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Bahreïn : Les lois d'« isolement politique » interdisent toute forme d’opposition

Ces lois empêchent les opposants de participer à la vie politique, civile et économique du royaume

©  2022 Brian Stauffer pour Human Rights Watch 

(Beyrouth, le 31 octobre 2022) – Le gouvernement bahreïnien utilise ses lois dites d’isolement politique, parmi d’autres tactiques, pour empêcher des activistes et d’anciens membres de partis d’opposition d’accéder aux fonctions publiques et de prendre part à d’autres aspects de la vie publique, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch dans un rapport rendu public aujourd’hui.

Le rapport de 38 pages, intitulé « You Can’t Call Bahrain A Democracy : Bahrain’s Political Isolation Laws » (« “Vous ne pouvez pas appeler Bahreïn une démocratie” : les lois d’isolement politique de Bahreïn »), documente l’utilisation de ces lois adoptées en 2018 par ce pays pour empêcher les opposants politiques de se présenter aux élections parlementaires ou même de siéger au conseil d’administration d’organisations civiques. Human Rights Watch a constaté que la marginalisation ciblée par le gouvernement des figures de l’opposition de la vie sociale, politique, civile et économique à Bahreïn a entraîné une série d’autres violations des droits humains.

« Bahreïn a passé la dernière décennie à réprimer l’opposition pacifique et les lois sur l’isolement politique sont un nouvel exemple de la répression du gouvernement qui s’étend à de nouvelles sphères », a déclaré Joey Shea, chercheuse auprès de la division Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Ces lois draconiennes ont tourné en dérision les prochaines ‘‘élections’’ parlementaires de Bahreïn, qui ne peuvent être ni libres ni équitables lorsque vous rendez toute opposition politique pour ainsi dire illégale. »

Human Rights Watch a mené des entretiens avec des activistes, des représentants de la société civile et des personnalités de l’opposition, et examiné et analysé les déclarations du gouvernement, les lois et les dossiers judiciaires.

Les autorités judiciaires de Bahreïn ont dissous les deux principaux partis d’opposition du pays, al-Wifaq et Wa’ad, respectivement en 2016 et 2017. Les lois d'’isolement politique ont introduit de nouvelles conséquences punitives en punissant à perpétuité les membres individuels de ces groupes. Ces lois visent également les activistes et les défenseurs des droits humains qui ont été arrêtés lors de la répression à grande échelle du gouvernement pendant et après le soulèvement pacifique pro-démocratique et antigouvernemental de 2011. La clause finale des lois sur l’isolement politique, concernant les personnes ayant « perturbé » la vie constitutionnelle à Bahreïn, a été interprétée par les avocats et la société civile du royaume comme visant les anciens législateurs et d’autres personnes ayant démissionné ou refusé d’exercer leurs fonctions d’élus pour protester contre les politiques répressives du gouvernement.

Lors des élections législatives de novembre 2018, le premier scrutin durant lequel les lois sur l’isolement politique étaient en vigueur, au moins 12 anciennes figures de l’opposition se sont vu interdire de se présenter par le ministère de la Justice de Bahreïn. De nombreuses autres ont cru qu’elles seraient victimes de la loi et ont boycotté les élections.

Outre les cas de personnes interdites de se présenter aux élections, Human Rights Watch a documenté trois cas d’organisations de la société civile qui ont eu du mal à former un conseil d’administration et à poursuivre leurs activités en raison de l’impact de ces lois. Il s’agit de la Bahrain Human Rights Society, de la Bahrain Women’s Union, une coalition de 13 organisations qui défendent les droits des femmes au Bahreïn, et de la Bahraini Society for Resisting Normalization, qui s’oppose à la normalisation des relations avec Israël.

Le retard pris pour permettre aux entités concernées de former un conseil d’administration a entraîné des conséquences dévastatrices. Si un nouveau conseil n’est pas élu et confirmé avant l’expiration du mandat de deux ans du conseil précédent, le ministère du Travail et du Développement social suspend l’accès aux comptes bancaires et aux sources de financement de l’organisation, l’obligeant de fait à cesser ses activités. Les postes vacants au sein du conseil d’administration permettent également au ministère du Travail et du Développement social de nommer de nouveaux membres, faisant craindre que les conseils finissent par être remplis de loyalistes et « deviennent de plus en plus progouvernementaux », comme l’a déclaré un activiste à Human Rights Watch.

Selon un membre d’un groupe de la société civile, « plus de 80 % des membres ne peuvent pas être candidats parce qu’ils faisaient partie de Wa’ad, d’al-Wifaq ou d’une autre organisation dissoute par le tribunal ». Les activistes bahreïniens craignent que cette loi n’ait pour conséquence finale que les organisations de la société civile ne parviennent pas à faire progresser les droits de la personne, car elles ne peuvent être considérées comme étant critiques à l’égard des autorités.

Le gouvernement bahreïnien utilise également une forme de sanction économique contre les figures de l’opposition en leur refusant un « certificat de bonne conduite ». Ce certificat, délivré à la discrétion de la Direction générale de la détection des crimes et des preuves médicolégales du ministère de l’Intérieur, est nécessaire aux citoyens et résidents bahreïniens pour obtenir un emploi, demander une admission à l’université ou même adhérer à un club sportif ou social. Les anciens prisonniers attendent ce certificat pendant des mois, voire des années. Certaines personnalités de l’opposition se voient refuser purement et simplement ce certificat, ce qui les empêche de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles.

Un représentant de la société civile de Bahreïn a déclaré à Human Rights Watch : « Un ami voulait que je sois directeur d’école, mais le ministère m’a refusé le certificat et je n’ai donc pas pu travailler. Le ministère a dit au propriétaire de l’établissement qu’il ne pouvait pas m’accepter parce que j’étais membre d’une association politique. »

Le rapport fait également état de la poursuite des détentions et des convocations de citoyens bahreïniens pour des délits d’expression. Un ancien journaliste a déclaré qu’en raison des « arrestations continues depuis 2011 jusqu’en 2017, la peur fait partie du quotidien des gens. Il est devenu normal pour eux de s’autocensurer et de se réduire au silence avant de réagir. »

Le gouvernement bahreïnien devrait abroger les lois sur l’isolement politique de 2018, mettre fin à la pratique consistant à refuser la délivrance des certificats de bonne conduite pour punir les opposants présumés, et rétablir la totalité des droits juridiques, politiques et civils de tous les citoyens bahreïniens. Il devrait rétablir les associations politiques précédemment dissoutes, lever toutes les restrictions imposées aux figures de l’opposition concernant les candidatures aux élections parlementaires et municipales, mettre fin aux mesures restrictives qui nuisent au fonctionnement de base des associations civiles, et remettre en liberté tout individu emprisonné uniquement en raison de ses activités politiques pacifiques.

D’autres pays, y compris des alliés proches de Bahreïn comme les États-Unis, le Royaume-Uni et les États de l’Union européenne, doivent faire pression sur les autorités bahreïniennes pour qu’elles mettent fin à la répression de l’opposition pacifique et de la société civile, ou rejeter les résultats des élections parlementaires non libres et inéquitables de novembre le cas échéant.

« La société civile et la coalition d’opposition autrefois dynamiques à Bahreïn sont en train d’être anéanties par des lois qui codifient la répression gouvernementale », a déclaré Mme Shea. « Personne ne devrait se bercer d’illusions au sujet des ‘‘institutions démocratiques’’ de Bahreïn, qui ne sont rien d’autre qu’une imposture. »

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