Le Conseil des droits de l'homme devrait se pencher d’urgence sur la détérioration de la situation des droits humains en Tunisie, ont déclaré aujourd'hui quatre organisations de défense des droits humains pendant la 53ème session du Conseil.
Dans une lettre adressée aux représentants des États membres de l’ONU le 5 juin 2023, les organisations soussignées ont mis en garde contre l'aggravation rapide de la situation en Tunisie et ont exhorté les États à saisir l'occasion de la session en cours du Conseil des droits de l'homme pour l’aborder. Les organisations ont appelé le Conseil et les États membres à faire pression sur les autorités tunisiennes pour qu'elles respectent leurs obligations en vertu des normes internationales relatives aux droits de l'homme, en particulier celles garantissant le droit à un procès équitable, la liberté d'expression, la liberté de réunion, d'association pacifique et la non-discrimination.
Le Conseil des droits de l'homme devrait exhorter la Tunisie à mettre fin à l’actuelle répression de la contestation pacifique et de la liberté d'expression, à libérer et abandonner les poursuites contre toutes les personnes détenues et poursuivies uniquement sur la base de leurs activités politiques pacifiques et l'exercice de leurs droits fondamentaux. Le Conseil devrait également appeler la Tunisie à mener une enquête rapide, approfondie, indépendante, impartiale et transparente sur la vague de violences – parmi lesquelles des agressions et des expulsions sommaires – contre les ressortissants étrangers noirs africains, (migrants, demandeurs d'asile et réfugiés), traduire en justice toute personne raisonnablement soupçonnée d'être responsable de violences, et fournir aux victimes un accès à la justice ainsi qu’à des recours effectifs.
Au cours des deux dernières années, la Tunisie a connu un recul important en matière de droits humains. Les garanties de l'indépendance de la justice ont été démantelées, juges et procureurs ont fait l'objet de révocations arbitraires, de poursuites pénales aux motifs politiques et d'une ingérence accrue de la part de l'exécutif. Des avocats sont poursuivis simplement pour s'être acquittés de leur devoir professionnel et pour avoir exercé leur droit à la liberté d'expression.
« L'ingérence des autorités tunisiennes dans le système judiciaire et les attaques contre les avocats ont gravement porté atteinte au droit à un procès équitable et à la confiance de la population dans l'intégrité du système judiciaire. Les autorités doivent veiller à ne pas instrumentaliser les tribunaux pour réprimer la dissidence et la liberté d'expression », a déclaré Said Benarbia, directeur du programme Moyen-Orient et l'Afrique du Nord (MENA) de la Commission internationale des juristes.
Sous couvert de « lutte contre les infractions liées aux systèmes d'information et de communication », passibles de 10 ans d'emprisonnement et d'une lourde amende selon le Décret-loi 54, au moins 13 personnes, dont des journalistes, des opposants politiques, des avocats, des défenseurs des droits humains et des militants, ont fait l'objet d'enquêtes policières ou judiciaires et risquent d'être poursuivies.
« Alors que la Tunisie est confrontée à l'incertitude politique et à une crise économique, il est plus important que jamais que les Tunisiens soient libres de débattre de l'avenir de leur pays sans crainte de représailles. Les autorités devraient s'efforcer de permettre à chacun de jouir de son droit à la liberté d’expression ; au lieu de cela, elles l'attaquent », a déclaré Rawya Rageh, directrice adjointe par intérim d'Amnesty International pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord.
La semaine dernière, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme a appelé les autorités tunisiennes à cesser de restreindre la liberté des médias et de criminaliser le journalisme indépendant. Dans une déclaration publiée le 23 juin, Volker Türk s'est dit profondément préoccupé par les restrictions croissantes du droit à la liberté d'expression et à la liberté de la presse en Tunisie, observant qu'une législation vague est utilisée pour criminaliser le journalisme indépendant et étouffer les critiques à l'encontre des autorités. « Il est troublant de voir la Tunisie, un pays qui autrefois portait tant d'espoir, régresser et perdre ses acquis, bâtis cette dernière décennie, en matière de droits humains », a déclaré le Haut-Commissaire.
Depuis février 2023, une vague d’arrestations a pris pour cible des opposants politiques et des critiques présumés du président tunisien, Kais Saied. En l'absence de preuves crédibles d'infractions, les juges enquêtent sur au moins 48 personnes, dont des dissidents, des figures de l’opposition, et des avocats, accusés d’avoir conspiré contre l’État ou d’en avoir menacé la sûreté, entre autres chefs d’accusation. Au moins 17 d'entre elles font l'objet d'une enquête en vertu de la loi antiterroriste tunisienne de 2015.
« En emprisonnant des dirigeants politiques et en interdisant les réunions de l'opposition, les autorités bafouent dangereusement les droits fondamentaux qui sous-tendent toute démocratie dynamique. Le recul démocratique et les violations des droits humains, sans précédent depuis la révolution de 2011, requièrent l’attention urgente du Conseil des droits de l'homme et des États membres », a déclaré Salsabil Chellali, directrice du bureau de Human Rights Watch à Tunis.
Organisations signataires :
- Commission internationale des juristes (CIJ)
- International Service for Human Rights (ISHR)
- Amnesty International
- Human Rights Watch (HRW)