(Bangkok, 29 juillet 2025) – L'Armée d'Arakan, un groupe armé ethnique opérant dans l'État de Rakhine, dans l'ouest du Myanmar, a imposé de sévères restrictions à la population rohingya et commis de graves exactions, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Les gains territoriaux de l'Armée d'Arakan dans cet État s'accompagnent de restrictions de mouvement, de pillages, de détentions arbitraires, de mauvais traitements, de travail forcé et de recrutement illégal, entre autres exactions contre les Rohingyas. En outre, l'armée du Myanmar soumet depuis longtemps les Rohingyas à des atrocités criminelles, notamment le crime contre l'humanité d'apartheid.
« L'Armée d'Arakan mène contre les Rohingyas une politique d'oppression similaire à celle imposée depuis longtemps par l'armée du Myanmar dans l'État de Rakhine », a déclaré Elaine Pearson, directrice de la division Asie à Human Rights Watch. « L'Armée d'Arakan devrait mettre fin à ses pratiques abusives et discriminatoires, et respecter le droit international. »
L'Armée d'Arakan s'était engagée à instaurer une gouvernance inclusive et équitable dans les zones reprises à la junte militaire birmane, après la reprise des combats en novembre 2023. Cependant, les Rohingyas décrivent la vie sous l'Armée d'Arakan et son aile politique, la Ligue unie d'Arakan, comme dure et restrictive, avec des réglementations et des pratiques discriminatoires.
Entre avril et juillet 2025, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 12 réfugiés rohingyas qui avaient fui le canton de Buthidaung, dans le nord de l'État de Rakhine, et cherché refuge au Bangladesh.
« La vie sous le contrôle de l'Armée d'Arakan était incroyablement restrictive », a déclaré un réfugié rohingya de 62 ans arrivé au Bangladesh en juin. « Nous n'avions pas le droit de travailler, de pêcher, de cultiver la terre, ni même de nous déplacer sans autorisation. Nous étions confrontés à d'extrêmes pénuries alimentaires, la plupart des gens mendiant les uns auprès des autres. »
Les Rohingyas de l'État de Rakhine sont pris en étau entre les forces armées du Myanmar et l'Armée d'Arakan. Ces deux forces commettent de graves exactions, notamment des exécutions extrajudiciaires, des incendies criminels généralisés et des enrôlements illégaux de combattants. Depuis fin 2023, plus de 400 000 personnes ont été déplacées à l'intérieur des États de Rakhine et de Chin, et près de 200 000 personnes ont fui vers le Bangladesh.
Un autre Rohingya, également âgé de 62 ans, a déclaré avoir été déplacé avec sa femme et ses deux enfants à cinq reprises au cours de l'année écoulée. « La vie pendant cette période a été incroyablement difficile », a-t-il déclaré. « Les déplacements entre les villages étaient restreints, et nécessitaient des permis rarement accordés. »
Les villageois rohinygas ont indiqué que les permis pour se déplacer entre les villages de Buthidaung, valables une journée seulement, coûtaient entre 3 000 et 5 000 kyats (1,40 à 2,40 dollars US) et nécessitaient les signatures d’un administrateur musulman local, ainsi que de l'Armée d'Arakan ou de son aile politique. Ils ont ajouté que l'Armée d'Arakan avait instauré un couvre-feu dans la région. « S'ils trouvaient quelqu'un devant sa maison [après l’heure du couvre-feu], ils l'arrêtaient », a déclaré un homme. « Et après, on ignorait où il se trouvait. »
Les restrictions imposées par l'Armée d'Arakan aux moyens de subsistance et à l'agriculture, aggravées par l'extorsion et les prix exorbitants, ont aggravé les graves pénuries alimentaires et le blocus de l'aide humanitaire imposé par la junte, en vigueur depuis fin 2023. Certains Rohingyas ont déclaré survivre en mendiant auprès de familles recevant de l'argent de proches à l'étranger. D'autres travaillaient comme journaliers pour un salaire dérisoire, qui parfois n’était même pas payé.
« Nous avons dû lutter pour survivre », a déclaré un autre Rohingya âgé d'une soixantaine d'années, arrivé au Bangladesh en mai dernier. « Je travaillais comme ouvrier, acceptant n'importe quel travail proposé par l'Armée d'Arakan... Au début, ils nous payaient la moitié [du salaire journalier précédent], mais plus tard, ils ont complètement cessé de nous payer. »
Des villageois rohingyas ont déclaré que l'Armée d'Arakan avait confisqué des terres agricoles, des maisons, du bétail, des prises de pêche, du bois de chauffage et même des terrains de cimetières. Deux hommes originaires de Kin Taung, dans le canton de Buthidaung, ont déclaré que l'Armée d'Arakan avait démoli leur cimetière en mai, leur ordonnant d'utiliser les rizières pour des enterrements.
L'Armée du Salut des Rohingyas d'Arakan (Arakan Rohingya Salvation Army, ARSA) et d'autres groupes armés rohingyas, après avoir combattu aux côtés de l'armée du Myanmar en 2024, déploient à nouveau des combattants dans des affrontements contre l'Armée d'Arakan dans le nord de l'État de Rakhine. Les combats, ainsi que le recrutement forcé de villageois rohingyas par l'Armée d'Arakan, ont exacerbé les tensions communautaires entre les Rohingyas, majoritairement musulmans, et les Rakhines bouddhistes.
Trois Rohingyas ont déclaré avoir fui pour protéger leurs fils, dont des adolescents, contre le risque de recrutement forcé par l'Armée d'Arakan. Un réfugié rohingya de 57 ans est arrivé au Bangladesh avec sa famille en juin, après que l'Armée d'Arakan a commencé à rechercher son fils âgé de 17 ans. « J'ai dû le cacher dans différents villages pendant deux mois », a-t-il déclaré.
L'un des hommes âgés de 62 ans a déclaré que son fils avait été sélectionné pour être recruté par l'administrateur du village de Kin Taung en avril. « Je vivais dans la peur constante alors qu'ils essayaient de le forcer à s'engager », a-t-il déclaré. « Ils ciblent les enfants issus de familles pauvres. Mon fils était terrifié à l'idée d'être recruté et a fui le village il y a 45 jours. Il est porté disparu depuis. »
L'Armée d'Arakan a arrêté cet homme lorsqu’ils n’ont pas pu retrouver son fils, et l'a détenu pendant 35 jours, avec deux autres personnes. « Ils me battaient constamment », a-t-il déclaré. « Je n'ai été libéré qu'après avoir promis de leur amener mon fils. » Lorsqu'il a préféré se cacher par la suite, l'Armée d'Arakan a incendié sa maison familiale. Il a déclaré n'avoir eu d'autre choix que de fuir vers le Bangladesh.
L'Armée d'Arakan a gravement maltraité les Rohingyas qu'elle soupçonne de collaborer avec l'ARSA ou avec l'armée birmane. En décembre 2024, elle a arrêté un Rohingya âgé de 35 ans dans le village de Keya Zinga Para. « Ils m'ont accusé de travailler pour l'armée [du Myanmar] et de recevoir une formation militaire, ce qui n'était pas le cas », a-t-il déclaré. « J'ai été emmené à Buthidaung, au poste de police du quartier 3. Ils me battaient souvent et violemment, avec des bâtons de bambou. J'ai encore du mal à marcher. »
Un Rohingya de 19 ans a passé cinq mois dans l'Armée d'Arakan après avoir été enlevé du village de Nga Yat Chaung en mai 2024 pour y être soumis à du travail forcé illégal. Il a expliqué que les Rohingyas étaient souvent envoyés au front comme « boucliers humains ». « Si quelqu'un résistait, les [combattants de l’Armée d’Arakan] le frappaient, et se moquaient de lui », a-t-il déclaré. « Nous avons demandé à être traités sur un pied d'égalité. Ils ont dit qu'ils nous traiteraient comme le faisaient les Birmans [majorité ethnique], nous traitant de “kalars” [terme insultant envers les musulmans] bengalis. »
Le droit international humanitaire applicable, notamment l'article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et le droit international coutumier, interdisent la torture et autres mauvais traitements infligés aux détenus, le pillage, le recrutement d'enfants (personnes âgées de moins de 18 ans) et le travail forcé dangereux, entre autres abus.
L'Armée d'Arakan ainsi que les groupes armés rohingyas collaborent avec des réseaux de passeurs, profitant de l'exode vers le Bangladesh. Les Rohingyas ont déclaré avoir payé entre 800 000 et 1,25 million de kyats (380 à 595 dollars US) par personne pour le voyage.
Le Bangladesh a enregistré 120 000 nouveaux arrivants dans les camps depuis mai 2024 ; des dizaines de milliers d'autres personnes ne sont toujours pas enregistrées. Les nouveaux arrivants ont déclaré ne bénéficier d'aucune aide ni d'aucun soutien officiels. Les autorités bangladaises affirment que le rapatriement des Rohingyas vers le Myanmar est la seule solution à cette crise. Les Nations Unies et les gouvernements concernés devraient toutefois souligner que les conditions d'un retour sûr, durable et digne vers le Myanmar ne sont pas actuellement réunies.
« Les donateurs et les gouvernements influents devraient redoubler d'efforts pour protéger le peuple rohingya, notamment son droit à la sécurité et à la liberté, que ce soit au Myanmar ou au Bangladesh », a affirmé Elaine Pearson. « Ils devraient aussi faire pression sur l'Armée d'Arakan pour qu'elle respecte les droits de toutes les communautés dans l'État de Rakhine. »
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