaires turkmène vivant en Russie vers le Turkménistan en partie à cause du rejet systématique par les autorités des demandes d'entrée dans le pays déposées par des observateurs internationaux.

Le harcèlement de la société civile turkmène
Les militants des ONG continuent de faire part du harcèlement subi au Turkménistan. Il est officiellement interdit aux ONG d'exercer une activité tant qu'elles ne sont pas enregistrées, or aucune ONG indépendante n'a encore obtenu d'enregistrement sous Berdymukhamedov.

À la suite d'une réunion ministérielle de l'Union européenne à Ashgabat en avril 2008, les pressions sur les militants turkmènes et les dissidents se sont intensifiées, touchant même les personnes en exil. Des militants exilés ont été contactés par des officiels turkmènes qui leur ont demandé de cesser leur travail en échange d'avantages offerts à leur famille. De plus, selon l'organisation de défense des droits humains Turkmen Initiative for Human Rights (active depuis l'Autriche), les services spéciaux turkmènes ont intensifié les pressions au printemps 2008 contre Andrei Zatoka. Radio Free Europe/Radio Liberty et l'Institut du reportage de guerre et de paix (Institute for War and Peace Reporting) ont indiqué que les autorités exerçaient une pression permanente sur leurs collaborateurs basés au Turkménistan pour qu'ils arrêtent de coopérer avec les médias internationaux.

Le gouvernement empiète également sur la société civile en empêchant les militants civiques et les journalistes d'avoir un accès libre à Internet. Les militants ont informé Human Rights Watch que l'ordre a été donné aux ministères et aux services concernés d'identifier tous les correspondants des médias et des sites Internet internationaux, et de limiter leur accès à Internet. Depuis avril 2008, au moins un militant a vu son accès à un serveur alternatif bloqué.

1 Ces violations et d'autres portant sur les droits civils et politiques ont été détaillées en novembre 2007 par Human Rights Watch dans un document d'information https://www.hrw.org/backgrounder/eca/turkmenistan1107/turkmenistan1107web.pdf. Le présent document reprend cette publication en y apportant de nouvelles informations.

2 Pour plus d'informations sur la pression exercée sur les militants à la suite la réunion de la Troïka, se reporter au dossier de Human Rights Watch préalable à la rencontre Human Rights Watch UE - Turkménistan du 24 juin 2008 https://www.hrw.org/english/docs/2008/06/23/turkme19175.htm.

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