En juin, mon collègue et moi-même nous sommes rendus à Doha, au Qatar, pour nous entretenir avec des patients palestiniens et des membres de leur famille évacués de Gaza. Les professionnels de santé qui les soignaient nous ont dit qu’il s’agissait des cas de traumatismes les plus complexes qu’ils aient jamais vus.
D’autres pays dotés, comme la France, de systèmes de santé solides et sophistiqués et des capacités nécessaires, devraient accueillir les Palestiniens de Gaza qui ne peuvent pas recevoir les soins dont ils ont besoin à Gaza ou en Égypte. Il s’agit d’un impératif humanitaire.
Depuis plus de dix mois que dure la campagne militaire israélienne à Gaza, plus de 40 000 Palestiniens ont été tués et plus de 93 000 ont été blessés, selon le ministère de la Santé de Gaza. Le système de santé de Gaza est au bord de l’effondrement, avec seulement 16 des 36 hôpitaux fonctionnant encore partiellement, un grave manque de médicaments et de carburant et 500 travailleurs de santé tués. Malgré les allégations de l’armée israélienne selon lesquelles le Hamas aurait installé des bases dans les hôpitaux, aucune preuve avancée ne justifie de priver ces structures de soins et les ambulances de leur statut de protection en vertu du droit international humanitaire.
À Doha, j’ai rencontré Malak Shahin, qui m’a raconté comment une explosion a frappé l’immeuble voisin de celui où elle s’abritait avec sa famille le 11 octobre. Il a fallu 40 minutes aux secouristes pour retrouver sa fille Shahad, âgée de 17 ans, qui était inconsciente. Le fils de Malak Shahin, médecin, lui a fait un massage cardiaque « pendant au moins 10 minutes, mais cela n’a servi à rien », selon les dires de Malak.
« Les ambulanciers ont enveloppé le corps pour le préparer pour les obsèques et nous l’avons emmenée pour l’enterrer. J’ai ouvert la housse pour la voir une dernière fois et j’ai alors vu ses yeux s’ouvrir et je l’ai entendue faire un bruit ». Shahad a été réanimée et évacuée vers le Qatar, où elle est soignée pour de graves pertes de mémoire et d’importantes lésions cérébrales.
Shahad est l’une des 470 personnes blessées à Gaza qui sont à Doha pour recevoir des soins spécialisés de haut niveau. J’ai également rencontré Jehad Arafat, un artiste de 29 ans, qui s’était réfugié dans une école près de l’hôpital Nasser à Gaza en février. Il était sorti chercher de l’eau quand un sniper lui a tiré dessus depuis une hauteur. « Je me suis soudain rendu compte que ma jambe droite était passée par-dessus mon épaule gauche ». Il raconte que le tireur a continué à viser les personnes qui tentaient de le secourir. Finalement, un ami lui a lancé une corde et l’a traîné jusqu’à ce qu’il soit en sécurité puis l’a transporté jusqu’à l’hôpital Nasser.
Jehad a été opéré trois fois. Mais le 15 février, une munition a percé le toit de l’hôpital, blessant à nouveau ses deux jambes et lui arrachant deux doigts. Il a été évacué vers Doha le 22 mars et a subi de multiples interventions chirurgicales à la jambe.
Depuis octobre, les autorités israéliennes n’ont autorisé qu’une petite partie des personnes ayant besoin d’un traitement médical à quitter Gaza. Fin juillet, moins de 5 000 personnes avaient été évacuées vers l’Égypte, dont très peu d’hommes de moins de 60 ans. Les forces israéliennes ont fermé le point de passage de Rafah le 7 mai, empêchant presque tous les autres Palestiniens ayant besoin de soins vitaux de quitter Gaza.
Cependant, même si les arrivées de blessés ont de fait été stoppées, le système de santé égyptien est mis à rude épreuve par le nombre de cas pris en charge. En avril, nous avons visité des hôpitaux dans le nord du Sinaï et constaté que des milliers de patients de Gaza ne pouvaient obtenir les soins dont ils avaient besoin en Égypte.
Si certains gouvernements ont tenté de renforcer l’assistance médicale à l’intérieur de Gaza, seuls quelques pays, dont le Qatar, les Émirats arabes unis, l’Espagne, la Turquie, la Jordanie, l’Italie, la Belgique et la Norvège accueillent des patients de Gaza.
Les commissaires européens à la Santé et à la Gestion des crises ont appelé les États membres de l’UE à évacuer davantage de personnes de Gaza ayant besoin de soins. En comparaison, en janvier 2024, plus de 3 000 patients ukrainiens avaient été transférés dans des hôpitaux européens.
Les évacuations médicales ne portent que sur les conséquences des hostilités en cours. Pour agir sur les causes, il est indispensable que les gouvernements fassent pression sur le gouvernement israélien pour qu’il mette fin à toutes ses attaques illégales contre les civils et les structures de santé, et pour qu’il cesse de bloquer délibérément l’acheminement de l’aide. Ils devraient aussi pousser Israël à évacuer les Palestiniens de Gaza qui ne peuvent pas obtenir les soins dont ils ont besoin vers l’Égypte -en garantissant qu’ils pourront rentrer chez eux s’ils le souhaitent.
La France a déployé un navire militaire au large des côtes égyptiennes pour y soigner des blessés pendant deux mois et a accueilli sur son sol 12 enfants de Gaza pour les soigner, mais il faut faire plus. Le gouvernement français devrait travailler d’urgence avec les autorités palestiniennes et avec son ambassade en Égypte pour identifier d’autres Palestiniens de Gaza gravement blessés ayant besoin de soins et faire le nécessaire pour qu’ils puissent être soignés en France.
--
Belkis Wille est Directrice adjointe de la division Crises, conflits et armes de Human Rights Watch.