(Tunis) – Les autorités mauritaniennes ont placé en détention depuis deux mois un leader de l’opposition sur la base de vagues accusations de corruption, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Elles devraient remettre en liberté Mohamed Ould Ghadda, ou le juger rapidement et de manière équitable, si elles disposent d’éléments de preuve suffisants contre lui.
Des responsables mauritaniens ont procédé à l’arrestation de Ghadda le 10 août 2017, cinq jours après le résultat d’un référendum dans le cadre duquel les Mauritaniens se sont prononcés en faveur de la dissolution du Sénat, dont Ghadda était membre. Ce dernier était ouvertement opposé à ce scrutin, que l’opposition considère comme une manœuvre du président Mohamed Ould Abdel Aziz pour renforcer ses prérogatives et ouvrir la voie à des révisions constitutionnelles susceptibles de lui permettre de se maintenir au pouvoir à l’issue de son mandat en cours, le deuxième consécutif.
« Plus la détention de Mohamed Ould Ghadda se poursuit sans que les charges retenues contre lui soient clarifiées, plus il semble que cette affaire consiste davantage à museler l’opposition au président qu’à rendre justice », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.
Un juge d’instruction a ouvert une enquête sur Ghadda pour corruption d’agents publics nationaux en vertu de l’article 3 de la Loi relative à la lutte contre la corruption de 2016, a déclaré son avocat, Ahmed Salem Bouhoubeyni, à Human Rights Watch. Cette loi prévoit une peine d’emprisonnement allant de 10 à 20 ans pour tout élu qui offre ou accepte un avantage indu. Au cours de la seule comparution de Ghadda devant un tribunal jusqu’à présent, le 31 août, le juge ne l’a pas interrogé sur le fond de l’affaire. Il a été toutefois été interrogé sur le soutien financier qu’il aurait reçu de la part de Mohamed Bouamatou, un homme d’affaires et philanthrope de l’opposition mauritanienne.
Trois semaines après l’arrestation de Ghadda, les autorités ont également convoqué et interrogé 12 autres sénateurs, quatre journalistes indépendants et deux dirigeants syndicaux. De nombreuses questions portaient sur le financement présumé de Bouamatou, selon les informations recueillies par Le Courrier du Nord, Radio France International et Le 360 Afrique. Placés sous surveillance judiciaire en l’attente de chefs d’accusation éventuels, ces individus sont contraints de pointer chaque semaine auprès des services de police et n’ont pas le droit de quitter le pays.
Dans le cadre de la même enquête, un procureur mauritanien a délivré, le 1er septembre, un mandat d’arrêt international pour corruption contre Bouamatou et l’un de ses associés, Mohamed Ould Debbagh, tous deux en exil au Maroc.
Ghadda est resté trois semaines en « détention préventive » avant d’être présenté à un juge, a déclaré Bouhoubeyni à Human Rights Watch. Il ne lui a pas été possible d’avoir accès à son avocat les 10 premiers jours. Le code pénal mauritanien exige la remise en liberté sous 48 heures de tout individu placé en garde-à-vue et, dans les cas couverts par la Loi relative à la lutte contre la corruption, sous 48 heures renouvelables jusqu’à trois fois pour la même période, sur autorisation écrite du procureur de la république compétent.
Le juge présent à l’audience du 31 août a décidé d’ouvrir une procédure d’instruction pour corruption, a déclaré Bouhoubeyni à Human Rights Watch. Depuis, il n’a pas encore convoqué Ghadda pour l’interroger, bien que le code pénal exige un procès rapide lorsque l’accusé est placé en détention provisoire.
Le 16 septembre dernier, Human Rights Watch a adressé une lettre au Ministre mauritanien de la Justice, Brahim Ould Daddah, dans laquelle l’organisation exprime sa préoccupation devant la détention de Ghadda. Les autorités mauritaniennes n’ont pas répondu aux questions contenues dans cette lettre.
Début 2017, Abdel Aziz a proposé des amendements constitutionnels qui supprimeraient le Sénat et établiraient des conseils régionaux, ainsi que d’autres mesures symboliques. L’Assemblée nationale – la chambre basse du parlement bicaméral mauritanien –, a approuvé ces amendements. Mais lorsque le Sénat – la chambre haute – les a rejetés en mars dernier, avec Ghadda à la tête de l’opposition, Abdel Aziz a annoncé qu’il soumettrait les réformes défendues à un référendum national. À l’époque, Ghadda dirigeait un comité sénatorial qui surveillait les contrats gouvernementaux.
Abdel Aziz a défendu son initiative en affirmant que le Sénat est « inutile et trop coûteux » et que son remplacement par des organes législatifs « davantage locaux » serait de nature à améliorer la gouvernance.
Une grande partie de l’opposition politique a dénoncé la manœuvre proposée comme un moyen d’éliminer les limites imposées au nombre de mandats présidentiels par la constitution en perspective de la prochaine élection présidentielle de 2019.
Au cours des deux semaines ayant précédé le référendum, à Nouakchott, la capitale, les forces de l’ordre s’en sont pris à maintes reprises à des manifestants pacifiques, qui se sont rassemblés à plusieurs endroits chaque après-midi pour protester contre le scrutin, ont expliqué, séparément, quatre manifestants à Human Rights Watch lors d’entretiens téléphoniques. Ghadda était parmi les blessés lorsque les forces de l’ordre ont dispersé les manifestations du 27 juillet.
« Les marches étaient très pacifiques », a déclaré Ahmed Jedou, un journaliste mauritanien ayant participé aux manifestations. « La police a répondu violemment aux gens qui se contentaient de clamer des slogans contre le référendum constitutionnel et la corruption gouvernementale. »
Le 3 août, dans sa dernière allocution publique avant le référendum, Abdel Aziz a accusé les sénateurs opposés à ses propositions de réformes de « trahison » et de se servir de « l'argent pris sur des hommes d'affaires pour saper les institutions du pays ».
Simultanément, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) s’est déclaré préoccupé par l’accueil réservé aux manifestations. « Les autorités n’auraient pas répondu à la majorité des demandes d’autorisation pour les manifestations et des rassemblements ont été activement dispersés », a relevé Ravina Shamdasani, porte-parole de l’agence des Nations Unies.
« Dans plusieurs cas, les leaders des manifestations auraient été passés à tabac et un certain nombre d’entre eux arrêtés. »
Le référendum a été approuvé par 85% des votants, avec un taux de participation de 53,73% des électeurs admissibles, selon les chiffres officiels.
Aux termes de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par la Mauritanie en 2004, « tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge […] et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré ». L’article 14 du Pacte stipule que toute personne accusée d’une infraction pénale a droit à être jugée sans retard excessif par un tribunal indépendant et impartial. Les Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique établissent des normes similaires pour un procès équitable et rapide.
« À mesure que l’emprisonnement de Ghadda se poursuit en l’absence de garanties judiciaires équitables et transparentes, sa détention apparaît comme une manœuvre politique destinée à affaiblir l’opposition au président », a conclu Sarah Leah Whitson.
Note : La Fondation pour l’égalité des chances en Afrique, une fondation créée par Mohamed Bouamatou, est un soutien de Human Rights Watch.
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