Résumé
«J'étais en dépression et je ne sortais plus de ma cellule. Je ne prenais que des médicaments et je dormais. […] Je n’allais même pas en promenade. Pendant six mois […] je n’ai pas vu la lumière du jour. […] Je ne sortais jamais; je n'ai vu ni médecin ni psychiatre».
-«Sarah», détenue dans une prison en France.
Passer 22 heures par jour dans une cellule de 3 mètres sur 3. Avoir à partager cet espace réduit avec deux autres personnes. Subir un bruit constant. Ne pas pouvoir se défaire de l’odeur de centaines de personnes confinées dans un bâtiment, nuit et jour. Ou être enfermé dans une cellule, seul, sans quasiment aucun contact humain. Être séparé de sa famille et de ses amis et n’avoir des visites que rarement voire jamais. Être envahi par des pensées sur un crime commis ou par l'angoisse d'un procès à venir.
La vie derrière les barreaux est difficile pour tous les détenus. En effet, une étude menée en France entre 2006 et 2009 a conclu que les détenus sont sept fois plus susceptibles de se suicider que le reste de la population.
Toutefois, ces difficultés sont encore plus grandes pour les milliers d’hommes et de femmes incarcérés dans des prisons françaises qui ont des maladies mentales (également appelées troubles psychiatriques) comme la dépression grave, les troubles maniaco-dépressifs ou la schizophrénie. Pour les personnes présentant ces troubles psychiatriques, une peine de prison peut avoir des conséquences destructrices à long terme sur leur santé physique et mentale et peut même mener au suicide. Les détenus atteints de troubles psychiatriques sont considérés comme une population présentant un risque de suicide plus élevé que les autres détenus.
La dernière étude complète sur la santé mentale dans les prisons françaises, publiée en 2004, a révélé que presqu'un quart des détenus étaient atteints de troubles psychotiques: 8pour cent des hommes et 15pour cent des femmes étaient schizophrènes – des taux bien plus élevés que le pourcentage de schizophrènes dans la population française établi à 0,9pour cent. D'après les personnes interrogées en 2015 dans le cadre de ce rapport rédigé par Human Rights Watch – des directeurs de prison, des psychiatres, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, des fonctionnaires et des détenus – la proportion de détenus présentant des troubles psychiatriques devrait rester élevée.
Le nombre disproportionné de personnes avec des troubles psychiatriques dans les prisons françaises est souvent expliqué par l’effet d’une loi de1994 disposant que la juridiction devait «tenir compte» d’une maladie mentale lorsqu'elle déterminait la peine à l’encontre d’une personne dont le discernement était «altéré» (mais non totalement «aboli») par une pathologie mentale (qualifiée de «trouble neuropsychique» en droit) au moment où elles ont commis l’infraction.
Alors que l’objectif de cette loi était clairement de faire en sorte que l’altération du discernement soit considérée comme une circonstance atténuante, la loi n'a pas précisé de quel type de modification il s’agissait. Dans la pratique, les juges et les jurys ont eu tendance à considérer les prévenus présentant des troubles psychiques comme des personnes plus dangereuses que les autres et, par conséquent, les peines rendues étaient plus sévères. Si effectivement les personnes atteintes de troubles psychiatriques ont fait l'objet de sanctions plus sévères du fait de leur handicap et de leur dangerosité perçue et non sur la base de critères objectifs applicables à toutes les personnes jugées coupables d’une infraction pénale, ceci constitue une discrimination fondée sur le handicap qui est proscrite par le droit international des droits humains.
En août2014, la loi a été modifiée dans le cadre d’une réforme législative visant à rendre les sanctions pénales plus individualisées et plus adaptées aux circonstances du prévenu. Suite à ladite modification, un prévenu dont l’état psychique était affecté par une pathologie mentale au moment de la réalisation du crime voit désormais sa peine réduite d’un tiers.
Les détenus avec des troubles psychiatriques ont droit à des aménagements raisonnables – ou des modifications appropriées – visant à tenir compte de leur handicap et à leur permettre d’avoir accès à des services ou à une assistance. Mais, comme le souligne ce rapport, ces aménagements et cet accès sont inappropriés dans un grand nombre de prisons françaises. À titre d’exemple, la localisation de certaines prisons complique l’accès au personnel médical et aux proches des détenus. Dans certaines prisons, il existe un manque de communication entre le personnel médical et le personnel pénitentiaire. Ces problèmes sont identifiés depuis des années par des parlementaires français et par le Contrôleur général français des lieux de privation de liberté; toutefois les gouvernements français successifs ne sont pas parvenus à les résoudre.
De par sa nature, l'emprisonnement restreint les droits des personnes incarcérées comme le droit à la liberté et d’autres droits allant de la protection de la vie privée à la liberté de mouvement. Toutefois, les détenus ne devraient pas subir des souffrances qui dépassent le niveau de préjudice inhérent à la privation de liberté. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans sa jurisprudence sur l’interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (article3 de la CEDH) l’a largement démontré.
La France a ratifié plusieurs traités internationaux sur les droits de l’homme qui donnent certaines garanties aux personnes privées de leur liberté et imposent des obligations claires à la France quant au maintien des droits des détenus. La France a le devoir de protéger le droit des détenus au meilleur état de santé physique et mentale possible et de respecter leur droit à l’intégrité physique et mentale (protégé par exemple en vertu de l’article12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et de l’article8 de la CEDH respectivement). En outre, l'article25 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CRPD) exige que la France permette aux personnes handicapées de jouir du meilleur état de santé possible sans discrimination fondée sur le handicap.
Et pourtant, en2015, Human Rights Watch a parlé à des hommes et des femmes qui, outre les difficultés liées à la vie en prison, subissent d’autres souffrances du fait de leurs troubles psychiatriques. La stigmatisation par d’autres détenus, l’angoisse causée par l’enfermement dans une cellule toute la nuit et parfois toute la journée et l'absence de prise en charge adéquate en matière de santé mentale sont quelques-unes des autres souffrances dont Human Rights Watch a fait état. Human Rights Watch s’est entretenu avec quatre hommes et femmes dont les bras portaient les cicatrices des entailles qu’ils s’étaient infligés. Deux d’entre eux et deux autres détenus ont confié qu’ils avaient tenté de mettre fin à leurs jours.
Les femmes détenues présentant des troubles psychiatriques font face à des conditions particulièrement dures dans les prisons françaises. Les femmes en général, qui sont minoritaires en prison, sont davantage limitées dans leurs mouvements que les hommes et ont moins accès aux soins réservés aux pathologies mentales que leurs homologues masculins. Des femmes détenues dans une prison avec des quartiers séparés pour les hommes et les femmes ont expliqué à Human Rights Watch qu’elles devaient être accompagnées dans tous leurs mouvements, à la différence des hommes détenus dans le même établissement. Au-delà du fait de créer un sentiment d'isolement, ceci donne aux femmes le sentiment d’être traitées plus sévèrement simplement parce que ce sont des femmes. Les femmes détenues font également face à une discrimination concernant leur accès aux soins de santé mentale: alors que 26services médico-psychologiques régionaux (SMPR) dans les prisons françaises dispensent des soins de santé mentale pendant la journée et proposent des lits pour la nuit, un seul d'entre eux offre des lits pour les femmes.
Des surveillants ont indiqué à Human Rights Watch qu’ils étaient peu voire pas du tout formés à la santé mentale malgré le fait qu’ils soient en contact chaque jour avec des détenus atteints de troubles psychiatriques et qu'ils soient responsables de leur sécurité. Dans les prisons où des personnes purgent une peine suite à une condamnation, les surveillants connaissent sans doute les détenus et leurs comportements notamment s'ils sont incarcérés dans la même prison depuis longtemps. Dans ces circonstances, si un surveillant est préoccupé par la santé d’un détenu, il peut alors en parler au personnel médical. Mais dans des maisons d’arrêt surpeuplées où un surveillant peut être responsable de 100détenus et passe son temps à ouvrir et fermer des portes de cellule et à escorter des prisonniers, il n’y a pas de place pour une interaction significative.
La qualité des soins de santé mentale varie grandement entre les 188prisons françaises. Certaines sont dotées d’un SMPR qui compte une équipe de psychiatres, d’infirmiers et de psychologues et un certain nombre de lits; les patients peuvent y rester le temps de se voir dispenser des soins complets. Mais dans d’autres, il existe une grave pénurie de professionnels de santé mentale soit du fait d’un manque de ressources soit du fait de la difficulté de recrutement due aux conditions difficiles et peu attrayantes pour le personnel de santé en prison. Les détenus risquent donc de recevoir des soins de santé mentale insuffisants ou de mauvaise qualité. Nos recherches montrent que les consultations de détenus auprès du personnel spécialisé dans la santé mentale sont souvent brèves et limitées à de la prescription de médicaments.
Lorsque l’état de santé mentale des détenus empire au point que des soins intensifs sont jugés nécessaires, ces détenus sont souvent hospitalisés dans des hôpitaux psychiatriques publics, avec ou sans leur consentement, où ils sont traités d’abord comme des prisonniers puis comme des patients. Ils sont souvent placés en isolement non pas du fait de leurs besoins médicaux ou de leur comportement mais parce qu'ils sont des détenus et que les hôpitaux psychiatriques ne disposent pas d’ailes sécurisées qui permettraient à ces détenus d'être traités dans un environnement moins dur. Cet isolement peut constituer un traitement ou une peine cruel(le), inhumain(e) ou dégradant(e) comment cela a été confirmé par l’expert des Nations unies chargé des questions sur la torture.
Les personnes peuvent également être admises dans l’une des sept unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) existantes qui sont des structures comptant de 40 à 60 lits au sein des hôpitaux psychiatriques où les détenus reçoivent des soins psychiatriques en milieu hospitalier. Ces unités sont gérées par l’administration pénitentiaire et le ministère de la Santé. Les soins médicaux sont dispensés par des professionnels affiliés à l'hôpital, et la sécurité est assurée par le personnel pénitentiaire. Le consentement du détenu n’est pas toujours requis par la loi pour son admission dans une UHSA. À l’heure où nous avons rédigé ce rapport, toutes les prisons françaises ne se trouvaient pas dans le périmètre géographique d’une UHSA.
Lorsque des détenus sont transférés vers une UHSA ou un hôpital psychiatrique, ils y restent quelques jours ou quelques semaines et, une fois que leur état s’est stabilisé, ils retournent en prison. Comme ils ne retournent pas dans un environnement où un soutien adéquat est apporté aux personnes présentant des troubles psychiatriques et qu’ils ne bénéficient pas des aménagements et de l'assistance raisonnables pour tenir compte de leur handicap en prison, ceci peut aboutir à une récurrence de leurs troubles mentaux et à une nouvelle hospitalisation, ce qui enferme parfois les détenus dans un cycle sans fin d’hospitalisation, de rétablissement, de sortie, de détérioration et de réhospitalisation. Ce cycle est à la fois préjudiciable pour la santé du patient et perturbant et coûteux pour la prison et l'hôpital concernés.
La loi d’août2014 est un pas en avant important: elle prévoit de pouvoir suspendre les peines d’emprisonnement pour des motifs médicaux y compris des motifs de santé mentale si l'état d'une personne détenue est incompatible avec sa détention. Mais trouver des structures apportant une assistance appropriée aux personnes atteintes de troubles psychiatriques qui ont également été condamnées pour des infractions pénales au sein de la communauté après leur libération peut s’avérer compliqué. Une personne responsable de l'Inspection générale des affaires sociales a indiqué à Human Rights Watch qu’«il peut être compliqué [pour les services de collectivité] de recevoir des personnes qui ont commis des actes criminels» car cela risque de créer des «tensions» avec l’objectif de ces établissements qui visent à intégrer des clients dans la communauté.
La détention de personnes présentant des troubles psychiatriques dans des conditions qui ne tiennent pas compte de leur handicap et qui ont un impact excessivement négatif sur leur santé mentale enfreint les obligations imposant à l’État de respecter leur droit à être traités avec humanité et dignité, leur droit à jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible et leur droit à l’intégrité physique et mentale. En ne dotant pas les prisons des ressources adéquates en personnel spécialisé dans la santé mentale, la France manque à son obligation de fournir aux détenus présentant des troubles psychiatriques les soins de santé mentale auxquels ils ont droit en vertu du droit français et du droit international.
Afin de pallier à ces lacunes, l’État français doit mettre à disposition les ressources nécessaires à des soins de santé mentale de qualité qui peuvent être dispensés à l’ensemble des détenus, sur la base d’un consentement libre et éclairé, indépendamment de leur lieu de détention et de leur sexe. Ceci doit inclure des initiatives visant à rendre le travail dans les prisons plus attrayant pour les professionnels de la médecine et de la santé mentale.
L’État doit également étendre la disponibilité des unités hospitalières psychiatriques spécialisées en veillant à ce que le nombre de lits disponibles pour les femmes corresponde à l’incidence de troubles psychiatriques parmi les femmes détenues. Les détenus admis dans des hôpitaux psychiatriques classiques doivent être traités d'une façon non discriminante et leurs droits doivent être respectés y compris leur droit à un traitement sur la base d'un consentement informé. Les détenus ne doivent pas être mis à l’isolement pour des raisons non thérapeutiques, du seul fait par exemple d'avoir le statut de détenu; et en aucun cas ils ne doivent être mis à l'isolement simplement du fait de l'existence d'un handicap.
La France doit également lever les nombreux obstacles qui font aujourd’hui que les femmes détenues subissent une discrimination parce qu’elles ont moins de liberté de mouvement, moins d’accès à des activités et moins d’accès aux soins de santé mentale que les hommes détenus – tous ces obstacles ayant un effet préjudiciable sur la santé et le rétablissement.
La France doit également appliquer les nouvelles dispositions du droit français qui permettent aux personnes d'être libérées si leur détention est incompatible avec leur santé et garantir leur accès aux soins de santé mentale dans la communauté sur la base d'un consentement libre et éclairé et sans subir de discrimination fondée sur leurs antécédents judiciaires.
Recommandations
Aux ministres de la Justice et de la Santé
- Dans un premier temps, commander une étude indépendante sur l’état de santé mentale des détenus dans les prisons françaises avec des informations détaillées sur le nombre de prisonniers (ventilé par sexe) souffrant de troubles psychiatriques ainsi que sur le type de handicap.
- Explorer des façons d’améliorer les interactions constructives entre les professionnels de santé mentale et le personnel pénitentiaire dans le strict respect du secret médical, l’objectif étant de garantir de bonnes relations de travail entre les personnes interagissant avec des personnes présentant des pathologies mentales.
- Proposer une prise en charge au quotidien plus efficace et de meilleures conditions de vie aux détenus présentant des troubles psychiatriques sur la base de leurs besoins et de leurs souhaits. Ceci doit se fonder sur une évaluation des Unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), sur un examen de l’insuffisance actuelle de la prise en charge au quotidien ainsi que des conditions de vie à l’intérieur des prisons que ce rapport met en évidence.
- Mettre en place des politiques garantissant que les détenus présentant un trouble psychiatrique ne sont pas placés en isolement.
- Les détenus qui doivent comparaître devant une commission de discipline doivent avoir la possibilité de demander qu’un médecin ou un professionnel de santé mentale soit appelé à témoigner. Il faut donner au détenu suffisamment de temps pour consulter le médecin ou le professionnel de santé mentale avant ou pendant la procédure de la commission. Le détenu doit également avoir le droit de renoncer au secret médical afin de permettre au médecin ou au professionnel de santé mentale de parler de sa pathologie et de son traitement dans le cadre de la détermination de la sanction qui doit être infligée au détenu le cas échéant.
Au ministre de la Justice
- Chercher à réduire la surpopulation en prison, en particulier dans les maisons d’arrêt, en ordonnant aux procureurs et aux juges d’appliquer la loi du 15août2014 qui permet de réduire d’un tiers les peines imposées à des accusés dont le discernement a été altéré par un trouble psychiatrique au moment où ils ont commis l’infraction.
- Chercher à réduire le ratio entre les surveillants et les détenus dont ils sont responsables à tout moment donné. Cette problématique est une priorité pour les maisons d’arrêt.
- Veiller à ce que la santé mentale des prisonniers soit prise en compte lorsque de nouvelles prisons sont construites et à ce que l’architecture et l’organisation de la prison permettent des interactions humaines régulières pour les détenus. Les nouvelles prisons doivent également être des lieux qui sont facilement accessibles pour les visiteurs des détenus et les professionnels de santé.
Aux juges et procureurs
- Réduire la durée d’incarcération des personnes présentant des troubles psychiatriques graves en veillant à ce que les personnes ne reçoivent pas des peines plus sévères du fait de leur handicap, ce qui constituerait une discrimination.
- Le cas échéant, appliquer l’article122-1 du Code pénal tel que modifié par la loi du 15août2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales qui prévoit une réduction d'un tiers des peines d'emprisonnement si le discernement d'une personne était altéré par un trouble psychiatrique au moment où elle a commis l’infraction. Cette réduction des peines s’applique aux sanctions prononcées après son entrée en vigueur mais non avant.
- Les juges doivent également exercer l’option prévue par la loi du 15août2014 permettant de suspendre la peine ou de prononcer la libération des personnes qui sont en détention provisoire si la détention est incompatible avec leur santé mentale en vertu respectivement des articles720-1-1 et 147-1 du Code de procédure pénale.
Au directeur de l’administration pénitentiaire
- Veiller à ce que tous les surveillants reçoivent régulièrement une formation sur la santé mentale et qu’ils aient suffisamment de temps pour participer à ces formations. Les formations doivent inclure des séances sur les indicateurs de pathologie mentale, sur les façons de soutenir les détenus présentant des pathologies mentales, sur les techniques de désamorçage verbal, sur les outils permettant d’interagir efficacement et humainement avec les détenus présentant ces handicaps, sur la prévention du suicide et sur les effets secondaires des médicaments.
- Veiller à ce que toutes les cellules soient équipées d’interphones en état de marche que les prisonniers puissent utiliser jour et nuit.
- Notamment dans les nouvelles prisons où il existe moins d’opportunités d’interaction entre les détenus et le personnel pénitentiaire, veiller à consacrer du temps au dialogue sur la base du respect mutuel et de l’interaction sociale. Ces interactions peuvent permettre d’éviter des conflits, d'améliorer les relations entre les détenus et les surveillants et de contribuer à un meilleur environnement pour les détenus et à de meilleures conditions de travail pour les surveillants.
- Veiller à ce que les femmes ne soient pas détenues dans des conditions qui sont moins favorables que celles réservées aux hommes du fait de leur statut de femme et de leur nombre inférieur à celui des hommes en prison. Elles doivent avoir un accès équivalent aux soins de santé, aux activités et à la formation professionnelle et ne doivent pas subir de plus grandes restrictions que les hommes quant à leurs mouvements.
Au ministre de la Santé
- Tenir compte de la pénurie de personnel spécialisé dans la santé mentale travaillant dans les prisons françaises. Consulter le personnel de santé mentale travaillant en prison sur la façon d’améliorer ses conditions de travail. Fournir les ressources financières nécessaires pour embaucher et retenir le personnel nécessaire. S'atteler au problème d'absence d'attractivité du travail en prison à travers une meilleure communication entre le personnel pénitentiaire et le personnel de santé et à travers la protection du secret médical en prison.
- Veiller à ce que les services de santé dans la communauté répondent aux besoins des anciens détenus après leur libération, y compris une libération sur suspension de peine. Veiller à ce que ces services ne discriminent pas les personnes sur la base de leurs antécédents judiciaires et fournissent des prestations sur la base d'un consentement libre et éclairé.
- Veiller à ce que le personnel spécialisé dans la santé mentale puisse apporter sa contribution dans le cadre de forums où le personnel pénitentiaire fait part de préoccupations sur la santé mentale des détenus y compris les risques d’automutilation. La participation des professionnels de santé à ces réunions doit se faire en tenant dûment compte du droit des détenus à la confidentialité de leur dossier médical ainsi que du devoir des professionnels de santé leur imposant de respecter le secret médical.
- Si le détenu le souhaite, permettre à un professionnel de santé mentale de comparaître en tant que témoin devant des commissions de discipline de façon à garantir la prise en compte de l’incidence des mesures disciplinaires sur la santé mentale des détenus. Veiller à ce que les détenus présentant des troubles psychiatriques ne soient pas détenus à l'isolement dans des cellules disciplinaires où leur santé mentale est mise en danger.
- Doter davantage de prisons de Services médico-psychologiques régionaux (SMPR) de façon à refléter les besoins des détenus en soins de santé mentale. Les lits dans les SMPR doivent être mis à la disposition des femmes aussi bien que des hommes.
Aux directeurs des hôpitaux psychiatriques admettant des patients provenant d'un établissement pénitentiaire
- Veiller à ce que les détenus, lorsqu’ils sont admis en hôpital psychiatrique, soient traités d'une façon non discriminante et que leurs droits soient respectés y compris leur droit à un traitement sur la base d'un consentement libre et éclairé. Chaque fois que cela ne se justifie pas du point de vue thérapeutique, ils ne doivent pas être isolés, placés sous contention ou mis à l’isolement du fait de leur statut de détenu ou sur la seule base de leurs antécédents judiciaires. Dans la mesure où des dispositifs de sécurité supplémentaires sont requis pour empêcher un détenu de fuir, ces dispositifs doivent être mis en place d'une façon qui ne gêne pas les bonnes pratiques cliniques eu égard au traitement du patient.
A la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté
- Inclure une section détaillée sur la situation des personnes présentant une pathologie mentale dans tous les rapports sur les visites de prison qui reflète les expériences des détenus, hommes et femmes, atteints de troubles psychiatriques.
- Mener une étude sur les conditions dans lesquelles les prisonniers sont hospitalisés en hôpital psychiatrique public pendant leur incarcération et formuler des recommandations spécifiques afin d’améliorer les conditions et de garantir que les droits des patients à la santé et à ne pas subir de traitements inhumains ou dégradants soient respectés.
- Mener une étude sur la santé mentale des femmes détenues et sur leur accès aux soins de santé mentale et formuler des recommandations spécifiques afin de garantir le respect de leur droit à jouir du meilleur état de santé possible et l'égalité de traitement par rapport à leurs homologues masculins. Une étude faisant suite à son avis du 25 janvier 2016 relatif à la situation des femmes privées de liberté serait la bienvenue.
Méthodologie
Human Rights Watch a conduit des recherches dans le cadre de la rédaction de ce rapport entre janvier et juillet2015.
Une chercheuse de Human Rights Watch a visité huit prisons et, à l’occasion de quelques-unes de ces visites, elle était accompagnée d’un autre membre du personnel de Human Rights Watch. Les prisons suivantes ont été visitées: le centre pénitentiaire Sud Francilien de Réau, les maisons d’arrêt de Nanterre et de Marseille, la maison centrale de Poissy, le centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, la maison d’arrêt de Fresnes, le centre pénitentiaire de Rennes-Vezin et le centre pénitentiaire de Château-Thierry. Dans les cinq premiers établissements, Human Rights Watch a réalisé des entretiens auprès de 50prisonniers au total: 17 femmes et 33 hommes. Les entretiens avec les prisonniers étaient menés en privé, sans qu’aucun membre du personnel pénitentiaire ne soit présent. Dans deux cas, deux personnes détenues ont été interrogées ensemble avec leur consentement. Dans un cas, la psychiatre du détenu et un stagiaire de l’unité médicale étaient présents pendant l’entretien, avec le consentement du détenu.
Les entretiens ont été menés en français à l’exception de trois entretiens qui ont été réalisés en anglais, conformément à la préférence de la personne interrogée.
Human Rights Watch s’est également entretenu avec des membres du personnel pénitentiaire parmi lesquels des directeurs, des conseillers et des surveillants ainsi que des membres des équipes médicales (psychiatres, psychologues, médecins somaticiens et infirmiers).
L’accès aux prisons a été accordé par l’Administration pénitentiaire centrale au ministère de la Justice à Paris. Human Rights Watch a choisi des établissements qui représentaient différents types de prison: des maisons d’arrêt (Fresnes, Marseille, Nanterre), une maison centrale (Poissy), des centres pénitentiaires (à Réau et à Rennes-Vezin, qui sont de nouveaux établissements), la seule prison réservée exclusivement aux femmes placées en détention provisoire ou purgeant une peine (Rennes) et une prison dans laquelle un pourcentage important de détenus présentent des troubles psychiatriques (Château-Thierry).
Au moment de la rédaction de ce rapport, il y avait 188prisons en France, 91d’entre elles étant des maisons d'arrêt. Quatre-vingt-huit étaient des établissements accueillant des détenus purgeant une peine de prison («établissements pour peine»), dont six étaient réservés à des personnes purgeant de longues peines ou étant considérées comme représentant un risque pour la sécurité («maisons centrales»), 25 établissements étaient réservés aux personnes purgeant des peines de plus de deux ans et ayant de bonnes perspectives de réhabilitation («centres de détention»), 11établissements accueillaient des personnes placées sous un régime mixte de détention et de liberté («centres de semi-liberté») et 46 établissements combinaient deux ou plusieurs de ces régimes («centres pénitentiaires»). Il y avait également six établissements de détention de mineurs et un établissement public de santé national sur le site de la prison de Fresnes.
La sélection des prisonniers à interroger a été réalisée de différentes façons. La chercheuse de Human Rights Watch a expliqué le thème et la méthodologie des recherches au directeur, au personnel médical et au personnel pénitentiaire qui ont alors suggéré des personnes qui, selon eux, seraient susceptibles de contribuer aux recherches compte tenu de leur expérience. Les entretiens n’ont été réalisés qu’avec le consentement éclairé des détenus. Dans certains cas, des personnes détenues sont venues voir les chercheurs de Human Rights Watch et ont fait part de leur souhait d’être interrogés.
Au cours des recherches, Human Rights Watch a également interrogé des fonctionnaires travaillant dans le cabinet du ministre de la Justice, au Bureau de l’exécution des peines et des grâces dépendant du ministère de la Justice, dans l’administration pénitentiaire et au ministère de la Santé. Nous nous sommes entretenus avec l'actuelle Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, MmeAdeline Hazan, ainsi que Jean-Marie Delarue qui a occupé cette fonction entre 2008 et 2013. Nous avons également interrogé des avocats représentant des prisonniers incarcérés dans des prisons françaises, l'Observatoire international des prisons et un représentant d'un syndicat de gardiens de prison.
Le nom des hommes et femmes détenus interrogés a été changé; et le nom des professionnels de santé mentale et des surveillants a été omis afin de préserver leur identité.
Remarque sur la terminologie
Nous utilisons dans ce rapport le terme « troubles psychiatriques » pour faire référence à des pathologies mentales comme les troubles maniaco-dépressifs, la schizophrénie et la dépression qui pourront être la cause d’une grande détresse, s'accompagner de troubles psychotiques ou gêner ou limiter dans une large mesure une ou plusieurs activités importantes de la vie. Le terme de « trouble mental » est également employé par les professionnels de la santé mentale, les tribunaux, les avocats, les surveillants, le personnel pénitentiaire et les médias. Le Comité des droits des personnes handicapées emploie le terme de « handicaps psychosociaux. »
La Convention relative aux droits des personnes handicapées reconnaît que la notion de handicap évolue et que le handicap résulte de l’interaction entre des personnes présentant des incapacités et des barrières sociales, culturelles, comportementales et environnementales qui font obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres.
Termes
Trouble psychiatrique:[1]Terme préconisé pour décrire des personnes présentant des pathologies mentales comme la dépression, les troubles maniaco-dépressifs, la schizophrénie. Ce terme exprime l’interaction entre les différences psychologiques et les limites sociales et culturelles sur le plan comportemental ainsi que la stigmatisation que la société fait peser sur les personnes atteintes d’une pathologie mentale.[2]
Troubles maniaco-dépressifs: Pathologie mentale qui génère de graves perturbations de l’humeur et de l’activité ainsi que des changements au niveau du sommeil, de l'énergie, de la réflexion et du comportement.
Troubles psychotiques: Pathologie mentale qui peut aboutir à des distorsions de la réflexion et de la perception, à des émotions inappropriées, à un discours incohérent, à des hallucinations, à des idées délirantes et à une méfiance excessive.
Schizophrénie: Pathologie mentale grave et chronique aboutissant à un trouble cérébral générant des hallucinations et des idées délirantes.
I. Contexte: Personnes présentant des troubles psychiatriques détenues dans les prisons françaises
Surreprésentation carcérale des personnes présentant des troubles psychiatriques
Il n'existe aucun chiffre récent sur le nombre de personnes touchées par des troubles psychiatriques qui sont actuellement détenues dans des prisons françaises. La dernière étude complète a été publiée il y a plus de dix ans, en décembre2004, sur la base d’entretiens réalisés auprès de 1000prisonniers dans 23prisons en France en 2003 et 2004.[3]
Les chercheurs ont constaté que huit hommes sur dix et plus de sept femmes sur dix avaient au moins un trouble psychiatrique et que la plupart d’entre eux souffraient de plusieurs pathologies.[4] Ils ont observé que 35pour cent des hommes détenus interrogés étaient «manifestement malades, gravement malades ou parmi les patients les plus malades».[5]
D’après cette étude, 23,9pour cent des hommes détenus en France métropolitaine avaient des troubles psychotiques. Trente-neuf pour cent des hommes détenus avaient un syndrome dépressif, 8pour cent étaient schizophrènes (la schizophrénie touchant 19pour cent des prisonniers incarcérés dans des prisons pour longues peines, à savoir les «maisons centrales»), 5,5pour cent étaient atteints de troubles maniaco-dépressifs (14pour cent des prisonniers incarcérés dans des maisons centrales).[6] Vingt-six pour cent de toutes les femmes détenues présentaient des troubles psychotiques et 15pour cent d’entre elles étaient schizophrènes. Trente-neuf pour cent avaient un syndrome dépressif et 4pour cent avaient des troubles maniaco-dépressifs.[7] L’étude a montré que, avant leur incarcération, 4 femmes détenues sur 10 avaient consulté un psychiatre, un psychologue ou un médecin généraliste pour des raisons psychiatriques, la proportion étant identique chez les hommes.[8] L’étude a révélé que 11pour cent des hommes et un quart des femmes interrogés avaient été hospitalisés pour des pathologies mentales au moins une fois avant leur incarcération. [9]
D’après l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), en mai2014, environ 0,7pour cent de la population mondiale était atteinte de schizophrénie, la France comptant 600000schizophrènes, soit 0,9 pour cent de la population française.[10] Lorsque ce chiffre est comparé à la proportion de détenus présentant des troubles psychiatriques en France, qui est révélée dans l’étude menée en2003, les personnes avec des troubles psychiatriques sont considérablement surreprésentées en prison.
Les directeurs, surveillants et professionnels de la santé travaillant dans les prisons que Human Rights Watch a visitées entre janvier et mai 2015 disposaient d’estimations différentes de la proportion des personnes incarcérées dans leur établissement qui présentaient un trouble psychiatrique, mais tous ont indiqué que cette proportion était élevée et représentait un enjeu sérieux.
«Il y a une prévalence énorme de problèmes mentaux chez les détenus, a indiqué à Human Rights Watch le directeur de la prison pour hommes de Rennes. Au moins 20 ou 25% des détenus sont des malades mentaux ou ont des troubles du comportement».[11]
Un professionnel de la santé mentale travaillant dans un centre pénitentiaire a estimé que 40pour cent des détenus présentent un trouble psychiatrique, y compris la dépression, et 10pour cent sont touchés par des troubles psychotiques.[12]
Le directeur de la prison de Poissy qui accueille des hommes purgeant des peines de plus de 10ans a indiqué à Human Rights Watch que, du fait de leur trouble psychiatrique, «avec certaines personnes, ce n’est pas possible de leur expliquer les sens de la peine. Dans ces cas-là, on est impuissant». Il a précisé que les autres détenus les appellent les «fatigués».[13]
Jean-Marie Delarue, qui était contrôleur général des lieux de privation de liberté en France de 2008 à 2014, a déclaré à Human Rights Watch que, selon lui, un quart des détenus avait une pathologie mentale grave, ce qui correspondait à environ 16 ou 17000 détenus.[14]
Une nouvelle étude indépendante sur la prévalence des troubles psychiatriques dans les prisons françaises s’impose. Cette recherche doit viser à informer les professionnels de la santé et les fonctionnaires en charge de l’administration pénitentiaire sur la proportion de détenus présentant des troubles psychiatriques et à les aider à prendre des mesures pour améliorer les conditions de vie et l’accès aux soins de santé mentale en prison pour les détenus qui le souhaitent. Les fonctionnaires que Human Rights Watch a rencontrés dans l’administration pénitentiaire se sont fait l’écho de la nécessité d’une telle étude.[15]
Pourquoi les personnes avec des troubles psychiatriques sont surreprésentées dans les prisons françaises
Dans le code pénal français, une personne qui a commis un délit n’est pas responsable de ses actes si elle «était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes».[16] La situation des personnes que la justice estime non coupables pour cette raison va au-delà du champ de ce rapport.
Une loi de 1994 établissait que si une personne, au moment de commettre un délit, était atteinte d’un «trouble neuropsychique» qui «a altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes» (soulignement ajouté par les auteurs), la personne restait légalement responsable de ses actes mais le tribunal devait tenir compte de cette circonstance au moment de déterminer la sanction. Bien que l’intention législative ait sans doute été que cela soit considéré comme une circonstance atténuante, dans la pratique, le fait que le discernement d'une personne était seulement «altéré» et non «aboli» du fait d’un trouble mental était plutôt perçu comme un facteur aggravant et aboutissait souvent à des peines plus sévères et non pas plus légères. Le fait qu’une personne avec un trouble psychiatrique puisse recevoir une peine plus sévère, en conséquence directe du fait qu’elle présente ou soit perçue comme présentant un handicap, constitue une discrimination fondée sur le handicap.
S’exprimant devant le Parlement sur ce qui était alors un projet de loi relatif à l’individualisation des sanctions et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, qui a été adopté le 14août2015, la ministre de la Justice de l’époque, Christiane Taubira, a déclaré que «les experts comme les juridictions en étaient venus à considérer que l’altération du discernement était un facteur aggravant et devait ainsi conduire au prononcé de peines plus lourdes».[17] En effet, un rapport du sénateur Jean-Pierre Michel de 2011 constatait que «[il semble (…) que] la maladie mentale, lorsque la responsabilité pénale est admise, conduise à une aggravation de la peine, du moins pour les faits les plus graves. En effet, pour les jurys d’assises en particulier, la maladie mentale joue souvent comme un indice de dangerosité supplémentaire».[18]
Une psychiatre officiant dans une maison d’arrêt a indiqué que «l’altération du discernement est vue comme un risque de récidive. On les met en prison en se disant qu’ils seront pris en charge».[19] Toutefois, les recherches de Human Rights Watch ont révélé que, loin d’être «prises en charge» en prison, les personnes présentant des troubles psychiatriques ne recevaient pas, dans la plupart des cas, les moyens d’accueil dont elles avaient besoin en prison, ce qui aboutissait à une nouvelle détérioration de leur état de santé mentale.
Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté en France, a déclaré à Human Rights Watch que certains juges justifiaient même leur décision quant aux peines d'emprisonnement infligées à des prévenus ayant des pathologies mentales aux motifs qu’ils allaient recevoir un meilleur traitement pour leur pathologie en prison qu’à l’extérieur.
«Souvent les magistrats disent «il sera mieux soigné en prison qu’à l’extérieur». C’est extrêmement dangereux. Déjà, on ne met pas des gens en prison pour être soignés. C’est une dérive totale, a déclaré Mme Hazan. Je suis très frappée par le nombre de personnes ayant des troubles mentaux en prison, a-t-elle indiqué. On constate qu’il y a énormément de personnes en prison qui n'ont pas leur place là».[20]
L’absence de diagnostic des troubles psychiatriques au moment de l’accusation et de la condamnation des personnes a également été présentée comme une raison expliquant pourquoi les personnes présentant des troubles psychiatriques en France sont incarcérées. La loi française prévoit que les personnes accusées de certains crimes graves comme des atteintes sexuelles, des infanticides ou des actes de torture soient soumises à une évaluation de leur santé mentale par un psychiatre mais cette évaluation n’est pas requise dans les autres cas.[21] Dans les procédures sommaires pour des délits autres que ceux pour lesquels l’expertise psychiatrique s’impose, les avocats et juges pourraient ne pas avoir le temps ou la capacité d’identifier des signes de pathologie mentale grave, ce qui pourrait avoir pour conséquence que des auteurs d’infraction purgent leur peine dans des conditions qui ne tiennent pas compte de leur handicap.
Suite à une modification du Code pénal français datant d’août 2014, le droit français prévoit désormais que les peines de prison prononcées à l’encontre d’une personne dont le discernement a été «altéré» soient réduites d’un tiers ou, en cas de crime puni de la réclusion criminelle à perpétuité, que la peine soit ramenée à trente ans.[22] Mais si la personne est accusée d’un délit, le tribunal peut décider de ne pas réduire la peine en rendant une décision spécialement motivée. Depuis août2014, l’Article 122-1 du code civil dispose que «lorsque, après avis médical, la juridiction considère que la nature du trouble le justifie, elle s'assure que la peine prononcée permette que le condamné fasse l'objet de soins adaptés à son état».
II. Organisation des soins de santé mentale dans les prisons françaises
Jusqu’en 1986, les soins de santé mentale dans les prisons françaises étaient placés sous l’autorité de l’administration pénitentiaire qui dépend du ministère de la Justice.[23] Dans une volonté d’améliorer l'accès des prisonniers aux soins de santé, la gestion des soins de santé a été confiée au ministère de la Santé. Les soins somatiques ont été rattachés au ministère de la Santé en 1994. [24] Le personnel médical travaillant dans les prisons est désormais systématiquement indépendant des autorités pénitentiaires et est affilié à un établissement hospitalier. Il dispense des soins de santé somatiques et psychiques et compte des médecins généralistes, des psychiatres, des psychologues, des infirmiers, des dentistes et d’autres spécialistes.
Toutes les prisons en France disposent d’une unité médicale qui fournit des soins somatiques et psychiques, toutefois, la taille et les ressources de cette unité varient grandement d’un établissement à l’autre.
Sur 188 établissements pénitentiaires en France, seuls 26 ont des Services médico-psychologiques régionaux (SMPR) fournissant des soins de santé mentale y compris des consultations auprès de psychiatres et de psychologues.
Ces 26SMPR comptent au total 380lits, ce qui permet aux détenus de pouvoir y rester la nuit. Toutefois, les SMPR administrent des traitements pendant la journée. Le personnel médical n’est pas présent le soir ou la nuit et les détenus qui occupent les lits sont surveillés par des gardiens de prison. Les prisons sans SMPR disposent d’Unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) au sein desquelles des psychiatres travaillant dans l’hôpital auquel est affilié l’établissement proposent des consultations certains jours de la semaine. Le poste à plein temps d’un psychiatre, par exemple, peut être partagé par plusieurs professionnels.
En droit français, le traitement psychiatrique en prison impose le consentement du patient.[25] Toutefois, en vertu des lois générales sur la santé mentale, les détenus comme les autres membres de la population pourront être admis en hôpital psychiatrique sur décision d’un préfet de département – en l’occurrence, du département dans lequel se trouve la prison.
Le Code français de santé publique prévoit que «lorsqu’ une personne qui est détenue a besoin de soins immédiats et d’une observation constante en milieu hospitalier du fait de troubles mentaux qui rendent son consentement impossible et qui constituent un danger pour elle ou pour les autres», le représentant de l'État dans le département dans lequel se trouve la prison a le pouvoir d'ordonner son admission en hôpital psychiatrique.[26]
Le fait que le droit français permette à des personnes d’être hospitalisées en vue de les soumettre à un traitement sans leur consentement pose problème; et cette hospitalisation ne doit être envisageable qu’en dernier ressort dans des situations d'urgence très précises mettant en danger la vie du détenu ou dans des situations d'une gravité comparable, de la même manière qu’il serait donné à n’importe quelle autre personne. Tout traitement doit être strictement limité en termes de portée et de durée à ce qui est considéré comme médicalement nécessaire pour prévenir la situation de mise en danger de mort.
Le droit des droits humains garantit que tous les patients, y compris ceux placés en détention, ont droit à un traitement médical basé sur un consentement libre et éclairé. Autrement dit, les détenus présentant des troubles psychiatriques ont droit à un consentement libre et éclairé, sur la base de l’égalité avec les autres. Alors que le droit des droits humains prévoit que les autorités puissent légitimement prendre des décisions sur le transfert entre établissements d’une personne déjà écrouée, ceci ne doit pas inclure le pouvoir de transférer une personne vers un hôpital à des fins de traitement sous la contrainte, notamment aux motifs du handicap.
Dans les cas où le transfert d’un détenu vers un établissement médical est demandé, un médecin non affilié à cet établissement délivre un certificat médical sur la base duquel le préfet ordonne son admission dans une unité psychiatrique où le détenu pourrait être soumis à un traitement sans son consentement. Une telle situation porterait alors atteinte aux droits des personnes – y compris les détenus – à être soignées avec leur consentement éclairé.[27] Les personnes peuvent être admises en hôpital psychiatrique ou en unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA).[28] Au moment de la rédaction de ce rapport, sept UHSA étaient opérationnelles et deux de plus étaient en construction près de Bordeaux et à Marseille.[29] Certains prisonniers présentant des troubles psychiatriques pourront être temporairement transférés vers la prison de Château-Thierry, dans le nord-est de la France, prison que son directeur a décrite à Human Rights Watch comme un établissement spécialisé dans la détention de personnes «qui ont des difficultés à s’adapter aux conditions de détention classiques» pour des raisons qui incluent des troubles psychiatriques. Les raisons du transfert vers Château-Thierry couvrent l'incurie, l'automutilation ou la violence envers autrui, les longs séjours en isolement et le repli sur soi.[30] Château-Thierry est une prison classique et n’est pas un établissement médical. Lorsque la chercheuse de Human Rights Watch s’y est rendue en mai2015, le nombre d’heures pendant lesquelles le personnel était disponible pour dispenser des soins psychiatriques était inférieur au nombre d’heures d’un seul psychiatre à plein temps, même s’il était estimé que 80pour cent des détenus avaient une certaine forme de troubles psychotiques.[31]
III. La vie derrière les barreaux pour les détenus présentant des troubles psychiatriques
Les restrictions et les tensions au sein des prisons sont difficiles pour tous les détenus. Mais pour les personnes présentant des troubles psychiatriques, les difficultés peuvent être particulièrement accrues. Les personnes atteintes de troubles psychiatriques peuvent trouver particulièrement difficile de s’adapter à l’obligation de respecter les règles strictes de la vie en prison, au contact humain limité et à la séparation avec les proches. Elles pourront également souffrir de la stigmatisation de leur handicap, des brimades des autres détenus et, dans de nombreux cas, du sevrage alcoolique et narcotique. Ces problèmes sont souvent aggravés par des soins de santé mentale insuffisants qui peuvent causer une souffrance supplémentaire avec des effets potentiellement préjudiciables sur leur santé mentale à court et à long terme. Des conditions d’emprisonnement inappropriées peuvent aboutir à des violations du droit à la santé et des droits à l’intégrité physique et mentale.[32] Les conditions de détention, telles qu’elles sont vécues notamment par des personnes avec des handicaps, pourront également enfreindre l’interdiction proscrivant la torture ou d'autres peines ou traitements inhumains ou dégradants.[33]
Comme l’a noté le Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des personnes handicapées en juillet2015, les États doivent «respecter notamment le droit à la vie et la dignité inhérente aux détenus handicapés» et «fournir des aménagements raisonnables en détention». [34]
Conditions de vie
D’après l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), «la surpopulation, les diverses formes de violence, la solitude forcée ou, à l’inverse, le manque d'intimité, l'absence d'activités ayant un sens, l'isolement des réseaux sociaux, l'insécurité quant aux perspectives d'avenir (travail, relations, etc.) et les services de santé inadéquats, notamment les services de santé mentale» comptent parmi les facteurs qui ont des effets négatifs sur la santé mentale en prison.[35] Au cours de nos recherches dans des prisons françaises en 2015, nous avons constaté que des prisonniers présentant des troubles psychiatriques expérimentent un ou plusieurs de ces facteurs.
Surpopulation dans les anciennes maisons d’arrêt
La surpopulation dans les maisons d’arrêt françaises est un problème constant. D’après les statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe, au 1er septembre 2014, le taux d’occupation dans les prisons françaises s’élevait en moyenne à 114,5pour cent soit un taux supérieur à la moyenne des 47États membres du Conseil de l’Europe qui était de 91,6pour cent.[36] Toutefois, le taux d’occupation est bien plus élevé dans certaines maisons d’arrêt en France car aucune obligation n’impose que des prisonniers en détention préventive soient seuls dans leur cellule. Au 1erfévrier2016, il y avait 1200matelas au sol dans les cellules des prisons françaises.[37]
À titre d’exemple, au 1erfévrier 2016, le quartier maison d’arrêt de la prison des Baumettes à Marseille était occupé à 138,5pour cent de sa capacité. Le taux atteignait 176pour cent à Fresnes, 136,9pour cent à Rennes-Vezin (la prison pour hommes de Rennes) et 178,2pour cent à Nanterre. Certaines prisons dans les territoires d’outremer français sont encore plus surpeuplées; à titre d’exemple, le quartier maison d’arrêt de la prison de Ducos en Martinique était occupé à 230,3pour cent de sa capacité et le quartier de détention provisoire de la prison de Faa’a Nuutania en Polynésie française l’était à 307,4pour cent.[38]
Suite à l’examen réalisé en juillet2015 sur le respect par la France du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), le Comité des droits de l’homme des Nations unies s’est déclaré préoccupé par la persistance de la surpopulation dans les prisons françaises, et a invité le gouvernement à poursuivre ses efforts visant à réduire la surpopulation carcérale, même s'il a salué les efforts de modernisation des prisons et l'adoption de la loi d'août2014 relative à l’individualisation des peines.[39]
Certains membres du personnel pénitentiaire dans les maisons d’arrêt ont indiqué à Human Rights Watch qu’ils tenaient compte de l’état de santé mentale des détenus avant de leur attribuer une cellule. Ils ont déclaré qu'ils les mettaient dans des cellules individuelles ou avec des prisonniers avec lesquels, selon eux, les détenus pouvaient s'entendre. Stéphane Scotto, le directeur de la maison d’arrêt de Fresnes a indiqué à Human Rights Watch que les détenus présentant des troubles psychiatriques sont placés dans des cellules individuelles uniquement s'ils sont agressifs à l'égard des autres et qu’ils sont mis avec un autre détenu dans une cellule s'ils s’automutilent.[40]
Mais les administrateurs et les membres du personnel ne sont pas des professionnels de la santé mentale et ne sont pas formés pour évaluer la santé mentale des détenus ou leur compatibilité avec d’autres dans une cellule.
La surpopulation qui exacerbe l’absence d’intimité dans les prisons et la promiscuité avec les autres dans un petit espace peut s’avérer particulièrement difficile pour des personnes qui souffrent de troubles psychiatriques.
Cela peut également être compliqué pour les codétenus qui ne comprennent pas le handicap de l’autre personne ou ne savent pas comment réagir aux comportements induits par le handicap, comme l’angoisse, le repli sur soi ou le manque d’hygiène personnelle.
À titre d’exemple, un gardien dans une maison d’arrêt évoquant un détenu qui ne parlait pas et ne se lavait pas a déclaré que «dans une maison d’arrêt, ça peut créer des tensions. Un détenu qui ne se lave pas, c’est mal perçu [par les autres détenus]. Quand il est arrivé, il a été doublé [mis dans une cellule avec quelqu’un d’autre]. Mais l’odeur, le comportement bizarre, le fait qu’il ne parle pas» ont été les raisons pour lesquelles il a été par la suite placé en cellule individuelle. «Dans les établissements pour peine, c’est que de l’encellulement individuel, a indiqué le surveillant. Ici, on a un nombre fluctuant [de détenus] et on doit faire cohabiter des gens qui n'ont pas vocation à être ensemble».[41]
Une autre conséquence de la surpopulation vient du fait que les gardiens sont responsables d'un grand nombre de détenus. Ils sont dès lors dans l'incapacité de consacrer le temps et l'attention nécessaire à chaque détenu et ils peuvent ne pas voir les signes de détérioration de leur santé mentale.
Un ratio plus raisonnable surveillants / détenus – ouvrant la voie à des interactions et un dialogue qui sont essentiels à la détection des signes de pathologie mentale – peut permettre d’éviter une détérioration des situations de détresse et des sentiments d’isolement chez les détenus et contribuer à de meilleures relations entre les surveillants et les détenus en général.
«Les gens les plus atteints [par une pathologie mentale] en détention, on les laisse seuls [dans la cellule] sauf si on a des instructions du médecin psychiatre avec un risque de passage à l’acte, alors on va le doubler avec quelqu’un qui a des troubles du comportement [une pathologie mentale]», a déclaré à Human Rights Watch une surveillante gradée d’une maison d’arrêt. Lorsqu’il lui a été demandé la raison pour laquelle le choix ne consistait pas à mettre des personnes présentant des troubles psychiatriques avec des prisonniers qui n'ont pas de pathologie mentale, elle a ajouté: «La personne qui est détenue, elle est déjà punie. Si on la met avec quelqu’un qui a des troubles du comportement, c’est une deuxième punition; elle doit prendre en charge cette personne. C’est très lourd».[42]
La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a écrit dans son rapport annuel de 2014: «Certaines personnes souffrant d'un handicap psychique ou physique ne sont plus capables d’assurer leur propreté ni celle de leur cellule et vivent parfois dans des conditions de saleté indignes sans que rien ne soit organisé pour pallier à cette perte d’autonomie. Faute de dispositifs d’aide à la personne, [les prisons ont souvent recours] à des expédients par le biais de codétenus, volontaires ou non, qui apportent leur soutien auprès de personnes fragiles ou dépendantes».[43]
Manque de contact humain dans les nouvelles prisons
«On est perdu dans cet univers où il n'y a que des grilles ».
-Une détenue dans un établissement pénitentiaire.
Alors que les nouvelles prisons que Human Rights Watch a visitées étaient plus propres et avaient de meilleures installations que les prisons plus anciennes, comme des douches individuelles et des interphones dans les cellules, les personnes interrogées ont indiqué qu'il y avait moins de contact humain entre les détenus et le personnel pénitentiaire que dans les anciennes prisons. Pour se déplacer au sein de la prison, il faut passer de nombreuses portes métalliques qui sont ouvertes à distance via des interphones. Les détenus et les visiteurs doivent parler à travers des vitres teintées à des surveillants qu'ils ne peuvent pas voir. Pour les détenus vivant avec un trouble psychiatrique en particulier, le manque de contact humain et le sentiment d’isolement résultant de ces conditions peuvent avoir un impact très négatif sur leur santé et leur intégrité physique et mentale. Les conditions de vie qui ont une incidence disproportionnée chez les détenus présentant des troubles psychiatriques par rapport aux autres détenus – chaque fois qu'aucun aménagement raisonnable n'est mis en place pour tenir compte de la souffrance croissante des détenus présentant des troubles psychiatriques – peuvent également constituer une discrimination fondée sur le handicap.
Human Rights Watch a observé des interactions informelles et respectueuses entre les détenus, le personnel pénitentiaire et les surveillants dans certains établissements plus anciens qui semblaient avoir un impact direct et immédiat sur l’atténuation et la prévention du sentiment d’isolement. Ces interactions peuvent également aider les surveillants à mieux connaître les détenus qu’ils sont chargés de protéger et à détecter des changements dans leur comportement qui pourraient être le signe d’une dépression ou d’une décompensation et exiger leur renvoi vers l’unité médicale. Human Rights Watch a conclu à partir de ses propres observations et des entretiens que ces types d'interaction semblaient moins fréquents dans les prisons plus récentes.
«Les nouvelles prisons sont déshumanisées, a déclaré à Human Rights Watch une professionnelle de la santé mentale dans un centre pénitentiaire. Les détenus souffrent beaucoup. Les conditions d’encellulement sont meilleures mais le manque de moyens humains fait que les détenus préféraient les vieilles prisons. […] Les nouvelles prisons ont été pensées en termes de confort pas de psychologie», a-t-elle précisé.[44]
«C’est absolument déroutant, a déclaré à Human Rights Watch «Élise», détenue dans un centre pénitentiaire. Quand on arrive, on est perdu dans cet univers où il n'y a que des grilles… c’est extrêmement choquant. En plus de ça, il n’y a pas de contact avec les surveillants. Au niveau humain, c’est un désespoir total».[45]
«Les commentaires que nous recevons nous indiquent que [les nouvelles prisons] sont propres mais déshumanisées», a déclaré à Human Rights Watch François Bès de l’Observatoire international des prisons (OIP). Il existe un consensus entre les surveillants et les détenus. Ils nous parlent tous de déshumanisation parce qu’il n’y a plus de contact humain».[46]
Régimes de nuit
En fonction de la prison et du régime sous lequel les détenus sont placés, leurs mouvements au sein de la prison sont plus ou moins limités pendant la journée. Les régimes sont «ouverts», avec des détenus pouvant se déplacer dans la prison pendant la journée ou pendant certaines heures de la journée («semi-ouverts»), ou sont «fermés», la porte de la cellule étant fermée toute la journée et devant nécessairement être ouverte par un surveillant si le détenu veut se déplacer. Mais la nuit, tous les détenus sont enfermés dans leur cellule. Les nouvelles prisons visitées par Human Rights Watch avaient des systèmes d’interphone dans les cellules individuelles mais, dans les prisons plus anciennes, de nombreux détenus devaient glisser un morceau de papier (appelé dans les prisons un «drapeau») à travers la porte pour attirer l’attention du surveillant en poste.
Les surveillants en équipe de nuit réalisent plusieurs rondes et inspectent les cellules à travers les œilletons. Les inspections peuvent être plus fréquentes pour les prisonniers considérés comme étant particulièrement vulnérables du fait de leur état physique ou mental ou du fait d'un événement particulier, si le détenu vient de recevoir une mauvaise nouvelle par exemple. Mais les surveillants qui réalisent ces rondes n’ont pas les clés des cellules à moins qu’ils n’occupent la fonction de responsable en charge du bâtiment seul habilité à détenir les clés des cellules la nuit. Les surveillants interrogés par Human Rights Watch dans les prisons de Nanterre et de Marseille ont déclaré qu’ils étaient favorables à ce système car il les protège des attaques des prisonniers et il met une limite horaire au-delà de laquelle les détenus ne peuvent plus demander de services à des surveillants. Toutefois, le système peut causer des retards s’il faut intervenir en urgence; et c’est une source d’angoisse chez les détenus.
«Je peux faire une crise d’angoisse n’importe où, n’importe quand, surtout le soir. Certains détenus ont des boutons [interphones]. Ce serait bien si toutes les cellules en avaient, a déclaré «Ali», détenu dans une maison centrale, à Human Rights Watch. Si j’ai une crise d’angoisse, je passe un papier sous la porte. Je n'ai pas d’alarme. Il est arrivé que j’attende une heure et demie [la venue d’un surveillant]».[47]
Ce système qui laisse les détenus appeler à l’aide et attendre pendant les heures de la nuit où ils sont enfermés dans leur cellule signifie également que, si un surveillant vient, les détenus sont obligés de parler à travers la porte, ce qui renforce encore le manque de contact humain et de confidentialité. «Sophie», une détenue, a parlé à Human Rights Watch de ces moments où elle se sentait angoissée la nuit: «J’ai jamais tapé l’alarme. Je pleure et j'attends que ça passe. (….) Je n’ai pas envie de déranger, a-t-elle dit. Une fois, je n'allais pas bien du tout, j’ai écrit un mot et je l'ai glissé sous la porte. Comme ça, les surveillantes, quand elles ont fait la ronde, elles ont vu le mot et on a parlé à travers la porte».[48]
François Bès, coordinateur à l’Observatoire international des prisons (OIP), a déclaré à Human Rights Watch que son organisation reçoit de nombreuses plaintes de détenus concernant le régime de nuit, lorsqu’ils sont enfermés dans leur cellule et qu’ils savent qu'il pourrait y avoir un temps de réaction très long en cas d’incident. «C’est extrêmement anxiogène. Ils disent «‘entre 17h00 et 7h00, pourvu qu’il ne m’arrive rien.’ Il y a très peu de surveillants (...) C’est une angoisse perpétuelle», a-t-il dit.[49]
«La nuit, si on a un problème, on doit appuyer sur l'alarme, a déclaré «Sarah», une détenue, à Human Rights Watch. Mais la nuit, les surveillants mettent 3/4 d'heure à arriver. De 19h30 jusqu’à 7h30, il n’y a personne. Je me sens mal la nuit parce que j’ai aussi peur de me suicider. La journée, je me dis, si jamais je fais une bêtise puis que je me suicide… ou que je tente de me suicider, il y aura toujours une surveillante qui pourra me voir dans ma cellule. Alors que la nuit, si je me suicide, que je prends des médicaments ou que je m’ouvre les veines… il n’y aura personne pour le voir puisque les surveillantes ne font une ronde qu’une fois toutes les heures».[50]
Dans la prison de Château-Thierry, il n’y a des interphones que dans le quartier disciplinaire.[51]
Une pénurie de personnel médical et psychiatrique sur place accroît encore l’incapacité des surveillants à porter assistance aux détenus pendant la nuit. Une surveillante gradée a expliqué à Human Rights Watch que «en service de nuit, si un gradé est appelé par une détenue et elle dit qu’elle ne se sent pas bien, le gradé appelle le 15 par téléphone [le numéro national pour les urgences médicales]. Si le médecin régulateur estime qu’elle doit être vue, une ambulance vient. Mais pas en psychiatrie; il n’y a pas d’urgences psychiatriques, pas de psychiatre au téléphone. On dit au 15: «j’ai une détenue qui présente des troubles [mentaux]». Le médecin somaticien fait une demande de HO [hospitalisation d’office] en hôpital psychiatrique».[52]
«Pendant la nuit, vous devez être quasiment morte pour qu’un gradé vienne et vous amène à l’hôpital, a déclaré «Anna», une détenue, à Human Rights Watch. Autrement, on nous dit simplement: «Prenez vos médicaments et calmez-vous». Il n’y a aucun médecin ici la nuit».[53]
Le fait que les prisons ne soient pas adaptées aux personnes présentant des troubles psychiatriques a également des conséquences sur le personnel pénitentiaire. Évoquant la situation dans les prisons où les cellules ne sont pas équipées d’interphones et où les détenus, pour attirer l'attention, doivent passer un bout de papier ou un drapeau sous la porte, un représentant d’un syndicat de gardiens de prison a déclaré à Human Rights Watch: «Un détenu sort un drapeau [à travers la porte] mais le surveillant est occupé et ne le voit pas. À la fin de la journée, lorsque le surveillant vient pour distribuer le repas, il ouvre la porte et il peut se faire attaquer [par le détenu] (…)L’intégrité psychiatrique des détenus a des conséquences dramatiques sur les conditions de travail des surveillants car le côté psychotique peut mener à des agressions».[54]
Mesures disciplinaires
La vie en prison est régie par des règles; et des sanctions sont infligées aux détenus qui les enfreignent. Les infractions peuvent constituer des manquements à la discipline, les plus graves pouvant être punis par une détention en cellule disciplinaire. Mais aucun professionnel de santé ne participe aux commissions de discipline des prisons qui déterminent si une personne sera visée par une mesure disciplinaire et sous quelle forme. Dans les prisons que Human Rights Watch a visitées, les réactions du personnel pénitentiaire et des professionnels de santé aux manquements aux règles disciplinaires commis par des détenus présentant des troubles psychiatriques variaient selon les cas. Human Rights Watch a constaté qu’il existait des tensions entre la mise en application des règles carcérales et l’attention à porter à la santé mentale des détenus, certains d’entre eux pouvant commettre des infractions disciplinaires en conséquence directe de leur trouble psychiatrique. Ces tensions sont particulièrement évidentes lorsque le manquement se manifeste par une attaque physique contre un surveillant.
La possession d’un téléphone mobile (qui est interdite dans les prisons françaises), le refus d’obéir à un agent pénitentiaire et la violence à l’encontre des surveillants sont quelques-uns des manquements aux règles disciplinaires.[55]
Un détenu puni par un placement en cellule disciplinaire s’y retrouve seul et n'a pas le droit de participer à des activités ou de travailler. Il est autorisé à sortir une heure par jour pour faire de l’exercice dans une cour spéciale où il est seul avec un surveillant. Dans ces circonstances, les détenus présentant des troubles psychiatriques pourront vivre la punition comme une sanction démesurément sévère par rapport aux détenus ne présentant pas ces handicaps.
Comme cela a été souligné, les médecins ne prennent pas part aux commissions disciplinaires où les décisions sur les sanctions disciplinaires sont prises; et des raisons valables d’ordre éthique et professionnel justifient leur volonté de ne pas participer à ces commissions.[56] Une psychiatre exerçant dans une maison d’arrêt a indiqué à Human Rights Watch que «l’acte constituant la faute disciplinaire peut être dû à la pathologie [mentale]. La commission disciplinaire, on n’y participe pas. Il y a des surveillants qui se rendent compte que c'est dans ce contexte et ne les envoient pas [en cellule disciplinaire]. Mais ça dépend du surveillant».[57]
L’impact que les conditions spécifiques des cellules disciplinaires pourront avoir sur la santé et l'intégrité mentale et physique du détenu doit être pris en compte au moment de déterminer si un prisonnier pourra être enfermé dans une cellule disciplinaire. Les détenus doivent pouvoir choisir de demander à un professionnel de santé de fournir des justifications à la commission de discipline et de donner un avis d’expert sur l’impact des conditions d'une cellule disciplinaire sur un détenu, notamment à la lumière de toutes questions de santé mentale ou de tout trouble psychiatrique.
Pour des manquements graves aux règles carcérales, il existe inévitablement une sorte de conflit entre le maintien de l’ordre en prison et le risque d’écrouer un détenu qui souffre d’un trouble psychotique dans une cellule disciplinaire où sa santé mentale peut se détériorer et où il peut s’automutiler. Toutefois, il faut accorder du temps au détenu pour qu’il consulte un médecin ou un professionnel de la santé mentale avant et pendant la séance de la commission. En outre, le détenu doit avoir le droit, sous réserve d’un consentement éclairé, de renoncer au secret médical afin de permettre à un médecin ou à un professionnel de santé mentale de témoigner lors des procédures disciplinaires et de discuter de l’état et du traitement du détenu.
«Les médecins ne participent jamais [aux commissions de discipline], a indiqué à Human Rights Watch la directrice de la prison de Château-Thierry où une grande proportion de détenus souffrent de troubles psychotiques. Il est arrivé quelques fois que nous demandions à un psychiatre si une personne pouvait aller en quartier disciplinaire. Mais c’est très, très rare», a-t-elle indiqué. La directrice a ajouté qu’il arrivait que les détenus souffrant de troubles psychotiques soient envoyés en cellule disciplinaire. «La spécificité de l’établissement, les troubles des détenus et la réglementation: on est tout le temps en train de jongler [entre les trois]».[58]
Une circulaire de 2011 du ministère de la Justice indique qu'un médecin doit examiner les détenus en cellule disciplinaire au moins deux fois par semaine. Toutefois, elle ne précise pas s’il doit s’agir d’un médecin généraliste ou d’un psychiatre.[59] Dans les prisons que Human Rights Watch a visitées, un médecin généraliste et non un psychiatre menait ces consultations. La circulaire dispose également que «l’exécution d’une sanction de [placement en] cellule disciplinaire ne peut être poursuivie que si la personne qu’elle concerne est dans un état physique et mental lui permettant de la supporter». Elle établit en outre que si le médecin constate, alors qu’il examine une personne détenue en cellule disciplinaire, que le maintien du détenu en cellule disciplinaire «est de nature à compromettre sa santé», il transmet un certificat médical au chef d’établissement afin de lui permettre de suspendre immédiatement le maintien. La circulaire spécifie que ce constat lie le directeur de la prison.[60]
La circulaire dispose également qu'un psychiatre doit être immédiatement informé si une personne qui est suivie par le service médico-psychologique régional (SMPR) ou qui reçoit un traitement psychiatrique pour des troubles du comportement est placée en cellule disciplinaire, et que ce psychiatre doit évaluer l’impact de la mesure sur la santé mentale de cette personne.[61] Toutefois, les détenus qui présentent des troubles psychiatriques mais qui se trouvent dans un établissement non doté d’un SMPR et n’ont pas autrement accès à des soins psychiatriques ne bénéficieront pas de cette mesure de protection.
Pour les manquements les plus graves, le personnel pénitentiaire peut placer un prisonnier en cellule disciplinaire à titre préventif pendant 48 heures au plus afin de «mettre fin à la faute ou de préserver la sécurité à l’intérieur de l’établissement».[62]
«Il n’y a plus d’examen médical obligatoire avant le placement en quartier disciplinaire, a indiqué à Human Rights Watch Yves Bidet, directeur de la prison pour femmes de Rennes.[63] Quand on doit mettre quelqu’un en prévention au quartier disciplinaire, on n’appelle pas le personnel médical. Mais nous, on fait un entretien. Le personnel médical intervient ensuite pour permettre la continuité des soins».
«Les troubles psychiatriques sont pris en compte, a déclaré à Human Rights Watch Jimmy Delliste, le directeur de la prison de Nanterre, expliquant qu’un psychiatre était consulté lorsqu'une personne était placée à titre préventif dans le quartier disciplinaire.[64] Parfois, la situation est telle, l’incident est tellement grave que la cellule disciplinaire est la plus appropriée […]. Quand il y a un placement au quartier disciplinaire, on demande au médecin généraliste. Il a le dossier médical. Il y a très peu de contre-indications au quartier disciplinaire. Il n’y a rien de pire que de prononcer une sanction qui va être invalidée pour des raisons médicales car ça peut accentuer le sentiment d’impunité chez le personnel et la personne peut le refaire».
Des surveillants gradés qui peuvent prendre part aux commissions disciplinaires ont indiqué à Human Rights Watch que, lorsqu’ils savaient qu'un détenu avait un trouble psychiatrique grave, ils en tenaient compte afin d’éviter de l’envoyer en cellule disciplinaire.
Une professionnelle de la santé mentale dans un centre pénitentiaire a déclaré à Human Rights Watch que les autorités pénitentiaires de cet établissement suivaient l’avis du médecin généraliste ou du psychiatre s’agissant des placements en unité disciplinaire. Toutefois, elle a également dit que «si quelqu’un ayant un trouble du comportement est mis en quartier disciplinaire, on ne va pas à l’encontre d’une sanction sauf pour hospitaliser. Certains, on les hospitalise pour 24 ou 48 heures pour qu’ils redescendent».[65]
Stigmatisation et crainte des autres détenus
Une psychiatre exerçant dans une maison d’arrêt a indiqué à Human Rights Watch que les personnes avec des handicaps sociaux sont stigmatisées et que les autres détenus les appellent les «drogués». Elle a également fait remarquer que si les détenus sont vulnérables à l’extorsion par d’autres détenus, les détenus avec des troubles psychiatriques y sont encore plus vulnérables. Elle a déclaré: «J’ai des patients qui me disent «Non, docteur, je préfère ne pas venir ou alors vous me convoquez juste une fois par mois» parce que rien que de traverser le couloir, ça les rend vulnérables à plusieurs titres: soit parce qu’ils savent qu'ils peuvent avoir des traitements donc on peut les arrêter, les racketter, soit, comme ils sont vulnérables, on va leur dire ««tu vas rentrer du shit». On les oblige à faire les mules».[66]
Une psychiatre travaillant dans une maison d’arrêt et un centre de détention s'en est fait l'écho. «Les psychotropes sont des objets de désir, de trafic, d’extorsion. Les personnes qui voient le psychiatre sont identifiées par les autres détenus. Ils peuvent être victimes d’extorsion, se faire voler leur traitement ou même souhaiter le vendre. Si l’infirmière s’arrête dans une cellule, les autres détenus le savent. La moitié des médicaments distribués en prison sont des psychotropes», a-t-elle indiqué.[67]
Dans un rapport sur sa visite à la prison des Baumettes à Marseille en 2012, Jean-Marie Delarue, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté de l’époque a fait remarquer que «de nombreux patients disent la peur qui les tourmente à l’idée de devoir traverser toute la détention et de passer à côté d’autant d’occasions «de se faire planter» pour se rendre au SMPR».[68]
«Younes», un jeune homme diagnostiqué schizophrène détenu en maison d’arrêt, a indiqué «en promenade, je ne côtoie pas les autres détenus. Je me dis qu’ils doivent savoir que je suis malade. Il y en a qui me voient aller au médical tous les jours».[69]
D’après la directrice de la prison de Château-Thierry, où il est estimé qu’une majorité de détenus sont atteints de troubles psychiatriques, il y a une stigmatisation attachée au fait d’avoir été dans cette prison. «Ça peut être préjudiciable pour le détenu, a-t-elle indiqué. Il y en a qui vont se stabiliser et, quand ils arrivent [dans l’autre prison], on (les membres du personnel et les autres détenus) leur dit: «Voilà le fou de Château-Thierry». On a l’impression que tout le travail de plusieurs mois s’écroule en 5secondes. Il suffit d’une parole».[70]
Discrimination à l’encontre des femmes en prison
Les femmes sont une petite minorité parmi les détenus en France, toutefois les études ont montré que les femmes en prison sont davantage susceptibles d’être touchées par des troubles psychiatriques. Human Rights Watch a observé que les femmes détenues en France présentant des troubles psychiatriques sont également confrontées à des barrières pour accéder à l’aide ou aux services de base dont elles ont besoin.
Sur la population carcérale en France au 1er septembre2015, un peu plus de 3 pour cent seulement était des femmes.[71] Il n’y a qu’une prison exclusivement réservée aux femmes; elle se trouve à Rennes en Bretagne. Dans d’autres prisons, les femmes sont placées dans des sections de prison où une population masculine bien plus importante est écrouée.
Au total, seules six prisons en France métropolitaine ont des places pour des femmes purgeant des peines, la plupart se trouvant dans le nord de la France.[72] Ceci peut avoir une incidence sur leur capacité à maintenir le contact avec leur famille, les conditions dans lesquelles elles sont détenues et leur accès aux soins de santé. Tout ceci peut également avoir un impact sur leur santé mentale.
Human Rights Watch a également constaté que les femmes écrouées dans les prisons visitées étaient lésées par rapport aux hommes en termes de conditions de détention, notamment par rapport à l'accès à une formation professionnelle et à l'accès à des services de soins de santé. Cette situation est clairement incompatible avec les obligations de la France lui imposant de ne pas faire de discrimination fondée sur le sexe.
Une grande proportion de femmes dans les prisons françaises – jusqu'à trois-quarts d’après certaines estimations – ont besoin d’une prise en charge sur le plan psychique. Ceci correspond aux résultats des enquêtes qui enregistrent une prévalence des pathologies mentales plus élevée chez les femmes que chez les hommes en prison à l’échelle mondiale.[73] L’enquête de 2004 sur la prévalence des troubles psychiatriques dans les prisons françaises a révélé que «trois-quarts des femmes interrogées présentent au moins un trouble psychiatrique, la plupart d’entre elles cumulant un nombre élevé de troubles (plus de 3 en moyenne)».[74]
Les recherches de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) menées dans les Services médico-psychologiques régionaux (SMPR) en 2001 ont révélé que 59pour cent des femmes qui arrivaient en prison présentaient des troubles psychiatriques avec divers niveaux de gravité, contre 54pour cent des hommes. D’après ces recherches, les psychiatres ont observé que les pathologies les plus courantes parmi les femmes étaient l’anxiété (67pour cent) et la dépression (45pour cent) alors que, chez les hommes, les troubles liés à la toxicomanie et à la dépendance à l’alcool et au tabac étaient les plus fréquents (56pour cent). L’étude a également montré que 10pour cent des femmes étaient suivies dans un SMPR contre 4pour cent des hommes. [75]
Le jour de la visite de Human Rights Watch dans la prison de Réau, sur 67 détenues placées dans le quartier des femmes, dix étaient dans un hôpital psychiatrique ou dans une unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA).[76]
D’après le directeur de la prison pour femmes de Rennes, au moment de la visite de Human Rights Watch en avril2015, les femmes occupaient 30pour cent des places dans l’UHSA de Rennes (où les détenus hommes et femmes sont admis) alors que les femmes ne représentaient que 7pour cent des personnes écrouées dans la région de Rennes.[77]
Le directeur de la prison de Fresnes a déclaré à Human Rights Watch que «le profil [psychiatrique] des femmes est plus lourd que celui des hommes».[78] La responsable d’une unité psychiatrique dans une maison d’arrêt s’en est fait l’écho: «Les femmes en détention sont plus fragiles [psychologiquement]». Elle a indiqué que 7 ou 8 des 45/50 personnes dans l’UHSA à ce moment-là étaient des femmes, signe d’une surreprésentation des femmes qui ne représentent que 3pour cent de la population carcérale totale en France.[79]
Comme l’a fait remarquer l’OIP, «les quartiers de femmes au sein des établissements qui accueillent des hommes et des femmes sont généralement enclavés, isolés du reste de la détention […] Dans les centres pénitentiaires où des hommes sont également incarcérés, [les femmes] doivent être accompagnées dans tous leurs déplacements».[80]
Dans la prison de Réau, sur 798 places, 90 sont réservées aux femmes. Le quartier des femmes est séparé de celui des hommes et tout contact entre hommes et femmes est évité. Suite à sa visite de la prison de Réau en avril2013, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a fait remarquer que les femmes étaient constamment dépendantes des surveillantes dans leurs déplacements, que la plupart des femmes au premier étage du quartier des femmes arpentaient le couloir de long en large pendant des heures et qu’elles regrettaient de ne pas pouvoir se rendre au terrain de sport, celui-ci étant situé sous les fenêtres du centre de détention pour hommes.[81] Des femmes incarcérées à Réau s’en sont fait l’écho auprès des chercheurs de Human Rights Watch dans un entretien mené à la prison.[82] Le Contrôleur général a conclu que «les conditions d’incarcération dans le centre des femmes suscitent une déception voire un désespoir pour de nombreuses personnes détenues».[83]
«Élise», détenue dans un centre pénitentiaire, a déclaré à Human Rights Watch: «Il y a très peu d'activités. Les gens sont tous seuls; ils sont perdus. C’est spécifique au quartier des femmes, je précise. Les hommes ont beaucoup d'activités».[84]
«Le traitement des femmes n’est pas égal à celui des hommes » a déclaré à Human Rights Watch Yves Bidet, directeur de la prison pour femmes de Rennes. «Il y a moins de choix de formations professionnelles, il n’y a pas grand-chose ».[85]
L’article47 de la loi pénitentiaire de 2009 dispose qu'«une prise en charge adaptée à leurs besoins doit être assurée aux femmes détenues, qu’elles soient accueillies dans un quartier pour femmes détenues ou dans un établissement dédié».[86] Mais les recherches de Human Rights Watch ont révélé que les femmes détenues en France font face à une discrimination en termes d’accès aux soins de santé mentale à la différence de leurs homologues masculins, et ce en violation de cette disposition. Dans un rapport publié en février 2016, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a conclu que la situation pour les femmes privées de liberté ne respectait pas les principes d’égalité entre les hommes et les femmes garantis par les normes françaises et internationales. La Contrôleure constate que «minoritaires en nombre, [les femmes privées de liberté] sont l’objet de discriminations importantes dans l’exercice de leurs droits fondamentaux» y compris dans le maintien des liens familiaux, ou par des conditions matérielles d’hébergement insatisfaisantes et un accès réduit et inadéquat aux activités[87].
Les femmes dans les prisons françaises qui présentent des troubles psychiatriques ont accès à des normes de soins de santé mentale intensifs moins favorables que celles auxquelles ont accès les hommes. Sur les 26SMPR que comptent les prisons en France, où les détenus peuvent rester pendant un certain nombre de jours ou de semaines et recevoir des soins, seul le SMPR de la prison de Fleury-Mérogis dispose de lits pour les femmes. Par conséquent, les femmes détenues dans d’autres établissements ont seulement la possibilité de recevoir des soins par le biais de rendez-vous individuels en prison ou d’une hospitalisation en hôpital psychiatrique, sans autre alternative entre ces deux solutions. Comme l’a fait remarquer un membre de l'Assemblée nationale dans un rapport de 2009 sur les femmes incarcérées, en l’absence de SMPR pour femmes en dehors de celui de Fleury-Mérogis, «l’accès aux soins psychiatriques [pour les femmes] est plus difficile et, dans les cas les plus graves, il n’y pas d'autre solution que l'hospitalisation d'office».[88]
«C’est une discrimination, a déclaré à Human Rights Watch une professionnelle de la santé mentale travaillant dans une prison. Les femmes sont privées d’un niveau de soins; elles devraient aller à Fleury-Mérogis [en banlieue parisienne pour pouvoir rester dans le SMPR]».[89]
«Quand il y a décompensation [chez une femme détenue], soit c’est l’entretien par des médicaments, soit c’est l’hospitalisation. Si la personne doit être hospitalisée, elle va en hôpital psychiatrique», a déclaré à Human Rights Watch Laurence Pascot, directrice de la maison d’arrêt pour femmes de Marseille. Cette maison d’arrêt pour femmes fait partie d’un établissement plus grand où des hommes sont également incarcérés. Mais le Service médico-psychologique régional (SMPR) n’accueille que les hommes. «Ce serait sans doute bien dans des gros établissements comme celui-ci d’avoir un petit SMPR [pour les femmes]», a-t-elle indiqué.[90]
Les prisons doivent pouvoir être en mesure de donner accès à une assistance et des services de santé mentale adéquats et appropriés à ceux qui souhaitent y avoir recours. Toutefois, l’admission en établissement psychiatrique et le traitement doivent être volontaires et basés sur le consentement libre et éclairé du détenu. L’admission involontaire et le traitement forcé violent le droit de la personne à un traitement basé sur un consentement libre et éclairé à moins qu'il ne s'agisse d'une urgence imposant de gérer une situation mettant en danger la vie du détenu ou toute situation d’une gravité similaire et que le patient soit momentanément dans l’incapacité de donner un consentement libre et éclairé.
La directrice de la prison pour femmes a également expliqué qu’il y avait souvent un délai d’attente pour obtenir une place en hôpital psychiatrique public. «C’est sursaturé, et pas que pour les détenus, a-t-elle indiqué. Il arrive souvent qu’une place se libère. Il arrive qu’on attende 24/48 heures. Pour les femmes, elles attendent dans leur cellule. Il y a une cellule de protection d’urgence chez les hommes mais pas chez les femmes».[91] Ces cellules sont conçues pour éviter les suicides: il n’y a pas de coins auxquels les détenus puissent se pendre, les pyjamas sont en papier et les draps qui sont donnés aux détenus sont indéchirables.
Capacités des prisons insuffisantes pour soutenir convenablement les personnes avec des troubles psychiatriques
Manque de personnel
«Le moment d’une discussion comme le ferait un médecin [avec un patient] n’existe pas dans le rapport surveillant-détenu, a déclaré à Human Rights Watch Cyrille Canetti, psychiatre et contrôleur des lieux de privation de liberté. Ils travaillent dans des conditions effrayantes: de plus en plus de détenus, de moins en moins de surveillants. On voit pendant les visites que [les surveillants] courent d’un endroit à l’autre».[92]
Le manque de personnel pénitentiaire a un impact sur l'attention que les surveillants portent aux détenus en général, et aux personnes présentant des troubles psychiatriques en particulier. La surpopulation carcérale signifie également que les surveillants sont moins disponibles pour recevoir une formation sur la santé mentale. C’est particulièrement un problème dans les maisons d'arrêt surpeuplées où un surveillant peut être responsable de 100détenus.[93]
«Par exemple à Fleury, [il y a] un surveillant pour 80détenus. Comment un surveillant peut-il observer, avoir des relations qui puissent désamorcer les tensions?», a demandé un représentant d’un syndicat de gardiens de prison au cours d'un entretien accordé à Human Rights Watch.[94]
Dans son rapport de 2013, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté en poste à l’époque indiquait que, au cours des visites de prison, les membres de son équipe ont souvent constaté que les surveillants alertaient le personnel infirmier (qui donne les médicaments aux détenus) sur l'état d’un détenu («il ne va pas bien», «il n’a plus de parloir», «il a reçu une mauvaise nouvelle»). «Cette prévenance, a-t-il noté, est beaucoup plus difficile à mettre en œuvre lorsqu'un surveillant court d'un bout à l'autre d'une coursive sans pouvoir s'attarder dans une cellule, ce qui est le cas le plus fréquent».[95]
Manque de formation des surveillants
«Pour le personnel de surveillance, il n’y a pas de formation adaptée face à des personnes psychotiques, a déclaré un représentant d'un syndicat de gardiens de prison à Human Rights Watch. Les aides-soignants et le personnel infirmier dans les hôpitaux psychiatriques ont des formations spécifiques. Il y a des personnes qui mériteraient d’être envoyées là-bas [en hôpital psychiatrique] mais il n'y a pas de place, donc ils sont en prison», a-t-il indiqué.[96]
Malgré le nombre élevé de personnes présentant des troubles psychiatriques dans les prisons françaises, les surveillants ne reçoivent pas la formation nécessaire en matière de santé mentale. Les personnes interrogées ont également indiqué que, du fait du sous-effectif, même si une formation était proposée, il serait difficile pour les surveillants d’y assister. Dans son rapport de 2013, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a fait remarquer que «la formation des personnels de surveillance, principalement axée sur la sécurité, ne les prépare aucunement à la confrontation à la maladie mentale».[97]
«Sur la formation initiale, il y a des informations sur la psychiatrie criminelle, a déclaré à Human Rights Watch la directrice de la maison d’arrêt pour femmes de Marseille. Mais pas de formation sur la prise en charge des malades mentaux. Le focus de l’administration pénitentiaire est sur la prise en charge du risque suicidaire. Une formation sur la santé mentale serait utile. C’est important que les surveillants sachent identifier et adapter leur pratique professionnelle à la cause du comportement».[98]
Un surveillant de maison centrale a déclaré que, selon lui, les surveillants n’avaient pas la formation adéquate en matière de santé mentale malgré le fait que de nombreux détenus présentent des troubles psychiatriques. «Je ne me sens pas efficace pour vraiment encadrer ces personnes. Je n’ai pas les compétences requises. Si c’est pour les maîtriser, oui, mais ce n’est pas ça», a-t-il indiqué.[99]
En l’absence de temps et de ressources pour dispenser une formation complète au personnel pénitentiaire sur les questions de santé mentale, le système carcéral se concentre sur le strict nécessaire: tenter de maintenir les détenus en vie. «Les formations sont à 70% sur la prévention du suicide, a déclaré à Human Rights Watch un surveillant gradé d’une maison d’arrêt. Le problème, c’est que même s'il y a des formations, le surveillant n'a pas forcément le temps».[100]
La question du sous-effectif a également été soulevée par la directrice de la prison de Château-Thierry. «Plus de formations sur la psychopathologie, plus régulièrement, aux personnels, toutes les formations feraient du bien, a-t-elle indiqué. Mais les formations, on peut les faire s’il n’y a pas de manque de personnel».[101]
Pour le directeur de la prison pour femmes de Rennes, «l’offre de formation existe. Ce qui pose des difficultés, c’est d’envoyer les personnels. On ne peut plus envoyer un groupe d’agents. On doit faire travailler des agents en heures supplémentaires. […] Plus de formations sur la santé mentale, c’est un besoin. Le personnel l’identifie régulièrement, ils disent «On n’est pas des psychiatres»».[102]
IV. Accès insuffisant aux soins de santé mentale
«Cela fait plus d’un an que je suis ici et j’attends mon premier rendez-vous. On reste sur liste d’attente entre un ou deux ans avant de voir un psychologue»
-Une détenue en France
Insuffisance de l’accès aux soins
Les recherches menées par Human Rights Watch dans les prisons en France indiquent que les détenus n’ont pas accès à des soins de santé mentale adéquats. Cela constitue un manquement de la France à son obligation de donner à tous, y compris aux détenus, le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible; et dans la mesure où des personnes atteintes de troubles psychiatriques souffrent de manière disproportionnée de l’absence de soins de santé mentale adéquats, ceci est également discriminatoire.
L’accès aux services de santé mentale dans les prisons françaises, à l'instar des autres types de soins médicaux, se base sur le consentement des détenus. Les détenus peuvent écrire à l’unité médicale pour demander un rendez-vous. Dans les prisons que Human Rights Watch a visitées, les membres du personnel pénitentiaire ont indiqué qu’ils alertaient également l’unité médicale s'ils jugeaient que des personnes avaient besoin d'un suivi médical. Mais pour que ce système fonctionne, il faut d’une part que les détenus aient conscience qu’ils ont besoin de soins de santé mentale et fassent la démarche de demander un suivi, et d’autre part que les surveillants – qui sont insuffisamment formés – identifient les personnes se trouvant dans cette situation et en fassent part au personnel médical.
Une psychiatre dans une maison d’arrêt a déclaré à Human Rights Watch que «le problème qui se présente à nous, c’est que des patients psychotiques ne disent rien, ne demandent rien, ne sont pas signalés. On l’apprend par hasard».[103]
Ce problème a été soulevé par le Contrôleur des lieux de privation de liberté de l’époque dans son rapport de 2013, dans lequel il indiquait que «les contrôleurs ont constaté que d'authentiques malades mentaux restaient enfermés dans leur cellule, abandonnés à eux-mêmes, sans qu'aucun soignant n'intervienne car «le patient ne l’avait pas demandé»».[104]
Cette question a également été évoquée par le directeur de la prison pour hommes de Rennes: «L’une des difficultés ici à Rennes, c’est qu’un détenu qui ne mange plus et dont les excréments ne sont pas nettoyés, ne sera pas vu [par un psychiatre]. Donc c'est le médecin somatique qui demande une hospitalisation d'office».[105]
Dans la prison de Château-Thierry, où il est estimé que la plupart des détenus ont des troubles psychiatriques, la directrice a indiqué à Human Rights Watch que les psychiatres allaient parfois voir les patients dans leur cellule, mais que ce n’était pas la norme. Une surveillante gradée travaillant dans cette prison a indiqué que «si la personne refuse plusieurs fois d’aller au psy, le psy vient, mais c’est rare».[106]
Dans les 48heures suivant leur arrivée dans une prison, les détenus sont examinés par un médecin généraliste qui pourra ensuite les diriger vers un psychiatre s’il le juge utile.
Le responsable de l’unité médicale d’une maison d’arrêt a déclaré à Human Rights Watch que les détenus passent huit jours dans une unité d’admission où les détenus qui viennent d’arriver sont soumis à un examen, «mais un psychotique qui ne délire pas pourra passer à travers», a-t-il précisé.[107]
Les détenus, le personnel pénitentiaire et le personnel médical qui ont parlé à Human Rights Watch ont tous identifié le manque d’effectif de professionnels de la santé mentale disponibles comme étant une barrière à la délivrance de soins adéquats en prison.
Une détenue qui disait voir un psychiatre et un psychologue a déclaré qu’elle avait l’habitude de les voir une fois par semaine mais que, au moment de l'entretien avec Human Rights Watch, elle ne les voyait plus qu'une fois par mois à cause du sous-effectif.
«Je n'arrête pas de me plaindre parce que ce n'est pas suffisant, a-t-elle dit. J’ai besoin de les voir mais le problème, c’est que, quand je ne me sens pas bien, je ne peux voir personne... parce que l'équipe psychiatrique travaille en hôpital et dans la prison pour hommes; donc je ne peux pas toujours les voir». [108]
Elle a indiqué que, l'année passée, elle avait passé six mois dans sa cellule: «J'étais en dépression et je ne sortais plus de ma cellule. Je ne prenais que des médicaments et je dormais. […] Je n’allais même pas en promenade. En fait pendant six mois […] je ne voyais pas la lumière du jour. […] Je ne sortais jamais; je n'ai vu ni médecin ni psychiatre. Pendant six mois, je n’ai pas mis un pied en dehors de ma cellule».[109]
«Elise», détenue dans un centre pénitentiaire, a déclaré qu’elle a attendu très longtemps avant de voir un psychologue: «Cela fait plus d’un an que je suis ici et j’attends mon premier rendez-vous. On reste sur liste d’attente entre un et deux ans avant de voir un psychologue».[110]
Le directeur de la prison de Poissy a indiqué à Human Rights Watch qu’«un détenu qui finit par adhérer aux soins avec le psychologue, c’est 30minutes une fois par mois. Il y a une liste d’attente. L’offre de soins somatiques est bien. Mais [pour les soins] psychiatrique[s], il n’y a pas assez de disponibilité pour ceux qui en ont besoin ou ceux qui adhèrent».[111]
De nombreux détenus interrogés par Human Rights Watch qui ont vu un psychiatre et/ou un psychologue alors qu’ils étaient incarcérés ont indiqué que leurs rendez-vous étaient brefs et peu fréquents, une autre conséquence de la pénurie en professionnels de la santé mentale et du grand nombre de personnes souhaitant avoir accès à des soins de santé mentale en prison.
«Après, pour voir le psychologue et le psychiatre, il y a une longue liste d'attente, a déclaré «Clara», une détenue, à Human Rights Watch. J’ai demandé [à voir un psychologue] depuis que je suis arrivée car je savais que j’étais quelqu’un de dépressif. Il a fallu que je fasse une tentative de suicide pour que je puisse enfin voir un psychologue». Elle a indiqué qu’elle voyait un psychiatre une fois par mois pendant 30minutes; toutefois, au moment de l'entretien, son psychiatre était parti et elle attendait son remplaçant pour pouvoir continuer ses soins. Elle a déclaré qu’elle consultait le psychologue 40-45 minutes par semaine.[112]
«Marc», détenu dans un établissement pénitentiaire, a déclaré: «Je vois la psychiatre une fois par mois cinq minutes. Elle demande ‘Comment allez-vous? Le traitement, ça va?’». Il a dit qu’il voyait également un psychologue une fois par semaine pendant 15minutes et un infirmier psychiatrique chaque semaine. Le jour de l'entretien, il portait des marques visibles d'automutilation sur les bras. Il a déclaré qu’il se mutilait chaque fois qu’il repensait au crime qu’il avait commis.[113]
Inégalité de la répartition des soins de santé mentale entre les prisons françaises
Sur les 198prisons en France, seules 26 sont dotées d’un SMPR (service médico-psychologique régional) au sein de la prison. Deux de ces SMPR n’ont pas de lit. Comme leur nom l’indique, les SMPR sont censés traiter les personnes détenues dans une prison située dans la même région. Dans la pratique toutefois, à la seule exception du SMPR de la prison de Marseille, le SMPR reçoit seulement des personnes détenues dans la même prison que le SMPR. Dans d’autres prisons, les professionnels de la santé mentale ne délivrent des soins que certains jours de la semaine.
«Les prisons ne sont pas du tout équipées [en services de santé mentale] de la même manière, a déclaré à Human Rights Watch le responsable de l’unité psychiatrique d’une maison d’arrêt. C’est injuste structurellement. L’offre de soins n'est pas équitable».[114]
La proximité par rapport aux centres villes et aux hôpitaux dans lesquels les professionnels de la santé mentale – y compris ceux travaillant en prison – sont employés joue un rôle important dans l’offre de soins de santé mentale adéquats pour les détenus. Au cours des recherches menées par Human Rights Watch, cet aspect s’est avéré être un problème important dans les nouvelles prisons éloignées des centres villes.
Dans son rapport d’activité de 2013, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté de l’époque a critiqué la distance d'un grand nombre de prisons et d’hôpitaux psychiatriques des centres villes. «Les effets négatifs de cette logique de mise à distance des personnes détenues et des malades mentaux s’ajoutent à ceux provoqués par le seul enfermement, écrit-il. Les personnes privées de liberté et de leurs proches, tout comme les personnels et les intervenants extérieurs, pâtissent de la situation géographique de l'établissement et de ses conditions d'accessibilité».[115]
Comme cela a été indiqué dans un rapport du Sénat français de 2010 sur les soins de santé mentale dans les prisons françaises, «l’inégale répartition des psychiatres sur le territoire a non seulement des effets sur l’organisation des secteurs de la psychiatrie générale qui n’assurent pas toujours un suivi suffisant de leurs patients, mais rend également très difficile l’attribution des postes au sein des SMPR ou des UCSA, compte tenu du peu d’attrait de ces médecins pour une activité réputée difficile».[116]
Manque de personnel médical
Le manque de professionnels de santé mentale, s'expliquant soit par le manque de ressources financières, soit par la difficulté d'attirer des professionnels pour travailler dans les prisons, associé à la grande demande en soins de santé mentale en prison et à la surpopulation carcérale, se traduit par le fait que les personnes présentant des troubles psychiatriques ne reçoivent pas les soins de santé mentale suffisants lorsqu'elles se trouvent incarcérées ou ne jouissent pas de leur droit au meilleur état de santé mentale possible.
D’après les chiffres fournis à Human Rights Watch par le ministère de la Santé, le 31décembre2012, il y avait l'équivalent de 175,8 postes de psychiatres à plein temps travaillant dans les prisons françaises pour une population carcérale de 66572 personnes au 1erjanvier2013.[117] La moyenne nationale était de 0,9 poste pour 1000détenus, le taux le plus faible étant relevé dans les maisons d’arrêt (0,64) et le plus élevé dans les maisons centrales (2,19). Toutefois, les chiffres varie de manière significative entre les maisons d’arrêt qui sont dotées d’un SMPR et celles qui ne le sont pas. Les médecins généralistes représentaient l’équivalent de 280,8postes à plein temps avec une moyenne nationale de 1,46pour 1000détenus.
La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, a déclaré à Human Rights Watch que les soins de santé mentale en prison ne sont pas délivrés dans de bonnes conditions du fait du manque de personnel et de la surpopulation. «Beaucoup de demandes de soin ne sont pas suivies, a-t-elle indiqué. Il n'y a pas de soins dans les conditions de l'article46 de la loi [pénitentiaire] de 2009 [qui prescrit l’égalité de l’accès aux soins de santé en prison et à l'extérieur]».[118]
D’après la directrice de la prison de Château-Thierry, une étude de 2007 commandée par l'Administration pénitentiaire a révélé que 85pour cent des détenus dans la section «maison centrale» (pour les personnes purgeant de longues peines) de la prison de Château-Thierry avaient des troubles psychotiques.[119] La directrice de la prison a expliqué à Human Rights Watch que la maison centrale de Château-Thierry avait une capacité de 101places mais que 75détenus y étaient incarcérés suite aux conclusions du rapport de l’Administration selon lesquelles elle ne doit pas être remplie à plus de 75pour cent de sa capacité. Le jour de la visite de Human Rights Watch, la directrice a indiqué que «la plupart des personnes ici étaient très malades et une grande partie d’entre elles étaient dangereuses». Et pourtant, au moment de la visite, il y avait l’équivalent de 0,9 poste de psychiatre à plein temps, partagé par trois médecins; et deux psychologues se partageaient l’équivalent de 1,5poste à plein temps. [120]
«Le recrutement des psychiatres est un problème, a déclaré à Human Rights Watch Élise Theveny, directrice adjointe de la prison de Poissy dans laquelle des hommes purgeant de longues peines sont incarcérés. À Poissy, le psychiatre est seul, avec l’équivalent de 0,7poste à plein temps. Ce n’est pas un problème budgétaire».[121]
À la maison d’arrêt de Nanterre, au moment de la visite de Human Rights Watch en mai2015, il y avait l’équivalent de 1,5 poste de psychiatre à plein temps.[122] Neuf cent quatre-vingt-dix-neuf détenus étaient alors incarcérés dans la prison.[123]
À propos du manque de professionnels de santé présents dans l’établissement, Bénédicte Riocreux, directrice de la prison de Château-Thierry, a déclaré à Human Rights Watch que «le lieu géographique ne motive pas; agir en prison ne motive pas (…) L’été, quand les médecins sont en vacances, ils ne sont pas toujours remplacés pour la totalité».[124]
Évoquant la difficulté du travail en prison pour les professionnels de la santé, un fonctionnaire du ministère de la Santé a convenu du fait que «c’est moins attractif; ce sont davantage des militants [qui choisissent de travailler là]».[125]
Une psychiatre dans une maison d’arrêt a indiqué à Human Rights Watch que, même s’il ne manquait pas de psychiatres dans cette prison, 15lits dans le SMPR avaient été supprimés pendant un mois à cause du manque de fonds pour payer le personnel infirmier.[126]
Le fait que les soins de santé mentale soient pris en compte par les juges au moment où ils décident de la libération anticipée des détenus provoque également une hausse des demandes aux professionnels de la santé mentale, réduisant les ressources déjà limitées qui sont à la disposition des personnes qui en ont besoin.
«Il y a un gros travail de tri entre ceux qui ont besoin [de voir le psychiatre ou le psychologue] et ceux qui cherchent un tampon pour le juge [pour leur libération anticipée]», a déclaré à Human Rights Watch un membre du personnel médical travaillant dans une maison centrale. «Pour la justice, plus la personne voit le psychologue ou le psychiatre, mieux c'est. Ça lui donne un bonus au moment de la remise de peine».[127]
«La prise en charge psychologique, ça fait bien devant le juge, a déclaré à Human Rights Watch un professionnel de la santé mentale dans un centre pénitentiaire. Il y a une liste d’attente, trois mois d’attente».[128]
«Les gens savent qu’à un moment ils vont recevoir une lettre du juge d’application des peines leur demandant de fournir [des preuves de leur] suivi, a indiqué à Human Rights Watch le responsable de l’unité médicale d’une maison d’arrêt. Elles [les psychologues] sont débordées de demandes qui ne recouvrent rien. Une fois sur deux, c'est pour les remises de peine. Pour que les psychologues fassent le tri, c’est compliqué».[129]
Ces demandes au personnel de la santé mentale pour des personnes qui ne veulent peut-être pas véritablement recevoir des soins de santé mentale, mais qui se sentent obligées de les demander parce que cela les aidera à obtenir une libération anticipée absorbent des ressources déjà insuffisantes en termes de soins de santé mentale, ce qui aboutit à une réduction du temps que le personnel de santé mentale peut dédier aux détenus qui ont des troubles psychiatriques.
Médication
«Quand on prend le traitement, on est un zombie. On est réglé, on range tout, on met les choses comme si on était des militaires».-«Younes», un homme atteint de schizophrénie détenu dans une maison d’arrêt.[130]
Un grand nombre de personnes interrogées, y compris les détenus et le personnel pénitentiaire, pensait que le personnel de santé mentale travaillant dans les prisons prescrit des doses élevées de médicaments aux détenus et que leur rôle est essentiellement limité à la délivrance de ces prescriptions. Human Rights Watch a interrogé plusieurs détenus qui ont dressé la liste des nombreux traitements qui leur ont été prescrits, parmi lesquels des neuroleptiques, des anxiolytiques, des antidépresseurs et des somnifères. Certains détenus interrogés par Human Rights Watch ont indiqué que, d’après ce qu’ils savaient, le rôle du personnel de santé mentale était limité à la prescription de médicaments. Cette perception risque de dissuader les détenus de demander la prise en charge dont ils pourraient avoir besoin.
Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier si les médicaments prétendument prescrits aux personnes interrogées étaient cliniquement indiqués dans chacun des cas ni de tirer des conclusions sur la base de ces entretiens. Toutefois, la question de la surconsommation de médicaments par des détenus présentant des troubles psychiatriques a souvent été évoquée au cours des recherches.
«Le travail du psychiatre, c'est de prescrire, du chimique, pour apaiser les angoisses», a déclaré à Human Rights Watch «Christophe», détenu dans un établissement pénitentiaire.[131]
Cette perception était partagée par «Julien», détenu dans un établissement pénitentiaire: «L’UCSA [l’unité médicale], c’est bien pour certains détenus mais leur but c’est de nous abattre comme des arbres, de nous donner des cachetons pour dormir toute la journée.[132]
Évoquant les médicaments servant à traiter les pathologies mentales en prison, l’ancien Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, a déclaré que «en général, il y a un surdosage de médicaments par les prescripteurs».[133]
François Bès, coordinateur à l’Observatoire international des prisons (OIP) à Paris, a indiqué à Human Rights Watch que l'OIP a reçu des plaintes de familles sur la médication apparemment excessive de leurs proches. «[À titre d’exemple], elles disent avoir vu [le détenu] au cours d’une visite et que «c’est un fantôme» […] Compte tenu du manque de personnel médical, il est plus facile de prescrire des médicaments au cours d’une visite mensuelle que [de proposer] une psychothérapie hebdomadaire».[134]
Les personnes interrogées ont également expliqué que des séances avec des psychiatres étaient limitées à la délivrance ou au renouvellement de prescription de médicaments.
«Marc», détenu dans un établissement pénitentiaire, a déclaré: Je vois la psychiatre une fois par mois cinq minutes. Elle demande ‘Comment allez-vous? Le traitement, ça va?’».[135]
«Lorsque [mes clients] voient le psychiatre, ce n’est pas pour parler, c’est pour récupérer une prescription», a déclaré à Human Rights Watch un avocat spécialisé dans les conditions de détention, y compris pour des personnes présentant des troubles psychiatriques.[136] Une évaluation indépendante, menée par des professionnels de santé, de la manière dont les médicaments sont prescrits aux détenus atteints de troubles psychiatriques serait nécessaire pour s’assurer que les médicaments ne soient pas prescrits de manière excessive, compte tenu des effets négatifs que cela peut avoir sur la santé des détenus et des risques que la mise à disposition de doses élevées de médicaments forts peut avoir sur leur intégrité physique et mentale.
Selon l’établissement et le type de médicaments prescrits à un détenu, les détenus présentant des troubles psychiatriques pourront recevoir leurs médicaments dans leur cellule chaque jour ou régulièrement tout au long de la semaine – par exemple deux ou trois fois par semaine. Les médicaments sont distribués par des infirmiers, accompagnés de surveillants pénitentiaires. Toutefois, dans certains établissements, les médicaments sont délivrés uniquement dans l'unité médicale et les détenus doivent aller à l'unité pour obtenir et prendre leurs médicaments. Certains des médicaments prescrits pour des troubles psychiatriques sont plus strictement réglementés car ils peuvent être dangereux s'ils sont pris à dose élevée. Il pourrait également y avoir des risques pour les patients si les médicaments ne sont pas pris. Lorsque les détenus reçoivent leurs médicaments dans leur cellule, il y a un risque que les détenus gardent leurs médicaments pendant des jours ou des semaines puis les prennent tous en une seule prise, pour tenter de se suicider par exemple, ou les vendent à d’autres détenus à qui ils n’ont pas été prescrits. Les prisonniers à qui des médicaments sont prescrits peuvent également devenir des cibles d'extorsion de la part des autres détenus.
Dans sa recommandation sur l’organisation de la prise en charge médicale en prison, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a indiqué que «s’il y a lieu, les personnes détenues devraient pouvoir recevoir leur traitement prescrit «en mains propres». Cependant, les médicaments dont la prise en overdose peut se révéler dangereuse ne devraient pas leur être remis; ils devraient leur être administrés au fur et à mesure, selon la posologie prescrite».[137]
Abus pendant l’hospitalisation
«Je préfère 1000fois être en cellule plutôt qu’en chambre d’isolement à l’hôpital. À me faire attacher les bras et les pieds comme si j’étais un animal, me prendre une piqûre dans les fesses»
-«Sarah», une détenue.
En droit français, les détenus qui ont besoin de soins psychiatriques urgents et intensifs peuvent être admis à l’hôpital avec leur consentement.[138] Ils peuvent également être hospitalisés sans leur consentement s’ils «nécessitentdes soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier en raison de troubles mentaux rendant impossible [leur] consentement et constituant un danger pour [eux-mêmes] ou pour autrui». [139] Cette hospitalisation peut être effectuée soit en hôpital psychiatrique ou dans l’une des sept Unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) pour les détenus.[140] D’autres membres du public peuvent être admis en hôpital psychiatrique sans leur consentement sur décision d’un représentant de l’État si leur pathologie mentale «nécessitedes soins et [compromet] la sûreté des personnes ou [porte] atteinte, de façon grave, à l’ordre public».[141] Le cadre dans lequel l’hospitalisation forcée de toute personne peut avoir lieu en droit français est problématique, comme cela a été indiqué plus haut. Néanmoins, une analyse complète de l’effet de la loi sort du champ de ce rapport.
L’ouverture des UHSA en France, qui correspond à une augmentation des ressources disponibles pour les patients demandant un suivi de leur pathologie mentale, est une évolution positive. Outre les sept unités qui étaient opérationnelles au moment de la rédaction de ce rapport, deux unités supplémentaires étaient en construction et un second groupe d'UHSA devait ouvrir après l'achèvement du premier groupe. Lorsqu’il n’y aucune UHSA à proximité d'une prison ou s'il n'y a aucune place disponible dans une UHSA, les détenus demandant un suivi sont alors admis en hôpital psychiatrique ou attendent dans leur cellule.
Les conditions physiques dans lesquelles les détenus étaient gardés lorsqu’ils étaient admis en hôpital psychiatrique ont été critiquées par le Comité pour la prévention de la torture (CPT) du Conseil de l’Europe, suite à sa visite en France en 2010. Le Comité a fait remarquer que la façon dont les détenus étaient pris en charge dans les hôpitaux psychiatriques que le Comité a visités «était une source de grave préoccupation. Ces patients étaient presque systématiquement mis en chambre d’isolement pendant toute la durée de leur hospitalisation, généralement sous contention complète, pendant les premières 48heures, voire pendant tout leur séjour. Cette mesure était dictée par des considérations de sécurité et non par leur état clinique».[142]
Le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a remarqué que l’isolement prolongé, y compris comme manière de «gérer» les détenus considérés comme des personnes nécessitant une prise en charge psychiatrique, peut être une forme de traitement inhumain, cruel ou dégradant. Il a indiqué que l'isolement «devrait être limité au minimum, ne devrait s’appliquer que dans des cas très exceptionnels, pour une durée aussi courte que possible et ne devrait constituer qu’une solution de dernier recours».[143]
En août2014, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a demandé au gouvernement français de commenter, dans son compte-rendu sur le respect du droit à la vie et de l’interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en France, les allégations selon lesquelles «des détenus admis en soins psychiatriques sans leur consentement seraient soumis à des mesures d’isolement et de contention pendant toute la durée du séjour dans la plupart des établissements de santé».[144] Toutefois, le gouvernement français n’a pas abordé cet aspect dans sa réponse à la liste de questions du Comité.[145]
Le directeur de la prison pour hommes de Rennes a déclaré à Human Rights Watch que «s’il n’y a pas de place en UHSA, c’est une hospitalisation d’office [en hôpital psychiatrique]. Ça arrive. Il y a des cas où l’on n’y est pas favorable. Il y a des détenus qui l’utilisent pour une tentative d’évasion. En attendant, ils restent en cellule de protection d'urgence [en prison]».[146] Il s’agit de cellules à l’intérieur de la prison destinées à prévenir les suicides, avec des surfaces lisses pour que les détenus ne puissent pas attacher une corde ou un vêtement pour se pendre. Ils peuvent également y être tenus de porter des pyjamas en papier.
Les détenus qui avaient été admis en hôpital psychiatrique sans leur consentement ainsi que le personnel médical et l’ancien Contrôleur général des lieux de privation de liberté ont décrit des conditions difficiles pour les détenus dans les hôpitaux psychiatriques. Par principe, ils sont placés en isolement parce qu’ils ont le statut de détenu et non parce que leur pathologie mentale le justifie.
Les détenus interrogés par Human Rights Watch partageaient des souvenirs douloureux de leur séjour passé en hôpital psychiatrique en tant que détenus. «On m’a piqué. Je me suis retrouvé dans une cellule d’isolement… complètement nu, menotté derrière le dos», a déclaré «Mathieu», détenu dans une maison d’arrêt.[147]
«Sarah», une détenue, a raconté à Human Rights ce dont elle se souvenait de son séjour dans deux hôpitaux psychiatriques: «Dans les deux, il y avait beaucoup de maltraitance. Depuis, j’ai la phobie de l’hôpital et des médecins et des psychiatres, etc., a-t-elle indiqué. Des fois […] les infirmiers me traînaient par les pieds jusqu’en chambre d’isolement. On m’attachait au lit alors que je n'avais rien fait. Je préfère 1000fois être en cellule plutôt qu’en chambre d’isolement à l’hôpital. À me faire attacher les bras et les pieds comme si j’étais un animal, me prendre une piqûre dans les fesses».[148]
L’ancien Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, a confirmé que des détenus internés en hôpital psychiatrique «étaient placés en chambre d’isolement, systématiquement, quelles que soient les conditions. Ces chambres d’isolement sont plus dures que la prison: pas de visite, pas de promenade. De nombreuses personnes demandent à retourner en prison».[149]
«Le SMPR est hyperbooké, a déclaré à Human Rights Watch une psychiatre travaillant dans un hôpital psychiatrique et dans deux prisons. Lorsqu’il y a une urgence, c’est une hospitalisation en vertu de l’ArticleD938 du Code de procédure pénale. Dans mon hôpital psychiatrique, un D938 c’est l’enfer. Les D938 sont systématiquement en isolement et pas pour des raisons thérapeutiques.[150] Il y a des détenus qui arrivent [dans l’hôpital psychiatrique] mal mais pas agités. Mais ils auront le même cadre d’hospitalisation que ceux qui sont agités [et seront placés] 24 heures sur 24 en cellule».[151]
Une professionnelle de la santé mentale dans un centre pénitentiaire a déclaré à Human Rights Watch que l'hospitalisation des détenus en hôpital psychiatrique sans leur consentement était «pire que le quartier disciplinaire. En général, les détenus préfèrent aller en quartier disciplinaire. […] Le secteur d’hospitalisation psychiatrique n’est pas équipé. Ils ont peur qu’ils [les patients qui purgent une peine de prison] se sauvent».[152]
Le directeur de la prison de Nanterre s’en est fait l’écho. «Le problème en France, c’est que les détenus qui arrivent dans les hôpitaux font peur, a-t-il indiqué. Il n’y a plus de secteur fermé [en hôpital psychiatrique]. Quand il y a des évasions, ça fait peur».[153]
La procédure administrative pour qu’une personne soit admise dans une UHSA sans son consentement impose qu’un médecin qui n’est pas affilié au même hôpital que celui de l’UHSA délivre un certificat médical (le médecin généraliste dans l'unité médicale de la prison qui est affilié à un hôpital différent de celui du psychiatre peut délivrer le certificat).[154] S’il y a de la place dans l’UHSA, le préfet du département où se trouve la prison délivre un ordre d’admission de la personne dans l’UHSA. Toutefois, si l’UHSA se trouve dans un département différent de celui de la prison, un ordre du préfet de cet autre département est également requis. Si la personne purge une peine supérieure à 10ans, l’approbation de l’administration pénitentiaire est également nécessaire.[155]
Comme les personnes ne peuvent pas être admises dans une UHSA pendant le week-end, les détenus peuvent être envoyés en hôpital psychiatrique en attendant, également sans leur consentement. Le directeur de la prison pour femmes de Rennes a expliqué que, dans ces situations, «on doit d’abord aller à l’hôpital [psychiatrique] à l’isolement. Ça arrive régulièrement».[156]
Dans son rapport annuel de 2014, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a noté qu’elle avait reçu «de nombreux témoignages de patients estimant avoir été totalement délaissés durant leur séjour en chambre d’isolement [dans un hôpital psychiatrique]: certains expriment le sentiment d’avoir été punis par les personnels de santé; beaucoup font état des restrictions difficiles à accepter sans en comprendre les motifs (sorties de la chambre limitées, aucun objet autorisé, interdiction de fumer, indignité liée à l’obligation d‘utiliser un sceau hygiénique, conditions matérielles dégradées…); une grande majorité indique avoir souffert d’un manque d’information et de considération».[157]
Suicide et automutilation
«De voir aussi des majeures qui ont de grosses grosses cicatrices sur les veines, qui prennent des médicaments, qui sont en train de baver, complètement shootées, c'est vrai que ça fait bizarre. Le fait d’avoir parlé avant avec certaines majeures et d’apprendre qu’elles se sont suicidées, ça fait bizarre aussi. Donc évidemment, je me suis dit: «si elle, elle ne tient pas le coup, est-ce que moi je vais tenir le coup?»».
-«Sarah», une détenue qui portait des cicatrices d’actes d'automutilation sur les bras.
Une étude sur les suicides de détenus entre 2006 et 2009 dans les prisons françaises a révélé que les suicides y étaient sept fois plus fréquents que dans l’ensemble de la population.[158] L’étude a révélé que les détenus qui étaient les plus vulnérables au suicide étaient des personnes en détention préventive ou provisoire (le taux est deux fois plus élevé que pour les personnes ayant déjà été condamnées) ou en détention dans une cellule disciplinaire (le taux est 15fois plus élevé plus que dans une cellule ordinaire). L’absence de visites et la gravité de l’infraction pénale étaient également des facteurs de risque. L’étude a aussi révélé que des personnes qui avaient été préalablement hospitalisées étaient plus vulnérables au suicide que d’autres lorsqu’elles retournaient au sein de la population carcérale. Alors que les raisons des admissions en hôpital n’étaient pas connues, les chercheurs ont indiqué qu’il était possible qu’elles aient un rapport avec des problèmes de santé mentale, compte tenu du lien fort entre le suicide d’une part et les troubles psychiatriques et comportementaux d’autre part.[159]
En 2015, 113 personnes se sont suicidées dans les prisons françaises. Le nombre de suicides a baissé depuis2009, année au cours de laquelle il y a eu 123 suicides dans les prisons françaises. Mais le nombre de tentatives de suicide est resté élevé ces dernières années.[160]
D’après les derniers chiffres du Conseil de l’Europe, en2012, 57,8pour cent des décès dans les prisons en France étaient des suicides, un taux bien plus élevé que le taux médian de 16,8pour cent dans les États membres du Conseil de l’Europe.[161]
Outre le fait d’avoir le devoir de protéger l’intégrité physique et mentale des personnes incarcérées dans les prisons françaises, la France a le devoir de protéger leur droit à la vie. D’après l’interprétation de la Cour européenne des droits de l’homme, l’obligation de protéger le droit à la vie en vertu de la CEDH couvre le devoir de prendre «les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction». [162]
Les autorités pénitentiaires s’attachent à juste titre à la prévention du suicide en prison. Toutefois, des recherches universitaires ont montré que l’automutilation est un facteur important de risque de suicide en prison.[163] Les autorités pénitentiaires doivent prendre des mesures appropriées lorsque les détenus s’automutilent afin de tenir compte des facteurs qui les ont amenés à agir ainsi, facteurs qui peuvent être liés à leurs conditions de détention ou à leur manque d’accès à des soins de santé mentale adéquats. En l’absence de mesures adéquates, elles risquent d’enfreindre les obligations leur imposant de protéger le droit à la vie de tous les détenus.
Dans les cinq prisons où Human Rights Watch a réalisé des entretiens avec des détenus, quatre détenus (sur les 50interrogés) avaient des cicatrices d’actes de mutilation sur les bras. Deux d’entre eux et deux autres détenus ont indiqué qu’ils avaient tenté de mettre fin à leurs jours.
Dans la prison de Fresnes, le directeur a déclaré à Human Rights Watch qu’il existait un système permettant d’affecter à un détenu identifié comme potentiellement suicidaire un codétenu de «soutien» avec qui il partagera la cellule. «S’ils veulent vraiment se scarifier, on ne leur met pas un codétenu de soutien car personne n’aime voir autant de sang, a-t-il déclaré. On ne peut rien faire, rien leur retirer comme objet car ils trouveront toujours une autre manière de se couper».[164]
Dans la prison de Nanterre, le directeur a également déclaré que le système ne concernait que les risques de suicide.[165]
Un surveillant dans un établissement pénitentiaire a expliqué à Human Rights Watch que l’automutilation était fréquente et que, dans ces cas-là, les détenus étaient surveillés par des gardiens toutes les deux heures ou même toutes les heures et demie.[166]
Le directeur de la prison pour hommes de Rennes a indiqué que l’automutilation était très fréquente là-bas également.[167]
«Je me sentais mal. J’ai pris le traitement d’une semaine. Je me suis réveillé dans un fauteuil roulant, menotté [dans la prison], a déclaré «Marc», détenu dans une prison, parlant d’une tentative de suicide qu'il avait faite. Je suis resté une nuit à l’hôpital puis [je suis] revenu en cellule. Un surveillant venait toutes les cinq minutes, j’en ai eu marre. J’ai dit au surveillant: «Ça suffit, arrêtez». Il y en a [des gardiens] qui étaient discrets, d’autres non».[168]
Lorsqu’il est considéré qu’une personne incarcérée nécessite des soins psychiatriques d’urgence et doit être transférée en milieu hospitalier, elle peut, en attendant son transfert, être placée pendant 24heures dans une cellule conçue pour éviter l’automutilation. Ces cellules sont appelées «cellules de protection d’urgence». Elles sont dépouillées, sans coins tranchants, et ne comportent aucun élément auquel la personne puisse attacher un bout de vêtement pour se pendre. Les autorités pénitentiaires peuvent exiger que la personne porte des pyjamas en papier afin d’également éviter la pendaison. Ce système permettant aux détenus présentant des troubles psychiatriques d’être placés en cellules d’isolement et de faire l’objet d‘une hospitalisation et d’un traitement d’office, dans des circonstances qui ne constituent pas des mesures de dernier ressort en réponse à une situation de vie ou de mort ou à une situation d'une gravité comparable, enfreint un certain nombre de droits des détenus présentant des troubles psychiatriques, y compris leur droit à l'intégrité physique et à la non-discrimination.
Relations entre les professionnels de santé et le personnel pénitentiaire
«Nous, on est intéressés par la santé et on parle de patients. Le pénitentiaire, c’est garder des détenus. Ce sont deux logiques différentes qui peuvent s’opposer».
-Un fonctionnaire du ministère de la Santé.[169]
Lors des recherches effectuées sur les conditions de détention des personnes présentant des troubles psychiatriques en France, Human Rights Watch a constaté que, dans certains établissements, il y avait peu de coopération entre la prison et le personnel médical, ce qui peut porter préjudice à la santé mentale des détenus. D’une part, les professionnels de santé qui dépendent d'un hôpital et sont indépendants de l'administration pénitentiaire ont la tâche difficile de traiter des personnes en milieu carcéral et de protéger le secret médical et, d'autre part, le personnel pénitentiaire est responsable de la sécurité et de la rétention des détenus jour et nuit, y compris des personnes avec des troubles psychiatriques dont ils n'ont pas le droit de connaître le diagnostic ou ne sont pas formés à détecter les troubles. En ce qui concerne la santé mentale notamment, la qualité de la coopération et de la communication entre les deux est cruciale.
Les surveillants voient les détenus chaque jour. Ils sont les mieux placés pour connaître leurs habitudes et comportements et pour alerter le personnel médical s'ils remarquent des signes de mauvaise santé mentale. Les professionnels de la santé mentale, d'autre part, peuvent fournir aux surveillants de prison les outils pour les aider à comprendre les situations auxquelles ils sont confrontés, y compris les comportements résultant de troubles psychiatriques et des effets secondaires des médicaments, sans pour autant violer le secret médical, et pour les aider à comprendre comment désamorcer les situations sans avoir recours à la force. Une bonne coopération entre le personnel pénitentiaire et le personnel de santé mentale est cruciale, et elle peut permettre au personnel médical d'avoir une meilleure compréhension de l’environnement carcéral, un facteur clé dans la santé mentale de ses patients.
Le droit des prisonniers à la protection du secret médical et à la confidentialité des consultations, conformément à ce qu'a préconisé le Comité des ministres du Conseil de l'Europe dans ses recommandations sur les règles pénitentiaires européennes, est protégé par la législation française.[170] Toutefois, ceci ne doit pas être un obstacle à une coopération efficace entre le personnel de santé et le personnel pénitentiaire dont l’objectif est de donner accès à la meilleure prise en charge possible et de protéger le droit des détenus à l'intégrité mentale et physique.
Une directive de 2012 émise par les ministères de la santé et de la justice appelle les professionnels de santé travaillant en prison à participer à des réunions conjointes avec le personnel pénitentiaire le cas échéant, et d'apporter «des éléments permettant une prise en charge plus adaptée des patients détenus grâce à une meilleure articulation entre les professionnels, dans le respect du secret médical».[171] La directive recommande fortement la participation effective des professionnels de santé à des réunions conjointes sur la prévention du suicide. Mais plusieurs professionnels de santé ont déclaré à Human Rights Watch qu'ils n’ont pas participé activement à ces réunions avec le personnel pénitentiaire visant à parler de la santé des détenus, y compris des risques de suicide, dans un souci de protection du droit des patients au respect du secret médical.
Un rapport de 2008 de la Commission des lois du Sénat français a révélé que «la qualité des relations entre l’administration pénitentiaire et les médecins exerce une grande influence sur les conditions de détention, la prise en charge sanitaire des détenus et la prévention des violences ou des actes suicidaires» et que ces relations peuvent grandement varier d’une prison à une autre. Le rapport a révélé que, alors que «de nombreux médecins n’hésitent pas à signaler à l’administration pénitentiaire les risques éventuels liés à l’évolution de l’état de santé - psychiatrique principalement – d’un détenu, d’autres en revanche comprennent le secret médical comme une interdiction absolue de communiquer tout document lié à la possible dangerosité d’une personne incarcérée».[172]
Les professionnels de santé ont raison de respecter et de protéger le secret médical. Suite à une visite de la maison d’arrêt de Strasbourg en2012, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a constaté que des caméras de vidéosurveillance en circuit fermé avaient été installées dans des salles où des activités de service psychiatrique ont lieu.[173] Lorsque le personnel infirmier obstruait les caméras en signe de protestation, ils perdaient leur autorisation de travailler en prison. Invoquant l’exigence qui interdit, au titre de la confidentialité des activités thérapeutiques, les caméras de vidéosurveillance en circuit fermé dans un lieu de soins médicaux, le Contrôleur a demandé leur retrait. Le ministère de la Justice a répondu que la décision d’installer les caméras avait été prise avec l’accord du responsable du SMPR et de l’hôpital auquel le SMPR est affilié.[174] Dans sa réponse de mai2015, la ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes a indiqué que la décision avait été prise unilatéralement par les autorités pénitentiaires et que les caméras étaient toujours en place.[175] Ce cas met en lumière les enjeux auxquels font face les professionnels de la santé mentale s’agissant de la protection du secret médical de leurs patients et de la délivrance de soins de santé mentale en milieu carcéral.
Toutefois, il existe un risque pour la santé mentale des détenus présentant des troubles psychiatriques, y compris l’automutilation, si le personnel pénitentiaire et les professionnels de santé ne communiquent pas du tout et ne partagent pas les informations nécessaires dans le strict respect du secret médical. Les deux parties doivent s’efforcer de travailler ensemble dans un climat de confiance, en faisant du droit des prisonniers à l’intégrité physique et mentale leur priorité.
V. Normes nationales et internationales
Devoirs de la France en vertu du droit européen et du droit international
Interdiction de la torture et autres peines et traitements cruels ou dégradants
La France est liée par l’interdiction de la torture et autres peines et traitements cruels ou dégradants en vertu du droit international coutumier, et en particulier en vertu des traités que le pays a ratifiés tels que la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Convention des Nations unies contre la torture. [176]
L’article 7 du PIDCP dispose que «nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants» [177] et l’article10 dispose que «toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine».
Le nouvel ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus, même s’il n’est pas contraignant, donne des lignes directrices aux gouvernements sur la façon de traiter les détenus conformément aux normes et principes internationaux. Selon la première règle, «tous les détenus sont traités avec le respect dû à la dignité et à la valeur inhérentes à la personne humaine» et «aucun détenu ne doit être soumis à la torture ni à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et tous les détenus sont protégés contre de tels actes».[178]
Le droit des détenus à ne pas subir ces traitements est également garanti par l’article3 de la CEDH.[179] La Cour européenne des droits de l’homme a interprété cette disposition comme incluant les conditions de vie en prison qui peuvent s’apparenter à des violations de l'interdiction de la torture et d’autres formes de mauvais traitement.[180] La Cour a interprété l’article3 comme une disposition obligeant l’État à s’assurer que «tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de sa dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis».[181]
Dans sa jurisprudence, la Cour a établi que «pour apprécier si le traitement ou la sanction concernés étaient incompatibles avec les exigences de l’article3, il faut, dans le cas des malades mentaux, tenir compte de leur vulnérabilité et de leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court des effets d’un traitement donné sur leur personne».[182] Dans son affaire Slawomir Musial c. Pologne de 2009 qui concernait la détention d’un homme diagnostiqué schizophrène, la Cour a indiqué que«il convient de prendre en considération trois éléments particuliers relativement à la compatibilité de la santé d’un requérant avec sa détention: a)l’état de santé du détenu, b)le caractère adéquat de l’assistance et de la prise en charge médicales proposées en détention et c)le caractère judicieux du maintien de la mesure de détention compte tenu de l’état de santé d’un requérant».[183] La Cour a considéré que «alors que le maintien de la mesure de détention n’est pas, en elle-même, incompatible avec l'état de santé du requérant, son incarcération dans des établissements non adaptés à l’incarcération de malades mentaux soulève une grave question en vertu de la Convention» et a conclu que la Pologne avait violé l’interdiction de la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants en vertu de l’article3 de la CEDH.[184]
Dans un rapport de 2008 se focalisant sur la situation des personnes présentant des handicaps en ce qui concerne la torture et peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Rapporteur spécial sur la torture de l’époque a indiqué que, selon lui, «l’isolement prolongé des détenus peut s’apparenter à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant et peut dans certains cas s’apparenter à de la torture».[185] Il a fait remarquer que «parfois […] il est utilisé dans certaines institutions comme une forme de traitement ou de punition des personnes handicapées ou pour encadrer certains groupes de prisonniers, tels que ceux considérés comme ayant des problèmes psychiatriques».[186]
Le Rapporteur spécial a indiqué que «l'isolement cellulaire devrait être limité au minimum, ne devrait s’appliquer que dans des cas très exceptionnels, pour une durée aussi courte que possible et ne devrait constituer qu’une solution de dernier recours. Quelles que soient les conditions particulières du recours à cette pratique, il importe de faire en sorte que le prisonnier ait davantage de contacts sociaux: contacts entre le prisonnier et le personnel pénitentiaire, accès à des activités sociales avec d’autres prisonniers, autorisation d’un plus grand nombre de visites et accès à des services de santé mentale».[187]
Le droit à la vie
L’article2 de la CEDH garantit le droit à la vie. Il prévoit que «le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi». La Cour européenne des droits de l’homme a interprété cet article comme une disposition imposant aux États un devoir de «s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière mais aussi [de] prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction».[188] Concernant les détenus, la Cour a déterminé que «les personnes en garde à vue sont en situation de vulnérabilité et les autorités ont le devoir de les protéger. (…)L’obligation qui pèse sur les autorités de justifier le traitement infligé à un individu placé en garde à vue s’impose d’autant plus lorsque cet individu meurt».[189] Concernant le suicide d’un détenu alors en détention, la Cour a souligné que «des mesures et précautions générales peuvent être prises afin de diminuer les risques d’automutilation sans empiéter sur l’autonomie individuelle».[190]
La Cour européenne des droits de l’homme a également considéré dans l’affaire Renolde c. France que «l’état d’un prisonnier dont il est avéré qu'il souffre de graves problèmes mentaux et présente des risques suicidaires appelle des mesures particulièrement adaptées en vue d'assurer la compatibilité de cet état avec les exigences d'un traitement humain».[191]
Le droit à la vie est également garanti en vertu de l’article6 du PIDCP.
Le droit de jouir du meilleur état de santé possible
En tant que partie au PIDESC, la France a le devoir de permettre aux détenus de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’ils soient capables d’atteindre.[192] Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies a indiqué que «les États sont en particulier liés par l’obligation de respecter le droit à la santé, notamment en s’abstenant de refuser ou d’amoindrir l’égalité d’accès de toutes les personnes, dont les détenus […] aux soins prophylactiques, thérapeutiques et palliatifs en s’abstenant d’ériger en politique d’État l’application de mesures discriminatoires concernant la situation et les besoins des femmes en matière de santé».[193]
Le droit à l’intégrité physique et mentale
L’article 8 de la CEDH prévoit que «toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance».
La Cour européenne des droits de l’homme a déterminé que «la sauvegarde de la stabilité mentale est à cet égard un préalable inéluctable à la jouissance effective du droit au respect de la vie privée».[194] En vertu de l’article8, les États ont non seulement le devoir de s'abstenir de violer le droit de quiconque relevant de leur juridiction, y compris les détenus, à la préservation de sa santé mentale mais ont également le devoir de prendre des mesures concrètes pour protéger ce droit. En effet, la Cour a déterminé que «toutefois, si l’article8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas d’astreindre l’État à s’abstenir de pareilles ingérences: à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale».[195]
En vertu de l'article17 de la CRPD, «toute personne handicapée a droit au respect de son intégrité physique et mentale sur la base de l’égalité avec les autres»."
Le droit d’accès aux soins de santé mentale en détention
L’article25 de la CRPD dispose que «les personnes handicapées ont le droit de jouir du meilleur état de santé possible sans discrimination fondée sur le handicap».[196] Le PIDESC prévoit également le droit au meilleur état de santé physique et mentale possible.[197]
En vertu du nouvel ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (règles Mandela), «l’État a la responsabilité d’assurer des soins de santé aux détenus, ceux-ci devant recevoir des soins de même qualité que ceux disponibles dans la société et avoir accès aux services nécessaires sans frais et sans discrimination fondée sur leur statut juridique».[198] Les règles prévoient que «chaque prison [dispose] d’un service médical chargé d’évaluer, de promouvoir, de protéger et d’améliorer la santé physique et mentale des détenus, une attention particulière étant accordée à ceux qui ont des besoins spéciaux ou des problèmes de santé qui constituent un obstacle à leur réinsertion».[199] Les règles prévoient également que «les administrations pénitentiaires [apportent] tous les aménagements et les ajustements raisonnables pour faire en sorte que les détenus souffrant d'une incapacité physique, mentale ou autre aient un accès entier et effectif à la vie carcérale de façon équitable».[200]
L’interdiction de discrimination
La CEDH (dans son article14), le PIDCP et le PIDESC (les deux dans leur article2) interdisent aux États de discriminer quiconque sur la base du handicap ou du sexe dans la jouissance de leurs droits visés par les traités respectifs, y compris les droits à la vie, l’intégrité mentale et physique et l'absence de soumission à la torture ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants.[201] La CEDH interdit explicitement la discrimination sur la base du handicap (article5).
L'article 12 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes prévoit que les États «prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans le domaine des soins de santé en vue de leur assurer, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, les moyens d’accéder aux services médicaux». En tant que partie au PIDESC, la France doit veiller à ce que les droits garantis par le pacte, y compris le droit à la santé, soient exercés sans discrimination fondée sur le sexe.[202] Le PIDESC prévoit également que les États s’engagent «à assurer le droit égal qu’ont l’homme et la femme au bénéfice de tous les droits économiques, sociaux et culturels» en vertu du pacte.[203]
Droit national français
La loi pénitentiaire de 2009 dispose que «l’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L’exercice de ceux-ci ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l’intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l’âge, de l’état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue».[204]
La loi pénitentiaire dispose également que «la qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l'ensemble de la population» et que «l’état psychologique des personnes détenues est pris en compte lors de leur incarcération et pendant leur détention».[205] L’article47 de cette loi prévoit que les femmes détenues reçoivent une prise en charge adaptée à leurs besoins.
VI. Remerciements
Ce rapport a été rédigé par Izza Leghtas, chercheuse sur Europe de l’Ouest à Human Rights Watch, et s’appuie sur ses recherches.
Le rapport a été revu par Benjamin Ward, directeur adjoint de la division Europe et Asie centrale; Jean-Marie Fardeau, ancien Directeur France, et Bénédicte Jeannerod, Directrice France actuelle; Shantha Rau Barriga, directrice de la division Droits des personnes handicapées; Heather Barr et Hillary Margolis, chercheuse senior et chercheuse dans la division Droits des femmes; Richard Pearshouse, chercheur senior sur la Santé et les droits humains; Aisling Reidy, conseillère juridique senior et Tom Porteous, directeur adjoint au Bureau du Programme.
Anze Mocilnik, associé dans la division Europe et Asie centrale et Olivia Hunter, associée dans la division publications, ont apporté leur soutien pour la production.
Human Rights Watch remercie les responsables de l’administration pénitentiaire qui nous ont reçus et facilité l’accès aux prisons pour ces recherches. Nous remercions également les responsables aux Ministères de la Justice et de la Santé, ainsi qu’au bureau du Défenseur des Droits, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté de l’époque et actuel, et les avocats qui nous ont reçus et fourni des informations. Nous remercions les directeurs et le personnel des prisons que nous avons visitées pour nous avoir permis d’effectuer des visites et d’interroger des détenus et pour avoir répondu à nos questions; nous remercions également les professionnels de santé qui ont pris le temps de nous rencontrer et de nous apporter des informations pour notre rapport.
Human Rights Watch remercie tout particulièrement les hommes et les femmes détenus, qui ont accepté de nous parler et de partager leur histoire avec nous.