Les dirigeants de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) et de l'Australie se réunissent à Melbourne cette semaine, ce qui donne l'occasion de réfléchir à la direction que prend la région.
La situation n'est pas bonne.
Si nous examinons l'état de la démocratie et des droits humains en Asie du Sud-Est au cours des dernières années, nous constatons de sérieux reculs et une répression croissante. Et le rôle de l'ASEAN a été pathétique.
C'est sans doute au Myanmar que la dégradation la plus dramatique de la démocratie a été observée. En 2015, le parti d'Aung San Suu Kyi, lauréate du prix Nobel et dissidente détenue de longues années, a remporté une large victoire aux élections nationales. Les militaires conservaient encore beaucoup de pouvoir dans le pays, mais cette victoire offrait un moment d'espoir.
En 2017, cependant, l'armée a mené une campagne brutale de contre-insurrection qui a été marquée par des crimes contre l'humanité et des actes de génocide à l'encontre de la minorité rohingya, avec des massacres systématiques, des viols et des incendies criminels. Plutôt que de se ranger du côté des victimes, Aung San Suu Kyi a soutenu l'armée et, en 2019, elle a même défendu la campagne militaire devant la Cour internationale de justice de La Haye.
Cela ne lui a pas servi à grand-chose. Deux ans plus tard, en 2021, les militaires ont renversé le gouvernement civil qu'elle dirigeait par un coup d'État, et elle a de nouveau été emprisonnée sur la base de fausses accusations, comme des dizaines de milliers d'autres personnes. Sous le joug de la junte, le peuple du Myanmar subit depuis lors une spirale d'atrocités qui ne cesse de s'aggraver.
Ailleurs dans la région, la répression et les revirements ne sont peut-être pas aussi dramatiques, mais ils n'en restent pas moins très inquiétants.
Le Cambodge a un "nouveau" dirigeant depuis que Hun Sen a transmis le pouvoir à son fils Hun Manet, mais cette nouvelle génération est tout aussi autoritaire. Les agressions physiques contre les membres de l'opposition se sont poursuivies, des dirigeants de l'opposition sont en prison et le principal parti d'opposition s'est vu interdire de participer au simulacre d'élections de 2023.
Aux Philippines, Ferdinand Marcos Jr - fils du défunt dictateur Ferdinand Marcos - est au pouvoir. On a un temps espéré qu'il mette fin aux horribles abus commis par son prédécesseur, Rodrigo Duterte, mais ce n'est pas le cas. Les forces de sécurité continuent de tuer à bout portant des personnes soupçonnées de trafic de drogue et le gouvernement refuse de coopérer à l'enquête de la Cour pénale internationale.
En Indonésie, le mandat du président Joko Widodo touche à sa fin, et son successeur probable est l'actuel ministre de la défense Prabowo Subianto, un homme impliqué dans des massacres au Timor oriental en 1983, et dans les enlèvements d'activistes à Java en 1997-1998, qui ont conduit à son renvoi de l'armée.
S'il existe un point commun à tous ces pays et à la région en général, c'est qu'aucun compte n'a été rendu. Les auteurs de crimes graves ne sont jamais traduits en justice et continuent donc à commettre ces crimes. D'autres, voyant qu'ils s'en tirent à bon compte, n'hésitent pas à se joindre aux exactions.
Ce phénomène n'est pas propre à l'Asie du Sud-Est, bien sûr, mais ce qui est spécifique à cette région, c'est l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN). L'ASEAN a été inutile dans la résolution des problèmes de la région, « terriblement inadéquate et impuissante » selon les mots de ma collègue, Elaine Pearson.
Même des gouvernements comme celui de l'Australie (qui n'est pas membre de l'ASEAN) n'ont pas réussi à défendre efficacement la démocratie et les droits humains dans la région - généralement par crainte de nuire aux relations commerciales avec des alliés stratégiques ou de les pousser encore un peu plus dans les bras de la Chine. S'ils expriment quoi que ce soit, l'Australie et d'autres pays préfèrent généralement le faire en privé. Cette approche est considérée comme "pragmatique".
Mais lorsqu'il s'agit d'aborder les violations des droits humains, ce que l'on appelle la "diplomatie privée" est une diplomatie inutile. Les mots chuchotés en coulisses n'ont aucun impact sur les protagonistes. Et en quoi le fait d'assister passivement au déclin des droits humains et de la démocratie dans son voisinage est-il "pragmatique" à long terme pour un pays démocratique ?
Il se peut que le gouvernement australien ne réponde pas à ces questions ou ne corrige pas le tir lorsqu'il accueillera le sommet de cette semaine à Melbourne. Mais il devrait le faire.