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Burundi : Des opposants présumés ont été tués, détenus et torturés

Les abus commis par les forces de sécurité aggravent l’insécurité

Le président du Burundi, Évariste Ndayishimiye, photographié lors du sommet Union européenne-Union africaine à Bruxelles, le 17 février 2022. © 2022 Valeria Mongelli/Bloomberg via Getty Images

(Nairobi) – Les services nationaux de renseignement, la police et les membres de la jeunesse du parti au pouvoir au Burundi ont tué, détenu arbitrairement, torturé et harcelé des personnes soupçonnées d’appartenir à des partis d’opposition ou de travailler avec des groupes d’opposition armés, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Les autorités ont réagi avec une approche musclée aux attaques perpétrées contre des civils et des agents de l’État par des assaillants armés ou des membres présumés de groupes rebelles dans plusieurs régions du pays. Elles se sont montrées peu soucieuses de la nécessité d’enquêtes crédibles, de preuves objectives ou du respect d’une procédure régulière nécessaires pour amener les véritables responsables à répondre de leurs actes. Au lieu de cela, dans les provinces de Cibitoke et de Kayanza, où se sont concentrées les nouvelles recherches de Human Rights Watch, les autorités ont ciblé des opposants présumés du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD).

« Au lieu de cibler des opposants présumés, le gouvernement du président Évariste Ndayishimiye devrait s’assurer que les responsables des abus, y compris certains membres des forces de sécurité, répondent de leurs actes », a indiqué Clémentine de Montjoye, chercheuse auprès de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les Burundais ne cesseront de vivre dans la peur que lorsque leurs persécuteurs seront traduits en justice. » 

Entre octobre 2021 et avril 2022, Human Rights Watch a interrogé plus de 30 personnes, dont des victimes et des témoins de violations, des membres des familles, des représentants des partis d’opposition et des défenseurs des droits humains burundais. Human Rights Watch a aussi analysé et authentifié des enregistrements vidéo qui montrent plusieurs officiers de l’armée et de la police reconnaissant des meurtres. Human Rights Watch a également examiné des rapports d’organisations de défense des droits humains locales et internationales, des reportages de médias, des discours publics de responsables du gouvernement et des publications sur les réseaux sociaux.

Compte tenu de l’ampleur des abus et des difficultés d’accès à la région pour les organisations de défense des droits humains, ces recherches ne couvrent peut-être qu’une fraction de ces abus. Des médias locaux et des groupes de défense des droits humains burundais ont également publié des comptes rendus d’abus commis dans le pays.

Human Rights Watch a constaté que, dans les deux provinces, l’impunité pour des meurtres, des tortures et d’autres abus exacerbait, plutôt qu’elle ne réduisait, l’insécurité qui touche les communautés.

Dans deux cas examinés dans le cadre de ce rapport, les forces de sécurité auraient fait disparaître de force une personne qu’elles avaient arrêtée. Un individu est considéré comme une victime de disparition forcée lorsqu’il est détenu par les autorités et que celles-ci refusent de divulguer les circonstances ou le lieu de sa détention, dans le but de le soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée.

Des membres de familles de victimes ont indiqué qu’ils craignaient de poser des questions sur la situation de leurs proches ou de se rendre dans les postes de police et les centres de détention du service de renseignement pour les rechercher. Dans certains cas, les membres des familles ont effectivement déposé plainte auprès des autorités locales, mais ils ont expliqué qu’ils n’ont reçu aucune information sur leurs proches disparus. Certaines familles supposent que leurs proches ont été tués, et ont cessé de les chercher.

Un homme âgé de 25 ans, membre du Congrès national pour la liberté (CNL), le principal parti d’opposition du Burundi, n’a plus été revu depuis le 27 janvier. Ce jour-là, il a reçu un appel téléphonique et est allé rencontrer un membre local des Imbonerakure dans la commune de Mugina, située dans la province de Cibitoke dans un cas qui pourrait constituer une disparition forcée. Un membre de sa famille a déclaré que quatre hommes armés portant des uniformes de police sont sortis d’un véhicule à quatre roues motrices connu pour appartenir au Service national de renseignement (SNR) à Cibitoke. Ils ont fait monter son proche dans le véhicule.

« Un membre des Imbonerakure lui avait dit de quitter [le CNL] et de rejoindre le parti au pouvoir », a raconté le membre de la famille. Après l’avoir cherché dans toutes les cellules de détention et les postes de police locaux, où les autorités ont nié l’avoir placé en garde à vue, le proche du disparu a indiqué qu’il avait abandonné ses recherches : « J’ai peur qu’il ne soit mort. C’est ce qu’il se passe ici quand les gens ne parlent pas la même langue que le gouvernement. Je sais que vous ne pouvez pas le ramener, mais s’il vous plaît, faites au moins savoir au monde ce qu’il se passe. »

Le 28 avril, Pierre Nkurikiye, porte-parole du ministère de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique, a déclaré qu’en cas de disparition présumée, les membres des familles devaient déposer une plainte auprès des autorités judiciaires ou administratives afin qu’une enquête soit ouverte.

Dans au moins deux cas documentés par Human Rights Watch, des familles ou des victimes elles-mêmes ont rapporté que les autorités locales étaient intervenues pour obtenir la libération de personnes ou mettre fin au harcèlement de victimes. Toutefois, à la connaissance de Human Rights Watch, les autorités n’ont pas lancé d’enquêtes crédibles sur les cas évoqués dans ce rapport, ni rendu des conclusions publiques ou traduit les responsables en justice.

Le 9 mai, Human Rights Watch a écrit aux ministres burundais des Affaires étrangères et de la Justice, ainsi qu’au président de la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH), pour leur communiquer des informations et poser des questions sur les cas documentés par Human Rights Watch, mais les autorités n’ont pas répondu à ce jour.

Malgré les preuves accablantes d’abus graves et persistants au Burundi, l’Union européenne (UE), les États-Unis et d’autres partenaires internationaux ont poursuivi une politique de rapprochement avec les autorités, levant diverses mesures restrictives et sanctions depuis l’arrivée au pouvoir d’Évariste Ndayishimiye en 2020. L’UE a prévu de reprendre son dialogue politique avec le gouvernement burundais en mai.

Les gouvernements et les institutions régionales et internationales entretenant des relations avec le Burundi devraient veiller à ce que les atteintes graves aux droits humains, telles que les meurtres, les possibles disparitions forcées, la torture et la détention arbitraire d’opposants politiques, soient à l’ordre du jour et que des actions concrètes et quantifiables soient proposées pour y remédier, a déclaré Human Rights Watch.

« Le portrait flatteur de la situation des droits humains au Burundi brossé par la communauté internationale est en contradiction avec la méfiance et la peur ressenties par de nombreux Burundais à l’égard des institutions publiques et des forces de sécurité », a conclu Clémentine de Montjoye. « Si les partenaires du Burundi veulent réellement voir une progression vers le rétablissement de l’État de droit, ils devraient insister sur l’importance de lutter contre l’impunité pour ces abus graves. »

Pour plus de détails sur les conclusions des recherches dans les provinces de Cibitoke et de Kayanza, veuillez lire la suite.

La documentation des atteintes aux droits humains au Burundi reste difficile en raison de l’accès restreint au pays pour les organisations internationales de défense des droits humains, les risques pour la sécurité des activistes burundais et la crainte des victimes et des témoins de subir des représailles de la part des autorités. La plupart des entretiens avec des personnes vivant dans les provinces de Cibitoke et de Kayanza ont été réalisés par téléphone. Tous les témoins ont parlé sous couvert de l’anonymat.

Province de Kayanza

Human Rights Watch a constaté que les forces de sécurité et les jeunes du parti au pouvoir réagissent par de nouvelles exactions aux attaques meurtrières contre des civils ou des agents de l’État, souvent perpétrées par des assaillants armés non identifiés. La commune de Matongo, qui borde la forêt de la Kibira, a connu ces dernières années une insécurité qui a éprouvé les nerfs de la population.

Une série d’attaques ont eu lieu dans plusieurs provinces du pays en 2020 et 2021. En septembre 2020, au moins six civils ont été tués et trois ont été blessés lors d’une attaque dans la commune de Matongo, en province de Kayanza, attribuée à un groupe armé non identifié, selon les déclarations d’une administratrice locale. Les habitants locaux ont continué à signaler et à exprimer leurs craintes quant à la présence d’hommes armés dans la forêt de la Kibira ou aux environs, et à la répression croissante à l’encontre des membres du parti d’opposition CNL.

Les autorités n’ont que rarement mené des enquêtes transparentes, avec des conclusions rendues publiques, sur ces attaques qui ont fait des dizaines de morts parmi les civils ces dernières années. Au lieu de cela, les autorités ont généralement réprimé les personnes suspectées de faire partie des assaillants armés ou, plus largement, suspectées de s’opposer au gouvernement, indépendamment du fait qu’elles aient des liens avec les assaillants ou les attaques.

Dans un cas, Tony Germain Nkina, avocat et ancien défenseur des droits humains, a été arrêté à Kabarore, dans la province de Kayanza, le 13 octobre 2020 alors qu’il rendait visite à un client, à peu près au moment des attaques menées par des groupes armés dans cette zone. Lors d’un procès politisé, il a été inculpé et condamné pour collaboration avec RED-Tabara (Résistance pour un État de droit au Burundi), un groupe rebelle burundais opérant en République démocratique du Congo.

L’accusation n’a toutefois présenté aucun élément de preuve pour corroborer ces allégations. Et l’issue de l’affaire semble être un nouvel exemple d’ingérence politique dans le système judiciaire pour faire pression sur les personnes associées au mouvement de défense des droits humains.

L’arrestation et le procès de Tony Germain Nkina sont emblématiques de la manière dont les efforts des autorités, pour rechercher les responsables de groupes armés ou d’attaques, ont conduit à de graves violations des droits humains, y compris à l’encontre de personnes qui n’ont aucun lien avec ces groupes armés, a déclaré Human Rights Watch. La rapidité avec laquelle certains suspects ont été appréhendés et traduits en justice, et le fait que les autorités ratissent large, soulèvent également des questions quant aux preuves utilisées pour identifier les suspects potentiels. Entre-temps, les autorités font peu pour remédier à l’insécurité permanente qui touche les populations locales.

Human Rights Watch a reçu un enregistrement vidéo montrant deux officiers de l’armée se vantant d’avoir tué des « rebelles » présumés. Lors d’une discussion sur une opération menée le 10 novembre 2021 contre un groupe de 17 « rebelles » présumés qui étaient basés dans la forêt de la Kibira, un officier a évoqué le meurtre de trois personnes, dont un leader connu sous le nom de « Mwarabu ».

« Les autres ont été tués dans la Kibira… en leur tirant dessus, en les arrêtant », a indiqué l’officier. « Sur les quatre qui restaient, nous en avons tué trois et il en restait un seul. Nous avons pris une photo de lui sur WhatsApp assis parmi les cadavres... » Des photos montrant trois cadavres et un prisonnier, entourés d’hommes portant des vêtements militaires ou de police, ont été publiées par un média indépendant au Burundi.

Human Rights Watch a également reçu une vidéo de témoins évoquant les meurtres, et a interrogé deux habitants. L’enregistrement vidéo et les entretiens indiquent que trois « rebelles » présumés ont été tués et un quatrième arrêté le 10 novembre. On ignore si les victimes étaient armées au moment de leur mort. D’après les médias, un « rebelle » présumé aurait lancé une grenade et blessé un responsable local et un policier. Mais des témoins qui étaient présents ont affirmé que les membres du groupe n’étaient pas armés et avaient caché leurs armes dans une plantation de thé à proximité.

D’après un article publié dans un média burundais et le témoignage d’un habitant local, la personne arrêtée a été condamnée deux jours plus tard lors d’un procès en flangrance à la réclusion à perpétuité dans le cadre d’une procédure qui soulève des préoccupations quant à son équité. Selon l’article et la personne qui a assisté à la procédure judiciaire, le suspect a admis avoir été recruté par « Mwarabu » et a affirmé que le groupe était responsable d’attaques dans les communes de Bugarama, dans la province de Rumonge, et de Bukeye dans la province de Muramvya. L’officier de l’armée a déclaré dans la vidéo examinée par Human Rights Watch que plusieurs « personnes importantes » ont été arrêtées grâce à des contacts obtenus à partir du téléphone de « Mwarabu ».

Le 16 novembre 2021, des membres des Imbonerakure et des administrateurs locaux ont placé Innocent Barutwanayo, un membre du parti d’opposition CNL, en garde à vue dans la commune de Matongo. Un représentant du parti CNL qui a suivi son cas a expliqué qu’Innocent Barutwanayo a été accusé de travailler avec « Mwarabu ».

Innocent Barutwanayo a d’abord été conduit au bureau de la commune de Matongo, puis transféré dans une cellule de détention du service de renseignement et enfin dans un poste de police local, d’après des personnes proches de lui et d’autres rapports. Il a été torturé, a indiqué une personne qui l’a vu à l’hôpital de Kayanza, après qu’il y a été transféré, apparemment en raison des blessures graves subies en détention.

Plusieurs agents du service national de renseignement et de la police sont venus le chercher à l’hôpital et l’ont conduit au siège du service de renseignement à Bujumbura vers le 25 novembre. Le 3 décembre, un administrateur local a informé les membres de sa famille que son corps devait être récupéré à la morgue de l’hôpital Prince Louis Rwagasore à Bujumbura. Ils n’avaient pas l’argent pour le faire.

La Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) du Burundi a indiqué dans son rapport annuel 2021 qu’elle avait consigné le cas d’« I.B. », qui a été placé en garde à vue le 16 novembre à Kayanza, puis est décédé des suites de « coups et blessures graves ». La commission a mentionné que, d’après l’administrateur de la commune de Matongo, la victime a été tabassée par la population. Cependant, cette allégation contredit les informations reçues par Human Rights Watch de témoins présents lors de l’arrestation d’Innocent Barutwanayo.

De plus, une source qui l’a vu alors qu’il était hospitalisé à l’hôpital de Kayanza, sous la garde d’agents du service de renseignement et de la police, a déclaré qu’il avait été sévèrement battu au niveau des fesses, des côtes et de la poitrine, et qu’il pouvait à peine s’asseoir en raison de la gravité des blessures qu’il avait subies. La commission a également déclaré que des enquêtes étaient en cours et, en décembre 2021, elle a annoncé qu'elle avait enquêté sur deux cas de torture et que les responsables étaient tenus de rendre des comptes, sans identifier les victimes ni les auteurs. Human Rights Watch a soulevé le cas de Barutwanayo dans ses lettres aux autorités et à la commission, et a demandé des informations sur les mesures prises pour s'assurer que les responsables rendent des comptes, mais n'a reçu aucune réponse.

Au cours des six derniers mois, Human Rights Watch a documenté plusieurs autres détentions, disparitions et meurtres de membres de l’opposition dans la province de Kayanza. Dans la commune de Rango, située dans cette province, Claude Nzeyimana, membre d’un parti d’opposition, aurait été tué en octobre 2021.

Un membre de sa famille a raconté à Human Rights Watch que, d’après les dires de témoins, Claude Nzeyimana a été arrêté alors qu’il rentrait chez lui à pied tard un après-midi, par trois hommes armés portant des uniformes de police, qui utilisaient la voiture d’un représentant provincial du parti au pouvoir. Quelques heures plus tard, d’après la source, une voisine a trouvé le corps de Claude Nzeyimana alors qu’elle revenait de la ville. Une source qui a vu le corps a indiqué la présence de trois blessures par balle à la tête, pénétrant par le front et sortant par l’arrière de la tête, suggérant qu’il a été exécuté.

Human Rights Watch a reçu des informations sur la disparition manifeste d’au moins deux autres membres du parti d’opposition CNL dans la province de Kayanza, mais n’a pas été en mesure de confirmer de manière indépendante les circonstances dans lesquelles ils ont été portés disparus, l’endroit où ils ont été conduits ou ce qui leur est arrivé.

Province de Cibitoke

La province de Cibitoke connaît des taux élevés d’atteintes aux droits humains, d’après des groupes de défense des droits humains burundais. La situation sécuritaire s’y est dégradée après que des attaques menées par des groupes armés en 2021 ont été rapportées à Cibitoke et dans d’autres provinces le long de la frontière du Burundi avec la République démocratique du Congo et le Rwanda. Human Rights Watch a documenté de multiples cas de personnes soupçonnées de travailler avec des groupes armés qui ont été détenues et torturées dans une cellule de détention du service de sécurité à Cibitoke.

Depuis août 2020, de nombreux témoins, dont des fermiers travaillant sur les rives de la rivière Rusizi, ont décrit avoir vu des cadavres près de la rivière, parfois avec des plaies par balles ou par arme blanche, des hématomes ou avec les mains liées derrière le dos avec une corde. Dans bon nombre de cas, les témoins qui étaient présents quand les cadavres ont été découverts ont raconté que les autorités administratives locales, les membres des Imbonerakure ou les agents de police ont enterré les corps sans mener d’enquête ni prendre de mesures pour déterminer leur identité afin que leurs familles puissent être informées.

Un habitant de la commune de Buganda a indiqué avoir trouvé le corps de son voisin le 3 novembre 2021. Il a précisé qu’on ignorait comment la victime était morte, mais que la découverte de corps était devenue un événement fréquent. « La nuit, les membres des Imbonerakure attaquent les gens et les tuent parfois », a-t-il expliqué en novembre. « La semaine dernière, j’ai vu six corps flottant sur la rivière Rusizi. Ils étaient attachés ensemble avec une moustiquaire. »

À propos du rôle des Imbonerakure et de l’armée le long de la frontière avec la RD Congo dans la province de Cibitoke, un agent de police qui y a été posté pendant plusieurs années a déclaré dans une vidéo que Human Rights Watch a reçue et authentifiée en mars : « S’ils arrêtent des personnes qui tentent de traverser [la rivière Rusizi], dans la plupart des cas, celles-ci seront conduites directement au service national de renseignement... S’ils décident de tuer, c’est parce qu’il y a des raisons sérieuses de le faire… »

Le Service national de renseignement (SNR) gère un centre de détention bien connu à Cibitoke, où des personnes soupçonnées de travailler avec des groupes armés sont détenues, d’après les témoignages d’habitants locaux. Un agriculteur de Cibitoke, membre du parti d’opposition, a expliqué qu’il avait été arrêté chez lui par des hommes portant des t-shirts du parti au pouvoir vers 21 heures le 12 février 2022, dans des circonstances qui pourraient constituer une disparition forcée. Il a dit que lorsqu’il a vu les t-shirts, « c’est là que j’ai compris que c’étaient des membres des Imbonerakure. Des agents du SNR étaient aussi présents. Lorsque je suis monté dans la voiture, ils m’ont bandé les yeux et j’ai su que ma vie était en danger. » Il a été conduit à un centre de détention qui, selon lui, était la cellule de détention de l’agence de sécurité à Cibitoke. Human Rights Watch a précédemment documenté plusieurs cas de torture dans ce lieu. Il a raconté 

J’ai été enfermé seul dans une petite pièce. Pendant ces deux semaines, je n’ai été en contact avec personne d’autre… Ils m’ont accusé de travailler avec [le groupe d’opposition armé] RED-Tabara contre le gouvernement. À vrai dire, je ne connais personne dans ce mouvement. Je pense qu’ils m’ont arrêté parce que je ne suis pas membre du parti [au pouvoir]. Je suis au CNL et ils le savent. Ils m’ont battu avec des bâtons, des câbles électriques et à coups de pied pour me faire avouer que je travaillais avec RED-Tabara. Ils l’ont fait tous les matins et tous les soirs, le plus dur était quand ils étaient ivres. Ils vous frappent sans s’inquiéter du fait qu’ils peuvent vous tuer…


Au bout de deux semaines, il a été déplacé vers un autre endroit non identifié, où il a décrit qu’il pouvait entendre des gens hurler la nuit. Après sa libération, aucune enquête n’a été ouverte et la victime vit dans la clandestinité, bien que son cas ait été signalé aux autorités locales.De nombreuses victimes interrogées ont expliqué qu’elles continuaient à vivre côte à côte avec leurs persécuteurs, et craignaient d’être de nouveau prises pour cible. Un homme de 36 ans membre du parti CNL a raconté qu’il a été appelé par l’administrateur local (chef de colline) au début du mois de janvier qui lui a demandé de venir chez lui. À son arrivée, plusieurs membres des Imbonerakure étaient aussi là :

Ils ont commencé à me poser des questions comme : « Où as-tu trouvé ce cadavre ? » C’était faux – je n’ai trouvé aucun corps – ils essayaient de me créer des problèmes. Ils m’ont aussi demandé pourquoi je ne voulais pas devenir membre du parti. Ils ont continué à poser des questions jusqu’à minuit puis ils m’ont conduit dans la brousse. C’est là que j’ai compris que j’allais mourir… Ils ont pris tout ce que j’avais sur moi, mon téléphone, mon portefeuille… J’ai décidé de m’enfuir. Ils m’ont suivi, alors je me suis mis à appeler au secours. J’ai passé la nuit à me cacher.

Sa famille et un haut responsable du CNL ont présenté son cas au procureur de Cibitoke et à la commission nationale des droits de l’homme, qui sont intervenus auprès de l’administrateur local pour s’assurer que la victime puisse rentrer chez elle. Cependant, aucune enquête n’a été ouverte contre ceux qui l’ont menacé, et il continue de vivre dans la peur de représailles. En mai, des membres des Imbonerakure ont tenté de l’arrêter à nouveau.

Bon nombre des personnes interrogées ont exprimé leur crainte d’être perçues comme des opposants au gouvernement, qu’elles soient affiliées ou non à des groupes d’opposition. Un homme de 43 ans qui a décidé de quitter le parti au pouvoir pour rejoindre le CNL a expliqué que d’anciens collègues de la province de Cibitoke lui ont dit qu’il serait tué : « Il y a des gens qui viennent la nuit. C’est arrivé quatre ou cinq fois. Je ne sors plus marcher, je suis à la maison tous les soirs à 17 h. Je ne peux jamais rester seul. » Un représentant local du CNL a confirmé qu’il avait aussi été informé par des responsables du parti au pouvoir que cet homme était une cible.

Human Rights Watch a reçu des informations concernant au moins deux autres détentions arbitraires de membres de partis d’opposition dans la province de Cibitoke, en novembre 2021 et mars 2022. Un ancien membre du CNL qui a récemment rejoint le parti au pouvoir a été arrêté le 30 mars 2022. Human Rights Watch a découvert qu’il a été arrêté par des agents locaux du service de renseignement et transféré au siège du SNR à Bujumbura. Il serait maintenant détenu à la prison de Mpimba à Bujumbura.

Un autre membre du CNL de la commune de Rugombo a été placé en garde à vue par des agents de police et du service de renseignement le 20 novembre, d’après un proche et un représentant local du CNL ; il aurait été accusé de fournir des marchandises à des groupes rebelles. Il aurait été détenu à la cellule de détention du SNR à Cibitoke avant d’être transféré au siège du SNR à Bujumbura. Il se trouve actuellement à la prison de Mpimba, bien que les circonstances de sa détention et de son traitement restent floues.

Recommandations

Le gouvernement du Burundi devrait :

  • condamner publiquement les atteintes aux droits humains commises par les forces de sécurité de l’État et les membres de la jeunesse du parti au pouvoir et ordonner la fin de ces pratiques ;
  • mener des enquêtes crédibles et transparentes sur ces cas et engager des poursuites contre les responsables ;
  • garantir la sécurité, la liberté d’expression, de réunion et d’association ainsi que l’intégrité physique des opposants politiques et de leurs proches, des journalistes, des membres de la société civile et des défenseurs des droits humains ;
  • veiller à ce que les responsables des attaques armées soient arrêtés et traduits en justice dans le respect des droits fondamentaux et d’une procédure régulière ;
  • empêcher les Imbonerakure d’agir au nom des forces de sécurité et poursuivre en justice les membres impliqués dans des violations des droits humains ;
  • coopérer pleinement avec le nouveau Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme au Burundi, et permettre l’accès au pays pour des activités de surveillance et des enquêtes indépendantes ;
  • prendre d’urgence des mesures pour rétablir l’État de droit et mettre fin à l’ingérence des membres du pouvoir exécutif dans les affaires des autorités judiciaires.

Les groupes armés au Burundi devraient :

  • cesser de commettre des atteintes aux droits humains et des actes de violence contre les agents de l’État et les civils.

La Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) devrait :

  • veiller à ce que le respect des principes des droits humains et de l’État de droit soit au centre du processus de négociation mené par la CAE pour rétablir la paix et la sécurité régionales.

Les institutions et les États membres de l’UE devraient :

  • veiller à ce que la feuille de route élaborée par le gouvernement burundais dans le cadre de son dialogue avec l’UE reconnaisse la gravité et l’ampleur des violations des droits humains commises par les agents de l’État, en mettant l’accent sur les violations les plus graves telles que les meurtres, les détentions arbitraires, la torture et les possibles disparitions forcées.

Les partenaires internationaux et régionaux du Burundi, notamment l'UE, l'Union africaine et les institutions des Nations unies, devraient :

  • établir des critères concrets et mesurables attendus du gouvernement pour lutter contre ces violations des droits humains afin de s’assurer que les autorités burundaises traduisent les responsables en justice ;
  • exiger des réformes structurelles du système judiciaire et de l’appareil sécuritaire avec des actions concrètes et mesurables et des délais spécifiques ;
  • dénoncer publiquement les atteintes aux droits humains et appeler à ce que les responsables soient traduits en justice ;
  • exiger publiquement la libération immédiate et sans condition de Tony Germain Nkina et de toutes les autres personnes injustement détenues ;
  • exhorter les autorités burundaises à permettre au Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme au Burundi d’accéder sans entrave au pays.

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