(Paris) – Des milliers d’hommes et de femmes atteints de troubles psychiatriques, détenus dans les prisons françaises sont à risque de suicide ou d’automutilation en raison de la négligence dont fait l’objet leur santé physique et mentale.
Le rapport de 78 pages, intitulé « Double peine : Conditions de détention inappropriées pour les personnes présentant des troubles psychiatriques dans les prisons en France », documente le manque de soins appropriés en matière de santé mentale et les conditions inadaptées pour les détenus atteints de troubles psychiatriques. Cette situation est aggravée par la surpopulation carcérale, la stigmatisation et l'isolement, selon Human Rights Watch. La pénurie de professionnels de santé mentale dans de nombreuses prisons se traduit par une rareté des rendez-vous médicaux, qui souvent sont sommaires et se limitent à la seule prescription de médicaments. Les conditions de détention inappropriées et le manque de soins adaptés génèrent en outre des conditions de travail difficiles pour le personnel pénitentiaire.
« Il est honteux pour un pays comme la France d’enfermer des personnes atteintes de troubles psychiatriques pendant des mois ou des années dans des prisons où elles n’ont pas accès à des soins de santé mentale adéquats », a déclaré Izza Leghtas, chercheuse sur l'Europe de l'Ouest à Human Rights Watch. « Cette absence de traitement équivaut de fait à une peine supplémentaire pour les détenus qui ont besoin de ces soins. »
Human Rights Watch a interrogé 50 personnes détenues, des membres du personnel pénitentiaire et des professionnels de santé dans huit prisons, ainsi que des représentants du gouvernement et d'autres acteurs.
Lorsque leur état se dégrade, les détenus atteints de troubles psychiatriques sont parfois transférés vers des hôpitaux psychiatriques contre leur gré et mis à l'isolement dans des conditions qui peuvent constituer des traitements cruels, inhumains ou dégradants en vertu du droit international, selon Human Rights Watch.
« Je préfère 1 000 fois être en cellule qu'en chambre d'isolement à l'hôpital. A me faire attacher les bras et les pieds comme si j'étais un animal », a affirmé Sarah (dont le nom a été changé), une détenue qui avait été envoyée en hôpital psychiatrique.
En l’absence de soutien adéquat et d'adaptations appropriées, le retour en prison peut entraîner la réapparition des troubles mentaux et une nouvelle hospitalisation qui enferme parfois les détenus dans un cycle sans fin d'hospitalisation, de sortie de l'hôpital, de détérioration de l'état de santé mentale et de ré-hospitalisation. Un tel cycle est à la fois néfaste pour la santé du patient et préjudiciable et coûteux pour la prison et l'hôpital concernés.
Le taux de suicide dans les prisons françaises est sept fois supérieur à celui de la population générale, selon une enquête sur les suicides réalisée entre 2006 et 2009 par l'Institut national d'études démographiques. Or, les détenus atteints de troubles psychiatriques ont davantage tendance à s’automutiler ou à commettre une tentative de suicide que les autres détenus. Selon le gouvernement français, il y a eu 113 suicides dans les prisons françaises en 2015.
Sarah, dont les bras présentaient des cicatrices dues à des automutilations, a déclaré que des détenues rencontrées en prison s'étaient par la suite suicidées, « donc, évidemment, je me suis dit : “si elle ne tient pas le coup, est-ce que moi je vais tenir le coup ? ” ».
La dernière étude exhaustive menée sur la santé mentale dans les prisons françaises a été publiée en 2004. Elle a établi que près d'un quart des détenus sont atteints de psychoses telles que la dépression, les troubles bipolaires ou la schizophrénie, ce qui est bien supérieur au chiffre de 0,9 % pour la population générale. Une explication fréquemment avancée réside dans le fait que les juges et les jurés considèrent les personnes atteintes de troubles psychiatriques comme plus dangereuses que les autres et prononcent à leur encontre des peines plus longues.
Une loi de 2014 ayant pour visée de corriger cette tendance prévoit une réduction de peine d'un tiers pour les personnes accusées dont l'état de santé était altéré par des troubles mentaux au moment où les faits ont été commis.
Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté en France, a fait part à Human Rights Watch de ses préoccupations quant au nombre élevé de personnes atteintes de troubles psychiatriques en prison et de l'absence de soins appropriés en matière de santé mentale.
La surpopulation carcérale en France – qui atteint 178 % de la capacité prévue dans une prison visitée par Human Rights Watch – génère des conditions de travail difficiles pour les surveillants qui peuvent avoir jusqu’à 100 détenus sous leur responsabilité. Ils disposent de peu de temps pour répondre aux demandes émanant de détenus individuels ou pour repérer des signes révélateurs de leur santé mentale. Les surveillants ne sont pas non plus suffisamment formés sur la santé mentale et la surpopulation constitue un obstacle à leur capacité à assister aux formations disponibles.
Human Rights Watch a constaté des conditions de détention particulièrement difficiles pour les femmes. Afin d'éviter tout contact entre les hommes et les femmes, les responsables pénitentiaires limitent souvent davantage les déplacements des femmes par rapport à ceux des hommes, leur donnant le sentiment d'être plus isolées. Les femmes sont aussi victimes de discrimination dans leur accès aux soins de santé mentale. Une seule unité sur les 26 dotées de soins de santé mentale spécialisés (service médico-psychologiques régionaux, SMPR) dans les prisons françaises est équipée de lits pour les femmes.