Les dirigeants africains ne sont pas parvenus à mettre un terme aux abus généralisés, perpétrés aussi bien par des forces de sécurité étatiques que par des groupes armés non-étatiques, à l’encontre des civils. De plus, ils n'ont pas suffisamment priorisé les efforts de justice en faveur des victimes d'atrocités à travers le continent, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui dans son Rapport mondial 2023. Ces violations se sont produites dans un contexte de recul des garanties démocratiques et de l'état de droit.
L'Union africaine (UA) et les mécanismes sous-régionaux devraient adopter de toute urgence des mesures et mettre en place des systèmes pour assurer de rigoureux suivis et rapports sur les droits humains dans les zones de conflit, et afin d’éviter de nouvelles atrocités et catastrophes humanitaires.
« Les efforts régionaux pour faire face à certaines crises en Afrique en 2022 ont manqué de volonté politique et de leadership suffisants, laissant d'innombrables civils pris au piège dans des conflits sans recours possibles », a déclaré Mausi Segun, directrice de la division Afrique à Human Rights Watch. « La meilleure façon de garantir des solutions africaines effectives aux problèmes africains serait que les dirigeants déploient efficacement les instruments solides à leur disposition pour protéger les victimes de violations des droits humains. »
Dans son Rapport mondial 2023, sa 33e édition qui compte 712 pages, Human Rights Watch passe en revue les pratiques en matière de droits dans près de 100 pays. Dans son essai introductif, la directrice exécutive par intérim Tirana Hassan explique que dans un monde où l’équilibre des pouvoirs a changé, il n'est plus possible de compter sur un petit groupe de gouvernements, principalement du Nord, pour défendre les droits humains. La mobilisation mondiale autour de la guerre menée par la Russie en Ukraine nous rappelle le potentiel extraordinaire lorsque les gouvernements s’acquittent de leurs obligations en matière de droits humains à l'échelle internationale. Il incombe à tous les pays, grands et petits, d'appliquer un cadre des droits humains à leurs politiques, puis de conjuguer leurs efforts pour protéger et promouvoir ces droits.
Dans au moins 15 conflits armés, notamment en République démocratique du Congo, au Cameroun, en Éthiopie, au Mozambique, au Mali, au Burkina Faso et au Soudan du Sud, les forces gouvernementales ou des groupes armés non-étatiques ont été impliqués dans des abus à l’encontre de civils.
Certains progrès ont été réalisés pour garantir la justice pour les crimes graves, a déclaré Human Rights Watch. Des procès ont commencé en République centrafricaine et en Guinée, tandis que la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert des procès pour des crimes graves impliquant des chefs de milice en République centrafricaine et au Soudan.
Dans le nord de l'Éthiopie, le conflit dans les régions du Tigré, d'Amhara et d'Afar a eu un impact dévastateur sur les populations civiles. De vastes pans de la population tigréenne sont toujours déplacés et n'ont pas accès à l'aide humanitaire dont ils ont désespérément besoin. Dans la région de l’Oromia, les combats entre les forces fédérales éthiopiennes et les rebelles de l'Armée de libération de l'Oromia se sont intensifiés. Les efforts menés pour que les responsables de crimes graves rendent des comptes pour leurs actes ont été étouffés.
Le groupe rebelle M23 soutenu par le Rwanda dans l'est de la RD Congo est réapparu et a commis de nouvelles atrocités dans la région. D'autres groupes armés, et parfois des soldats congolais, ont également commis des abus généralisés, l'impunité alimentant les cycles de violence. En août, le gouvernement burundais a déployé des soldats dans l'est de la RD Congo, suivis par des troupes kenyanes en novembre, en réponse à la décision de la Communauté de l'Afrique de l'Est (CAE) d'établir une force conjointe pour rétablir la sécurité dans la région.
En novembre, une négociation menée par l'UA a abouti à un accord de cessation des hostilités dans le conflit éthiopien du Tigré, entre le gouvernement fédéral et les autorités tigréennes.
Au Mozambique, la Communauté de développement de l'Afrique australe (CDAA) et le Rwanda ont soutenu l'armée mozambicaine dans le conflit armé qui l’oppose à l'insurrection islamiste connue sous le nom d'Ansar al-Sunna Wa Jamma (ASWJ), et associée à l'État islamique. Les hostilités dans la province de Cabo Delgado ont entraîné des attaques illégales contre des civils et le déplacement interne de plus de 940 000 personnes au cours des quatre dernières années.
En Afrique de l'Ouest, notamment au Burkina Faso, en Guinée et au Mali, il n'y a eu aucune amélioration des conditions qui ont provoqué les récents coups d'État. L'UA et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ont réagi en suspendant leur adhésion, et en imposant, ou en menaçant d’imposer, des sanctions.
Les critiques croissantes formulées à l’encontre d’opérations antiterroristes étrangères par la junte militaire malienne et l’incessante violence islamiste armée dans le pays ont conduit au retrait des troupes françaises du Mali, ainsi que de celui d'autres troupes de l'Union européenne.
Une recrudescence des combats au Mali et en République centrafricaine a coïncidé avec la diffusion d’informations faisant état d'horribles violations de droits humains commises par des mercenaires étrangers, notamment le groupe Wagner lié à la Russie.
Cependant, la réponse régionale a été étouffée lorsque des dirigeants civils élus se sont accrochés au pouvoir en manipulant les processus politiques et constitutionnels, ainsi qu’en tuant ou en harcelant des journalistes, des activistes et des opposants présumés.
Lors de son Sommet extraordinaire sur le terrorisme et les changements anticonstitutionnels de gouvernement en mai, l'UA a condamné le terrorisme, l'extrémisme violent et toutes les formes de changement de gouvernement anticonstitutionnels en Afrique. Les dirigeants ont appelé au retrait de tous les combattants terroristes et mercenaires étrangers, et ont affirmé leur engagement à lutter contre la criminalité transnationale organisée.
Les autorités de certains gouvernements de transition ont réprimé la dissidence politique pacifique et les critiques. En mars, les forces de sécurité tchadiennes ont violemment dispersé des milliers de manifestants pacifiques. Au Soudan, lors des manifestations qui ont secoué le pays depuis le coup d'État d'octobre 2021, les forces de sécurité ont tué plus de 100 personnes, en ont détenu arbitrairement des centaines et en ont fait disparaître d'autres de force. L'UA est restée silencieuse.
Les vagues de répression contre les opposants et les détracteurs des gouvernements ne se sont toutefois pas limitées aux pays sous régime transitoire. Au Burundi, au Rwanda, en Ouganda et au Zimbabwe, des activistes, des opposants et des journalistes ont été détenus et torturés. En RD Congo, les attaques contre la liberté des médias, l'implication croissante des services de renseignement dans l'intimidation des dissidents, et le rétrécissement général de l'espace démocratique suscitent des inquiétudes à l'approche des élections de 2023.
Dans plusieurs régions d'Afrique, les personnes déplacées, les réfugiés et les migrants ont été chassés de chez eux par les conflits armés, la répression, les violences communautaires, la pauvreté et des facteurs environnementaux. En Érythrée et au Cameroun, des demandeurs d'asile renvoyés de force ont fait l'objet de détentions arbitraires et d'abus. Au Nigéria, les fermetures de camps de déplacés imposées par le gouvernement ont plongé des milliers de personnes dans un dénuement encore plus profond.
Le manque de voies de migration sûres et légales, ainsi que les obstacles à l'asile à l'intérieur et à l'extérieur de l'Afrique, combinés à la pression de l'UE et de ses États membres, ont entraîné le décès, l'exploitation ainsi que la discrimination des migrants, qui sont soumis à de nombreux abus.
Pour les victimes d'atrocités sur le continent, les progrès en matière d'accès à la justice ont été mitigés, a déclaré Human Rights Watch.
En juillet, l'UA a annoncé l'opérationnalisation du fond mandaté de longue date et dédié aux réparations pour les victimes du régime brutal de l’ancien président tchadien Hissène Habré.
En Guinée, le procès des auteurs présumés du massacre du stade de 2009 s'est ouvert 13 ans plus tard, soulignant l'importance d'une justice nationale crédible pour les crimes graves.
En octobre, la Cour pénale spéciale (CPS) de la République centrafricaine a condamné Issa Sallet Adoum, Ousman Yaouba et Tahir Mahamat du groupe rebelle 3R pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis dans le pays en 2019.
Toutefois, un tribunal hybride pour le Soudan du Sud dirigé par l'UA et envisagé dans l'accord de paix de 2015 n'a pas encore commencé ses activités.
Le Burundi et l'Éthiopie continuent de refuser l'accès au rapporteur spécial des Nations Unies sur le Burundi, à la commission d'enquête de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples sur la situation au Tigré et à la Commission internationale d’experts en droits de l’homme des Nations Unies sur l'Éthiopie.
Les organisations de la société civile africaine ont apporté une contribution cruciale à la mise en place de ces mécanismes, ainsi qu’à l'indépendance et au fonctionnement efficace des institutions africaines des droits humains.
« Les gouvernements africains et les institutions régionales devraient dénoncer publiquement les abus et la répression de la dissidence qui sévissent sur le continent », a déclaré Mausi Segun. « De véritables efforts pour lutter contre l'impunité nécessitent des enquêtes impartiales et des procès équitables contre les personnes reconnues responsables d'atteintes aux droits humains et de crimes dans toute l'Afrique. »