À surveiller en 2020 : le début d’un compte à rebours de 10 ans, pour réussir la scolarisation de tous les enfants et mettre fin aux politiques publiques restrictives et discriminatoires qui empêchent des millions d’enfants d’aller à l’école.
Ces politiques sont rarement identifiées pour ce qu’elles sont : des violations à grande échelle des droits humains qui perpétuent inégalités et discriminations et privent les enfants d’une éducation – un droit fondamental pour leur développement et leur capacité à exiger que leurs droits soient respectés.
Il reste aux gouvernements dix ans pour atteindre leurs Objectifs de développement durable à l’horizon 2030 – des objectifs adoptés par tous les États membres des Nations Unies en 2015 et dont l’éducation de qualité pour tous est l’un des principaux piliers.
En 2019, selon l’ONU, près de 260 millions d’enfants ne sont pas allés à l’école. Les zones de conflits sont particulièrement touchées : environ 50% des enfants non scolarisés en âge de fréquenter l’école primaire vivent dans ces zones, et 617 millions de jeunes à travers le monde ne possèdent pas les compétences de base en mathématiques, en lecture et en écriture. Les enfants handicapés sont fréquemment privés d’accès à l’école : négligés, leur nombre exact est souvent méconnu. Les jeunes filles sont particulièrement vulnérables au décrochage scolaire en raison du harcèlement sexuel, des mariages précoces et des discriminations. En la matière, les attaques à l’acide des Talibans contre les écolières afghanes ne sont même pas la pointe de l’iceberg.
Cela fait de dix ans qu’un certain nombre d’experts mettent en garde contre la « crise » de l’éducation. Ils pointent une qualité et un accès à l’éducation en perte de vitesse, l’augmentation du nombre de jeunes qui quittent l’école sans les compétences dont ils ont besoin et d’importantes lacunes dans le financement de l’éducation, alors même que le leadership nécessaire pour résoudre ces problèmes fait cruellement défaut. Human Rights Watch a commencé à rendre compte de la responsabilité des gouvernements vis-à-vis de ce « déficit d’éducation » dès 2005.
Pour combler ce déficit d’éducation et mettre en œuvre la vision de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) entrée en vigueur il y a 30 ans et qui exige de consacrer le droit de chaque enfant à l’éducation et d’appliquer fermement le principe de non-discrimination, les gouvernements doivent être tenus pleinement responsables de leurs politiques éducatives discriminatoires, qui empêchent les enfants d’acquérir des compétences, de sortir du cycle de la pauvreté et de participer pleinement – économiquement et socialement – aux sociétés qui sont les leurs.
Les jeunes filles sont exclues du système scolaire par des facteurs aussi divers que la forte prévalence de la violence et du harcèlement sexuels au sein de leurs communautés ou de leurs écoles, la discrimination sexiste ou encore les mariages précoces. Les obstacles quotidiens auxquels elles sont confrontées sont multiples : frais de scolarité, absence de toilettes adéquates, sans parler du nombre moins élevé d’écoles pour filles par rapport aux garçons. Ces obstacles pourraient être surmontés si les gouvernements prenaient des mesures à grande échelle. En Tanzanie, Guinée équatoriale et Sierra Leone, Human Rights Watch a constaté que les écoles avaient expulsé des dizaines de milliers de jeunes filles qui s’étaient mariées ou étaient tombées enceintes, réduisant leur avenir à néant et créant des conséquences néfastes pour leurs enfants.
Il est fréquent que les enfants handicapés ne puissent pas s’inscrire à l’école : selon le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), près de 50% d’entre eux ne sont pas scolarisés. Dans des pays comme l’Arménie, le Liban, la Serbie et la Russie, ces enfants continuent d’être séparés des autres et envoyés dans des institutions qui n’ont aucun mandat éducatif. Pourtant, la CDE protège leur droit à l’éducation, et la Convention relative aux droits des personnes handicapées exige un système éducatif basé sur l’égalité et l’inclusion à tous les niveaux.
Pourtant, selon l’UNICEF, les trois quarts des 5,1 millions d’enfants handicapés d’Europe centrale et d’Asie centrale n’ont pas accès à une éducation inclusive et de qualité. Au Kazakhstan et en Iran, les enfants handicapés peuvent être totalement exclus d’accès à l’éducation par des organismes mandatés par le gouvernement ou à l’issue de tests médicaux. Des pays comme le Népal ont amélioré l’accès à l’éducation, mais continuent d’envoyer les enfants handicapés dans des classes séparées avec des enseignants non formés. L’Afrique du Sud, qui dit avoir atteint ses objectifs de scolarisation universelle dans le primaire, ne parvient toujours pas à offrir une éducation inclusive à quelques 600 000 enfants handicapés qui continuent d’être exclus du système scolaire.
La perte d’accès à l’éducation des enfants pendant les périodes de conflit se prolonge aussi après la fin de ces conflits. En Syrie, un tiers des écoles ont été endommagées ou détruites et beaucoup le resteront pendant des années encore. L’Irak, qui a officiellement déclaré victoire contre l’État islamique en 2017 a, depuis cette date, empêché des dizaines de milliers d’enfants irakiens d’aller à l’école parce que leurs pères étaient des partisans présumés de l’organisation extrémiste. Moins de 15% des milliers d’enfants demandeurs d’asile retenus par la Grèce sur ses îles de mer Égée ont accès à une éducation formelle. En 2017, le Bangladesh a ouvert sa frontière aux réfugiés de la minorité rohingya qui fuyaient les atrocités au Myanmar. Mais pour empêcher que les Rohingyas restent sur son territoire, ce pays refuse l’accès à une véritable éducation à près de 400 000 enfants. Le nombre d’enfants – notamment de jeunes filles – scolarisés dans certaines régions d’Afghanistan est en baisse à cause de l’aggravation de la violence et du désengagement des donateurs.
Le droit international exige des États qu’ils consacrent un maximum de leurs ressources à la réalisation du droit fondamental à l’éducation de tous les enfants. Mais certains gouvernements, y compris ceux qui, comme la Guinée équatoriale, disposent de vastes ressources, traitent ce droit à l’éducation avec mépris, n’investissent pas les ressources nécessaires à la scolarisation, quand elles ne les gaspillent par la corruption. Au Pakistan, qui continue à sous-investir dans l’enseignement public, 22,5 millions d’enfants ne sont pas scolarisés, plus particulièrement les filles qui sont 32% à ne pas fréquenter l’école primaire, contre 21% pour les garçons. En 9ème année (autour de 14-15 ans), le taux de scolarisation des jeunes filles tombe à 13%.
Le manque d’accès à l’éducation est trop souvent considéré comme un problème de « développement » qui doit être résolu à grand renfort de campagnes, programmes de lutte contre la pauvreté et améliorations progressives de la qualité de l’éducation. Mais aucune de ces mesures ne tient la route si l’on ne met pas d’abord fin aux politiques nuisibles ou abusives en la matière.
Si la plupart des enfants non scolarisés se trouvent dans les pays à faible revenu, des écarts énormes et grandissants existent aussi dans l’accès à l’éducation et à l’apprentissage dans les pays à revenu intermédiaire et à revenu élevé. La racine du problème n’est pas toujours la pauvreté, mais aussi l’enracinement des discriminations et l’exclusion durable, perpétués par l’impunité dont bénéficient des gouvernements coupables de négligence à l’égard des enfants, ou qui les excluent intentionnellement de leurs systèmes éducatifs, en raison notamment d’un sous-investissement dans l’éducation.
L’année 2020 constituera un tournant pour le droit à l’éducation. Pour que tous les enfants bénéficient d’une éducation de qualité et accessible à tous d’ici 2030, il faudra faire en sorte que les gouvernements soient tenus pleinement responsables des politiques discriminatoires qu’ils appliquent en empêchant les enfants d’exercer leur droit à une éducation de qualité et en commettant ainsi des violations massives des droits humains.