(Nairobi) – Au Burundi, la surveillance et le contrôle des médias et des organisations non gouvernementales et la condamnation de 12 journalistes et activistes en exil à l’issue de procédures entachées de graves irrégularités ont un effet dissuasif durable sur leur travail, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Presque un an après l’investiture du président Évariste Ndayishimiye, les autorités envoient toujours des signaux contradictoires. Elles ont levé certaines restrictions imposées à la société civile et aux médias depuis le début de la crise politique en 2015. Mais elles ont aussi renforcé les restrictions pesant sur les défenseurs des droits humains et les journalistes qui sont perçus comme critiques à l’égard du gouvernement. Un défenseur des droits humains et un ancien député condamnés pour des chefs d’accusation abusifs sont toujours en détention.
« Le gouvernement devrait aller au-delà des gestes symboliques de bonne foi pour s’attaquer au système de répression enraciné mis en place sous l’ancien président Pierre Nkurunziza avant son décès », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale chez Human Rights Watch. « Des réformes de fond sont nécessaires pour agir contre le manque d’indépendance de la justice, les procès politisés et l’absence de responsabilisation pour les abus commis depuis 2015. »
En avril 2021, Human Rights Watch s’est entretenu avec 36 journalistes et activistes de la société civile burundais, employés d’organisations non gouvernementales étrangères, membres du personnel des Nations Unies et diplomates – vivant dans le pays et en dehors – sur l’impact des réformes limitées du président Évariste Ndayishimiye. Tous ont parlé sous couvert de l’anonymat. Human Rights Watch a aussi examiné les lois, les documents judiciaires, les discours publics et les publications sur les réseaux sociaux.
Pendant le troisième et dernier mandat de Pierre Nkurunziza, la société civile et les médias indépendants ont été attaqués sans répit et certains de leurs membres ont été tués, ont disparu, ont été emprisonnés et menacés. Des dizaines de défenseurs des droits humains et de journalistes ont fui le pays et sont toujours à l’étranger à l’heure actuelle. L’impunité pour ces crimes est quasi totale et les réformes introduites par le président Évariste Ndayishimiye ont eu un impact limité sur la capacité des journalistes et de la société civile à s’exprimer librement.
Les réformes d’Évariste Ndayishimiye semblent destinées à améliorer l’image du Burundi et à rétablir les liens économiques avec la communauté internationale. Cependant, depuis son investiture en juin 2020, les graves atteintes aux droits humains, incluant des meurtres extrajudiciaires, des disparitions forcées et des arrestations arbitraires, ont continué, quoique dans une moindre mesure que lors des élections de 2020. La documentation des atteintes aux droits humains reste difficile en raison de l’accès restreint au pays pour les organisations internationales de défense des droits humains, des risques pour la sécurité des activistes burundais et de la crainte de représailles contre les victimes et les témoins par les autorités. Les auteurs présumés d’abus n’ont été arrêtés et jugés que dans quelques cas, même si leurs procès ont souvent manqué de transparence.
Les abus dans le système judiciaire ont été illustrés par la condamnation début mai d’un ancien député, Fabien Banciryanino, pour des chefs d’accusation liés à la sécurité. Il a été condamné à une peine d’un an d’emprisonnement et une amende de 100 000 francs burundais (51 dollars US). Pendant le procès, deux sources présentes ont affirmé que le ministère public a accusé Fabien Banciryanino d’atteinte à la sûreté de l’État pour avoir prétendument tenu une conférence de presse sans autorisation préalable, et de rébellion pour avoir présumément refusé de remettre son titre foncier à la demande d’un administrateur local. Fabien Banciryanino a plaidé non coupable.
Le 5 mars, un décret présidentiel a annoncé la grâce ou la libération anticipée de plus de 5 000 prisonniers. La moitié environ de ces prisonniers ont été libérés dans le cadre de cette mesure qui pourrait constituer un pas important pour réduire la surpopulation carcérale dramatique. Le décret a aussi exclu de nombreux prisonniers en détention préventive ou accusés de délits liés à la sécurité, dont bon nombre ont été arrêtés au lendemain des manifestations de 2015 contre le troisième mandat brigué par l’ancien président et sont détenus pour des raisons politiques.
À l’occasion de la libération d’un groupe de prisonniers de la prison de Mpimba à Bujumbura, le président Ndayishimiye a réitéré son engagement à mettre fin à l’impunité et à renforcer le système judiciaire, mais il a affirmé à tort que le Burundi n’avait pas de prisonniers politiques. Nestor Nibitanga, défenseur des droits humains arrêté en novembre 2017 et condamné pour des chefs d’accusation liés à la sécurité après avoir subi une détention arbitraire prolongée et d’autres violations graves de la procédure régulière, a été gracié et libéré le 27 avril, mais d’autres détenus sont toujours en prison.
Même si le gouvernement d’Évariste Ndayishmiye a levé certaines restrictions, dont la suspension de l’organisation anti-corruption PARCEM (Parole et action pour le réveil des consciences et l’évolution des mentalités) et d’une station de radio locale, Bonesha FM, les autorités exercent toujours une ingérence abusive dans les activités de la société civile et des médias au Burundi ainsi qu’une surveillance de leur travail, a constaté Human Rights Watch.
Le gouvernement continue de s’appuyer sur deux lois régissant le travail des organisations non gouvernementales nationales et étrangères et sur la loi sur les médias de 2018 pour contrôler les activités. Des journalistes et des membres du personnel d’organisations nationales et internationales ont rapporté avoir demandé une autorisation auprès des autorités provinciales et locales pour effectuer leur travail. Ils ont aussi décrit des menaces et des difficultés les empêchant de travailler sur des questions de droits humains ou de sécurité. Les médias internationaux sont toujours restreints et les opérations de la British Broadcasting Corporation (BBC) et de Voice of America (VOA) au Burundi font toujours l’objet d’une injonction de suspension.
Le 2 février 2021, la publication du verdict de culpabilité de la Cour suprême du Burundi datant du 23 juin 2020, dans l’affaire contre 34 personnes accusées d’avoir participé à une tentative de coup d’État en mai 2015, dont 12 défenseurs des droits humains et journalistes en exil, a révélé les limites de l’agenda de réforme du gouvernement actuel, a indiqué Human Rights Watch. Après un procès lors duquel les accusés étaient absents et ne disposaient pas de représentant légal, une atteinte de plus aux principes fondamentaux d’une procédure régulière, le groupe a été reconnu coupable d’« attentat à l’autorité de l’État », d’« assassinats » et de « destructions ».
Le 24 mars 2021, Radio Publique Africaine (RPA), Radio-Télévision Renaissance et Radio Inzamba, trois médias burundais indépendants qui émettaient depuis Kigali, au Rwanda, après que leurs dirigeants et bon nombre de leurs journalistes ont été contraints à l’exil, ont suspendu leurs diffusions. Les autorités rwandaises ont indiqué à ces trois médias qu’ils ne pouvaient plus opérer depuis le Rwanda en raison d’une demande faite par le gouvernement burundais. RPA et Radio Inzamba ont repris leurs activités en avril, après que leurs directeurs ont quitté le Rwanda. La Radio-Télévision Renaissance a annoncé la reprise de ses programmes le 24 mai.
Le 14 mai, Human Rights Watch a écrit aux ministres burundais des Affaires étrangères et de la Justice, ainsi qu’à la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH), pour leur faire part de ses principales conclusions et demander des informations sur les mesures prises pour redresser les abus documentés dans ce rapport. Human Rights Watch n’a reçu aucune réponse à ce jour.
La Commission d’enquête des Nations Unies sur le Burundi, instaurée en septembre 2016 et soutenue par l’Union européenne (UE), est le seul mécanisme d’enquête international qui continue d’opérer au sujet du Burundi, bien que sans accès à ce pays. Tous les ans depuis sa création, la commission documente les violations graves des droits humains, qui, dans certains cas, peuvent constituer des crimes contre l’humanité. Lors d’une intervention en mars 2021, la commission a indiqué que les partenaires du Burundi devraient utiliser des facteurs objectifs concrets pour évaluer les progrès réalisés par le gouvernement burundais dans la gestion de la situation désastreuse des droits humains.
Le 8 décembre 2020, l’UE et le gouvernement burundais ont entamé un dialogue politique visant à élaborer une « feuille de route » pour de telles réformes, alors que le gouvernement fait pression sur l’UE pour qu’elle lève sa suspension d’appui budgétaire direct de 2016. Le gouvernement n’a pas respecté de nombreux engagements sollicités par l’UE en 2016, notamment ceux concernant les médias et la société civile.
Le dialogue continu entre l’UE et le gouvernement burundais devrait s’accompagner d’objectifs clairs pour restaurer l’espace propice à la liberté de réunion, d’association et d’expression, a déclaré Human Rights Watch. L’UE ne devrait pas accepter les gestes symboliques et les promesses de changement au détriment de la responsabilisation et de la résolution des causes profondes de la crise des droits humains dans le pays.
Malgré le manque de progrès substantiels, le 27 avril, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine a mis un terme à la mission d’observation des droits humains et a appelé à lever toutes les sanctions internationales contre le Burundi. En décembre, le Conseil de sécurité de l’ONU a mis fin à ses rapports spécifiques concernant le Burundi.
« Les partenaires du Burundi ont un rôle essentiel à jouer pour faire en sorte que le gouvernement aille au-delà des mesures parcellaires pour s’attaquer aux défaillances structurelles et systémiques du système judiciaire », a conclu Lewis Mudge. « La répression du gouvernement à l’encontre de ceux qui ont révélé les abus généralisés est loin d’être terminée. »
Informations complémentaires sur les réformes et la répression
Une société civile ébranlée et un paysage médiatique disloqué
Des défenseurs des droits humains disparus, poursuivis en justice et menacés
À la fin du mois d’avril 2015, des manifestations publiques ont éclaté en réponse à la décision du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat controversé. La police burundaise a fait usage d’une force excessive et a tiré sur les manifestants sans distinction. Après une tentative de coup d’État par un groupe de militaires en mai, le gouvernement burundais a intensifié sa répression contre les opposants présumés et a fait fermer la plupart des stations de radio indépendantes du pays. Les défenseurs des droits humains ont été pris pour cible et le gouvernement a commencé à fermer des groupes de défense des droits humains.
Le ministère de l’Intérieur a ordonné la fermeture d’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-Burundi) et de l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH) en octobre 2016, ainsi que de plusieurs autres groupes de défense des droits humains accusés d’œuvrer pour « ternir l’image du pays » et « semer la haine et la division ». En 2015, le directeur de l’APRODH a survécu à une tentative d’assassinat, et son fils et son gendre ont été abattus.
La Ligue Iteka, une autre importante organisation de défense des droits humains, a été fermée par le ministère de l’Intérieur en janvier 2017. Une de ses membres, Marie-Claudette Kwizera, a été emmenée à bord d’un véhicule considéré comme appartenant au service national de renseignement (SNR) en décembre 2015. La Commission d’enquête des Nations Unies sur le Burundi a plus tard reçu des informations indiquant qu’elle a été prise pour cible en raison de son travail de défense des droits humains et assassinée par des agents du SNR. Beaucoup de membres de l’opposition, de leaders de la société civile et de journalistes indépendants accusés de s’opposer au troisième mandat brigué par le président sont toujours en exil.
Germain Rukuki, membre d’ACAT-Burundi, a été arrêté en juillet 2017 et condamné à 32 ans de prison en avril 2018 pour « rébellion », « atteinte à la sûreté de l’État », « participation à un mouvement insurrectionnel » et « attaques contre le chef de l’État ». En juin 2020, la Cour suprême a annulé le rejet de son appel par la Cour d’appel l’année précédente, citant des irrégularités de procédure, et a ordonné à la Cour d’appel d’entendre à nouveau l’appel. L’audience a eu lieu le 24 mars 2021, mais le tribunal n’a pas rendu son verdict, même s’il est tenu de le faire dans un délai de 30 jours.
Nestor Nibitanga, qui a travaillé comme observateur pour l’APRODH, a été condamné à cinq ans de prison pour « atteinte à la sûreté de l’État » en août 2018. Il a été gracié et libéré le 27 avril 2021, après avoir purgé trois ans et demi de sa peine.
Sous la présidence d’Évariste Ndayishimiye, la répression a persisté. Le 2 octobre 2020, Fabien Banciryanino, un ancien membre du parlement, a été arrêté après qu’un fonctionnaire de l’administration locale et une dizaine de policiers ont mis fin à une conférence de presse à son domicile à Bujumbura et lui ont ordonné de se présenter à un centre de détention de la police. Il a été au départ inculpé de « rébellion », d’« atteinte à la sûreté de l’État » et de « diffamation », même si le chef d’accusation de diffamation a été abandonné par la suite. Au début du mois de mai, il a été reconnu coupable et condamné à une peine d’un an de prison et à une amende de 100 000 francs burundais (51 dollars US).
Fabien Banciryanino est généralement considéré comme un défenseur des droits humains ; il est l’un des rares membres de l’Assemblée nationale qui ont voulu s’élever contre les atteintes aux droits humains dans un parlement fortement contrôlé par le parti au pouvoir. En février 2020, il a voté contre une loi qui visait à donner à Pierre Nkurunziza le titre officiel de « Guide suprême du patriotisme, » a dénoncé les « nombreux meurtres », mentionnant que « des corps ont été jetés dans les rivières tandis que d’autres ont été enterrés après avoir été mutilés » et a appelé à poursuivre en justice Pierre Nkurunziza.
En mars, Fabien Banciryanino a envoyé un courrier au directeur de la prison de Mpimba, où il est détenu, en adressant une copie à la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH), décrivant dans le détail les abus, dont l’extorsion, commis par les responsables de la prison et les autres prisonniers. Ces allégations confirment les schémas documentés par Human Rights Watch à la prison de Mpimba. Il a été par la suite placé dans une petite cellule d’isolement pendant quatre jours en guise de sanction.
De hauts responsables du gouvernement continuent à proférer des menaces à l’encontre des activistes et des journalistes en exil qui sont perçus comme travaillant « contre les intérêts du pays ». Le verdict de culpabilité de la Cour suprême contre 12 défenseurs des droits humains et journalistes en exil souligne la répression permanente du gouvernement contre la dissidence. Ceux-ci ont été condamnés à la réclusion à perpétuité et à des amendes s’élevant à plus de 5,5 milliards de francs burundais (2,8 millions de dollars US) de dommages-intérêts punitifs au bénéfice des ministères de la Défense et de la Sécurité publique, du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), et de Rema FM, une station de radio proche du parti au pouvoir. La Cour suprême a ordonné la saisie des biens des défendeurs en exil en mai 2019.
Les accusés n’étaient pas présents lors de leur propre procès, et n’ont pas été représentés par des avocats. Trois d’entre eux ont expliqué que les avocats qu’ils avaient contactés pour les représenter ont refusé par peur de représailles ou de poursuites ou ont été menacés par des fonctionnaires judiciaires afin de les dissuader de représenter les défendeurs au tribunal. Le groupe de 12 défenseurs des droits humains et journalistes a envoyé un courrier à la Commission nationale des droits de l’homme le 17 février pour demander de l’aide dans l’obtention d’une copie du verdict. Ils ne l’ont pas reçue.
Les poursuites contre des défenseurs des droits humains révèlent l’intolérance du gouvernement face aux voix ouvertement critiques et les tentatives de manipulation du système judiciaire pour essayer de discréditer et d’entraver le travail sur les droits humains, a déclaré Human Rights Watch.
Réformes parcellaires des médias
Le 28 janvier, l’engagement public d’Évariste Ndayishimiye en faveur d’une presse libre et « responsable » a débouché sur une réunion le 1er février, la première, entre certains dirigeants de médias et le Conseil national de la Communication (CNC). Ses membres sont nommés par le président et le CNC est chargé de superviser les médias et de conseiller le gouvernement sur ses communications. Le lendemain de la réunion, le verdict de la Cour suprême annonçant la condamnation de plusieurs journalistes éminents en exil a été publié.
Le 11 février, le CNC a levé l’interdiction concernant les commentaires publics sur le site Internet d’Iwacu, qui était en place depuis avril 2018, et a promis de restaurer l’accès au site Internet au Burundi. Iwacu est le dernier journal indépendant qui reste au Burundi et il est largement lu. Cependant, il est toujours inaccessible au Burundi.
Le 22 février, le CNC a levé l’interdiction touchant Bonesha FM, une station de radio privée, qui a dû signer un accord similaire à celui que la station de radio privée Isanganiro et Rema FM, station proche du parti au pouvoir, ont signé lorsqu’elles ont repris leurs diffusions en février 2016. Les stations avaient été fermées après la tentative de coup d’État, en même temps que Radio-Télévision Renaissance, et leurs locaux et équipements ont été vandalisés ou détruits. Le 21 avril, le CNC a autorisé plusieurs nouvelles stations de radio et chaînes de télévision à émettre.
Cependant, pour de nombreux journalistes, ces accords, qui prévoient que les stations de radio doivent fournir des informations « équilibrées » et ne doivent pas diffuser d’informations qui pourraient menacer la sûreté de l’État ou les « bonnes mœurs » ont un effet de musellement, les empêchant de documenter les atteintes aux droits humains ou les problèmes de sécurité. Ces obligations sont reprises dans la loi sur la presse de 2018 ainsi que dans les commentaires publics comme privés faits par le président et d’autres responsables du gouvernement. De plus, les journalistes travaillant pour les stations de radio qui ont subi des attaques physiques et des actes de vandalisme en mai 2015 ont dit qu’ils ont du mal à exercer leur métier en raison du manque de matériel.
La plupart des journalistes interrogés ont expliqué qu’ils avaient l’impression que le gouvernement d’Évariste Ndayishimiye était moins hostile envers les médias que l’administration précédente, à condition qu’ils ne traitent pas de sujets sensibles ou critiques.
Le contrôle et la supervision des reportages des médias restent omniprésents. Le directeur d’une radio au Burundi a indiqué : « Nous pouvons diffuser des informations sur les corps retrouvés ou sur les personnes torturées, mais uniquement avec l’autorisation des autorités. Celles-ci nous appellent parfois pour nous demander de diffuser des informations. Nous ne pouvons pas mener d’enquêtes indépendantes... Nous ne pouvons pas faire d’erreurs, sinon [elles] nous accuseront de servir d’autres intérêts. »
Les journalistes ont aussi fait part de leurs inquiétudes concernant l’autocensure et le climat de peur largement répandu au sein des médias, qui a été aggravé par la condamnation infondée de quatre journalistes d’Iwacu en janvier 2020, même s’ils ont fini par être graciés et libérés le 24 décembre 2020. La grâce ne les acquitte toutefois pas de la condamnation motivée par des raisons politiques pour complicité dans une « tentative impossible » d’atteinte à la sûreté intérieure de l’État, pour laquelle ils ont écopé d’une peine de deux ans et demi d’emprisonnement et d’une amende d’un million de francs burundais (510 dollars US).
Les journalistes interrogés ont affirmé que la condamnation et la disparition non résolue d’un autre journaliste d’Iwacu, Jean Bigirimana, en juillet 2016, ont eu un effet dissuasif durable sur les journalistes qui vivent encore au Burundi. Un journaliste expérimenté a indiqué : « Avec l’emprisonnement des journalistes d’Iwacu, le message était que les journalistes n’étaient pas les bienvenus là où les événements se déroulent, notamment lorsque ceux-ci sont liés à la sécurité. » Un autre a expliqué : « Les journalistes ont peur de sortir faire des reportages [sur des thèmes concernant la sécurité]. »
Les journalistes ont aussi indiqué qu’ils informent au préalable les autorités locales et provinciales de leur intention de faire un reportage dans leur localité. Sinon, ils ont peur que les autorités les accusent d’agir contre le gouvernement. Certains ont affirmé que les autorités avaient décrit les journalistes comme « l’ennemi ». D’autres ont aussi dit que les autorités leur ont donné l’avertissement de ne pas interroger de défenseurs des droits humains et journalistes en exil étiquetés par le gouvernement comme « putschistes ».
Société civile sous surveillance étroite
En janvier 2017, le gouvernement a adopté deux nouvelles lois permettant un contrôle accru des activités et des ressources des organisations burundaises et étrangères. Ces lois restreignent la liberté d’expression, d’association et de réunion et ont conféré de nouveaux pouvoirs au gouvernement pour contrôler les groupes internationaux et réprimer les voix dissidentes.
Le 25 mars 2021, le ministre de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique, Gervais Ndirakobuca, a organisé une réunion à Bugarama, dans la province de Muramvya, avec des représentants de groupes locaux sur le thème du « rôle des [Associations Sans But Lucratif] dans le développement communautaire ».
Deux membres d’ONG présents à la réunion ont raconté que le ministre de l’Intérieur a vivement déconseillé aux organisations de travailler pour mettre en œuvre le soi-disant « agenda étranger » au Burundi. Il a ordonné aux groupes de soumettre leurs activités prévues au ministère et leur a dit qu’ils ne seraient pas autorisés à s’écarter des plans convenus.
Le 2 avril, la suspension de PARCEM datant de juin 2019 a été levée par ordonnance ministérielle. L’organisation anti-corruption avait été accusée de ternir l’image du pays et de ses dirigeants après qu’elle a lancé une campagne de sensibilisation sur des questions sociales et sanitaires.
Même si les travailleurs d’organisations interrogés ont affirmé que la levée de la suspension était une mesure positive, beaucoup avaient l’impression que leur environnement de travail restait étroitement contrôlé. Les personnes interrogées travaillant dans le pays ont raconté que l’obligation imposée par la loi sur les ONG d’informer les autorités locales et provinciales de leurs activités avait un effet dissuasif sur leurs actions.
Les personnes interrogées ont expliqué qu’elles évitent délibérément d’être critiques pour préserver leur capacité à travailler : « Notre stratégie est de moins se concentrer sur la mise en évidence des problèmes et plus sur la mise en place de solutions... Si quelque chose de positif est fait, nous devons le mentionner », a décrit le directeur d’une organisation de défense des droits humains locale au Burundi.
Lorsque les autorités demandent à la société civile et aux médias de « contribuer » positivement au développement ou à la sécurité du pays, elles délimitent clairement ce qui est toléré, a déclaré Human Rights Watch.
Recommandations
Le gouvernement du Burundi devrait :
- Libérer immédiatement et sans conditions tous les prisonniers incarcérés de manière injustifiée, y compris Germain Rukuki et Fabien Banciryanino ;
- Ouvrir des enquêtes crédibles et transparentes et garantir la justice pour les disparitions de Marie-Claudette Kwizera et Jean Bigirimana ;
- Annuler la condamnation de 12 activistes et journalistes en exil, et instaurer un dialogue avec les organisations de défense des droits humains et les médias en exil ;
- Lever la suspension des organisations de défense des droits humains et des médias opérant depuis l’étranger ;
- Soutenir publiquement le droit des représentants de la société civile et des médias à couvrir les problèmes politiques, de droits humains et de sécurité, et ordonner aux autorités locales, provinciales et centrales de mettre fin à la surveillance de leurs activités ;
- Modifier les lois régissant les médias et les organisations nationales et internationales, afin de les mettre en conformité avec les normes régionales et internationales.
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